Un psychiatre analyse des scènes de films

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Transcript
00:00 Dans la plupart des films et des séries qui mettent en scène un psychopathe,
00:03 il y a cette association à génie, en tous les cas supérieur aux autres.
00:07 On peut être un psychopathe et génie, mais c'est un hasard.
00:11 Bonjour, je suis Christophe Debien, je suis médecin psychiatre
00:17 spécialisé dans la prévention du suicide.
00:20 Jacques Raffone m'envoie une élève.
00:25 À moi ?
00:26 J'ai beaucoup à apprendre de vous,
00:28 mais vous êtes seul juge, à vous de décider si je suis suffisamment qualifié.
00:31 Un trait en matière tout à fait habile, Agent Starling.
00:34 Les psychopathes, on dit souvent qu'ils n'ont pas d'empathie, c'est faux.
00:37 L'empathie, c'est la capacité de se projeter dans la tête de l'autre.
00:40 Si vous n'avez pas d'empathie, vous ne pourrez pas manipuler comme ça.
00:42 Vous utilisez une crème de jour à la camomille
00:44 et vous portez parfois l'air du temps, mais pas aujourd'hui.
00:48 Il est très fort là-dessus, et donc il est plein d'empathie froide.
00:51 Par contre, il n'a pas d'empathie chaude, il s'en fout de l'émotion de l'autre.
00:54 C'est ce qui permet d'ailleurs, dans tous les cas dans les films,
00:57 à ces personnalités d'assassiner les gens.
00:59 J'ai dégusté son foie avec des fèves au beurre et un excellent candy.
01:05 J'ai eu la chance de travailler en prison pendant neuf ans
01:11 et donc d'être en face d'un certain nombre de délinquants.
01:14 Les quelques qui ont tué quelqu'un,
01:16 tous disaient que c'était compliqué de mettre à mort quelqu'un.
01:20 Et ce qui leur permet à ce type de personnalité, dit psychopathique,
01:23 c'est qu'ils n'ont pas cette éponge émotive qu'on peut avoir.
01:26 Donc je mettrais un bon 80% science versus fiction.
01:51 La bipolarité, c'est une maladie de l'humeur.
01:54 Il n'y a pas 50 humeurs, il y a gay, triste et neutre.
01:57 Et on oscille tout le temps entre la gaieté et la tristesse,
02:00 en fonction des événements.
02:02 Mais ça reste dans des normes sociales admissibles.
02:06 Normes, ça c'est le problème de la bipolarité, c'est de citer les normes.
02:10 D'ailleurs, c'est ce que pas mal de patients bipolaires reprochent
02:14 lorsqu'ils sont en accès maniaque.
02:15 C'est quoi l'accès maniaque ?
02:16 C'est super joyeux, super gay,
02:19 contrairement à l'accès dépressif qui est super triste.
02:21 Alors la caricature, c'est de dire que ça oscille comme ça, c'est faux.
02:23 La plupart du temps, les patients bipolaires ont beaucoup plus d'accès dépressifs
02:27 que d'accès maniaques.
02:28 Ils en ont en général 3 ou 4 dans leur vie des accès maniaques,
02:31 s'en souviennent, ils se sont retrouvés tout nus au milieu de la ville
02:33 à distribuer de l'argent à tout le monde.
02:35 J'ai un patient qui avait acheté 3 Porsche dans la journée,
02:39 donc il avait les moyens d'en acheter une, mais pas 3.
02:41 Mais ce qui est génial, et c'est ce qu'on voit très très bien dans cette scène,
02:44 c'est la tachypsychie.
02:46 C'est les pensées qui sont accélérées.
02:48 J'arrive pas à te suivre.
02:50 Tu parles beaucoup trop vite.
02:52 Tes pensées se bousculent.
02:53 Mais à l'intérieur de la tête, dites-vous que ça va 10 fois, 100 fois, 1000 fois plus vite.
02:58 Il y a un épuisement psychique, mais un épuisement physique.
03:01 Les gens ne dorment plus, ils ne mangent plus, et ça pendant 2-3 jours.
03:05 Dans cette scène, ils lui proposent des anxiolytiques.
03:07 Alors je ne sais pas ce qu'il veut dire par anxiolytique,
03:09 c'est une grande famille anxiolytique.
03:11 Là, non, elle a besoin d'un thymorégulateur, ça porte très bien son nom,
03:14 thymorégulateur, qui régule le thymo, c'est-à-dire l'humeur.
03:17 Pour le coup, cette série, je lui mettrais bien un 98% de science versus fiction,
03:24 parce que le 2%, c'est à cause des anxiolytiques.
03:26 Je n'ai jamais vu un cas semblable.
03:33 23 identités vivent dans le corps de Kevin.
03:36 Je m'appelle Ed Pick.
03:37 J'ai des chaussettes rouges.
03:38 Tu as quel âge ?
03:40 9 ans.
03:41 Les troubles dissociatifs de l'identité,
03:43 c'est quelque chose qui est encore aujourd'hui très discuté
03:46 dans la communauté scientifique.
