Dans cette nouvelle entrevue menée par Paola Locatelli, Caroline nous dévoile comment elle s'est retrouvée récemment confrontée à la vérité déchirante de son adoption. En découvrant des factures liées à un achat plutôt qu'une adoption légale, elle a dû plonger dans une quête personnelle d'identité mêlant mensonges familiaux et révélations sur un trafic d'enfants international lié à la guerre au Liban.
Merci à Caroline pour sa confiance et pour son témoignage fort et inspirant.
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AmusantTranscription
00:00 -Normalement, pour une adoption légale, tu payes à la limite un passeport, un baiser d'avion,
00:03 et tu payes certainement pas entre 50 000 et 70 000 dollars
00:07 pour avoir un bébé.
00:08 -Donc tu as vu des factures à 50 000 dollars. -Ouais.
00:11 -Et quand t'as vu ça, tu t'es dit directement que t'as été...
00:14 -D'où le mot de "papa ne va pas croire qu'on t'a acheté".
00:17 Voilà.
00:18 Et là, je me suis dit, en fait, si.
00:19 Si, en fait, ils ont acheté un bébé au Liban pendant la guerre.
00:23 -Bonjour, Caroline. -Bonjour, Paola.
00:25 -J'espère que tu vas bien. -Ca va, merci.
00:26 -Je suis très heureuse de te rencontrer aujourd'hui
00:28 pour que tu nous transmettes ton histoire.
00:30 Je sais que t'as été un enfant adopté et que tu l'as su seulement récemment
00:35 et que tu as été arrachée à ta famille biologique
00:37 il y a 38 ans de ton pays d'origine, le Liban.
00:40 -Exactement.
00:41 J'ai appris il y a trois ans que j'avais été effectivement adoptée
00:45 et que je suis victime d'un trafic d'enfants international,
00:48 des enfants du Liban pendant la guerre.
00:50 Je crois, parce que c'est pas du tout certain,
00:52 que j'ai été adoptée à l'âge de quelques semaines,
00:55 peut-être un mois, peut-être deux mois.
00:57 J'ai appris seulement l'année dernière que ma date de naissance officielle
01:00 sur mes papiers d'identité correspond en réalité
01:03 à la date choisie pour mon transfert en France.
01:06 Donc je suis née avant cette date-là, c'est-à-dire avant le 7 octobre 1985.
01:11 Et je suis arrivée en France début novembre 1985.
01:14 Je suis arrivée dans une famille française,
01:17 habitant à Paris, dans un très bel appartement.
01:19 J'ai eu une belle enfance,
01:20 mais je me suis toujours sentie très différente des autres,
01:23 jusqu'à peut-être 12, 14 ans.
01:25 -Pourquoi tu te sentais différente ? Qu'est-ce qui a été différent ?
01:27 -Ça s'explique pas.
01:28 En fait, tu sais, quand t'arrives à l'école, à partir de la 6e, par exemple,
01:32 tu dois te lever, le prof fait l'appel dans la classe.
01:35 Et à chaque fois qu'il prononçait mon nom et mon prénom,
01:37 je me sentais pas à l'aise, j'avais envie de me cacher,
01:39 j'avais honte, je me sentais coupable.
01:41 Mais je savais pas, en fait, y avait pas de matière pour savoir pourquoi.
01:44 -Tu l'expliquais, ça, à tes parents ? -Non.
01:46 Ils ont jamais su.
01:47 Ils ont jamais su quoi que ce soit, j'ai jamais osé leur dire,
01:49 parce que j'avais peur de ne plus être tolérée.
01:51 Donc j'ai jamais osé vraiment poser de questions.
01:53 Ils faisaient tout pour que ce soit une omerta, en fait,
01:55 et que ce soit bien planqué sous le tapis, et puis que ça ressorte pas du tout.
01:57 Et j'ai ressenti ça jusqu'à ce que je sois moi-même enceinte.
02:00 Et là, en fait, en devenant maman toi-même,
02:03 quand t'as été adoptée, il se passe un autre truc.
02:05 Et j'ai commencé à vouloir savoir, à me poser des questions,
02:09 et à comprendre, en fait, pourquoi je me sentais si différente,
02:12 pourquoi je me sentais mal à l'aise avec tout le monde,
02:14 j'ai toujours été introvertie.
02:16 -C'était quoi ta relation avec tes parents adoptifs
02:19 durant ton enfance, avec ta mère, avec ton père adoptif ?
02:21 -Ca a été une relation très particulière.
02:23 J'ai eu un papa extraordinaire,
02:25 qui s'est énormément occupé de moi, qui m'a tout appris.
02:28 Et j'ai eu une maman avec laquelle on s'est jamais comprise,
02:30 qui passait sa vie à dire "Mais quand est-ce que tu vas rentrer dans le moule ?"
02:34 "Quand est-ce que tu vas rentrer dans le moule ?"
02:35 J'entends cette phrase encore depuis toute petite dans ma tête.
02:38 "Je ne rentrerai jamais dans son moule,
02:39 parce qu'elle ne m'a jamais portée au sens propre."
02:41 Et j'ai eu une relation très conflictuelle et très compliquée avec elle tout du long.
02:45 On s'est jamais comprises, on s'est jamais croisées.
02:47 J'étais pas son enfant, je peux pas expliquer.
02:50 Il y avait pas cette alchimie,
02:51 cette relation qu'on peut avoir avec une maman.
02:53 J'ai jamais connu ça avec elle.
02:55 -Tu te sentais aimée par rapport à elle ?
02:57 T'avais l'impression qu'elle te considérait comme sa fille
03:00 ou il y a toujours eu un barrage ?
03:02 -Il y a toujours eu un caillou dans l'engrenage, ouais.
03:05 Et je savais qu'elle m'aimait,
03:06 mais elle m'aimait pas comme j'en avais besoin, en fait.
03:10 Et j'ai senti beaucoup de...
03:11 Je sais pas, une espèce de rivalité entre elle et moi.
03:14 Je disais A, elle disait B, je pensais blanc,
03:17 elle pensait noir.
03:18 On arrivait jamais à se mettre d'accord
03:19 et j'étais toujours mal à l'aise avec elle.
03:21 Il y avait quelque chose, même physique,
03:22 où j'arrivais pas forcément à aller vers elle,
03:24 j'arrivais pas forcément à faire de câlins.
03:25 -Donc elle t'a jamais dit que t'avais été adoptée,
03:27 tu l'as jamais expliquée ?
