Deux conférences digitales de deux heures, ponctuées de « keynotes » de speakers prestigieux, de débats et de tables-rondes réunissant des experts de la finance européenne permettront de décrypter les tendances et les défis des prochains mois.
Nous évoquerons les nouveaux équilibres géopolitiques, dans un paysage mondial en totale redéfinition. Nous nous interrogerons sur les conséquences de l’inflation sur la consommation mondiale, sur les marchés obligataires et sur la solidité du système bancaire international. Nous regarderons aussi l’avenir du secteur financier : un avenir qui semble se dessiner « plus vert » et plus « techno ». Mais, concrètement, que faut-il comprendre derrière ces deux évolutions ?
Nous évoquerons les nouveaux équilibres géopolitiques, dans un paysage mondial en totale redéfinition. Nous nous interrogerons sur les conséquences de l’inflation sur la consommation mondiale, sur les marchés obligataires et sur la solidité du système bancaire international. Nous regarderons aussi l’avenir du secteur financier : un avenir qui semble se dessiner « plus vert » et plus « techno ». Mais, concrètement, que faut-il comprendre derrière ces deux évolutions ?
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00:00 [Musique]
00:05 Bonjour Marie-Françoise, vous êtes à distance, merci d'être avec nous ce matin,
00:09 vous rentrez tout juste du Japon, je le sais, merci d'être avec nous.
00:13 Marie-Françoise, vous êtes professeure émérite à l'université Clermont-Auvergne,
00:17 économiste spécialiste de la Chine.
00:19 Autant dire que vous êtes extrêmement bien placée pour nous parler de ce ralentissement chinois
00:24 dont beaucoup s'alarment actuellement.
00:26 Oui, je crois qu'aujourd'hui, on voit que dans les analyses qui sont faites,
00:35 on a l'impression qu'il y a une sorte d'effondrement de l'économie chinoise
00:39 et que le taux de croissance qui peut être de 5%, 4%, 3%, voire un petit peu moins,
00:46 serait le symbole d'un échec, en tout cas de la fin de la croissance chinoise
00:52 ou de la fin d'un fort développement de la Chine.
00:54 Je crois que c'est une analyse qui est un peu trop rapide.
00:57 D'abord, ce ralentissement de l'économie chinoise, il était prévu,
01:01 de la croissance chinoise, il était prévu,
01:03 puisqu'elle a été pendant une trentaine d'années dans une logique de rattrapage
01:06 et qu'il est clair qu'on ne pouvait pas continuer à avoir des taux de croissance aussi élevés.
01:11 Alors, bien sûr, il y a des problèmes structurels,
01:13 problèmes que l'on connaît depuis assez longtemps,
01:16 qu'on aurait dû essayer de régler, que le gouvernement a parfois essayé de régler
01:20 et pour un certain nombre de raisons, notamment des raisons extérieures,
01:23 les réformes ont toujours été repoussées.
01:25 Donc, surinvestissement, bulles immobilières, trop d'investissements dans l'immobilier,
01:30 endettement des gouvernements locaux, vieillissement de la population,
01:35 problème de productivité, absence de progression de la productivité,
01:39 bref, un certain nombre de problèmes structurels que l'on connaît.
01:44 Mais il ne faut pas oublier que le président chinois a annoncé
01:47 qu'on aurait ce qu'il a appelé une nouvelle normalité,
01:52 une croissance qui serait plus qualitative, basée sur une meilleure technologie
01:57 et plus autosuffisante.
01:59 Et il était clair à ce moment-là, il l'a dit d'ailleurs,
02:02 qu'il fallait arrêter avec la croissance artificielle,
02:05 c'est-à-dire qui était soutenue artificiellement par les dépenses des gouvernements locaux,
02:08 par les investissements dans l'immobilier,
02:10 et qu'il faudrait avoir une croissance réelle.
02:12 Cette croissance réelle, elle est au prix du taux de croissance,
02:16 elle coûte en termes de niveau de croissance.
02:20 Et donc je crois qu'aujourd'hui, l'objectif du gouvernement chinois
02:24 et la politique qu'il met en place, c'est avant tout une politique de sécurité et de stabilité.