03:48 Il y a autant de gens, là, aujourd'hui,
03:50 qui disent que le trouble dissociatif de l'identité, ça existe,
03:53 que de gens qui disent que ça n'existe pas.
03:55 En fait, l'origine, c'est une psychiatre
03:58 qui décrit le cas d'une de ses patientes, qui s'appelait Sybil.
04:02 Sybil ?
04:04 Je déteste Sybil. Je déteste elle.
04:07 Qui es-tu ?
04:08 Je peux faire tout. Je peux faire tout ce que je veux.
04:11 Puis au bout de quelques années, à droite, à gauche dans le monde,
04:14 on se disait "mais ça n'existe pas, on n'en voit pas".
04:16 Le cas de Sybil, la seule donnée scientifique,
04:18 c'était la description par une personne.
04:20 Ce n'est pas de la science.
04:21 Split, je ne lui donnerais pas 0%.
04:23 Comme je vous l'ai dit, il y a un débat.
04:24 Et donc, je lui donnerais quand même un petit 20%
04:26 parce qu'il y a d'autres choses dans Split qui sont intéressantes,
04:29 et notamment le côté, là, pour le coup,
04:31 trouble de la personnalité,
04:33 plutôt de type psychopathique ou sociopathique.
04:35 Ça, c'est un groupe de joueurs de football.
04:41 Ça, c'est une bande de pigeons qui se battent pour des miettes de pain.
04:45 Et ça, c'est une femme qui poursuit le type qui lui a volé son sac.
04:48 John, t'as observé un vol ?
04:50 T'es bizarre.
04:51 Un homme d'exception, c'est un film que moi, j'aime pas.
04:54 Ceci dit, je trouve que c'est un très bon film
04:57 pour la représentation d'une psychose particulière,
04:59 c'est-à-dire la schizophrénie paranoïde.
05:01 C'est-à-dire qu'il va trouver des liens entre des choses
05:04 qui n'en ont pas.
05:05 Pourquoi t'as fait ça ?
05:09 Pourquoi t'as besoin d'éclairer ?
05:11 Mais qu'est-ce qui te prend, ça ?
05:13 Mais qu'est-ce qui te prend, ça va pas ?
05:15 Et ça fait partie de ce qu'on appelle les symptômes positifs dans la schizophrénie.
05:19 Alors, positifs, c'est les symptômes qui viennent se rajouter
05:22 à notre perception ou à notre façon de penser classique.
05:25 Donc les symptômes positifs ne sont pas des avantages,
05:28 ne sont pas des dons.
05:29 Le cabinet du Dr. Rosen, s'il vous plaît.
05:31 Il faut l'en empêcher, John.
05:33 Non, laissez-la tranquille.
05:35 À qui est-ce que tu parles ?
05:36 C'est pas de sa faute.
05:37 La plupart des réalisateurs vont matérialiser les hallucinations
05:42 chez les personnes atteintes de schizophrénie par des images.
05:45 Là, on a un personnage qui arrive et qui l'influence.
05:49 Parce que dans la schizophrénie, on parle de syndrome d'influence.
05:52 C'est le fait de recevoir des injonctions.
05:54 Tue-le, tue-toi.
05:56 C'est souvent, beaucoup plus souvent des choses qui sont auto-agressives
05:58 que hétéro-agressives.
05:59 Il y a très, très peu de personnes atteintes de schizophrénie
06:03 qui voient des gens.
06:04 Par contre, ce qu'on a le plus souvent
06:06 chez les patients atteints de schizophrénie,
06:08 c'est les hallucinations acoustico-verbales.
06:10 Des sons, des musiques, pas super élaborées la plupart du temps.
06:14 Et puis, des bribes de mots.
06:16 Souvent, c'est aussi frustrant que ça.
06:18 Ce qu'il dit, le film, c'est que je peux avoir une vie
06:22 pleine et satisfaisante en dépit de ma maladie.
06:25 Je peux être atteint de schizophrénie sans être un tueur en série.
06:28 Ça aussi, c'est important.
06:29 Mais je vais lui donner un petit 40 %
06:32 parce que la façon de montrer les symptômes,
06:34 elle est un peu trop caricaturale.
06:39 Fais raser, mon vieux.
06:40 La ténèbre ne va pas.
06:42 - Ah ouais !
06:44 Quoi de neuf ?
06:45 - Je suis en colère.
06:46 - Bouge pas.
06:47 Je veux pas que tu te tranches la gorge.
06:49 C'est une scène vachement intéressante
06:56 parce qu'elle montre un symptôme
06:58 qui est caractéristique du syndrome de stress post-traumatique,
07:01 c'est-à-dire les reviviscences.
07:02 Le personnage y revit la situation.
07:05 On revoit sa peur, tout ce qu'il a pu ressentir à ce moment-là.
07:08 Il y a ce qu'on appelle des situations gâchettes,
07:10 c'est-à-dire que ça va déclencher l'arrivée de la reviviscence.
