• l’année dernière
Quand on parle de jeux de mots, pn pense à une trouvaille langagière drôle, qui fait rire. Mais dans « La grasse matinée » de Prévert les jeux de mots (antiphrase, paronomase, polysémie) n’ont rien de drôle. Ils sont politiques, ils sont terribles.
Référence : « Jacques Prévert, détonations poétiques » (sous la direction de C. Aurouet et M. Simon-Oikawa)


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Amusant
Transcription
00:00 - On a une autre docteur ici, bien sûr, universitaire, docteur en stylistique.
00:05 Et on va revenir à ce tube de Prévert dont on a parlé tout à l'heure avec Juliette,
00:09 "La grâce matinée" de Jacques Prévert dans le recueil de poèmes "Paroles".
00:13 On y revient avec vous sous un autre angle de stylistique, linguistique, donc là, Eliaphe Veyron.
00:18 - Merci Charline. Alors quand on parle de jeu de mots, on imagine quelque chose de drôle.
00:23 C'est ce qu'on essaye de faire dans cette émission, ou du moins certains d'entre vous,
00:27 parce que moi, notre réalisateur, François, m'a dit que je faisais partie, je le cite,
00:31 des filles pas drôles mais intelligentes. Merci François.
00:35 Bref, le pauvre. On associe souvent le jeu de mots au rire,
00:40 mais il y a des jeux de mots qui n'ont rien de drôle.
00:43 Et c'est quelquefois le cas avec Prévert, un poète français qu'on associe souvent
00:47 à une poésie assez gentillette, mais qui peut être en réalité une poésie violente,
00:51 comme l'a montré la chercheuse Carole Orué, une poésie rouge.
00:55 Prévert a d'ailleurs fait partie du groupe Octobre, monté à l'initiative des communistes
00:59 pour écrire des textes très engagés sur l'actualité.
01:02 Et aujourd'hui, Juliette nous a parlé d'un poème de Prévert, "La grâce matinée",
01:05 qui met en scène un homme qui a faim. Or ce poème est parsemé de jeux de mots.
01:09 Le titre déjà repose sur une antiphrase, ironique, "La grâce matinée".
01:14 L'expression signifie le fait de se lever tard, mais originellement,
01:18 ça renvoie bien au gras de la nourriture, on est passé de l'idée d'abondance de nourriture
01:22 à l'abondance de temps. Mais dans le poème de Prévert, on a l'inverse d'une grâce matinée,
01:27 l'homme se lève tôt et ne mange pas.
01:29 La tête de l'homme qui a faim, quand il se regarde à 6h du matin dans la glace du grand magasin.
01:35 Ironie antiphrastique, mais ça n'a rien de drôle.
01:38 Autre jeu de mots, vous n'êtes pas censé rire, c'est pas drôle.
01:42 Autre jeu de mots dans le poème, quand l'homme devient quasi fou en regardant cette nourriture
01:47 qui lui échappe. Le café crème devient dans sa tête un café crime.
01:51 Jeu sur la proximité phonétique des mots, pas renommase, mais ça n'a rien de drôle.
01:56 Pourquoi alors...
01:57 Charline est morte de rire, je préfère quand même préciser pour les auditeurs.
02:01 Pourquoi alors ces jeux de mots ? La déconstruction du langage peut représenter la folie de l'homme.
02:06 Mais au-delà, il y a une vraie violence de l'ironie, dirigée contre cet homme qui a faim.
02:11 Mais ce n'est pas le poète qui est la source de cette ironie, c'est le monde.
02:14 Le poète, lui, va dire l'absurdité de ce monde, un monde où un homme qui a faim est isolé,
02:20 alors que la nourriture est protégée.
02:22 Poisson mort, protégé par les boîtes, boîte protégée par les vitres.
02:26 On va voir toute cette violence avec les expressions contenant le mot tête.
02:30 La tête de l'homme qui a faim, il imagine une autre tête, une tête de veau par exemple,
02:35 et il grince des dents doucement, car le monde se paye sa tête, et il ne peut rien contre le monde.
02:41 Arrêtons-nous ici, il y a ce qu'on appelle une antenne à classe sur le mot tête, c'est-à-dire...
02:46 (Rires)
02:48 Là vous nous faites un peu injure, Elia, parce qu'on l'avait tous quand même.
02:51 C'est la figure de style préférée de Guillaume.
02:53 Qu'est-ce que c'est Guillaume alors ?
02:54 Ça dépend des régions.
02:56 (Rires)
02:58 C'est une répétition du mot avec des sens différents.
03:00 La tête c'est une partie du corps bien sûr, mais c'est aussi la représentation, le symbole de l'identité, la dignité.
03:06 Écoutez ce vers, "le monde se paye sa tête, et il ne peut rien contre ce monde".
03:10 Le monde se paye de sa tête, le monde se moque de lui, jusqu'à peut-être se payer sa tête.
03:15 C'est la mort par la faim ou par la guillotine, puisque le vagabond ira jusqu'à tuer pour manger.
03:21 Il est terrible le petit bruit de l'oeuf dur cassé sur un comptoir d'étain.
03:24 Il est terrible ce bruit quand il remue dans la mémoire de l'homme qui a faim.
03:28 Ils sont terribles, les jeux de mots politiques de Jacques Prévert.
03:31 (Applaudissements)
03:33 Merci beaucoup Elia, merci beaucoup Jacques Prévert et la comédie Rouge.

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