Le réalisateur et scénariste Ladj Ly et l'actrice Anta Diaw sont les invités de Sonia Devillers pour le film "Bâtiment 5", en salles le 6 décembre 2023. "J'avais envie de parler du problème du mal-logement, de ces quartiers totalement abandonnés", dit-il. Plus d'info : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-invite-de-7h50/l-invite-de-7h50-du-mercredi-29-novembre-2023-2505989
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00:00 Sonia De Villers, il est 7h49, vos invités sont le réalisateur et la principale interprète
00:06 de Bâtiment 5 qui sort en salle mercredi prochain.
00:09 Et qui fait l'événement Nicolas, 4 ans après Les Misérables, le film multisésarisé
00:14 qui a même représenté la France aux Oscars après les violences policières filmées
00:18 caméra au point.
00:19 Nouvelle opus sur une barre d'immeubles délabrée menacée de démolition des habitants
00:23 pris dans la spirale de l'exclusion et de l'humiliation.
00:26 Et une toute jeune femme qui décide de passer à l'action, c'est vous.
00:30 Bonjour Anta Diaw et bonjour Lajli.
00:35 Facade lépreuse, entrée d'immeubles tagués, cache d'escalier crasseuse, éclairage en
00:41 panne, ascenseur en panne.
00:42 Une mère de famille dans le film dit "comment peut-on vivre et mourir dans un endroit pareil
00:47 ?".
00:48 Vous l'avez entendu Lajli dans votre enfance cette phrase-là ?
00:52 Oui bien sûr, je l'ai entendue quand on a grandi dans ces quartiers qui ont été
00:56 abandonnés depuis plus de 30 ans par les pouvoirs publics.
00:58 Oui forcément, c'est les phrases qu'on entend depuis notre plus jeune âge.
01:01 Donc voilà, c'est une situation qui est difficile.
01:05 Pour mon second film, Bâtiment 5, j'avais envie de parler du problème du mal logement,
01:09 du problème de ces quartiers qui sont totalement abandonnés par les pouvoirs publics.
01:13 Vous, vous avez grandi à Montfermeil ?
01:15 Moi j'ai grandi à Montfermeil dans la cité des Bosquets qui était une copropriété.
01:18 Donc quand on est arrivé dans la cité, on était propriétaire, nos parents l'ont
01:21 acheté et au bout de 20 ans, quand ils ont fini de payer leur crédit, ils se sont retrouvés
01:26 expropriés pour 10-15 000 euros.
01:28 Et c'est ça qu'il faut raconter, c'est que ce sont les copropriétés privées qui
01:33 ont été les bâtiments les plus délabrés, les plus déshérités et pas les logements
01:39 sociaux.
01:40 Parce que là derrière les logements sociaux, il y a des bailleurs.
01:41 Oui, parce qu'il y a des bailleurs et nous comme je disais, on était propriétaire
01:44 de nos biens, sauf que c'est bien malheureusement, le syndic pour la petite histoire s'est
01:50 barré avec la caisse.
01:51 Donc à partir du moment où il n'y a plus d'argent pour entretenir ces tours, forcément
01:56 elles se délabrent et c'est ce qui s'est passé.
01:57 Moi en 40 ans, je n'ai jamais vu ne serait-ce que mettre un petit coup de peinture sur ces
02:01 tours-là.
02:02 Parce que vous n'avez pas connu d'opération de rénovation urbaine puisque Bâtiment 5
02:06 raconte l'ambition d'une mairie.
02:08 Exactement, pendant 40 ans, aucune rénovation et là aujourd'hui avec ce plan de rénovation
02:13 urbain qui a été mis en place à Clichy-Montfermé, qui est l'un des plus gros de France, malheureusement
02:17 ces habitants se retrouvent expulsés, expropriés, chassés de ces quartiers puisqu'on se rend
02:21 compte qu'il y a la spéculation mobilière, les prix explosent et les gens n'ont plus
02:27 forcément les moyens.
02:28 Donc ils se retrouvent à aller vivre à plus de 100 km de ces quartiers-là.
02:31 C'est ça, vous posez la question du relogement parce qu'il y a destruction de ces barres
02:35 d'immeubles, il y a reconstruction et derrière il y a la question du relogement.