03:29 -Ils m'ont dit que j'avais été adoptée
03:30 par l'intermédiaire d'une mère porteuse à l'époque,
03:32 mais il y a 38 ans, les mères porteuses, ça n'existait pas.
03:35 Ils m'ont raconté que j'avais été trouvée dans une alcope d'église,
03:38 ils m'ont raconté que j'avais été trouvée dans la montagne au Liban.
03:41 Ils m'ont raconté mon zémerveille pendant 35 ans,
03:44 jusqu'au jour où j'ai tapé du poing sur la table en disant
03:46 "Maintenant, vous arrêtez, en fait, vous allez me dire la vérité."
03:50 Et en fait, il y a 12 ans, j'étais enceinte de ma première fille
03:53 et j'ai été très malade, et le chirurgien à la maternité
03:56 m'a dit "Écoutez, j'ai besoin de connaître vos antécédents familiaux
04:00 pour connaître votre maladie, expliquez-moi."
04:02 Et je leur ai dit "Moi, je ne sais pas, demandez à ma maman."
04:05 Et ma maman a répondu "J'en sais rien."
04:07 J'ai oublié, c'était il y a trop longtemps,
04:09 le premier tilt, je me suis dit "Mais comment tu peux oublier
04:11 que tu as été enceinte, que tu as accouché, c'est pas possible."
04:13 Et puis ensuite, pareil, pour se marier,
04:16 il fallait remplir les certificats de baptême.
04:19 Et donc le prêtre me dit "T'inquiète, j'ai le temps,
04:21 je vais aller regarder tes certificats de baptême."
04:24 Et puis il m'appelle un jour et il m'a dit "Mais tu sais,
04:26 le nom et le prénom qu'il y a sur le certificat de baptême,
04:29 ce ne sont pas les tiens, ce ne sont pas les parents que je connais,
04:33 ce n'est pas Jacques et Christelle, comme ils s'appellent,
04:36 c'est d'autres prénoms, un autre nom de famille,
04:39 mais ça ne correspond pas."
04:40 -Et le nom de famille qui était sur le papier,
04:42 c'était "parents biologiques".
04:44 -Apparemment. -D'accord.
04:45 -Sauf qu'en fait, il a constaté qu'à côté, il y avait marqué "emprunté".
04:49 Et donc du coup, apparemment, sur mes papiers officiels,
04:52 je serais née de parents biologiques avec des noms fictifs,
04:55 parce qu'ils souhaitaient probablement pas être retrouvés
04:57 ou ce genre de choses, c'est ce que je croyais en tout cas à l'époque.
04:59 -Quand ils ont commencé à te dire que c'était une mère porteuse,
05:02 puis ensuite que t'étais trouvée dans les montagnes,
05:05 puis d'autres histoires comme ça, tu te disais quoi ?
05:07 -Je me disais qu'ils se moquent de moi.
05:10 Vulnérablement parlant, ils se foutent de moi, littéralement.
05:12 Ils sont forcément au courant de ce qui s'est passé.
05:15 Et j'ai commencé à interroger la gardienne de l'immeuble, par exemple,
05:18 parce qu'elle était là bien avant qu'eux s'installent dans l'appartement.
05:21 Je me suis dit que si ça se trouve, elle m'a vu arriver,
05:23 elle sait quelque chose.
05:24 Et petit à petit, les langues se sont déliées,
05:26 et donc elle m'a dit que mes parents lui avaient raconté, par exemple,
05:30 que j'étais issue d'une maman qui était très jeune, très vulnérable,
05:33 qu'elle pouvait pas me garder, et que du coup, j'avais été adoptée.
05:36 J'ai fini par petit à petit rassembler des éléments
05:39 pendant que j'étais enceinte, avec le prêtre.
05:41 Et puis un jour, avec mes deux enfants,
05:43 on descend les cinq étages en ascenseur,
05:45 et puis mes filles s'amusent à dire "Moi, j'ai les cheveux de papa",
05:49 "Moi, j'ai le regard et les yeux de mamie", par exemple.
05:52 Et arrivé au rez-de-chaussée, ma grande me dit
05:55 "Mais toi, maman, franchement, t'as aucune ressemblance avec tes parents.
05:59 À croire que ce ne sont pas tes parents."
06:00 Et ça a commencé comme ça.
06:02 -Et c'est à ce moment-là que t'as commencé à te poser...
06:03 -Et là, j'ai dit "Ouais, en fait, c'est elle qui m'a ouvert les yeux."
06:07 Et je me suis dit "Elle a raison."
06:08 J'y ai été promenée pendant toutes ces années,
06:10 elle, elle me dit ça, et j'en avais jamais parlé devant elle.
06:12 Je me suis dit "En fait, les enfants ont quelque chose d'inconsciemment perceptible."
06:16 Et là, je me suis dit "Ouais, non, en fait, ça y est, c'est bon,
06:18 je veux savoir la vérité,
06:20 et puis je vais aller taper du poing sur la table pour savoir."
06:22 -Et comment ça s'est passé, justement ?
06:24 -Alors, j'ai commencé à poser des questions à mes parents
06:27 pour leur demander si j'étais bien né au Liban, déjà,
06:30 parce qu'après tout, j'avais des papiers,
06:31 mais je me suis dit "Puisqu'ils me racontent n'importe quoi,
06:33 si ça se trouve, ça aussi, c'est n'importe quoi."
06:35 Donc je suis bien né au Liban.
06:37 J'ai été dans un orphelinat, dans les montagnes de Beyrouth.
06:41 -C'est eux, c'est tes parents qui te l'ont dit ?
06:43 -Ouais. Ils m'ont dit ça.
06:44 -Et t'y croyais ? Tu t'es pas dit que c'était encore un montagne ?
06:46 -Bah si, en fait.
06:48 Et par contre, ce qui était horrible, c'est que tu te dis "Ils m'ont menti sur ça."
06:52 Donc en fait, ils m'ont peut-être menti sur plein d'autres choses dans ma vie,
06:55 et je me suis dit "En fait, je les connais pas."
06:57 C'est vraiment cette impression que j'ai eue.
06:58 Je me suis dit "Mais en fait, toute ma vie est basée sur un marécage,
07:01 un mensonge, et pourtant, j'ai essayé de me construire,
07:03 d'avoir un super métier que j'adore, un mari, des enfants..."
07:07 Et je me suis dit "En fait, avec tout ce socle solide en dessous,
07:10 c'est marécageux au possible."
