L'édito de Mathieu Bock-Côté : «La guerre des mots pour cacher le terrorisme»

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Dans son édito du 10/10/2023, Mathieu Bock-Côté revient sur [thématique de l'édito]
Transcript
00:00 D'abord un rappel, rappelez-vous après l'assassinat de Samuel Paty,
00:04 comment le New York Times, la provenance d'autre temps, avait titré la chose
00:09 « La police française tire et abat un homme après une attaque meurtrière au couteau dans la rue ».
00:14 Les faits sont en eux-mêmes dans une froideur exacte,
00:18 mais une telle froideur dans les faits, en fait, je dirais une telle pseudo-neutralité
00:22 déformait complètement le sens des événements.
00:24 Selon les mots choisis, avant même d'avoir commencé à éditorialiser,
00:29 vous éditorialisez déjà. Point de départ.
00:32 Alors, que nous dit d'ailleurs le New York Times cette fois-là ?
00:35 Pour informer le grand public.
00:36 Bien sûr, c'est le New York Times, c'est pas n'importe quoi.
00:38 Apparemment, c'est le journal de référence.
00:41 Ensuite, cette fois-là, qu'est-ce qu'on nous dit ?
00:42 « Des militants palestiniens lancent une attaque sur Israël ».
00:46 « Des militants palestiniens ».
00:48 C'est ça ? Donc le mot terroriste disparaît du paysage.
00:51 Alors, quels sont les termes qui ont été utilisés ces jours-ci pour parler de ces agresseurs ?
00:57 Alors, dans l'AFP, si je ne me trompe pas,
00:59 parle des « combattants du Hamas ».
01:01 « Les combattants du Hamas ».
01:03 Combattants.
01:03 Combattants.
01:04 Ensuite...
01:05 Si vous permettez, pardonnez-moi,
01:07 peut-être que j'empiète un peu sur votre chronique,
01:08 mais Elisabeth Borne a dit clairement
01:11 que le Hamas est considéré comme une agression terroriste
01:14 par la France et par l'Union européenne.
01:16 Il y a une tension entre le pouvoir médiatique et le pouvoir politique.
01:18 Une partie du pouvoir médiatique dit « non, non, non, les combattants ».
01:21 D'ailleurs, sur le sapin, c'est un autre,
01:23 les filles, mais aussi la maire de Montréal.
01:24 Je le note seulement pour comme ça,
01:25 c'est un coup de passage,
01:27 qui a parlé des groupes armés palestiniens.
01:29 Des groupes armés palestiniens.
01:31 C'est une manière de légitimer, d'institutionnaliser,
01:34 d'officialiser le Hamas comme armée palestinienne, finalement.
01:39 J'ai lu aussi les forces armées palestiniennes.
01:41 Alors, toutes ces formules ont une fonction toute simple,
01:43 c'est légitimer la violence de samedi.
01:47 Si on dit le mot « terrorisme »,
01:48 ça frappe immédiatement des légitimités.
01:51 Si on utilise d'autres termes,
01:52 c'est-à-dire, voyez, les forces armées d'un côté,
01:54 il y a d'autres forces armées de l'autre, les israéliens.
01:56 Chacun va trop loin, chacun est dans la violence exagérée.
02:00 Donc, on condamne les deux.
02:02 Donc, c'est intéressant, le refus d'utiliser le mot « terrorisme »,
02:05 c'est d'abord un moment de légitimation,
02:07 et c'est ensuite une manière de dire « ce n'est pas du terrorisme ».
02:10 Si vous n'utilisez pas le terme « terrorisme » en ce moment,
02:12 c'est que vous refusez de dire que c'est du terrorisme.
02:14 Et on note, soit dit en passant, ce moment burlesque inattendu de...
02:18 Pas inattendu, soyons honnêtes.
02:19 Ce moment burlesque de Mathilde Panot,
02:21 qui a refusé aujourd'hui d'utiliser le mot « terrorisme »
02:25 pour parler du Hamas.
02:26 Ils sont exceptionnels, ces gens-là.
02:28 Et quelques fois, la consigne est claire.
02:29 Alors, je vous fais traverser de l'Atlantique, la CBC.
02:32 La CBC, c'est le Radio-Canada anglophone.
02:34 - C'est très important, ce que vous allez nous dire.
02:36 - Moi, ça m'a fasciné, ça a circulé.
02:37 Bon, aujourd'hui, c'est...