02:38 Et ce que vous racontez dans le film, est-ce que le relogement ça a servi à des mairies
02:45 à chasser des populations gênantes, des gens qu'on ne voulait plus voir ?
02:49 Bien sûr, maintenant on l'a vécu, pour avoir grandi au bosquet on se rend compte
02:52 que trois quarts des habitants ont dû partir ailleurs dans d'autres cités encore plus
02:57 dégradées et on se rend compte aussi qu'il y a une nouvelle population qui arrive.
03:00 Donc voilà, c'est le problème de la gentrification, il faut chasser les plus pauvres pour laisser
03:04 la place aux plus aisés.
03:06 Anta Diao, ce film "Bâtiment 5" c'est aussi l'histoire d'une jeune femme qui
03:12 au lieu de céder à la colère, décide de s'engager et décide d'entrer en politique
03:16 cette toute jeune femme, ce personnage, Abby, c'est vous.
03:20 D'abord, juste un mot, parce qu'en réalité vous n'êtes pas complètement une actrice
03:25 ?
03:26 Exactement, on peut dire ça comme ça, je ne suis pas du tout actrice.
03:29 J'ai toujours été passionnée par l'acting mais je n'ai jamais osé et aujourd'hui
03:33 grâce à Kim Chapiron et ensuite grâce à Lajli, j'ai l'occasion de mettre un
03:37 pas dans ce monde du cinéma.
03:38 C'est ça, donc en fait vous travaillez, vous faites quoi dans la vie ?
03:41 Alors je travaille dans une start-up, dans le secteur de la paye.
03:44 D'accord, et vous vivez où, vous avez grandi où ? Est-ce que comme Lajli, vous
03:49 vous êtes, comment dire, empli de souvenirs d'enfance, de ce quotidien que les habitants
03:56 de ces cités vivent et ont vécu ?
03:58 Forcément, moi je suis née à Ducos, à Creil et j'y habite toujours, c'est en
04:03 fait une cité, on va dire que c'est un mini-bosquet.
04:06 Mais effectivement, on a aussi des souvenirs qui sont assez communs.
04:09 On sait que quand on vit en cité, c'est assez compliqué, on n'est pas forcément
04:13 à proximité des services publics, etc.
04:16 Et c'est vrai qu'on rencontre des difficultés que d'autres personnes n'ont pas l'occasion
04:19 de rencontrer.
04:20 C'est ça.
04:21 Là en fait, ces dernières semaines, tous les deux, vous emmenez le film "Bâtiment
04:25 5" de ville en ville ou par exemple Lajli-Antadiao ? Parce qu'à chaque fois, il y a des débats
04:31 après les projections.
04:32 Absolument, l'idée c'est de faire un tour de France avec ce film et d'aller à la
04:35 rencontre des habitants et des associations qui s'occupent du mal-logement.
04:40 Et on se rend compte que dans toutes les villes, que ce soit à Marseille, à Lyon, à Lille,
04:43 à Roubaix, c'est les mêmes problématiques.
04:45 Et on se rend compte que les gens sont marqués par ce plan parce qu'ils sont obligés de
04:52 quitter leur lieu d'habitation.
04:53 Là, ils ont tous leurs souvenirs, les bars s'effondrent, à partir du moment où on
04:57 a une barre qui tombe, c'est tous les souvenirs qui s'effondrent avec.
05:00 Et on commence à voir surgir des papiers dans la presse quotidienne régionale d'Antadiao.
05:04 On voit bien que derrière les projos de films, les projections, il y a une vraie parole citoyenne,
05:10 il y a vraiment quelque chose qui se passe.
05:11 Et vous, vous êtes là ?
05:12 Complètement, complètement.
05:13 Après chaque avant-première, on a effectivement un petit débat avec les spectateurs.
05:18 Et ce qui revient souvent, c'est "merci, merci de mettre à l'écran ce genre de
05:22 problème qu'on rencontre nous au quotidien".
05:24 Et on a surtout plein d'habits en fait.
05:26 On retrouve plein de personnages qui sont habits au quotidien et qui se retrouvent à
05:30 l'écran et qui remercient l'âge pour ça.