07:12 Et je me suis dit "C'est pas possible."
07:14 -Et tu t'es dit "Je connais ni mes parents, mais je me connais même pas moi-même."
07:17 -Je me connais pas moi-même. Qui suis-je ?
07:18 Et alors en fait, au fur et à mesure que je cherche,
07:21 je tombe sur un dossier que mon papa finit par me donner.
07:24 Il finit par craquer un jour et il me dit "Voilà, oui, tu as été adoptée,
07:27 oui, nous sommes passés par l'organisme du Liban,
07:30 et puis on est passés par cette avocate, mais il ne va pas croire qu'on t'a achetée."
07:33 Et alors là, ce mot-là, je me souviens, toute ma vie,
07:36 j'étais en train de conduire, il y a trois ans, avec lui à côté de moi.
07:40 On était sur l'autoroute, j'ai cru que j'allais avoir un accident.
07:43 J'ai commencé à trembler, je me suis dit "Mais c'est pas possible,
07:45 pourquoi il dit ça, en fait ? Pourquoi il emploie ce mot-là
07:47 alors que ça ne devrait pas avoir lieu d'être ?"
07:49 Parce que j'avais eu des copines qui étaient adoptées,
07:51 et puis alors elle, elle racontait que les parents avaient eu un agrément,
07:54 qu'ils étaient passés par la DAS,
07:55 qu'ils avaient fait les choses en toute légalité.
07:58 Et moi, j'entends ce mot-là "acheté", et là, je me suis dit "Mais qu'est-ce qu'il raconte ?"
08:03 Et donc, il me donne le nom de la personne, il me donne le dossier,
08:06 et là, je me rends compte que c'est pas mon vrai prénom,
08:08 que ma date de naissance, c'est pas ma date de naissance officielle,
08:11 que je suis née avant,
08:12 que je suis pas née à Beyrouth même, mais probablement à côté,
08:16 et tout s'écroule.
08:17 -Tu dis quoi, à ce moment-là ? Tu ressens quoi ?
08:20 À ce moment-là, tu t'es dit que t'as été victime d'un trafic d'enfants...
08:23 -En fait, à ce moment-là, ma vie s'écroule.
08:25 Je me dis "Mais qui suis-je ?" C'est vraiment ça.
08:26 Je perds l'identité totalement.
08:28 Alors, tout le monde s'amuse dans les amis en disant
08:29 "Du coup, tu peux fêter ton anniversaire comme tu veux,
08:31 parce que la date, c'est pas la bonne."
08:33 Et puis, en fait, le prénom qu'on m'aurait donné à la naissance,
08:36 c'est le prénom Linda.
08:37 -Linda ? -Ouais.
08:39 Et en fait, c'est mon troisième prénom sur mes papiers d'identité.
08:42 Mais là, pareil, mes parents m'ont dit
08:43 "Ah, il y avait une arrière-grand-tante dans la famille
08:46 qui s'appelait comme ça, donc on a voulu donner ce prénom-là."
08:48 -Alors qu'en réalité... -Alors qu'en réalité,
08:49 c'est le prénom que peut-être les sages-femmes
08:52 ou l'infirmière, à l'époque, m'avaient donné à la naissance.
08:56 Et dans mon dossier, j'ai retrouvé des factures.
08:59 Et là, tu te dis "Mais attends, c'est bizarre,
09:01 parce que normalement, pour une adoption légale,
09:03 tu payes à la limite un passeport, un billet d'avion,
09:06 peut-être un timbre fiscal pour un passeport ou une carte d'identité,
09:10 mais tu payes certainement pas
09:12 entre 50 000 et 70 000 $ pour avoir un bébé."
09:15 -Donc tu as vu des factures à 50 000 $. -Ouais.
09:19 Alors pas à 50 000 $ d'un coup,
09:20 mais plusieurs petites factures
09:22 qui font une somme atteignant 50 000, 60 000 $ au total, ouais.
09:25 -Et quand t'as vu ça, tu t'es dit directement que t'as été...
09:28 -D'où le mot de papa "Ne va pas croire qu'on t'a acheté."
09:32 Et là, je me suis dit "En fait, si."
09:34 En fait, ils ont acheté un bébé au Liban pendant la guerre.
09:37 Là, c'est tout qui s'écroule.
09:38 "Mais qu'est-ce que vous avez fait ?
09:40 C'est complètement illégal, c'est immonde.
09:42 Vous avez volé le bébé d'une femme,
09:43 vous avez empêché une femme d'être maman,
09:45 vous avez profité de la vulnérabilité d'une jeune femme
09:48 qui était perdue, livrée elle-même, très certainement,
09:51 parce que c'était la guerre,
09:52 parce qu'elle pouvait probablement pas avoir ce bébé,
09:54 parce que c'était une relation illégitime,
09:56 elle devait pas être mariée, etc.
09:58 Et en fait, vous avez joué avec ça
10:02 et vous lui avez pris son bébé, quoi.
10:04 Et là, ce jour-là, je me suis vraiment sentie arrachée à quelqu'un.
10:06 -Tu leur en veux ? -Beaucoup.
10:08 Beaucoup, beaucoup, beaucoup.
10:10 En fait, c'est paradoxal.
10:11 Je leur en veux parce que je trouve que c'est immoral au possible
10:13 de faire quelque chose comme ça.
10:14 Et d'un autre côté, j'ai eu une très belle vie.
10:16 Et donc, en fait, t'es dans un conflit de loyauté énorme.
10:19 -D'un autre côté, tu es reconnaissante de la vie qu'ils ont pu t'offrir,
10:22 mais en même temps, tu te sens... -Ouais.
10:23 Trahi... -Trahi, seule, perdue...
10:26 -Tout blessant. -Pas reconnue.
10:27 -Exactement, ouais.
10:29 -Et quelle a été ta relation avec tes parents adoptifs
10:31 à partir du moment où tu as su que t'avais été arrachée
10:36 à ta mère biologique, que t'avais été achetée ?
10:39 -Je les ai confrontées.
10:41 Je suis arrivée chez eux en trombe, très en colère,
10:44 en leur disant "Voilà, j'ai découvert ça, ça, ça et ça."
10:47 Donc j'ai imprimé certaines choses que j'avais trouvées sur Internet.
10:49 Je leur ai expliqué ce que j'avais compris, ce que j'avais vu,
10:52 et je leur ai dit "Maintenant, expliquez-moi."
10:54 -Qu'est-ce qui t'ont répondu ?
