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Anne Fulda reçoit Jean-Félix de la Ville Baugé pour son livre «Magnifique» dans #HDLivres

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Transcription
00:00 - Bienvenue à l'heure des livres, Jean-Félix de la Ville-Bauger.
00:03 - Merci de me recevoir.
00:04 - Je vous en prie.
00:05 Vous avez déjà publié quatre romans, dont un s'appelait "Et Dieu regardait ailleurs", un joli titre.
00:10 Vous travaillez toujours dans l'humanitaire.
00:14 Vous avez travaillé pour Solidarité internationale, Médecins sans frontières.
00:17 Et vous venez de publier "Magnifique", un livre paru aux éditions Télémac.
00:24 Un livre qui est un livre coup de poing, qui a une écriture pure, sans fioriture.
00:30 On n'en sort pas indemne.
00:33 C'est en plus un livre qui peut sembler être en écho avec certaines choses qui se passent dans le monde aujourd'hui.
00:41 C'est un livre qui interroge aussi sur la possibilité d'une vie après l'horreur.
00:46 Parce que "Magnifique", le livre s'appelle donc "Magnifique" avec cette couverture qui peut prêter à confusion.
00:51 "Magnifique", c'est le prénom de votre héroïne qui a vécu l'horreur,
00:57 qui vivait une vie à peu près de jeune fille assez insouciante, jusqu'à ce qu'elle soit rattrapée par l'horreur.
01:03 Pourquoi avez-vous choisi ce sujet ?
01:06 Pourquoi j'ai choisi ce sujet ? C'est toujours difficile.
01:08 Je suis toujours très impressionné par les gens qui savent pourquoi ils ont écrit telle chose à tel moment.
01:13 Moi, je ne sais pas.
01:14 Ce que je sais, c'est que j'étais au Rwanda en 1994, que j'étais parti là-bas comme humanitaire
01:21 et qu'entre chacun de mes livres, le Rwanda revenait.
01:24 La voix du Rwanda revenait.
01:26 Quand je dis la voix, moi, je n'écris pas, je retranscris ce que j'entends,
01:30 ce qui se déverse à l'intérieur de moi-même.
01:32 Et très souvent, il y avait des voix qui venaient du Rwanda.
01:35 C'était parfois un militaire français, c'était parfois un prêtre Hutu, c'était parfois une famille de Tutsi.
01:40 Et puis, après mon dernier livre, Seuls nos sourires, c'est la voix de Magnifique qui est venue.
01:47 Pourquoi elle ? Pourquoi est-ce qu'elle est née dans ce village ?
01:50 Pourquoi une nuit est arrivée ? Tout ça, je ne sais pas.
01:53 Alors, tout ça, c'est que Magnifique est une Tutsi qui a survécu à l'élimination de toute sa famille
02:02 et aussi du village dans lequel elle habitait.
02:06 Élimination alors que tout le monde avait été regroupé dans une église.
02:11 Et elle décide, à la veille d'une opération, 30 ans plus tard,
02:16 de raconter à son mari ce qui s'est passé,
02:19 de raconter ce qui revient régulièrement dans sa vie,
02:21 mais qu'elle n'arrivait pas à dire parce qu'elle a vécu,
02:23 on dit souvent, c'est un lieu commun à l'indice, mais c'est ça.
02:27 - Alors, on me dit souvent, mais au fond, c'est comme les gens après la Shoah qui n'arrivent pas à parler.
02:33 Je ne sais pas pourquoi j'ai choisi de la faire se taire pendant 28 ans.
02:39 Je ne sais pas. En revanche, ce que je sais, c'est que quand j'ai commencé à écrire,
02:43 il fallait un élément déclencheur et qu'une opération,
02:46 il y a des gens, même pour une petite opération, tout d'un coup, ça débloque des choses en vous
02:51 et elle veut, au cas où, elle veut laisser quelque part ce texte.
02:56 On ne sait pas s'il sera lu, on ne sait pas si l'opération se passera bien ou mal
03:00 ou si un jour son mari le lira. Mais en tout cas, ça débloque en elle le fait de dire,
03:06 oui, ce qu'elle n'a jamais pu dire et a fortiori jamais pu écrire jusque là.
03:10 - Alors, évidemment, il y a des choses horribles.
03:14 Il y a la façon dont s'est déroulé le massacre avec ces injonctions des Hutus coupées, coupées,
03:20 qui reviennent avec un viol qui se produit parmi les cadavres juste à côté d'elle,
03:24 des choses qui reviennent. Et puis, il y a aussi quand même malgré tout un peu de lumière
03:28 puisque elle rencontre aussi l'amour grâce à un homme qui s'occupe d'elle,
03:33 qu'elle rencontre dans un hôpital. Mais ce n'est pas si facile que ça non plus.
03:36 - Non, ce n'est pas si facile que ça, mais c'est un tournant.
03:40 Moi, j'avais écrit quatre romans jusque là. Un jeune garçon qui se perdait en Asie,
03:45 un enfant en violée dans les années 60, un grand-duc russe à la dérive dans les années 30
03:50 et un monologue intérieur de Marilyn Monroe. Ces quatre livres étaient des livres où on me l'avait,
03:56 d'ailleurs, ma femme me l'avait souvent fait remarquer, il n'y avait pas beaucoup d'espoir.
04:00 Et là, malgré moi, au fond, il y a un espoir, c'est que Magnifique, elle est aimée.
04:08 Elle est aimée et c'est très probablement ça qui l'a fait vivre.
04:12 Et on me dit d'ailleurs où se niche cet espoir. Pour moi, cet espoir, il se niche dans une scène très précise.
04:17 C'est quand il y a un humanitaire qui sort de son bureau et puis il y a une civière qui arrive
04:22 avec une femme noire dessus, inconsciente, et qu'il tombe fou de cette femme.
04:26 Il ne l'a jamais vue, il ne lui a jamais parlé et il en tombe fou.
04:29 Alors, on pourrait croire que ce n'est que lourd, mais non, parce qu'il y a aussi des passages avec de l'humour.
04:35 Il y a la confrontation de deux mondes, celui d'elle qui arrive, jeune femme noire,
04:40 tout-ci, qui rencontre la haute bourgeoisie genevoise.
04:47 Donc ça fait penser un petit peu à des passages dans Belle du Seigneur,
04:50 deux mondes comme ça à Genève qui se retrouvent.
04:55 Vous-même, vous y pensez encore au Rwanda, vous commencez par ça.
04:58 C'est encore des scènes qui vous hantent ? Vous avez été en mission là-bas ?
05:01 Non, plus du tout, pour une raison toute simple.
05:03 C'est que quand on écrit un livre, c'est une partie de sa vie qui se déverse.
05:07 Et une fois que cette partie de sa vie s'est déversée, qu'elle a été publiée, on passe à autre chose.
05:12 Donc non, je n'y pense pas.
05:14 En tout cas, c'est un très beau livre. Merci beaucoup, Jean-Félix de la Ville-Bauger.
05:17 C'est à lire.
05:18 Merci de m'avoir reçu. Merci.
05:21 [Musique]
05:25 [SILENCE]

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