05:32 Et qui sont des filles, parce qu'on vous l'a reproché, là Julie, les personnages
05:36 de femmes dans "Les Misérables", on les cherche encore.
05:38 C'est vrai qu'on me l'a reproché, mais bon, après dans "Les Misérables"...
05:40 Là, il y a une fille qui s'engage en politique, là il y a une mère, il y a un visage de
05:44 mère qui est quand même la boussole du film, qui ne dit plus jamais ça.
05:46 Il y a une femme flic sur le terrain.
05:48 Et alors, il vient d'où ce virage ?
05:50 Pour moi, c'est important d'avoir un personnage féminin, d'avoir un personnage noir qui
05:56 milite, qui se bat et qui va finir par créer son parti et peut-être prendre le pouvoir.
06:02 Le message, il est là.
06:03 Aujourd'hui, malheureusement, on a très peu d'espoir avec nos politiques.
06:07 L'idée, c'est comment cette nouvelle génération peut repenser la politique, peut s'engager,
06:11 peut recréer des partis et peut, à la fin, prendre le pouvoir.
06:14 Parce qu'aujourd'hui, la solution ne peut que être politique.
06:17 Elle peut être que politique ?
06:18 Cette nouvelle génération, elle s'engage en politique.
06:20 Parce que, pardon, mais là aussi, il y a un virage par rapport aux misérables, dans
06:24 les misérables.
06:25 Le seul exutoire, c'était la violence, pas la solution politique, pas l'action collective.
06:30 On se rend compte que malheureusement, avec la violence, on n'y arrive à rien.
06:34 Nous, on a vécu des révoltes en 2005, on a vécu des révoltes en 2018, là encore,
06:39 avec la mort d'Eugène Nahel.
06:41 La France était vraiment partie en révolte.
06:44 Et on se rend compte que malheureusement, ça ne change pas les choses.
06:46 Donc nous, avec ce personnage de Abiy, c'est le personnage qui incarne l'espoir, qui
06:51 j'espère, cette nouvelle génération pourra s'identifier à travers son personnage,
06:55 qui va se battre, qui va se militer et qui va s'engager politiquement.
06:58 Et Abiy, la place des filles, la place des femmes aussi, parce qu'il y a les jeunes
07:03 et les moins jeunes, il y a deux, trois générations qui cohabitent dans les cités.
07:07 Qu'est-ce que vous pourriez en dire ? Parce que justement, les films souvent qui sont
07:12 consacrés aux habitants des quartiers, les films sur les violences policières, c'est
07:15 souvent les hommes, c'est souvent les garçons qui sont mis en scène, pas les femmes, pas
07:18 les filles.
07:19 - C'est exactement ce qui m'a frappée à la lecture du scénario, c'est de comprendre
07:22 qu'Abiy portait vraiment toute cette communauté sur ses épaules et qu'elle comprenait exactement
07:27 la mission qu'elle avait à mener.
07:30 Et c'est ce qui m'a attirée aussi sur le personnage d'Abiy.
07:33 Forcément, dans le film, on est sur un constat qui est assez compliqué, quand on fait le
07:37 constat de ce que les personnes qui vivent dans ces quartiers-là vivent.
07:40 Mais derrière, ce qui m'a beaucoup plu, c'est le fait qu'Abiy soit là et qu'elle
07:44 soit vraiment porteuse d'espoir face à une situation aussi critique.
07:47 - Alors, il y a deux personnages de maires.
07:50 M-A-I-R-E.
07:51 Dans ce film, l'adjli, il y en a un qui est nommé par intérim, borné, assez rigide,
07:56 spontanément autoritaire, de droite, dirait-on.
08:00 En fait, c'est le prototype du bourgeois médecin blanc qui va remplacer le maire et
08:07 qui est totalement déconnecté de ce que vivent ces administrés dans les quartiers que vous
08:10 décrivez.
08:11 Il y a un maire adjoint, un maire noir, qui est très ancré dans les quartiers, mais
08:14 qui est à la limite du politicien Veyrelet.
08:17 Qu'est-ce que vous racontez là ? La déconnexion des élus ?
