• il y a 2 ans
Anne Fulda reçoit Jean-Pierre Le Goff pour son livre «Mes années folles» dans #HDLivres

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Transcription
00:00 - Bienvenue Jean-Pierre Le Goff, bienvenue à l'heure des livres.
00:02 Alors vous êtes philosophe, vous êtes sociologue,
00:05 vous avez déjà écrit de nombreux livres,
00:07 notamment "La France d'hier",
00:08 récit d'un monde adolescent, entre autres.
00:10 Et là, vous venez de publier "Mes années folles,
00:13 révoltes et nihilismes du peuple adolescent" après mai 68,
00:16 une coédition stock Robert Laffont.
00:19 Décidément, cette "révolution" de 1968,
00:24 c'est un sujet qui vous poursuit,
00:26 parce que l'un de vos livres s'appelait déjà "Mai 68,
00:29 l'héritage impossible".
00:30 Pourquoi cette nécessité aujourd'hui de revenir sur le sujet ?
00:35 - Parce que je pense que c'est une révolution très particulière,
00:39 mai 68, qui ne ressemble pas aux autres révolutions
00:42 et qui participe, je vais dire,
00:44 d'une nouvelle révolution de la seconde moitié du XXe siècle.
00:48 Elle concerne la France, mais vous apercevez
00:50 que sur une même période de temps,
00:51 elle concerne quasiment toutes les démocraties,
00:54 notamment européennes, mais aussi aux États-Unis,
00:57 en Australie, enfin partout si vous voulez.
00:59 Donc c'est quelque chose d'assez inédit.
01:01 Alors on a pensé, mai 68, sur le modèle des révolutions passées,
01:05 sauf qu'il y a quelque chose qu'il faut essayer de penser,
01:09 qui est tout à fait neuf,
01:10 c'est qu'il y a un nouvel acteur historique qui n'existait pas,
01:13 auparavant il existait, mais il n'était pas sur la scène
01:16 politique et historique,
01:17 qui est ce que j'appelle le peuple adolescent.
01:19 Je reprends cette expression sociologue Paul Lionnet.
01:22 Ce peuple adolescent, il faut bien comprendre d'où il vient.
01:25 C'est-à-dire, on est dans les années 60
01:28 et dans ces années 60,
01:30 le prolongement de la scolarité était très important.
01:34 Et on arrive pour la première fois à 550 000 étudiants.
01:39 Aujourd'hui, on est à près de 3 millions.
01:41 Donc cette révolution, Morin, Edgar Morin,
01:44 le sociologue, en a bien parlé quand il parlait de 1789,
01:49 socio-juvénile.
01:51 Et c'est une révolution qui va se développer en plusieurs étapes
01:54 et qui, à mon avis, a joué un rôle central
01:57 dans le bouleversement du tissu éducatif et sociétal.
02:01 C'est une révolution culturelle à l'intérieur même des démocraties.
02:04 Et je pense qu'on continue de subir encore les effets ultimes
02:09 de ce changement très important,
02:11 sans qu'on en soit forcément conscient.
02:13 Alors ce qui est étonnant et original,
02:15 c'est que vous avez choisi pour éclairer cette révolution,
02:18 de parler de votre propre expérience d'ancien étudiant
02:22 à l'université de Caen et des trois années qui ont suivi après.
02:26 En fait, vous racontez comment votre propre vie
02:30 a été impactée par cette révolution.
02:34 Oui, parce que je pense que c'est par le récit
02:38 qu'on peut rendre compte d'une ambiance,
02:40 c'est-à-dire d'un climat d'époque.
02:42 Alors il y a à la fois la dimension personnelle,
02:45 mais cette dimension personnelle, elle est restituée dans un contexte.
02:49 Avec une dimension, n'oublions pas,
02:51 nous étions dans la période des Trente Glorieuses.
02:54 Et il y avait encore, si j'ose dire, des avenirs qui chantent.
02:58 Et donc, il y a une forme de contestation très critique,
03:02 très dure d'ailleurs, qui va avec des aspects que j'appelle nihilistes.
03:06 Mais en même temps, ce qui est très difficile à penser,
03:08 c'est que pour les acteurs, c'était en même temps,
03:11 c'était assez gai, au sens, ce n'est pas triste si vous voulez.
03:14 Vous parlez d'un côté transgressif et jubilatoire.
03:16 Voilà, c'est assez bizarre aujourd'hui quand on regarde les choses,
03:20 mais il y avait cette dimension jubilatoire. Pourquoi ?
03:23 Parce qu'à l'époque, vous aviez des interdits et des pouvoirs
03:26 qui, d'une certaine façon, vous les aviez en face
03:28 et assumez le rôle de pouvoir.
