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Deux conférences digitales de deux heures, ponctuées de « keynotes » de speakers prestigieux, de débats et de tables-rondes réunissant des experts de la finance européenne permettront de décrypter les tendances et les défis des prochains mois.

Nous évoquerons les nouveaux équilibres géopolitiques, dans un paysage mondial en totale redéfinition. Nous nous interrogerons sur les conséquences de l’inflation sur la consommation mondiale, sur les marchés obligataires et sur la solidité du système bancaire international. Nous regarderons aussi l’avenir du secteur financier : un avenir qui semble se dessiner « plus vert » et plus « techno ». Mais, concrètement, que faut-il comprendre derrière ces deux évolutions ?

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00:00 Pour la suite des débats de cette matinée et un point plus spécifique sur le secteur
00:09 bancaire, je vais céder la parole à ma consoeur Muriel Mott dans quelques instants.
00:13 Le monde n'a pas vécu un jeudi noir ou un lundi noir cette année, mais un mois de mars
00:20 noir. Aux Etats-Unis, trois banques régionales ont fait faillite, les trois S, Silvergate,
00:27 SVB qui était la 16e banque américaine et Signature Bank la 21e. Promis au même sort,
00:34 le géant suisse Credit Suisse a quant à lui été racheté durant le même mois par
00:39 UBS pour 3 milliards d'euros après de rudes négociations. Une opération décisive pour
00:45 la stabilité de l'ensemble du système financier mondial a estimé Alain Berset, président
00:50 de la Confédération Helvétique. Credit Suisse faisait effectivement partie des 30
00:55 établissements de la planète considérés comme systémiques. Entre scandales et revers
00:59 commerciaux, le géant suisse avait fini par perdre la confiance de ses actionnaires.
01:04 Ces secousses majeures ont eu lieu dans un environnement très spécial et à bien des
01:09 égards inédits. L'inflation, qui avait disparu depuis des décennies, a fait son
01:14 retour au lendemain d'une pandémie historique. Elle a déclenché une rafale de hausses de
01:20 taux directeurs aux Etats-Unis et dans toute l'Europe. L'intensité de ce resserrement
01:25 monétaire est en train de rejaillir sur l'économie. Après la surchauffe, le ralentissement est
01:31 en marche. Il entraîne avec lui une cascade de défaillance d'entreprises et une violente
01:36 correction du marché immobilier. Après un printemps sous haute tension, les banques
01:43 européennes abordent l'automne sous pression.
01:45 Bonjour à tous, bonjour Christian de Boissieu. On ne vous présente plus mais je vais quand
01:49 même le faire. Vous êtes professeur émérite d'économie de l'université Paris Panthéon-Sorbonne
01:56 et vous êtes vice-président du cercle des économistes.
01:58 Émérite, ça veut dire pas trop jeune, on est d'accord.
02:01 D'accord, mais plein d'expérience, ça va nous aider aujourd'hui. Donc on l'a vu
02:05 cette année, ça a été plutôt agité pour les banques, en tout cas un mois de mars assez
02:10 compliqué avec des faillites aux Etats-Unis et la défaillance suisse dont tout le monde
02:14 a parlé et aussi le retour de l'inflation, la hausse des taux. La vie continue néanmoins.
02:22 C'est le regard de l'économiste. Est-ce que le système financier vous semble plus
02:27 fragile qu'il ne le donne l'impression d'être ?
02:29 Bon d'abord bonjour et merci de votre accueil. Il y a plusieurs questions dans votre question.