08:21 - Oui, complètement.
08:22 On se rend compte que malheureusement, on a des politiques, nos politiques, les élus
08:27 locaux sont complètement déconnectés de la réalité.
08:29 On se rend compte qu'on a des personnes parachutées dans ces territoires qui se retrouvent maires
08:33 et qui ne connaissent pas du tout comment vivent ces gens dans ces quartiers et qui
08:37 sont amenés à prendre des décisions qui sont dramatiques.
08:42 On a pu le voir avec ce personnage du maire qui décide d'expulser les gens un soir de
08:46 Noël.
08:47 Donc forcément, ce sont des choses qui sont dures à vivre.
08:52 - Et pourtant, vous avez eu un grand personnage de maire comme modèle.
08:56 Vous vous êtes inspiré de Claude Dilin.
08:58 Il faut que vous racontiez qui est Claude Dilin parce que ça a été le maire pendant
09:02 très longtemps de Clichy-sous-Bois.
09:03 - Bien sûr, Claude Dilin, maire socialiste de Clichy-sous-Bois.
09:05 - Donc pas de droite.
09:07 - Maire de gauche de Clichy-sous-Bois, pardon, qui a beaucoup milité pour sa ville, qui
09:12 s'est beaucoup battu pour le mal-logement, qui est aujourd'hui décédé malheureusement.
09:16 Et voilà, quand on a commencé à écrire, c'était une façon de rendre hommage à
09:20 son combat.
09:21 Et finalement, dans le film, son combat persiste parce que c'est sur le mal-logement et finalement,
09:27 le scénario a basculé sur un maire de droite.
09:29 - Ceci dit, voilà, le début du film, c'est un maire qui meurt et c'est comment il est
09:33 remplacé par une nouvelle génération de politiques.
09:37 Et c'est intéressant parce que vous avez grandi à Montfermeil, Claude Dilin c'était
09:40 le maire de Clichy-sous-Bois, c'est lui qui a créé la communauté de communes entre
09:45 les deux.
09:46 C'est là où sont morts Zined et Mouna en 2005, c'est là où il y a eu les premières
09:49 émeutes.
09:50 Mais ce qui est vraiment intéressant, c'est que par exemple, son successeur Olivier Klein,
09:52 il a été ministre de la ville l'année dernière.
09:55 Donc paradoxalement, c'est un des pires endroits, la cité des Bosquets en région parisienne,
09:59 mais c'est aussi un des endroits où il y a eu le plus de réflexion sur le renouvellement
10:02 urbain.
10:03 Enfin totalement, quand on voit la ville de Montfermeil où on a eu le plus gros plan
10:07 de rénovation urbain, la ville a été complètement transformée.
10:10 Mais malheureusement, ceux qui subissent tout ça, ce sont les habitants qui ont été expulsés.
10:17 Parce qu'on se rend compte que pendant 40 ans, il n'y a pas eu de rénovation, les
10:19 gens ont vécu dans ces difficultés.
10:21 A partir du moment où tout est refait, les gens se retrouvent expulsés ailleurs.
10:25 Donc c'est assez dramatique.
10:26 - J'ai une dernière question à vous poser parce que le film sort la semaine prochaine.
10:29 Il y a un film qui est sorti la semaine dernière de Médifiquery avec Amélia Jordana, "Avant
10:35 que les flammes ne s'éteignent", qui est manifestement victime de raids numériques
10:40 de la part de l'extrême droite, où en fait on insulte les acteurs, on fait courir des
10:44 rumeurs sur leur financement public et surtout on crible de mauvaise note des sites comme
10:49 Allociné.
10:50 Ce sont des phénomènes que vous surveillez ?
10:52 - Oui, on surveille de près.
10:54 On a pu le vivre avec différents projets.
10:56 On se rend compte que malheureusement il y a des gens très malveillants issus de l'extrême
11:01 droite qui sont bien organisés et qui n'hésitent pas à saboter ce genre de projet.
11:05 C'est assez triste.
11:07 - "Bâtiment 5" sort le 6 décembre.
11:09 Merci à tous les deux.
11:10 - Merci.
11:11 - Merci.