10:55 -"On s'en souvient pas, c'était il y a trop longtemps.
10:58 On n'a pas les détails."
10:59 Et là, je dis "Arrêtez, ça suffit, c'est bon."
11:02 Enfin, il y a un moment où...
11:04 "Assumez vos actes."
11:05 J'avais 36-37 ans, je leur ai dit...
11:08 Je suis moi-même maman de deux enfants, je suis mariée,
11:10 je suis une adulte, je peux entendre.
11:13 Expliquez-moi.
11:14 -De toute façon, c'est fait, c'est fait, donc...
11:16 -C'est fait, c'est fait, on a eu une très belle vie,
11:17 et puis alors là, ils m'ont expliqué que j'avais été planquée
11:20 pendant les six premiers mois de ma vie.
11:21 Parce que quand je suis arrivée en France en novembre 85,
11:24 avec mes petits papiers, une couverture et un pyjama,
11:28 j'étais pas reconnue en France.
11:29 Et comme ils avaient fait un agrément à la DAS un an avant,
11:32 quand je suis arrivée en France, ils ont rappelé la DAS,
11:34 et là, j'ai un courrier dans mon dossier,
11:37 où ils disent "Voilà, on a une petite fille qui est tombée du ciel.
11:40 Comment on fait pour régulariser la situation en France ?
11:44 Dites-nous quelle est la démarche à faire
11:45 pour faire une adoption plénière en France,
11:47 donc basée sur une petite fille qui sort de nulle part
11:50 et qui est arrivée comme ça en France par la magie du Saint-Esprit."
11:54 Donc en fait, ils ont fait passer cet achat de bébés en France
11:58 pour une légalisation de mon identité en France,
12:03 et pour obtenir un jugement d'adoption plénière,
12:05 et donc que je sois officiellement à eux.
12:07 Et donc, ils sont allés jusqu'à changer mes papiers d'identité
12:11 et à dire que je suis leur enfant biologique à eux
12:14 sur les papiers d'adoption plénière.
12:17 Donc quand tu regardes mes papiers d'adoption,
12:19 il y a marqué "Fille 2 et 2" avec leur prénom et leur nom,
12:23 alors qu'en fait, je suis née au Liban,
12:26 ce ne sont pas mes parents biologiques.
12:27 Mais en France, en fait,
12:28 ils ont signé ces papiers d'adoption plénière.
12:31 Et c'était au bout de six mois,
12:32 parce que ça prend beaucoup de temps de faire une adoption plénière,
12:34 de passer devant le juge, de rassembler les papiers, etc.
12:37 -Donc comme si t'étais née en France
12:40 et qu'ils t'avaient récupérée à la DAS.
12:42 -C'est ça. Donc il y a marqué que je suis née au Liban quand même.
12:45 Il y a marqué la date du 7 octobre,
12:46 mais c'est pas ma date d'anniversaire.
12:48 Il y a marqué "Caroline", alors que mon prénom, c'est Linda.
12:49 Enfin, tout est modifié, changé,
12:52 bien gentiment emballé pour que ça passe auprès du gouvernement.
12:56 Et puis, petit à petit, j'ai fait des tests ADN.
12:59 Il y avait des noms, il y avait beaucoup de noms, beaucoup de familles.
13:01 Et je me suis dit "Mais par où je commence ? Comment ça se passe ?"
13:05 Et donc, je me mets à chercher sur Facebook.
13:07 Et un synchrome. Et je me dis "Là, je vais forcément trouver quelque chose
13:09 en tapant les noms et les prénoms des gens sur le résultat ADN."
13:12 -Il restait les noms de toi, les noms des gens qui avaient le même ADN que toi ?
13:15 -Ouais, avec lesquels tu partages de l'ADN.
13:18 -Tu avais du sang libanais à 100 % ?
13:20 -Alors, c'est comme ça, justement, que j'ai su que j'étais complètement libanaise.
13:23 -Et tes parents adoptifs, ils sont français ?
13:26 -Ils sont français, maman est allemande.
13:28 Et mon père a des origines italiennes.
13:30 Et là, je me rends compte que je suis 100 % libanaise.
13:33 Et mon père m'avait dit à l'époque "Si ça se trouve, ton père biologique
13:37 est peut-être un soldat venu prêter main forte pendant la guerre du Liban.
13:40 Donc, si ça se trouve, t'as des origines européennes, plutôt du Nord.
13:43 Et puis, une maman libanaise, on n'en sait rien.
13:45 Si ça se trouve, c'est ceci, si ça se trouve, c'est cela."
13:48 Lui, pareil, il s'invente des histoires au fur et à mesure et il les transmet.
13:51 Et donc, j'ai été très rassurée de savoir que j'étais complètement libanaise.
13:54 Par miracle, sur ces tests ADN, tu peux savoir à peu près la ville d'origine
13:59 ou en tout cas la région d'origine.
14:01 C'est comme ça que j'ai vu que j'étais originaire de la Beka, au Liban.
14:05 Donc, c'est en fait la plaine au milieu des deux chaînes de montagne,
14:08 ce qui a été un super indice aussi.
14:10 Et puis, explorer les noms,
14:12 c'est comme chercher une aiguille dans une botte de foin ou des choses comme ça.
14:15 -Tu mets ce que tu veux en nom d'utilisateur.
14:16 -Tu mets ce que tu veux en nom d'utilisateur et du coup, ça devenait très compliqué.
14:19 Et je suis tombée sur une association sur Facebook
14:21 qui s'appelle "Les Adoptés du Liban", avec des gens incroyables
14:24 qui ont vécu la même histoire que moi et qui s'entraident dans les recherches ADN.
14:27 Il y a une femme dans ce groupe-là qui est particulièrement douée sur le sujet
14:31 et avec elle, on a exploré chaque nom, chaque prénom, chaque poste,
14:35 chaque relation de segment ADN par rapport à moi, etc.,
14:39 parce que l'ADN ne ment pas.
14:40 Et plus je voulais me rapprocher de la vérité, et plus les portes se fermaient.
14:44 -Pourquoi ?
14:45 -Il faut savoir qu'en 1985, le gouvernement libanais était chrétien.
14:49 Et donc, chez les chrétiens, tu peux mettre des bébés à l'adoption.
14:52 Alors que si ça avait été un pays musulman,
14:55 où le gouvernement était musulman, ça aurait été interdit.
14:58 Et donc là, il t'explique que comme c'est chrétien,
15:01 les adoptions peuvent avoir lieu.
