• il y a 2 ans
L'insécurité linguistique, c'est la crainte de mal s'exprimer. Elle peut donner lieu à des stratégies d'évitement ou carrément au mutisme. On passe en revue les moyens de la combattre, pour reprendre le pouvoir sur la langue ! Référence: W. Labov.

Retrouvez toutes les chroniques linguistes de Laélia Veron dans « C'est encore nous ! » sur France Inter et sur https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/la-chronique-linguiste-de-laelia-veron

Category

😹
Amusant
Transcription
00:00 Voici Lailia Véron, notre linguiste, stylisticienne, maîtresse de conférences à l'Université d'Orléans.
00:05 Merci Charline ! Pour ma dernière chronique de la saison, je voulais vous parler de langage
00:10 et de pouvoir, de comment reprendre le pouvoir sur la langue.
00:13 Alors ce n'est pas évident, car ce qui domine souvent, c'est ce qu'on appelle, à la suite
00:17 du linguiste William Leibov, l'insécurité linguistique.
00:20 Pour définir ce que c'est, on écoute Médine.
00:23 *Médine* Je vais défendre l'orthographe même à l'oral.
00:25 Voilà, l'insécurité linguistique, c'est la crainte de mal s'exprimer, que ce soit
00:29 à l'oral ou à l'écrit, et ça peut se manifester par des stratégies d'évitement.
00:33 Vous savez, comme par sentiment d'insécurité, des fois on peut renoncer à aller à une
00:36 soirée parce qu'on a peur de rentrer tard le soir par exemple, et bien par insécurité
00:41 linguistique, on renonce à employer tel ou tel mot, ou carrément à prendre la parole
00:45 parce qu'on a peur de bégayer ou de mal faire ses liaisons.
00:48 Moi, je provoque souvent un fort sentiment d'insécurité linguistique, dès qu'on
00:51 connaît mon métier, on me dit « ah mais ça me stresse de t'écrire, j'ai peur
00:54 de faire des fautes ! », alors que moi je ne suis pas du tout, je vais les analyser,
00:57 ça va être bien ! *Rires*
00:59 *C'est hyper rassurant là !*
01:01 Ça marche pas très bien !
01:03 Bref, bon, encore raté !
01:05 Mais bon, bref, tout le monde peut connaître cette crainte, mais pas avec la même intensité
01:08 ou la même fréquence.
01:09 Ça dépend souvent de notre origine sociale et de notre éducation.
01:12 Est-ce qu'on a baigné dans un milieu dans lequel le langage était proche de celui
01:16 de l'école, de la culture légitime ? Est-ce qu'on a eu une éducation qui a guidé et
01:20 qui a valorisé notre parole ? Si c'est le cas, non seulement on est à l'aise pour
01:24 maîtriser les codes dominants, mais aussi pour naviguer entre les différents registres.
01:28 C'est bien s'adapter.
01:29 Si ce n'est pas le cas, dès qu'on doit sortir de nos habitudes, on est tendu, on
01:32 ressent de l'insécurité linguistique.
01:34 Et tout ça se décuple quand il s'agit de prises de parole publiques et politiques.
01:39 Et là, le tri se fait très très vite entre celles et ceux qui sont tétanisés par l'insécurité
01:43 linguistique et les autres.
01:44 Et je ne vous parle même pas de la question matérielle de l'accès aux moyens de production
01:48 et de diffusion de la parole, on verra plus tard comment réquisitionner Radio France.
01:52 Bref, en attendant, comment est-ce qu'on peut lutter contre cette insécurité ? Plusieurs
01:56 stratégies possibles.
01:57 On peut s'essayer à la rhétorique, c'est ce que fait notamment très bien Clément
02:01 Viktorovitch, en décortiquant le discours de l'autre.
02:03 Mais le problème, c'est que ce n'est pas parce qu'on comprend un effet qu'on l'annule
02:07 automatiquement.
02:08 Vous pouvez très bien être sur un plateau de télé et savoir que votre adversaire n'a
02:12 pour lui que son aisance, son arrogance, vous dire « je ne devrais pas me laisser impressionner
02:15 », et quand même perdre tous vos moyens.
02:17 On peut aussi essayer de désacraliser les instances qui créent cette inhibition.
02:21 En linguistique, vous savez de qui il s'agit, entre autres l'académie.
02:24 « Ça va, Finkielkraut ? » « Merci, je ne voulais pas réimiter Djamil, ça me crée
02:29 trop d'insécurité linguistique ! ». Ces instances sont aussi celles du décorum de
02:34 la prise de parole politique et médiatique.
02:37 Vous, par l'humour politique, vous contribuez à démystifier ce décorum et aussi à renouer
02:41 avec un usage ludique décomplexé du langage.
02:43 Autre stratégie possible.
02:45 Et enfin, on peut se former.
02:47 La grande question, c'est comment ? Souvent les journalistes m'appellent pour des papiers
02:50 sur comment bien parler et attendent que je leur donne 10 trucs et astuces faciles de
02:54 type « se mettre des glaçons dans la bouche pour bien articuler » ou « clouer le bec
02:57 à votre adversaire avec une anaphore infidèle ». En réalité, ce qui fonctionne vraiment,
03:02 c'est la formation collective sur le long terme.
03:04 Si vous voulez vraiment un conseil, à mon avis, regroupez-vous, qu'il s'agisse de
03:08 clubs, d'associations, de syndicats, de formations politiques, tant qu'ils existent.
03:12 Apprenez à consolider votre parole dans ces espaces semi-privés pour mieux pouvoir la
03:16 prendre en public.
03:17 Allez, reprenez le pouvoir sur la langue pour que tous les auditeurs et les auditrices,
03:21 comme dit Charline, deviennent aussi des locuteurisses.
03:25 Merci Lainie Aveyron ! Et voilà, le langage, premier pas vers la révolution.
03:29 Merci beaucoup, chère Laëlia. J'aime bien résumer votre propos. Oui j'aime bien Charline, c'est la synthèse.

Recommandations