03:30 On n'est pas du tout dans la période actuelle du "en même temps,
03:33 il faut bien prendre"...
03:34 C'était, on avait en face des vrais adversaires.
03:38 Bon, quand même, le général de Gaulle, ce n'était pas rien.
03:40 Georges Pompidou, ce n'était pas rien.
03:42 Les interdits de l'époque, ça existait.
03:44 Donc, vous étiez dans une dimension transgressive active
03:47 et d'une certaine façon, un peu joyeuse.
03:49 Aujourd'hui, je dirais presque que c'est l'inverse.
03:52 C'est-à-dire que qu'est-ce que ça veut dire transgresser
03:54 dans une société devenue pernissive ?
03:57 Qui a été transformée par 68, mais il y en a qui continuent de croire
04:00 qu'ils sont toujours dans la transgression,
04:01 alors qu'il y a une forme de banalisation, si vous voulez.
04:04 Le nihilisme actif, le renversement des valeurs
04:07 qui avait un côté, à l'époque, excusez-moi l'expression,
04:10 on disait jouissif, parce que c'était ça.
04:12 Aujourd'hui, je le trouve totalement banalisé et sinistre.
04:15 C'est-à-dire qu'aujourd'hui, vous êtes dans une autre période historique
04:19 avec un présent et un avenir où la guerre est là,
04:22 le réchauffement climatique, qui est très, très sombre.
04:24 Donc, vous n'avez pas du tout cette même dynamique,
04:27 même si vous pouvez retrouver des éléments qui participent
04:31 de ce que j'appellerais le creuset premier du gauchisme,
04:34 avec un certain nombre d'idées, de représentations
04:37 qui ont perduré et qui se sont transmises à travers les générations,
04:41 j'allais dire jusqu'à aujourd'hui, sous une forme très décomposée.
04:44 Alors, ce qui est intéressant, c'est que lorsque vous relisez,
04:47 puisque vous dites que vous relisez les livres
04:49 qui étaient vos références à l'époque,
04:51 et qu'aujourd'hui, il vous tombe presque des mains,
04:53 vous évoquez une langue morte.
04:55 Lorsque vous avez, on a, évidemment, l'expérience qui est passée par là.
05:02 Juste pour terminer, que reste-t-il de ces années-là ?
05:05 Vous venez de le dire, mais concrètement, aujourd'hui, c'est...
05:10 - Je pense qu'on assiste à la fin d'un cycle historique
05:12 avec des éléments de décomposition du gauchisme originaire.
05:16 Avant, vous aviez un gauchisme culturel,
05:18 notamment le début du féminisme, que j'explique un peu dans mon livre.
05:22 Maintenant, vous avez un gauchisme qui est très décomposé.
05:25 Vous avez à la fois des restes de lutte de classe,
05:27 de l'ancien modèle révolutionnaire, enfin bon...
05:31 Et en même temps, vous avez un néo-féminisme, vous avez l'écologie.
05:34 Donc tout ça est un composite, je dirais, un peu délabré,
05:38 mais qui a gardé une radicalité en arrière-fond.
05:41 Donc on assiste à la fin de ça.
05:43 Pourquoi je dis à la fin d'un cycle historique ?
05:45 Parce que d'une certaine façon, le retour de la guerre,
05:49 l'affrontement au réchauffement climatique
05:52 nous amène à d'autres enjeux que ces enjeux de l'époque.
05:55 On est vraiment sortis de cette période,
05:57 mais subsiste ce que j'appelle le gauchisme culturel.
06:00 Et je dirais même qu'il est présent au sein d'un certain nombre
06:02 de grands médias audiovisuels et au sein même de l'État,
06:06 puisqu'il y a eu toute une récupération qui s'est opérée
06:10 à partir des années 80, où l'État lui-même a intégré
06:13 un certain nombre de thèmes du gauchisme culturel.
06:15 C'est ça qui est très paradoxal.
06:17 Avant, vous combattiez l'État,
06:19 vous étiez dans une dynamique transgressive.
06:21 Aujourd'hui, c'est "allez-y, transgressez",
06:23 ce qui est "soyez autonomes".
06:25 Il y a de quoi rendre des gens fous.
06:26 - Il va falloir que vous écriviez un deuxième tome
06:28 des années folles 2020 et plus tard.
06:33 En tout cas, je vous conseille vraiment de lire
06:34 "Mes années folles, révolte et nihilisme du peuple adolescent après mai 68".
06:39 Merci Jean-Pierre Le Goff.
06:40 C'est donc un livre paru chez Stock, Robert Laffont.
06:43 Merci beaucoup.
06:43 - Merci.
06:45 Sous-titrage ST' 501
06:48 [Musique]

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