15:02 Et c'est une bonne nouvelle parce que les femmes qui ont fauté hors mariage
15:07 étaient victimes des crimes d'honneur là-bas.
15:09 Et donc, les crimes d'honneur, c'est quand soit le père biologique,
15:14 un oncle, un papa, un grand-père,
15:16 se donnent le droit de tuer la femme qui a fauté avec son bébé in utero.
15:21 -Fauter, c'est-à-dire avoir une relation hors mariage ?
15:23 -Avoir une relation sexuelle hors mariage, exactement.
15:25 Et donc, en fait, la femme avec son bébé risquait d'être tuée
15:28 pour laver l'honneur de la famille.
15:30 Ils estimaient que si tu tuais la femme et sa faute,
15:33 tu pouvais sauver l'honneur familial.
15:34 Et donc, cet avocat, qui a été intermédiaire pour les adoptions,
15:38 se sert de cet argument-là en disant qu'on sauve la vie des enfants,
15:41 en plus, c'est la guerre, donc on va les sauver de la guerre,
15:44 alors qu'en fait, la seule raison, c'est finalement d'assouvir la demande
15:48 des couples victimes d'infertilité dans des pays européens,
15:51 dans des familles riches, qui veulent à tout prix avoir un enfant
15:54 et qui se servent de cet intermédiaire-là pour obtenir ce qu'ils veulent.
15:57 Mais là-bas, tu pouvais acheter un bébé de la même manière
15:59 qu'aujourd'hui, tu vas sur Amazon et tu t'achètes un truc qui vient d'un autre pays,
16:02 c'est la même chose. Ça va aussi vite.
16:04 C'est genre une livraison express,
16:06 parce que mes parents avaient fait la demande d'agrément pour une adoption en France,
16:09 se sont rendus compte que les délais pour un bébé étaient très très longs...
16:12 - Parce que c'est extrêmement encadré, donc ça prend beaucoup plus de temps.
16:15 - C'est ça. Ça a des années d'attente entre les tests psychologiques,
16:18 l'agrément pour la maison et tout ce genre de choses.
16:20 Tu peux faire 3, 4, 5 ans,
16:22 mais surtout le temps qu'il y ait un bébé qui soit présent.
16:24 - Des fois, c'est même impossible d'adopter... - Des fois, c'est même impossible.
16:26 Là, ils ont fait l'agrément, ils ont obtenu leur agrément,
16:29 ils ont entendu parler de cet avocat par l'intermédiaire d'amis,
16:31 qui avaient fait la même chose, mais via la Colombie,
16:33 et les amis ont dit "T'as qu'à essayer d'appeler ce numéro de téléphone-là,
16:36 cette femme, elle, elle pourra t'avoir un bébé."
16:38 Et donc, c'est ce qu'ils ont fait.
16:39 Et dans mon dossier, je retrouve une lettre
16:41 où ils lui écrivent en août 85, en disant "Voilà, on a un agrément en France,
16:45 mais on n'a pas de bébé.
16:46 On veut un bébé, idéalement une petite fille,
16:49 idéalement en bonne santé,
16:50 type possible, bourrugne, yeux marrons, etc."
16:53 Enfin, tu mets les caractéristiques physiques
16:55 de la même manière que tu commandes une maniole sur Internet,
16:59 en disant "Je veux telle couleur, tel siège, tel machin."
17:03 Et elle leur répond. Elle dit "OK, le prochain bébé, ce sera pour vous."
17:06 -En disant "Voilà..." -Ça va tellement vite. Au bout d'un mois ?
17:08 -Un mois. On a un bébé pour vous.
17:10 -Donc toi, tu venais nette, t'avais trois jours, quoi.
17:12 -Mais je sais même pas si j'étais bête. J'en sais rien.
17:15 Et je suis tombée, en fait, sur un témoignage d'une femme
17:18 qui raconte les agissements de cette avocate
17:20 et qui se plaint, en fait, du côté illégal des adoptions via cette avocate.
17:24 -Qu'est-ce qu'elle raconte dans le témoignage ?
17:26 -Elle raconte que cette avocate a été arrêtée
17:29 pour trafic d'enfants international,
17:31 parce qu'en fait, dans les années 90, il y a eu un changement au gouvernement.
17:35 Il y a une nouvelle personne qui est arrivée.
17:37 Cette personne était convaincue que l'avocate faisait du trafic d'enfants.
17:40 Donc en fait, ils ont commencé à enquêter sur elle au Liban
17:43 et à se rendre compte que c'était tellement facile pour elle
17:46 d'obtenir des papiers d'identité, d'obtenir plein de choses,
17:49 que c'était pas normal.
17:50 Et en enquêtant, ils lui ont dit "Vous faites du trafic d'enfants,
17:53 "vous avez une nounou, elle est complice."
17:54 Et elle a arrêté tout ce petit monde.
17:56 Et en fait, cette femme, elle se vante beaucoup
17:58 d'avoir justement un mari au gouvernement.
18:00 Son papa a été pédiatre, très facile, donc, du coup, pour examiner les bébés
18:04 et puis pour être en contact avec des maternités
18:06 et trouver des bébés, en fait, tout simplement.
18:08 Et elle faisait ça en toute impunité
18:10 parce qu'elle disait beaucoup qu'elle avait plein d'amis partout.
18:13 Et comme elle rendait service à des personnes libanaises
18:16 qui souhaitaient avoir aussi des bébés,
18:18 en fait, dès qu'elle satisfaisait une demande,
18:21 la personne lui était très reconnaissante,
18:22 parce que quand tu "offres" un bébé à quelqu'un,
18:25 "Waouh, c'est formidable."
18:27 À souvenir le désir de maternité d'une personne,
18:29 t'es éternellement reconnaissant.
18:31 -Et donc, du coup, t'es partie au Liban il y a 11 mois.
18:35 Pourquoi ? Pourquoi tu t'es dit "Je vais partir au Liban" ?
18:38 -Parce que psychologiquement, moi, ça allait plus du tout.
18:40 J'en voulais trop à mes parents, je me posais trop de questions,
18:42 et je me disais "Mais est-ce que vraiment j'ai été victime de ce trafic ou pas ?"
18:46 Ça me paraissait tellement... -C'est le risque d'être dans le doute.
18:47 -Tout le temps dans le doute, en fait.
18:49 Et je me suis dit "Mais il faut que je sache."
18:50 Et donc, on y est allées.
