L'ex-ministre de la Santé Agnès Buzyn publie "Journal, janvier-juin 2020" (Flammarion), le journal qu'elle a tenu au plus fort de l'épidémie de Covid-19. Invitée de Sonia Devillers ce mercredi, elle indique notamment avoir fait tout ce qu'elle pouvait à l'époque pour protéger les Français. Plus d'info : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-invite-de-7h50/l-invite-de-7h50-du-mercredi-27-septembre-2023-4382414
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00:00 Sonia Devilleur, il est 7h48, votre invitée a été ministre des Solidarités et de la
00:06 Santé, aux prémices du coronavirus.
00:08 Et elle publie chez Flammarion son journal, janvier-juin 2020, avec ce bandeau « Agnès,
00:14 tu as fait peur au président », histoire d'une femme ministre qui n'a cessé d'alerter
00:18 sur l'épidémie à venir sans être écoutée.
00:21 Bonjour Agnès Buzyn.
00:22 Bonjour Sonia Devilleur.
00:23 Au moment de quitter vos fonctions, vous écrivez « Je n'ai commis aucune faute médiatique
00:28 et je maîtrise parfaitement les dossiers du ministère ». Parfaitement.
00:31 Vous avez été parfaite ?
00:33 Je pense que le livre éclairera en tous les cas les citoyens sur le travail du ministère
00:43 de la Santé au début de l'épidémie de Covid, avant qu'elle ne démarre d'ailleurs
00:48 en janvier-février 2020.
00:49 L'objectif de ce livre c'est de rendre aux Français une partie de leur histoire.
00:54 C'est de construire un récit qui prenne en compte cette mobilisation incroyable du
01:04 ministère de la Santé, alors qu'il y avait à l'époque un déni des institutions
01:10 internationales, une très grande difficulté à ce que l'Europe prenne en compte la
01:16 gravité de la situation et surtout, et c'est ce que montre ce livre, une difficulté pour
01:23 beaucoup de scientifiques qui s'exprimaient à cette époque-là, de réaliser ce qui
01:29 allait nous arriver.
01:30 Ce livre est donc un hommage.
01:32 Mais pas vous Agnès Buzyn, je vous ai lue.
01:35 Vous avez tout vu, vous avez tout compris, vous avez fait tout ce qu'il fallait faire.
01:40 J'ai fait tout ce que je savais et pouvais faire à l'époque.
01:46 C'est pour moi une période d'extrême mobilisation.
01:51 A cette époque-là, je pense au Covid, j'agis pour préparer le pays, je dirais pratiquement
01:59 nuit et jour et les échanges de textos en témoignent.
02:03 Mais j'ai l'impression que personne n'y croit.
02:09 Et c'est donc aussi une période de doute.
02:11 Vous ne pouvez pas, dans un exercice politique, aller à l'encontre des institutions scientifiques
02:22 ou à l'encontre de l'opinion publique ou de vos collègues médecins.
02:26 Et donc c'est cette difficulté-là que ce livre met en exergue.
02:30 Yael Goz en a parlé, vous êtes mise en cause pour votre gestion de la crise sous le statut
02:34 de témoin assisté.
02:35 Est-ce qu'on peut être complètement sincère dans un livre souvenir quand on attend que
02:40 la justice se prononce ?
02:41 Est-ce qu'on peut reconnaître des erreurs ?
02:43 Est-ce qu'on peut reconnaître des failles ?
02:45 L'objectif de ce livre encore, c'est vraiment un retour d'expérience collective.
02:51 C'est un livre purement factuel, chronologique et où je livre en réalité tous les éléments
03:01 qui sont dans le dossier judiciaire.
03:02 Il n'y a rien de nouveau.
03:03 C'est-à-dire qu'il y a une avalanche de mails, de SMS, de notes, de communiqués
03:08 de presse, des conversations téléphoniques qui sont retranscrites.
03:11 Ce sont les pièces versées au dossier ?
03:12 En fait, elles ne sont pas versées au dossier.
