• l’année dernière
Le jargon, ce n’est pas l’argot. Tout le monde jargonne (plus ou moins) pour des raisons de précision technique, d’efficacité, de rapidité, mais aussi quelquefois pour des raisons de reconnaissance sociale… Références : M. Sourdot et D. François

Retrouvez toutes les chroniques linguistes de Laélia Veron dans « C'est encore nous ! » sur France Inter et sur https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/la-chronique-linguiste-de-laelia-veron

Category

😹
Amusant
Transcription
00:00 Avant cela, on va écouter Laëlia Veyron.
00:02 Merci Charline.
00:03 Alors aujourd'hui, je voulais vous parler de jargon.
00:05 Dans le langage courant, quand on dit jargonner, c'est un sens plutôt négatif.
00:09 Qu'est-ce que ça veut dire pour vous jargonner ?
00:10 On peut dire les choses à peu près.
00:12 On peut les dire de manière…
00:13 On peut utiliser des termes techniques issus du vocabulaire du travail…
00:17 Voilà, tout fait, c'est bon.
00:18 Non, c'est ça.
00:19 Merci.
00:20 Quand on dit jargonner, d'habitude, ça a le sens négatif de langage un peu incompréhensible,
00:25 inintelligible, mais en linguistique.
00:27 Avec par exemple Denise François, Marc Sourdot et Charline qui sait les réponses.
00:30 On va différencier l'argot du jargon, parce que l'argot se définirait principalement
00:34 par sa fonction cryptique, alors que le jargon désigne un parler technique, qui peut paraître
00:39 étrange pour les gens de l'extérieur, mais qui n'a pas, lui, pour but de masquer
00:43 la communication.
00:44 Et en réalité, tout le monde jargonne.
00:45 Chaque milieu a son jargon, chaque milieu professionnel, mais il peut s'agir de tout
00:49 milieu soudé par une pratique commune, sportive, culturelle, le cinéma, la musique, etc.
00:54 Et par exemple, si je vous dis qu'à l'université, on discute entre MCF de la difficulté de
00:58 passer son HDR tout en essayant de déposer des projets ANR et d'obtenir la ripec, voilà,
01:02 je pense que ça reste un peu obscur pour vous.
01:05 J'ai employé des sigles, certains sigles sont présents dans la langue commune, comme
01:08 SNCF, DRH, mais d'autres sont spécifiques à nos milieux, et nous, ANR, ça veut dire
01:13 Agence Nationale de la Recherche.
01:15 Là, ça devient du jargon.
01:16 Vous aussi, vous avez vos mots de jargon à la radio.
01:19 Si on entend par exemple notre réalisateur François Audouin parler de préfateur, ça
01:23 peut déstabiliser.
01:24 Moi, ça m'a déstabilisé.
01:25 Ça veut dire quoi François ?
01:26 Ça veut dire que l'effet est appliqué, même si le technicien baisse le volume sonore
01:30 de ma voix normale, l'effet reste au même niveau.
01:32 Voilà, même avec l'explication, on n'a pas compris.
01:34 Voilà, c'est ça.
01:35 Et là, il s'agit d'un mot technique.
01:37 Mais le jargon, ça peut être aussi des mots courants qui prennent un sens spécifique
01:41 dans un certain milieu.
01:42 En linguistique, on parle de verbe copulatif, ça fait toujours rire mes étudiants, mais
01:46 ça n'a rien à voir avec le sens habituel du verbe copuler.
01:49 Et ici en régie, moi je me souviens d'un grand moment d'incompréhension de ma part
01:53 quand François m'a dit "là, Charline fait l'hélico".
01:55 J'étais "ah ouais, vraiment, Charline fait des choses comme ça ?"
01:58 Parce que pour lui, c'était le geste…
01:59 Une fille peut dire ça, un mec c'est plus chaud.
02:01 Ben ouais, c'est le geste que vous faites quand vous bougez de voix pour indiquer le
02:04 lancement d'un disque, mais pour moi, ça envoyait à autre chose.
02:07 Et encore un exemple de solitude linguistique quand on change de milieu professionnel.
02:11 Je travaille aussi en détention, et la toute première fois que j'y suis allée, pour
02:14 l'anecdote, le surveillant m'a enfermée et oubliée.
02:16 Et à un moment, il fallait quand même que je sorte, et je ne savais pas comment faire.
02:19 Et les détenus m'ont dit "on va faire un drapeau".
02:21 Et j'ai appris qu'un drapeau, c'est une petite feuille de papier blanc que vous
02:25 passez à travers la porte pour l'agiter, pour signaler une demande.
02:28 Et ça, typiquement, c'est bien un mot de jargon, parce que c'est partagé par tout
02:32 le monde au sein de la détention.
02:34 Détenus, surveillants, intervenants.
02:35 C'est comme le mot "yo-yo", par exemple, c'est les draps qui sont entre les cellules
02:38 pour passer des objets.
02:39 En tout cas, c'est pour savoir si vous êtes enfermée en prison, ça peut aider.
02:42 Il faut faire un petit drapeau.
02:43 Vous n'avez pas le droit de frapper à la porte, de cogner.
02:45 Bref, un mot de jargon, c'est un peu comme un mot de passe.
02:48 Le jargon a une fonction dénominative.
02:50 Il permet normalement d'aller vite, d'être efficace dans l'usage interne du groupe.
02:54 Mais il peut aussi avoir une fonction sociale.
02:56 Il sert à souder le groupe, à distinguer ce qui en sont de ceux qui n'en sont pas,
03:00 qui a le code linguistique qui ne l'a pas.
03:01 Et quand on ne l'a pas, on peut se sentir à côté de la place.
03:04 Et on peut alors essayer de chercher un ou une alliée qui va nous permettre de nous
03:08 affilier au groupe.
03:09 Je me rappelle dans cette émission, quand je suis arrivée et que j'ai dit "tout
03:12 à fait Juliette, qu'est-ce que c'est qu'une bonnette ?" et qu'elle m'a expliqué que
03:15 c'était Juliette.
03:16 C'est le petit bonnet du micro.
03:18 Voilà.
03:19 Et je me rappelle aussi quand Emmerich m'a dit "quoi ? Tu ne sais pas ce que c'est
03:20 qu'un régisseur ?" Emmerich m'a collé la honte sur mon manque de vocabulaire.
03:24 Donc il peut exister un usage détourné du jargon qui en fait un instrument de reconnaissance
03:31 sociale inaccessible aux non-initiés.
03:33 D'où l'énervement que l'on a parfois face à un jargon qui paraît moins précis
03:36 que verbeux, moins nécessaire que discriminant.
03:39 Nathalie : Laëlia Veyron, merci beaucoup pour cette chronique langue qu'on pourrait
03:43 écouter, podcaster, balado, diffuser.

Recommandations