18:51 Alors, à l'instant où je suis arrivée, j'ai eu envie de faire demi-tour.
18:54 Je suis tombée malade directement.
18:55 Arriver à l'aéroport, une catastrophe.
18:58 Je pense que toutes les émotions, en fait, remontaient à la surface.
19:01 On a marché dans les rues.
19:02 Et mon mari m'avait dit "Tu veux prendre un taxi ou autre ?"
19:04 J'ai dit "Non, non, surtout pas."
19:06 J'ai dit "On va s'imprégner de l'odeur, du paysage,
19:08 de la manière dont est fabriquée la ville, etc."
19:10 "On va marcher, on va flâner dans les rues et tout."
19:12 Et j'ai commencé à m'ancrer à ce moment-là.
19:14 -Et là, tu t'es sentie toute... T'as ressenti une appartenance ?
19:17 -Ouais. J'avais l'impression que mes pieds s'ancraient dans le sol, en fait.
19:22 Un peu comme quand tu marches dans du béton, alors que c'est pas encore sec.
19:25 Je me suis dit "En fait, c'est ça, mon pays d'origine."
19:28 En fait, ouais, je suis née là,
19:29 j'ai un sentiment d'appartenance à nouveau.
19:32 Ma vie est en France, mais au moins, je sais d'où je viens.
19:35 Et le fait de voir le paysage, etc., ça a été magnifique.
19:38 Et j'ai eu beaucoup de chance parce qu'on est tombée sur un guide,
19:40 pas tout jeune, mais c'était très bien,
19:42 parce qu'en fait, il était au Liban pendant la guerre.
19:45 Et donc, il m'a raconté comment c'était un peu pendant la guerre au Liban,
19:48 avec les bombardements.
19:50 Et il me dit "Mais tu sais, moi aussi, j'ai aidé des enfants à partir du Liban."
19:54 Il me dit "Mais tu sais, moi, j'ai eu vraiment l'impression de les sauver,
19:57 ces bébés-là, parce que t'aurais probablement été destinée à une mort certaine."
20:01 Donc oui, c'est horrible d'avoir arraché des bébés,
20:03 mais en même temps, c'est fantastique, parce que t'as eu une belle vie
20:05 que t'aurais jamais pu avoir autrement.
20:07 Je me suis dit "Mais quand même, quoi."
20:09 -Tu lui as expliqué ton histoire ? C'est pour ça qu'il t'a dit ça ?
20:11 -Ouais, ouais, ouais, je lui ai expliqué.
20:13 Et en fait, tous ces jours pendant une semaine,
20:16 c'est tourné autour de ça, en fait,
20:19 sur ses histoires, sur son histoire à lui,
20:21 sur la guerre, sur les bombardements, sur le bateau,
20:25 parce qu'à l'époque, l'aéroport de Beyrouth était bombardé.
20:29 Donc en fait, pour partir du Liban,
20:32 on allait dans des petits bateaux cachés sous des couvertures jusqu'à Chypre,
20:37 et à Chypre, en fait, on pouvait prendre un avion
20:39 pour une destination internationale.
20:41 Et il raconte, en fait, tout ça, comment ça se passait,
20:44 l'aéroport de Jounier, qui était là pour ça,
20:46 les passeurs qui récupéraient évidemment de l'argent au passage,
20:49 le douanier à l'aéroport qui lui aussi récupérait quelques sous
20:53 pour laisser passer des femmes avec des bébés,
20:56 où tu suspectes un peu l'identité, ce genre de choses.
20:58 Et donc, avec le guide au Liban, on est allé voir l'avocate.
21:01 -Toi, tu connaissais du coup le nom de l'avocate grâce à tes recherches.
21:04 -Grâce à mes recherches.
21:06 Et mon père avait fini par me lâcher le nom à un moment donné.
21:09 Et en fait, je cherche sur Google l'adresse de cette avocate,
21:13 avec mon mari, on la trouve.
21:14 Et au Liban, il me disait "On y va, on y va pas."
21:17 Alors j'étais comme ça, hein.
21:18 Mais je lui ai dit "Bon, écoute, on est là, je suis pas venue pour rien, on y va."
21:22 Donc le guide nous amène chez cette avocate.
21:25 -T'as ressenti quoi avant de rentrer dans la...
21:28 C'était un bureau, c'était un appartement ? -Un appartement.
21:30 -Comment tu t'es sentie quand t'es arrivée ?
21:32 -Très, très mal.
21:33 Très, très mal, et je savais que j'allais mettre les pieds là où il fallait pas.
21:36 -C'est un peu l'interdit, mais en même temps, t'en as besoin, toi.
21:39 -C'est l'interdit, j'en ai besoin. Elle est vieille, elle a 83 ans.
21:42 Elle va peut-être pas durer 107 ans, tu vois.
21:44 Et je me suis dit "C'est maintenant ou jamais."
21:46 Je me suis dit "Peut-être, à son âge,
21:48 elle va finir par cracher quelques informations."
21:51 -Tu lui as expliqué ton histoire au téléphone ou t'as menti ?
21:54 -Non, j'ai omis, en fait, de lui raconter mon histoire.
21:57 Je lui ai simplement dit que j'étais l'un des bébés
21:59 qu'elle avait transférés en France, à Paris.
22:02 Et en fait, pour gagner sa sympathie et pour pouvoir aller la voir,
22:07 je lui ai expliqué que j'avais une vie très heureuse,
22:09 que c'était formidable, que grâce à elle,
22:11 j'aurais pu avoir des parents aimants, une belle vie, etc.
22:15 Et elle m'a dit "Je serais ravie de te revoir."
22:16 Et là, je me suis dit "OK, là, t'as un ticket, il faut y aller."
22:20 Et donc, on arrive chez elle. Sa fille arrive en même temps.
22:23 Sa fille s'assoit dans un coin, elle fume beaucoup de cigarettes,
22:26 elle boit beaucoup de café.
22:27 Elle est là un peu comme un chien de garde.
22:29 Sa fille, elle a peut-être, je sais pas, 45 ans, quelque chose comme ça.
22:32 Très en retrait, mais très observatrice.
22:34 Et tu te sens, en fait... -Observée.
22:36 -Observée, mais pas de manière saine et bienveillante, en fait.
22:40 Tu sens qu'elle est là au cas où on risquerait d'agresser quelqu'un,
22:43 elle va bondir directement et tout.
22:44 -C'est l'une passée, elle avait un fusil à côté d'elle, quoi.
22:46 -Ouais. Et puis alors, l'avocate, elle est...