02:35 Je vais peut-être dire un mot sur l'inflation et puis je parlerai des banques. Sur l'inflation,
02:43 je pense et j'espère, vous savez quand on mélange prévision et préférence, c'est
02:49 pas très bon pour un économiste, mais pour une fois je vais le faire. Je pense qu'on
02:56 a atteint sans doute le pic de l'inflation dans nos pays. Je ne parle pas des pays émergents,
03:01 je parle des pays avancés. Quand je dis ça, et donc le problème c'est de savoir à
03:06 quelle vitesse ça retombe. Ce qui m'a frappé c'est que les banquiers centraux dans leur
03:11 récente déclaration finalement ne sont pas très optimistes. C'est-à-dire qu'on est
03:17 sur un palier d'inflation entre 4 et 5%. Alors ça dépend des pays, mais clairement
03:23 on n'est pas à l'objectif de 2% par an qui est l'objectif de la plupart des banques
03:28 centrales des pays avancés. On est sur un plateau et ce qui me frappe, je reviens sur
03:33 les banquiers centraux, ils nous expliquent que c'est plutôt 2025 qu'il faut avoir
03:38 en tête quand on se dit on va revenir à 2%, un peu d'inflation mais pas trop. C'est-à-dire
03:43 que l'inflation n'a pas débordé à la différence des années 1970, elle n'a pas
03:49 débordé dans la plupart de nos pays parce que la boucle prix-salaire ne s'est pas enclenchée.
03:54 Mais elle est quand même dans le système, même si elle n'est pas cumulative aujourd'hui
04:01 et donc ça veut dire qu'il faut du temps pour revenir à cet objectif des banques centrales.
04:07 Donc les taux d'intérêt vont rester élevés, est-ce que ça fragilise le système ? C'est
04:14 vraiment quand même un nouvel environnement, on a vécu avec des taux zéro, pas d'inflation.
04:17 Est-ce que profondément ? Il est clair que la configuration prix-taux
04:22 d'intérêt a changé. Moi ce qui m'a frappé c'est que au fond pas grand monde, et moi
04:28 pas plus que les autres, n'avaient anticipé qu'on allait rester avec des taux proches
04:32 de zéro pendant aussi longtemps. Je me souviens quand je faisais des conférences il y a 10
04:39 ans devant des banques, devant des institutions, etc. Les taux étaient déjà bas, donc ça
04:47 a été la conséquence de la gestion de la crise financière systémique de 2007-2008,
04:53 les banques centrales ont fait du conventionnel, c'est-à-dire ont baissé leur taux d'intérêt
04:58 avec en général le plancher zéro, avant de faire du non-conventionnel, c'est-à-dire
05:02 la politique de quantitative easing. Mais quand on s'est installé il y a un peu plus
05:06 de 10 ans dans les taux proches de zéro, moi comme la plupart des économistes, je
05:11 pensais que ça n'allait pas durer, et ça a duré, et ça a été au fond, il y a eu
05:16 une crise financière 2007-2008-2009 qui a été plus longue à digérer, puis ensuite
05:21 vous avez eu la pandémie, et puis les débuts des conséquences de la guerre en Ukraine.
05:27 Alors, le contexte change, les taux d'intérêt, c'est peut-être pas fini, je veux dire,
05:33 les banques centrales vont peut-être faire un dernier geste à la hausse, mais grosso
05:37 modo, je pense que l'essentiel de la hausse des taux directeurs des banques centrales
05:42 est plutôt derrière nous, quand je regarde les Etats-Unis, c'est-à-dire la Fed, la
05:47 Banque Centrale Européenne, les autres banques centrales des pays avancés. Bon, alors,
05:53 ce qui m'a frappé, c'est que quand on avait des taux proches de zéro, on nous expliquait,
05:58 et il y a eu des tas de papiers là-dessus, que les taux proches de zéro, ça fragilisait
06:03 les intermédiaires financiers. Les banques, les compagnies d'assurance, je me souviens
06:09 d'un papier qui avait été présenté au collège de l'AMF, l'Autorité des Marchés
06:15 Financiers, quand j'y étais, qui montrait que les assurances en Allemagne étaient très
06:21 fragilisées par l'installation de cette politique de taux zéro, parce qu'elles
06:27 accordaient des garanties comme d'autres compagnies d'assurance, et qu'elles achetaient
06:32 du papier public des bonds d'allemand ou des obligations d'Etat proches de zéro.
06:37 - Et aujourd'hui alors ? - Alors, aujourd'hui, on nous explique que
06:40 la hausse des taux fragilise les intermédiaires financiers. Ça veut dire qu'il n'y a pas
06:43 de bon niveau de taux d'intérêt, si je comprends bien, pour les intermédiaires financiers.