02:38 Alors, c'est la CBC, le directeur...
02:40 Alors, je le dis, le directeur des standards journalistiques
02:42 de Radio-Canada anglophone.
02:44 Ça, dites-vous, en matière de politiquement correct,
02:47 c'est le sommet, c'est l'Everest du politiquement correct.
02:50 - C'est un média public.
02:51 - Ah oui, bien sûr, évidemment.
02:52 Ça va de soi.
02:52 - Non, mais je peux préciser.
02:54 - Vous avez tout à fait raison.
02:55 Alors, ils prennent la peine de dire une chose.
02:57 Ils nous demandent, je le traduis rapidement,
02:59 ne pas référer aux militants et soldats
03:02 et n'importe qui d'autre comme...
03:03 - Excusez-moi, mon cher Mathieu, à qui s'adresse-t-il ?
03:07 - Aux journalistes, évidemment.
03:08 Aux gens de la salle de rédaction.
03:09 - Voilà, à son équipe de journalistes dont sa rédaction...
03:11 - Il s'adresse aux gens qui bossent pour Radio-Canada anglophone
03:14 et il leur dit voilà quels termes utiliser
03:16 pour couvrir la situation présente.
03:19 Et il nous dit ne pas référer aux militants, soldats
03:23 et n'importe qui d'autre comme terroristes.
03:25 Car le concept de terrorisme est très chargé politiquement
03:28 et participe à la construction du narratif,
03:31 du récit des événements.
03:32 Et il précise même quand les termes sont utilisés
03:34 par le gouvernement, il faudrait ajouter des nuances
03:37 pour préciser que quand on utilise le mot terrorisme,
03:40 ce sont des opinions, ce ne sont pas des faits.
03:43 Ce sont des opinions, ce ne sont pas des faits.
03:45 Ça, vous savez, la plupart du temps,
03:46 soit d'ici la passée, un tel courriel envoyé à la rédaction
03:48 est inutile.
03:49 Parce que quand on travaille normalement pour le service public,
03:51 on sait d'avance ces choses-là.
03:53 On n'a pas besoin de se le faire rappeler.
03:54 On est payé justement pour faire un tel travail.
03:57 Mais quoi qu'il en soit, dans ce cas-là,
03:58 on a senti le besoin, probablement parce que l'horreur était telle
04:02 que même un journaliste du service public dans la CBC
04:04 s'est dit c'est du terrorisme.
04:06 Leur appel à l'ordre du directeur,
04:08 c'était, je précise, j'ai oublié de le dire,
04:10 dans le guide sur le langage à utiliser au Moyen-Orient.
04:12 Parce qu'il y a des guides sur le langage à utiliser,
04:15 surtout voilà comment on cherche à vous réinformer.
04:18 Version CBC, Radio-Canada anglophone.
04:21 - À tout le moins, cela ne nous enseigne pas
04:24 que les médias sont particulièrement soucieux
04:26 des mots utilisés pour décrire la réalité.
04:29 - Moi, j'ai trouvé ça passionnant quand même,
04:31 étrangement ce courriel.
04:32 Pourquoi ? Parce que ça nous permet de...
04:34 - Celui-ci, il est public.
04:36 - Ah, il est merveilleux.
04:37 - Mais les autres ne sont pas publics.
04:40 - Il n'aurait pas dû fuiter.
04:41 Normalement, ça ne doit pas fuiter, mais ça a fuité.
04:43 Ça arrive.
04:44 - Alors, ça nous dit une chose, que les médias sont
04:45 particulièrement conscients, en fait, du fait que lorsqu'ils
04:48 choisissent un mot plutôt qu'un autre, ils éditorialisent.
04:51 Ils sont conscients que certains mots, plutôt que d'autres,
04:55 portent un narratif, comme on dit aujourd'hui.
04:57 Ils sont donc conscients de la charge politique et idéologique
05:01 des mots utilisés.
05:02 Donc, ils décident consciemment d'utiliser un mot ou non
05:05 en fonction de sa portée politique et de son efficacité
05:08 politique dans le but de construire un narratif.
05:11 - Se pourrait-il que les médias publics, de temps en temps,
05:13 utilisent de telles méthodes pour parler d'autres phénomènes
05:16 touchant la vie politique française?
05:17 Comme dirait l'autre, je pose la question candidement.
05:21 (Générique)
05:24 [Sous-titres réalisés para la communauté d'Amara.org]

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