02:30 La sécurité, ce n'est pas seulement en termes militaires, comme on en parle souvent,
02:35 c'est aussi en termes d'indépendance alimentaire,
02:39 en termes de plus d'indépendance dans les chaînes de valeur,
02:42 plus d'autonomie dans la production,
02:44 plus d'indépendance en termes de ressources naturelles et de matières premières.
02:48 Donc c'est une sécurité aussi liée à l'évolution d'une politique économique qu'on veut prudente.
02:57 Par exemple, si on prend le secteur de l'immobilier, qui est le secteur en crise aujourd'hui,
03:01 on voit bien que cette crise a quand même été liée à des décisions prises par le gouvernement.
03:07 C'est ces fameuses trois lignes rouges que le gouvernement a mises en place
03:11 pour limiter les ratios d'endettement des entreprises immobilières,
03:14 et c'est à partir de là que la crise s'est aggravée.
03:17 Aujourd'hui, le gouvernement va être très vigilant au fait que les appartements
03:23 qui sont en construction soient terminés, puisque les gens achètent sur plan,
03:27 mais ne pas lancer de nouveaux investissements.
03:29 Donc tout ça pèse évidemment sur la croissance chinoise.
03:33 Mais je crois qu'il faut bien voir qu'on est rentré dans une nouvelle stratégie
03:39 en matière de politique économique qui va donner la priorité à la sécurité
03:45 sur la recherche d'une croissance maximale.
03:48 Nous, l'Europe, on est très dépendant de ce qui se passe en Chine.
03:54 Quelles peuvent être les conséquences de cette nouvelle politique,
03:58 de ce basculement économique sur nos économies ?
04:01 Les conséquences sont liées d'abord à la taille de la Chine.
04:05 La Chine, c'est un très grand pays, donc si la demande chinoise ralentissait,
04:09 cela impacterait ses fournisseurs.
04:12 D'abord pour les matières premières, et puis pour certains types de produits,
04:15 par exemple pour les machines outils ou les biens d'équipement vis-à-vis de l'Allemagne,
04:19 pour les biens de consommation en matière de chimie, en matière agroalimentaire,
04:24 vis-à-vis de la France.
04:25 Comme pour l'instant, la demande a plutôt reprise cet été en matière de consommation,
04:32 donc ce n'est pas le cas, mais c'est potentiel.
04:35 S'il y a une baisse de la demande chinoise, compte tenu de la taille du marché,
04:38 cela va impacter ses fournisseurs.
04:41 La deuxième question qu'on peut se poser, c'est est-ce qu'il y a un risque de contagion
04:45 de la crise immobilière ?
04:46 On a vu que certaines petites banques régionales avaient été mises en difficulté,
04:50 mais je crois qu'on ne peut pas parler de contagion,
04:52 parce que les banques chinoises, qui sont des banques publiques,
04:56 ont beaucoup de liquidités, l'épargne est très importante en Chine,
04:59 les réserves de la banque centrale sont importantes,
05:01 donc je ne crois pas qu'il y ait de risque de contagion dans un système
05:05 qui n'est pas très ouvert, dans lequel les marchés de capitaux
05:08 ne sont pas extrêmement développés, qui reposent largement sur les banques,
05:11 et encore une fois sur des banques qui sont solides.
05:15 Donc je crois que de ce point de vue-là, le risque de contagion n'est pas important.
05:20 Après, la grande question qui se pose pour les entreprises aujourd'hui,
05:23 c'est est-ce qu'il faut continuer à investir en Chine ?
05:26 Et ça, c'est une question qui est vraiment très délicate,
05:28 parce que pour les nouveaux investisseurs, pour des entreprises qui ne seraient pas
05:32 déjà des investisseurs en Chine, soit le secteur est un secteur
05:36 en très forte croissance et il faut être présent, comme le tourisme par exemple,
05:39 le tourisme se développe énormément en Chine, donc pour des entreprises
05:43 qui ne seraient pas encore présentes en Chine, c'est sans doute difficile
05:46 de perdre ce marché ou de ne pas être présente sur ce marché.