06:48 Bon, non, je veux dire, je pense que la montée des taux, de toute la gamme des taux, les
06:55 taux courts, à la suite des taux directeurs des banques centrales, les taux longs, c'est
07:00 plutôt une bonne nouvelle pour les banques, parce que ça veut dire quand même qu'on
07:06 se réinstalle dans un contexte où ce qu'on appelle la courbe des taux, c'est-à-dire
07:11 l'écart taux longs moins taux courts, redevient dans la plupart des cas positifs, pas toujours,
07:18 mais dans la plupart des cas positifs. Bon, et les banques peuvent, en quelque sorte,
07:25 retrouver un peu de profitabilité, de rentabilité, en liaisant avec la hausse des taux. Il me
07:31 semble qu'aujourd'hui, quand on regarde ce qui se passe dans nos pays, on pourra parler
07:34 des pays émergents, moi je travaille beaucoup sur les pays émergents et sur les pays en
07:38 développement qui n'émergent pas, comme pas mal de pays africains, mais là, pour
07:43 l'instant, je reste aux pays avancés, je pense que la fragilité des banques tient
07:49 plus aujourd'hui à d'autres sujets que le relèvement des taux. Je pense que ça
07:55 tient à des facteurs qui dépendent de la hausse des taux. Je pense à l'immobilier.
08:01 Bon, on est très mauvais, nous économistes, mais on n'est pas plus mauvais que le FMI,
08:08 les agences de rating, etc., pour prévoir les crises financières. Mais, il est clair
08:13 que ce que je sais, parmi les quelques "lois", je suis prudent en tant qu'économiste,
08:20 quand j'utilise le mot "loi" parce qu'il n'y a pas beaucoup de lois en économie,
08:23 mais ce que je sais c'est que quand vous avez dans un pays une crise immobilière,
08:27 vous avez souvent derrière des problèmes bancaires. Pourquoi ? Parce que ce sont les
08:31 banques qui financent l'immobilier, y compris aux Etats-Unis, on l'a bien vu avec les
08:36 subprimes. – C'est vrai qu'une crise immobilière
08:38 est en train de se… – De s'installer.
08:40 – De s'installer, de naître, de se propager. – Un peu partout.
08:44 Donc là, on le voit bien, les banques sont en train de rationner un peu le crédit en
08:48 matière immobilière, en même temps que la demande de crédit des emprunteurs s'est
08:54 réduite avec la hausse des taux. Donc, je pense qu'il faut regarder l'immobilier
08:58 de près, ses conséquences pour nos systèmes bancaires. Bon, il y a aussi un certain nombre
09:05 de banques qui sont fragilisées par d'autres crédits qu'elles ont pu accorder. Donc,
09:10 je dis simplement, on ne peut pas tout mettre sur le dos des politiques monétaires qui
09:16 se resserrent pour expliquer la fragilité des banques.
09:19 – Oui, à la fois les problèmes immobiliers sont liés à la hausse des taux, donc tout
09:22 est dans tout et tout se tient. – Tout est lié.
09:25 – Mais à la fois, il y a aussi… Un analyste me disait il y a quelques mois, en fait, ce
09:29 qui est surprenant cette année, c'est ce qui ne s'est pas passé. C'est-à-dire
09:32 que suite à ce mois de mars assez épouvantable aux États-Unis et donc en Suisse, il n'y
09:39 a pas eu de crise de confiance et de "credit crunch" comme on aurait pu l'imaginer,
09:44 comme ça s'était passé en 2008. Donc, c'est vrai que les banques centrales sont
09:48 présentes et elles ont fait la démonstration de leur présence très active depuis 2008.
09:52 Est-ce que vous pensez que c'est ça qui participe au fait que la confiance ne déserte
09:57 pas les marchés et les banques instantanément comme ça a pu être le cas il y a 15 ans ?
