Macron, la « bagnole » et le registre affectif - La Chronique linguiste de Laélia Veron

  • l’année dernière
Décryptage d’une petite phrase d’Emmanuel Macron « On aime la bagnole. Et moi, je l’adore » lors d’un entretien sur l’écologie : comment évacuer les questions politiques en mobilisant un registre affectif pseudo-populaire.

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Transcript
00:00 Justement, l'instant culture, parce que là il faut remettre à niveau vos conneries, évidemment.
00:04 Alors, instant culture, instant langue maintenant, car il y a une universitaire parmi nous, là, Elia Veyron,
00:09 qui n'est pas la dernière pour se poiler d'ailleurs, c'est une linguiste atterrée et elle va nous le prouver tout de suite.
00:15 Merci, Charlene. Je voulais revenir sur une petite phrase d'Emmanuel Macron.
00:20 On est attaché à la bagnole. On aime la bagnole. Et moi je l'adore.
00:24 Alors, c'était pendant un entretien consacré à quoi d'ailleurs ?
00:28 À l'écologie, hein, c'était disruptif !
00:31 Bon, sur le fond, Macron ne dit pas grand chose d'autre que Bruno Le Maire qui a récemment déclaré
00:35 "La France aime la voiture, elle a toujours été une grande nation de l'industrie automobile et elle le restera."
00:41 Mais, lui, il le dit différemment.
00:43 On est attaché à la bagnole. On aime la bagnole. Et moi je l'adore.
00:47 Il essaie d'avoir un langage un peu oral, un peu populaire, avec la répétition du pronom "on" et "bagnole",
00:53 qui a une connotation un peu négative par rapport à "voiture".
00:56 Mais en disant "je l'adore", il retourne cette connotation négative.
00:59 Et on a l'impression qu'il joue un rôle caricatural d'un éthos populaire fantasmé,
01:04 type "Ah la bagnole, on l'aime, hein ? Moi les vitesses craquent, le pot filtre plus rien, mais je l'adore."
01:11 Avec l'emploi du pronom "on" mêlé au jeu, il tente d'ailleurs de créer une communauté affective,
01:15 de s'ingéner une appartenance.
01:17 J'ai des voitures de fonction, des chauffeurs, mais au fond, je suis comme vous, hein.
01:21 Jouer ce rôle-là, en mettant la question sur le plan affectif, aimer, adorer,
01:25 lui permet d'évacuer les questions politiques.
01:28 Dans un mouvement concessif, oui mais, c'est un peu l'équivalent rhétorique du "ça vaaaa"
01:33 Et c'est pratique, hein, pour évacuer la question des contraintes attachées à la voiture,
01:38 notamment pour les plus pauvres.
01:40 Genre "Ah la bagnole, je suis obligée de la prendre parce qu'il n'y a plus de transport en commun abordable,
01:44 avec l'essence ça fait la moitié de mon salaire, mais moi je l'adore."
01:47 Et ça permet aussi d'évacuer les questions politiques, écologiques.
01:50 "Ah l'autoroute A69, c'est vrai qu'elle va artificialiser des centaines d'hectares,
01:54 abattre des milliers d'arbres, alors que le secteur des transports est le premier émetteur de CO2 en France,
01:58 d'abord à cause de la bagnole, mais moi je l'adore."
02:01 Bon, et d'un point de vue rhétorique, est-ce que ça marche ?
02:04 Ça fait un peu artificiel, non ?
02:06 Quand il dit ça, moi j'ai l'impression qu'il veut faire du Sarkozy.
02:09 C'est un peu comme lorsqu'il avait parlé anglais avec un accent très français à Jérusalem en 2020
02:13 et qu'on avait l'impression qu'il voulait imiter Chirac.
02:16 Et d'ailleurs, sa manière d'emprunter le langage d'autres politiques
02:20 est étudiée et chiffrée en lexicométrie par le linguiste Damon Maillafre.
02:24 Et c'est d'autant plus difficile de croire à ce langage pseudo-populaire
02:28 que Macron est, je vous le rappelle, aussi celui qui parle de "carabistouille"
02:32 et de "captatio benevolentiae".
02:34 Donc il a un peu un langage du "en même temps".
02:36 En même temps du châtier et du pseudo-populaire.
02:39 Or, savoir naviguer entre différents registres et les mobiliser de manière pertinente
02:43 selon les situations d'interaction, ça c'est une vraie compétence linguistique.
02:47 Surtout quand on est politique et qu'on prétend s'adresser à tout le monde.
02:50 Mais il faut savoir bien le faire.
02:53 Et c'est notamment un des enjeux de l'apprentissage du métier,
02:55 version vieille école, quand on commence par les élections locales,
02:58 la voirie, la mairie, tout ça, et qu'on ne devient hors sol qu'au bout de quelques années.
03:03 Mais quelques fois, quand Emmanuel Macron parle,
03:05 on a l'impression qu'il a toujours été hors sol. Pas sûr qu'on adore.
03:09 - Merci beaucoup, Laïcia Pérusse !

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