22:50 Elle est toute fine, elle est toute petite.
22:52 -Quand tu la vois...
22:54 Parce que je sens que t'es quand même quelqu'un qui ressent un peu les énergies et tout.
22:57 Quand tu la vois dans l'appartement, qu'est-ce que tu ressens chez elle ?
23:00 Est-ce que tu...
23:02 Elle émane quelque chose de mauvais ?
23:04 -Le mal incarné. -Ah ouais ?
23:05 -Dans ses yeux, dans son regard, dans sa manière de parler.
23:09 Même sa manière de s'asseoir, sa manière de recevoir.
23:11 Son appartement, avec énormément d'objets de valeur,
23:15 des salons un peu partout.
23:17 Elle s'attend, en fait, à ce que tu l'agresses,
23:19 à ce que tu lui poses des questions, etc.
23:20 Et donc, on s'assoit en face d'elle,
23:22 et elle me dit "Mais t'as une belle vie, t'as un mari, t'as des enfants,
23:25 qu'est-ce que tu veux, là ?"
23:26 Je dis "Je voudrais savoir, je voudrais comprendre.
23:28 Qu'est-ce qui s'est passé ? Comment ? Pourquoi ?
23:30 Quel âge elle avait, cette femme ?
23:32 Est-ce qu'elle est toujours en vie ? Est-ce que vous savez quelque chose ?"
23:34 Et là, elle me dit "Mais il y a strictement rien à dire.
23:37 Si je parle, je vais en prison."
23:39 Je dis "Donc, c'est que vous avez quelque chose à vous reprocher,
23:41 parce que sinon, vous parleriez pas de prison."
23:43 Elle me dit "Non, non, j'ai déjà fait de la prison,
23:45 j'ai déjà été arrêtée pour trafic d'enfants,
23:46 ils savent pas de quoi ils parlent.
23:48 Je dirai plus rien, sinon, j'irai en prison."
23:50 Et en fait, elle était complètement fermée,
23:51 mais elle part dans une pièce d'à côté,
23:53 elle revient avec un dossier, elle me dit "Voilà, ça, c'est ton dossier."
23:56 Et elle a soigneusement enlevé, avant de revenir dans la pièce,
23:59 toute la partie qui concernait la famille biologique et ce genre de choses.
24:02 Elle se souvenait de mon père.
24:04 Elle me dit "Je me souviens pas de votre maman,
24:05 mais je me souviens de votre papa."
24:06 Je dis "Ah bon, mais vous l'avez jamais rencontré."
24:08 Elle dit "Si, à l'aéroport, quand je t'ai déposé dans ses bras."
24:11 Je dis "Très bien."
24:12 Et en fait, elle me dit "Mais là, t'as rien besoin de savoir."
24:16 Elle me dit "Tu sais, toutes ces petites jeunes,
24:17 toutes ces petites connes, entre 14 et 17 ans,
24:20 qui font n'importe quoi, qui couchent avec n'importe qui,
24:22 c'est bien fait pour leur gueule."
24:23 Je dis "Mais en fait, on parle de femmes, d'êtres humains, de bébés,
24:26 c'est pas une poupée."
24:28 Elle me dit "Oui, mais elles avaient qu'à pas faire des conneries,
24:30 c'est tant pis pour elles.
24:31 Et puis de toute façon, il vaut mieux ça que d'être tuées."
24:33 Je dis "Oui, en effet, il vaut mieux ça que d'être tuées,
24:35 mais quand même, vous avez été arrêtées pour trafic,
24:39 vous vous dites que vous avez sauvé des bébés de la guerre,
24:42 ça correspond pas, en fait."
24:44 Elle dit "Je parlerai pas, je veux pas aller en prison."
24:46 -Et toi, qui avais autant de...
24:49 Qui as voyagé de France pour aller au Liban,
24:51 qui rencontres cette femme,
24:52 quand elle te ferme les portes alors que t'es à ça de savoir la vérité,
24:55 tu ressens quoi ?
24:57 -La rage.
24:58 Tu ressors de là, t'as envie de tout éclater.
25:01 J'étais en colère, j'étais frustrée, j'avais envie de vomir.
25:04 J'étais pas bien, je tremblais.
25:07 Mon mari était désolé pour moi,
25:08 mais elle nous dit qu'elle travaille avec une maternité
25:11 qui s'appelle Saint-Vincent de Paul.
25:12 Saint-Vincent de Paul était tenu par des bonnes sœurs.
25:14 Et je me suis rendue compte, en fait, sur Facebook aussi,
25:17 qu'une bonne sœur, sur son lit de mort,
25:20 délivrait des informations sur les enfants adoptés.
25:22 Et en fait, cette bonne sœur-là, pour mourir en paix,
25:26 avait décidé de tout raconter sur les enfants adoptés
25:29 qu'elle avait eus entre ses mains
25:31 et qu'elle avait elle-même mis à l'adoption comme ça
25:33 pour des familles adoptantes.
25:35 Et je me suis dit, peut-être qu'à l'orphelinat,
25:38 qui est noté sur mes papiers,
25:39 peut-être que les bonnes sœurs vont aussi faire ça.
25:42 Donc, avec mon mari, on décide d'aller à l'orphelinat,
25:44 tenu aussi par des bonnes sœurs à Beyrouth,
25:46 là où j'étais supposée être née, soi-disant.
25:48 Et donc, on y va.
25:49 On est accueillies par deux bonnes sœurs.
25:52 Alors déjà, c'est un endroit absolument sublime
25:53 qui surplombe Beyrouth,
25:55 avec un énorme cèdre au milieu d'un jardin.
25:57 C'est splendide. La vue est magnifique sur la mer et tout.
26:00 Donc déjà, moi, l'émotion monte à ce moment-là beaucoup,
26:02 parce que je me dis, en fait, j'ai transité à cet endroit-là.
26:05 C'est sublime.
26:06 Et en fait, le contraste entre cet endroit magnifique
26:09 et le drame de la guerre est assez déconcertant.
26:12 On arrive et elles disent, "Mais on n'a jamais eu de bébé ici."
26:15 Regardez, c'est un orphelinat, aujourd'hui,
26:16 qui est destiné à protéger les femmes victimes de violences.
26:19 Et ils nous demandent de repartir.
26:21 Et le guide, à ce moment-là, il dit, "Attends."
26:23 Il dit, "On va demander à la mère supérieure."
