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L’académicien Finkielkraut déplore la disparition du mot « compersion ». Or il ne s’agit pas d’un vieux mot français disparu mais d’un récent emprunt à l’anglais pour parler de… polyamour ! Retour sur les erreurs de l’Académie et du Figaro. Chronique co-écrite avec F. Moncomble et C. Benzitoun.

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Amusant
Transcription
00:00 17h45, c'est encore classe et dans cette classe il y a une professeure, une doctorante,
00:07 une docteure, docteure bien sûr, linguistique, stylistique, Université d'Orléans, j'aime
00:14 toujours de rappeler bien son CV, ça donne beaucoup de crédit aux chroniques de Laélia
00:20 Véran.
00:21 Merci Charline.
00:22 Aujourd'hui, je vais vous raconter une histoire linguistique triste.
00:25 C'est l'histoire d'un vénérable monsieur un peu déçu par la société.
00:28 Mais heureusement, il avait ses amis, d'autres vénérables messieurs qui aimaient jouer
00:32 à se déguiser et à pourfendre avec leur épée les vilains mots du présent, comme
00:36 yel ou malaisant.
00:37 Un jour, ce monsieur se rendit dans sa cantine préférée, le Figaro Langue.
00:42 Le patron lui demanda "Alors Alain, quel est le mot dont tu déplores l'absence aujourd'hui ?"
00:47 Le vénérable monsieur réfléchit et répondit.
00:51 Il y a un mot qui existait autrefois dans la langue et qui en a disparu.
00:56 C'est le mot "compersion".
00:58 Alors Charline, vous savez ce que ça veut dire "compersion" ?
01:00 Compersion ?
01:01 Bouh, elle sait pas, c'est de votre faute si tout vous fout le camp.
01:05 Heureusement, notre vénérable monsieur, lui, il sait.
01:07 C'est le sentiment éprouvé lorsqu'on se réjouit du bonheur d'autrui.
01:12 Et ce n'est peut-être pas tout à fait par hasard que ce mot ait disparu de notre vocabulaire.
01:21 Et de partir dans une digression sur le déclin de la civilisation.
01:25 Aujourd'hui, on préfère compatir au malheur d'autrui, compassion, plutôt que de se réjouir
01:31 de son bonheur, compersion.
01:33 Alors qu'avant, c'était forcément beaucoup mieux.
01:35 Au Figaro, l'assistance fut impressionnée.
01:38 Guédera la larme à l'œil.
01:39 Sauf que, il y a des gens qui ne croient pas les histoires du vénérable monsieur,
01:44 vous l'avez reconnu, l'académicien Alain Finkelkraut.
01:46 Et ces gens, ce sont les linguistes.
01:48 J'ai deux collègues, Christophe Benzitoun et Florent Moncombe, qui sont allés vérifier.
01:52 Et ils ont eu beau fouiller, ils n'ont pas trouvé.
01:55 On ne trouve pas « compersion » dans des dictionnaires en ligne.
01:58 Comme le dictionnaire de l'Académie.
01:59 Mais ça c'est normal, il n'y a pas grand-chose dedans.
02:01 On ne le trouve pas dans le Trésor de la langue française ou dans le Dictionnaire
02:05 du moyen français.
02:06 On ne le trouve pas non plus dans Galica, la version numérique de la Bibliothèque
02:09 nationale de France.
02:10 On ne le trouve pas dans Frantext, un corpus de textes littéraires sur une période d'un
02:14 millénaire.
02:15 Alors d'où vient « compersion » ? On a trouvé ! Eh bien c'est très probablement
02:20 un emprunt récent, au plus tôt dans les années 1970, de l'anglais.
02:25 Quant à son sens premier, tenez-vous bien, c'est un néologisme formé par une communauté
02:30 para-hippie californienne pratiquant le polyamour.
02:33 Ce n'est donc pas n'importe quelle joie du bonheur d'autrui.
02:36 Mais la joie du bonheur éprouvée quand son ou sa partenaire trouve du plaisir ailleurs.
02:41 Et ben alors, Alain, mais qu'est-ce qui s'est passé ?
02:45 Peut-être qu'il a entendu ses enfants parler de « compersion », il a demandé ce que
02:48 c'était, on lui a répondu « t'inquiète papa, ce serait joli ».
02:50 J'vous jure du bonheur d'autrui, Jean-Jacques Rousseau, tout ça.
02:53 Bref.
02:54 Mais le plus probable, c'est qu'il a parlé sans vérifier.
02:56 Et si c'était individuel ou ponctuel, ce ne serait pas grave.
02:59 Mais ce genre d'erreur ou d'intox de la part de l'académie et du Figaro Langue,
03:02 c'est permanent.
03:03 Un exemple parmi bien d'autres, le Figaro Langue présente sur son site des mots distanciels
03:08 et présentiels comme des anglicismes.
03:09 Et c'est faux, ça a été démontré par mon collègue Florent Moncomble.
03:12 Tout le monde peut le vérifier, en consultant des dictionnaires, des corpus d'anglais
03:16 contemporains, ou tout simplement en parlant à un ou une anglophone.
03:19 Mais pourquoi s'embêter à vérifier alors qu'on peut dire « j'aime pas, ça doit
03:22 être de l'anglais ». C'est atterrant.
03:24 Et d'ailleurs, avec des collègues, on en a un peu marre de ces intox et nous avons
03:28 créé un collectif de linguistes.
03:30 Les linguistes atterrés, nous avons écrit un tract aux éditions Gallimard, le français
03:33 va très bien, merci.
03:34 Ça va, il n'y a pas que Djamil Lechlak qui a le droit de faire de l'auto-promo dans
03:39 cette émission.
03:40 Et qui sait, peut-être que ce texte va rendre le sourire à Alain Finkielkraut.
03:43 Finalement, tout ne va pas si mal.
03:45 Le mot dont il déplorait la disparition n'a pas existé, c'est en réalité un magnifique
03:49 emprunt qui enrichit la langue française.
03:51 Allez, Vénérable, rejoins-nous dans la joie du partage linguistique.
03:55 C'est preuve d'un peu de compersion.
03:56 Merci Laëlia Veyron.

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