05:50 Il est certain que les risques se sont accrus en Chine,
05:52 puisque la réglementation est de plus en plus présente.
05:55 Alors il n'y a pas qu'en Chine, c'est vrai dans beaucoup de pays,
05:57 mais c'est quand même particulièrement vrai dans le cas de la Chine.
06:00 Donc si ce sont des secteurs en croissance, évidemment qu'il faut être présent.
06:04 Si ce sont dans le cas d'autres secteurs, on voit bien que les entreprises
06:08 vont choisir des pays moins risqués, comme le Vietnam,
06:11 comme le Cambodge, la Thaïlande, etc.
06:15 Elles ne vont pas forcément échapper aux sanctions,
06:18 parce que l'objectif c'est bien d'échapper à la réglementation chinoise,
06:22 mais aussi aux sanctions américaines.
06:24 Elles peuvent échapper aux sanctions pour des produits
06:26 qui ne seraient pas fabriqués en Chine.
06:27 En revanche, s'il s'agit d'acheter en Chine et de transformer à l'étranger,
06:31 elles peuvent quand même subir les sanctions américaines.
06:34 Et d'autre part, pour les entreprises qui sont déjà en Chine,
06:38 la situation est très délicate.
06:40 Les chambres de commerce européennes et américaines
06:43 ont récemment fait des enquêtes auprès des entreprises,
06:46 et on voit bien que la situation est très difficile.
06:48 Beaucoup d'entreprises voudraient, on peut dire, assurer leurs arrières,
06:52 se protéger en investissant à l'étranger,
06:56 mais c'est très difficile parce qu'elles sont insérées dans des chaînes de valeur.
06:59 Ça signifie qu'une partie de leur production dépend des entreprises étrangères.
07:04 Et pourquoi dépend-elle des entreprises étrangères ?
07:06 C'est parce que ces entreprises leur proposent des meilleures conditions,
07:09 des meilleurs produits à des prix plus intéressants, etc.
07:11 Donc c'est très difficile de trouver des substituts.
07:14 Donc le fait de quitter le marché chinois, c'est quelque chose qui est complexe.
07:20 On a beaucoup parlé de découplage, de dérisking, etc.
07:23 C'est quelque chose qui est complexe,
07:25 c'est quelque chose qui est coûteux et qui est long.
07:28 Et d'autre part, il ne faut pas penser que ces entreprises vont revenir dans les pays d'origine.
07:32 On l'a vu très clairement avec les États-Unis,
07:35 qui ont une politique très dure dans leurs sanctions.
07:38 Les entreprises américaines qui ont dû quitter le territoire chinois,
07:41 elles ne sont pas revenues aux États-Unis.
07:43 Mais dans tous les cas, c'est une situation qui est très compliquée pour les entreprises.
07:47 Et on a vu beaucoup d'entreprises qui investissaient en Chine
07:50 faire preuve aujourd'hui d'un certain pessimisme,
07:54 parce que d'une part le marché chinois est important pour elles,
07:58 pour leurs profits, pour leurs bénéfices,
08:02 et que d'autre part, il est dans certains cas très difficile de trouver des substituts.
08:07 Francis m'a dit, j'évoquais tout à l'heure la politique monétaire
08:11 et peut-être la place du dollar dans le monde.
08:17 Est-ce qu'on peut imaginer que le yihan, un jour, puisse concurrencer le dollar ?
08:24 Alors, aujourd'hui, on voit bien qu'il y a une volonté de la Chine
08:29 et d'un grand nombre de pays de s'éloigner de l'influence du dollar
08:34 et d'une façon générale des États-Unis et de l'Europe.
08:36 On l'a vu au sommet des brises qui s'est tenu à Johannesburg en août,
08:40 on l'a vu au G77 qui s'est tenu à la Havane début septembre.
08:44 Les pays émergents et en développement ne veulent plus être alignés,
08:48 ils l'ont dit très clairement, ils ne veulent plus s'aligner sur l'Europe et les États-Unis.
08:52 Cela concerne la gouvernance, c'est-à-dire avoir un poids dans les institutions internationales,
08:58 notamment celles nées de Bretton Woods, Fonds monétaires et Banques mondiales.