07:14 On voit cette explosion de violence
07:16 qui va donner un malentendu sur ce personnage
07:19 parce qu'on va considérer que Rambo, il est hyper violent
07:22 parce qu'il est soldat, parce qu'il a fait la guerre.
07:24 Et en fait, il est hyper violent
07:25 parce qu'il ne peut pas s'en empêcher à ce moment-là.
07:28 Il y a tout qui est remonté,
07:29 y compris l'adrénaline de ce qu'il a vécu à l'époque.
07:32 Et ça se décharge.
07:33 Mais ce n'est pas parce qu'il est méchant.
07:35 C'est vraiment parce qu'il est revenu en arrière.
07:37 Ne pas sentir ça sur la tête.
07:39 Ça fait pourtant 7 ans.
07:41 Chaque jour, j'y pense.
07:43 Sur l'ensemble du film,
07:45 on est au moins à 70% de bonne représentation
07:48 du syndrome de stress post-traumatique
07:49 avec les connaissances de l'époque aussi,
07:51 parce qu'il faut l'ancrer aussi dans son époque.
07:53 - Qu'est-ce que c'est que ça ?
07:57 - Du conducteur.
07:58 Ouvrez la bouche.
08:00 Ça empêche de se mordre la langue.
08:02 Mordez dedans un bon coup.
08:05 - Hum...
08:06 Je suis très partagé
08:14 parce que c'est un de mes films préférés.
08:15 Et à la fois, c'est le film qui fait le plus de mal
08:18 à ma profession.
08:19 Donc...
08:20 La scène de sismothérapie
08:22 ou électroconvulsivothérapie
08:23 ou électrochoc,
08:25 c'est le symbole de tout ce que la psychiatrie
08:27 peut avoir de mauvais.
08:31 Cette scène, elle est à la fois très exacte et très fausse.
08:35 Très exacte sur le fait de mettre du conducteur,
08:38 de mettre quelque chose dans la bouche.
08:40 Et très fausse puisque une sismothérapie
08:43 se fait sous anesthésie générale.
08:45 Et d'ailleurs, qu'on voit très, très bien dans "Homeland".
08:48 - Pensez à compter à beau à partir de 100.
08:50 Elle est endormie.
08:53 - Certaines personnes aux urgences refusent,
08:55 alors qu'ils en ont besoin, qu'ils le disent eux-mêmes,
08:57 d'aller à l'hôpital psychiatrique
08:59 parce qu'ils ont peur de tout ça.
09:00 - Allez, je mettrais 50/50.
09:02 - Je suis comme cet enfoiré de roi Midas,
09:07 mais à l'envers.
09:08 Tout se transforme en bouse.
09:10 Je ne suis pas un mari pour ma femme.
09:11 Je ne suis pas un père pour mes enfants.
09:14 Je ne suis pas un ami pour mes amis.
09:16 Je ne fais rien.
09:18 Je ne sais même pas ce que je viens faire ici.
09:20 - La dépression, c'est souvent considéré
09:22 comme la maladie du faible.
09:24 Tu es déprimé parce que tu es mauvais,
09:26 parce que tu es moins fort que les autres.
09:29 C'est Tony Soprano, quoi.
09:31 C'est un chef de la mafia.
09:33 On ne peut pas le mettre dans la catégorie faible de personne.
09:36 Rien que de casser ce premier tabou,
09:38 je trouve que c'était vraiment chouette.
09:40 - Vous prenez toujours le lithium ?
09:42 - Le lithium, l'antidépresseur, c'est sans fin.
09:45 Avec ces saloperies, je ne suis plus rien.
09:47 Mort, sec, vidé.
09:49 - La douleur physique et la douleur psychique
09:51 allument les mêmes zones du cerveau.
09:53 C'est-à-dire que pour notre cerveau,
09:55 on traite la douleur physique et la douleur psychique
09:57 au même niveau.
09:58 Dans cette série, on voit tout.
10:00 On voit les idées suicidaires.
10:02 Il y a un ralentissement psychomoteur
10:04 massif, majeur.
10:06 Je pense que c'est un véritable livre
10:08 dans lequel on peut apprendre la dépression.
10:10 Donc là, très clairement,
10:12 c'est 100% science versus fiction.
10:14 Si vous voulez en découvrir un peu plus
10:16 sur les maladies mentales au cinéma,
10:18 je vous invite à acheter mon livre.
10:20 J'ai des enfants à nourrir.
10:22 Et si jamais vous avez la flemme de lire,
10:24 vous pouvez aller voir notre chaîne,
10:26 parce que je n'étais pas seul sur la chaîne,
10:28 le PsyLab sur YouTube, qui existe encore.
10:30 On a essayé de répondre à pas mal de questions.
10:32 Ça va de "qu'est-ce que la dépression ?",
10:34 "qu'est-ce que la schizophrénie ?",
10:36 mais aussi "à quoi servent les vibromasseurs ?"
10:38 Donc, écoutez, bienvenue !
10:40 [Musique]
10:56 [SILENCE]

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