03:15 Tous ces échanges, tous ces mails ont été aspirés de mes téléphones, de mon ordinateur
03:24 lors de la perquisition en octobre 2020.
03:27 Donc il n'y a pas de reconstitution d'histoire et donc tout ce travail est déjà à la Cour
03:33 de justice de la République.
03:35 Le président de la République et le Premier ministre, Edouard Philippe, à ce moment-là
03:38 ont selon vous été très mal conseillés.
03:41 Jean-François Delfraissy, président du Conseil scientifique, vous dites de lui que vous le
03:46 connaissez bien, qu'il est mondain, qu'il est surtout très médiatique, qu'il ne
03:49 connaît que le SIDA et rien d'autre.
03:52 Et que selon vous, il aime aller dans le sens du vent et de ce que les gens souhaitent entendre.
03:58 Bref, vous ne préférez pas imaginer que ce soit lui qui conseille le couple exécutif.
04:03 Vous êtes même sidéré au moment où il est nommé à la présidence du Conseil scientifique.
04:08 En réalité, ce qui m'étonne, et vous prenez un extrait de ce livre, mais en fait,
04:16 ce qui m'étonne le plus à ce moment-là, c'est la composition du Conseil scientifique
04:21 et l'organisation générale de la prise de décision publique.
04:24 Donc ce n'est pas des questions de personnes, il y a des scientifiques excellents dans le
04:30 Conseil scientifique, mais on mêle dans ce Conseil scientifique des scientifiques purs
04:35 avec des membres de la société civile et dès le premier avis du 12 mars, il est dit
04:41 que le Conseil scientifique a comme principe la continuité de la vie économique et sociétale
04:47 de la nation.
04:48 Ce n'est pas le rôle d'un Conseil scientifique.
04:50 Le rôle d'un Conseil scientifique, c'est de donner des données brutes, des scénarios.
04:54 Et je prends l'exemple du GIEC.
04:56 Imaginez le GIEC qui mélange des avis scientifiques et des scénarios sur le réchauffement climatique
05:03 et l'acceptabilité sociétale des mesures que nous devons prendre.
05:06 Ça n'est pas possible.
05:08 Or en réalité, la composition…
05:09 Vous le dites bien, il n'y a que les politiques qui peuvent prendre des décisions puisqu'ils
05:13 ont des comptes à rendre à la nation.
05:15 Ceci dit, vos propos sur Jean-François Delfraissy reviennent à plusieurs reprises dans le livre.
05:20 Ce qui est intéressant, c'est que même une fois démissionnaire, même une fois engagé
05:23 dans la bataille de Paris, vous continuez de penser que le Président de la République
05:27 est trop seul.
05:28 Et d'ailleurs, vous lui envoyez des messages.
05:31 Soyez instinctifs.
05:32 N'écoutez pas les gens qui vous conseillent.
05:35 Surtout pas les scientifiques qui se contredisent tous.
05:39 Je pense que c'est un constat que nous pouvons tous faire.
05:44 À l'issue du Covid, il y a eu quand même une cacophonie scientifique avec beaucoup,
05:49 beaucoup de prises de parole péremptoires.
05:51 Mais les gens qui vous conseillent, c'est le Conseil scientifique, c'est l'entourage
05:55 du Président que vous dérouillez dans ce livre Agnès Buzyn.
05:59 Écoutez, franchement, c'est simplement une analyse de ce qui s'est passé.
06:04 Nous avons eu des avis, notamment avant les élections, qui ont mélangé les gens.
06:13 Entre l'acceptabilité sociétale, le confinement et le fait qu'il y avait un temps de doublement
06:19 de l'épidémie de quatre jours qui nous oblige énormément de ne pas avoir confiné
06:24 à temps.
06:25 En tous les cas, c'est ce que je dis au Président de la République dans mes textos,
06:29 en parallèle de ses avis.
06:30 Agnès Buzyn, Benjamin Griveaux, on s'en souvient, scandale, se retire de la candidature
06:37 à la mairie de Paris.