10:02 – Écoutez, dans le cas des banques régionales américaines, vous faites référence à ce
10:06 qui s'est passé au printemps, SVB et quelques autres en Californie ou ailleurs, elles avaient
10:13 pris trop de risques, elles étaient effectivement exposées aux conséquences du relèvement
10:20 des taux. Mais je pense qu'il y a eu dans ce cas-là deux problèmes du côté américain.
10:25 C'est que les Américains font ce qu'ils veulent avec ce qu'on appelle, balle 3,
10:30 la réglementation prudentielle sur les banques. Ils ont fait leur marché. Nous, en Europe,
10:35 on a surtransposé balle 3, c'est-à-dire que c'est un peu ceinture et bretelle pour
10:39 nous. On a adhérci même les règles qui avaient été arrêtées ou les recommandations
10:44 qui avaient été faites à balle. Donc, je pense que du côté américain, il y a un
10:48 défaut de réglementation et qu'il y a un défaut de supervision. Ça me rappelle
10:52 ce qui s'était passé au moment de la crise des savings and loans au début des années
10:55 90 et dans d'autres crises bancaires comme celle de 2007-2008. Du côté américain,
11:02 je pense que la multiplication des niveaux de régulation et supervision due un peu à
11:07 leur efficacité. Alors nous, en Europe, les banques s'en sont plaintes. Mais je veux
11:12 dire, aujourd'hui, il y a quand même une conséquence positive. C'est que malgré
11:16 le relèvement des taux d'intérêt, la crise immobilière dont je parlais à la conséquence
11:20 de la hausse des taux, les banques sont globalement quand même plus solides qu'avant 2007-2008
11:26 parce qu'on a resserré la réglementation de banques prudentielles sur les banques,
11:30 comme sur les compagnies d'assurance. Et puis, vous avez la supervision. Donc, vous
11:34 parliez du cas suisse. Ça a été quand même un gros choc, cette affaire, avec des conséquences
11:43 systémiques, mais qui ont été contenues. Les conséquences systémiques de la quasi-faillite
11:48 du crédit suisse et de son achat par UBS, moi, je pensais que ça aurait des répercussions.
11:52 Mais la vitesse avec laquelle les autorités suisses ont intervenu a limité la casse.
11:56 Super. Donc, les choses fonctionnent à peu près normalement aujourd'hui. Si je vous
11:59 demandais quel est le signe noir, en quelques mots, qui pourrait menacer la stabilité
12:04 financière, au-delà du mobilier, bien sûr, c'est un signe noir.
12:08 D'abord, il suffit que je pense que la crise financière va venir de quelque part pour
12:12 que je me trompe. Premier remarque. Ça fait quelques années que je regarde ce qui se
12:18 passe dans ce qu'on appelle le shadow banking, la finance parallèle. Je ne suis pas le seul
12:22 à regarder ça de près parce que, par définition, c'est une finance qui est moins régulée
12:27 que la finance pas shadow. Donc, c'est compliqué de regarder de près, justement, parce que
12:32 c'est shadow. Alors, nous, en Europe, on a essayé de mettre ça dans la réglementation
12:36 à travers une directive européenne qui s'appelle la directive IFM qui régule les fonds d'investissement,
12:45 les fonds immobiliers, les fonds monétaires, etc., les hedge funds et d'autres véhicules
12:53 qui font partie du shadow banking. Ce qui se passe en Chine me préoccupe, y compris
12:59 sur le shadow banking, parce que la crise immobilière aura certainement des conséquences
13:04 en Chine sur les banques, mais aussi sur les trusts et autres composants du shadow banking
13:09 qui ont joué un rôle très important dans le financement de l'immobilier en Chine.
13:12 Donc, le problème, c'est de savoir s'il y a une crise du shadow banking en Chine dans
13:17 les 2-3 ans qui viennent, est-ce que ça sera systémique au plan mondial ? Est-ce que ça
13:21 aura des répercussions pour nous ? La réponse est probablement oui, compte tenu de la place
13:26 croissante de la Chine dans la finance mondiale.
13:27 Merci beaucoup, Christian de Boissieu. Le regard de l'économiste, on va surveiller
13:33 autant que faire se peut le shadow banking. Merci beaucoup.
13:36 [Musique]

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