09:01 Les pays émergents réclament une augmentation des quotas aux fonds monétaires.
09:06 Alors, il y a eu une révision qui a été effective en 2015.
09:09 Aujourd'hui, le quota de la Chine qui représente aussi ses droits de vote, c'est 6,4 %,
09:13 alors que l'Allemagne c'est 5,6 %.
09:15 L'Inde, c'est encore plus faible.
09:19 Les émergents sont très demandeurs d'une modification de cette gouvernance,
09:24 d'un poids plus important, et ils s'appuient sur la création de la Banque asiatique
09:29 pour les investissements dans les infrastructures et de la nouvelle Banque de développement,
09:33 qu'on appelle parfois la Banque des BRICS, qui a beaucoup de difficultés,
09:35 mais qui va quand même gagner à l'entrée de l'Arabie saoudite dans les BRICS.
09:39 Donc, ça c'est le premier aspect de cette volonté de se dégager de l'hégémonie occidentale.
09:46 Le deuxième aspect est très significativement lié à l'utilisation du dollar.
09:51 Il y a une dédollarisation de fait, d'une part avec la création de l'euro au début des années 2000,
09:57 et d'autre part avec l'utilisation par les États-Unis de leur pouvoir d'extraterritorialité
10:03 qui leur est donné par le fait d'avoir une monnaie internationale.
10:05 Une monnaie internationale, elle sécurise, elle permet d'avoir, par exemple,
10:10 elle permet beaucoup de choses, mais elle permet notamment d'avoir des échanges commerciaux qui sont sécurisés.
10:16 Or, à partir du moment où on peut utiliser cette monnaie pour mettre en place des sanctions,
10:20 eh bien il y a une perte de confiance, pas seulement de la Chine et des émergents.
10:24 C'est un problème qui se pose pour les entreprises françaises, par exemple.
10:27 Et donc, pour échapper aux sanctions, la solution c'est d'avoir une autre monnaie.
10:33 Alors, les pays émergents, et notamment la Chine, ont mis en place un certain nombre de choses, d'institutions,
10:40 pour essayer d'être plus indépendants.
10:43 Par exemple, le système CIPS, qui est une alternative au système SWIFT pour les règlements internationaux,
10:50 qui se fait sous l'égide de la Chine.
10:53 On a vu aussi que la Banque centrale de Chine multiplie les accords de SWAP avec un grand nombre de pays
10:58 pour échanger directement en yuan.
11:01 Le yuan est monté en puissance, on pourrait dire.
11:05 L'Egypte a émis des obligations en yuan.
11:07 Mais aujourd'hui, la monnaie chinoise ne remplit pas les conditions pour être une monnaie internationale.
11:12 D'abord, il faudrait qu'il y ait une libéralisation des mouvements capitaux.
11:16 La Chine a essayé timidement en 2015 à entraîner une fuite de capitaux, donc elle a arrêté.
11:20 Si elle le fait aujourd'hui, il y aura également une fuite des capitaux.
11:23 Ses marchés financiers ne sont pas assez profonds, ne sont pas assez importants,
11:28 contrairement aux marchés capitaux américains.
11:31 Comme je le disais tout à l'heure, son système est surtout fondé sur le système bancaire.
11:36 D'autre part, il faut une gouvernance claire, fondée sur des règles,
11:40 ce qui n'est pas aujourd'hui le cas de la Chine.
11:44 Le yuan représente un peu moins de 4% des réserves mondiales.
11:48 Je crois que demain, ce que l'on va voir, c'est une diversification dans l'utilisation des monnaies,
11:54 une augmentation de l'utilisation des monnaies locales.
11:56 Les pays émergents vont commercer entre eux dans leurs propres monnaies.
12:01 Donc, d'une certaine façon, le Jianminbi, la monnaie chinoise,
12:05 peut devenir un concurrent du dollar dans les échanges entre certains pays,
12:10 sur un certain nombre de domaines, mais ce n'est pas une alternative au dollar aujourd'hui.
12:15 Ça, c'est sûr.
12:17 Merci beaucoup Marie-Françoise Renard pour cet échange.
12:20 Merci à vous.
12:22 [Musique]