06:39 En fait, vous subissez un genre de love bombing de la part de tous les ténors de la majorité.
06:47 Bayrou, Ferrand, Edouard Philippe, le Président, tout le monde vous assaille d'amour et de
06:51 gentillesse pour que vous y alliez à la mairie de Paris.
06:55 Donc en fait, on ne vous a pas forcé.
06:56 C'est beaucoup d'amour, on ne vous a pas forcé.
07:00 Tout de façon, à la fin, j'ai dit oui.
07:03 La responsabilité m'incombe à la fin.
07:06 Après ce livre, on rencontre probablement la distorsion entre ma perception qui était
07:15 à l'époque non corroborée par les faits, puisqu'il n'y avait pas encore d'épidémie
07:18 en dehors de Chine.
07:19 Une distorsion profonde entre ce que je ressens comme un danger, mais à un moment où je
07:25 suis assez seule dans l'opinion publique et dans l'opinion médicale et scientifique,
07:29 et une pression politique évidemment, parce qu'il n'y a personne d'autre pour y aller.
07:33 Malheureusement, c'est un concours de circonstances qui fait que l'épidémie démarre en Italie
07:39 6 jours après mon départ.
07:41 Évidemment, si elle avait démarré avant, jamais je n'aurais dit oui.
07:45 Il y en a que ça arrangerait de vous voir partir du gouvernement ? Vous le dites, il
07:49 y en a que ça arrangerait.
07:50 Jean-Michel Blanquer par exemple, qui aimerait bien devenir Premier ministre, auront dit
07:53 que vous êtes en concurrence avec lui ?
07:54 En réalité, je rapporte là des propos de journalistes.
07:58 Oui, mais vous les rapportez quand même.
07:59 Oui, je les rapporte quand même, parce qu'il y a plusieurs explications en réalité.
08:02 On m'a donné plusieurs explications, et je ne sais pas laquelle est la bonne.
08:05 Il n'y a que le couple exécutif qui sait probablement leur motivation derrière.
08:11 On m'a aussi dit que mon discours très alarmiste sur l'épidémie allait arrêter la croissance
08:17 française, que j'étais folle.
08:20 Je pense qu'il y a eu probablement des raisons convergentes qui ont abouti à cette pression.
08:28 Quelle image vous donnez de la politique Agnès Buzyn ? Vous dites vous-même que vous arrivez
08:32 dans la bataille de Paris et que vous découvrez la tambouille électorale, la vraie.
08:36 Mais vous-même, quelle image de la politique donnez-vous ? Vous arrivez à la mairie de
08:41 Paris, il y a 400 propositions, vous n'en connaissez aucune.
08:44 Vous ne connaissez aucun dossier, vous ne connaissez rien sur la mairie de Paris.
08:48 Et pourtant vous y allez.
08:49 Derrière, il y a des gens qui vont voter, mais c'est leur vie, c'est leur quotidien,
08:53 c'est leur ville.
08:54 Vous voyez à quel point je travaille en réalité.
08:58 Il y a énormément de travail au moment où j'arrive à Paris justement pour m'approprier
09:02 les dossiers.
09:03 Mais non, je pense que c'est un livre qui cherche à réhabiliter la politique.
09:08 Contrairement à ce que vous dites.
09:10 Je pense qu'il y a beaucoup de politique dans ce livre, qu'il essaye de montrer qu'on
09:16 peut faire de la politique sur le fond, que la politique ce ne sont pas que des slogans,
09:20 que des petites phrases et qu'il y a des gens derrière qui travaillent au bien commun.
09:25 Ça veut dire que vous pourriez y retourner en politique ?
09:29 Aujourd'hui, je ne sais pas.
09:32 Aujourd'hui, ce que je sais, c'est que j'ai envie d'être utile comme je l'ai été,
09:37 je pense pendant ma carrière de médecin, dans les institutions que j'ai dirigées.
09:43 Et ce livre, je l'espère, éclairera les citoyens sur une partie de notre histoire
09:50 commune.
09:51 Vous n'avez pas complètement dit non.