26:26 Et puis, à un moment donné, la mère supérieure arrive
26:28 et elle me dit, "Bon, moi, je vais vous raconter."
26:30 Et je dis, "Attends.
26:31 "Tu vas me raconter, vraiment ?"
26:33 Elle me dit, "Oui, oui, moi, je vais vous raconter,
26:34 "parce que je pense que c'est important pour vous
26:36 "de connaître vos origines et de savoir comment ça s'est passé."
26:38 Alors, on sort.
26:39 Elle me dit, "Vous voyez, là, ça a été bombardé.
26:41 "Maintenant, il y a juste un jardin avec un cèdre.
26:43 "Mais en fait, quand vous étiez bébé, la nurserie, c'était ici."
26:46 C'est bête comme information.
26:48 Mais le fait de savoir qu'effectivement, tu es transité là,
26:52 que tu as été là, qu'elle te montre l'endroit,
26:54 rien que ça, psychologiquement,
26:56 en fait, ça enlève une toute petite partie du marécage.
27:00 Ça met un sac un peu plus solide.
27:01 Elle me dit, "Vous inquiétez pas, vous étiez très bien traités."
27:05 On avait tout ce qu'il fallait, parce qu'en fait,
27:06 ils avaient des partenariats, justement, en fait,
27:09 grâce au pot de vin et ce genre de choses,
27:10 pour avoir du lait, des couches, des couvertures, des pyjamas,
27:15 des petits doudous et des trucs comme ça.
27:17 Donc elle me dit, "Vous en faites pas, en fait, on s'est bien occupés de vous."
27:19 Et elle me dit, "On n'a pas forcément d'archives,
27:22 mais je vais quand même vérifier,
27:24 et puis je vais voir si vous, vous étiez vraiment, effectivement, à l'orphelinat,
27:28 et si je peux trouver une information sur autre chose."
27:30 Et on repart comme ça, sans y croire.
27:32 Une semaine plus tard, quand on est rentrés à Paris, elle m'appelle.
27:35 Elle me dit, "Je suis allée regarder, en fait, et je vous ai retrouvés
27:38 dans les papiers d'archives de l'orphelinat.
27:41 Vous avez bien transité ici quand vous étiez bébé."
27:44 Ça a duré quelques jours,
27:45 c'était juste le temps de faire vos papiers pour partir en France.
27:47 Pour vous éviter, justement, la maltraitance et ce genre de choses,
27:51 avant que l'avocate vienne vous chercher pour partir.
27:54 Là, je me suis dit, j'ai enfin une réponse.
27:55 Il y a enfin quelqu'un qui me dit un truc concret,
27:58 qui est vrai, pour le coup,
28:00 parmi tous ces milliers de mensonges les uns après les autres, etc.
28:03 Et elle me dit, "Vous savez, le 7 octobre,
28:05 c'est effectivement pas votre date de naissance.
28:07 Le 7 octobre, c'est les papiers qui ont été fabriqués le 7 octobre
28:10 pour vous faire partir."
28:11 Et elle me dit, "En revanche, on vous a appelé Linda."
28:14 Je me dis, "Oui, mais comment elle sait ?
28:16 C'est pas possible qu'elle sache, ça s'invente pas."
28:18 Elle me dit, "Vous savez, à l'époque, quand les femmes accouchaient,
28:21 quand on savait pas quel prénom donner,
28:23 on regardait le saint ou la sainte du jour,
28:26 et on donnait le prénom du saint ou de la sainte du jour
28:29 à l'enfant qui venait de naître."
28:30 Et elle me dit, "La sainte Linda, c'est le 28 août."
28:33 Elle me dit, "Donc ça veut dire que potentiellement,
28:35 vous êtes née le 28 août."
28:36 Et là, je me dis, "Je change de signe astrologique,
28:39 je ne suis plus moi-même.
28:40 Je peux fêter mon anniversaire à plusieurs dates."
28:44 Et je me dis, "Ouais, en fait, ça y est,
28:45 j'ai une autre information qui est primordiale, en fait, à ce moment-là."
28:48 On se promène dans l'Abeka, quasiment jusqu'à la frontière syrienne,
28:51 et je vois, en l'espace de quelques instants,
28:54 deux panneaux publicitaires.
28:56 Et ces deux panneaux-là, c'était les noms que j'avais dans mon test ADN.
29:00 Et je lui dis, "Oh là là, regarde, là, il y a le panneau,
29:02 là, il y a un autre panneau.
29:03 Ce sont les noms qui sont sur le test ADN,
29:05 il faut absolument qu'on investigue là-dessus."
29:07 Alors, on n'a pas eu le temps, mais justement,
29:08 c'est ma prochaine étape d'un autre voyage au Liban,
29:10 c'est de retourner là-bas.
29:11 Parce qu'on m'a toujours dit, le Liban est un tout petit pays,
29:14 les gens se connaissent très bien.
29:15 Donc, aller voir dans ces villages-là.
29:18 Et effectivement, sur les résultats du test ADN,
29:20 quand on analyse les noms de famille et leur provenance géographique,
29:23 ça vient de l'Abeka.
29:24 -T'as expliqué tout ça à tes parents adoptifs,
29:26 toutes les démarches que t'as faites ? -Non.
29:28 -Ils savent pas ? -J'en ai expliqué une partie.
29:31 J'ai dit à mes parents que j'étais partie au Liban,
29:33 mais j'osais pas leur dire.
29:34 J'avais peur, en fait, qu'ils s'inquiètent,
29:37 qu'ils pensent que je n'allais plus les aimer.
29:38 Donc, c'est mon mari qui leur a dit, comme on arrête sur ce paradrap,
29:41 "On part au Liban avec Caroline la semaine prochaine."
29:44 Je leur ai dit que j'avais vu l'avocate,
29:46 mais je leur ai tout tourné en mode bienveillance.
29:49 "C'était sympa de la revoir, elle nous a bien reçus."
29:52 J'ai enrobé comme j'ai pu,
29:54 parce que j'avais peur de leur faire de la peine.
29:56 Et je voulais pas, en fait, qu'ils se sentent à leur âge délaissés,
30:00 et que s'il arrivait quelque chose parce qu'ils ont un âge avancé,
30:03 ils partent sur une mauvaise impression, en fait.
30:07 Mais je leur ai pas parlé des tests ADN,
30:08 je leur ai pas parlé des recherches,
30:09 je leur ai pas dit tout ce que j'avais su.
30:11 Et j'en ai encore plus voulu à ma maman jusqu'à aujourd'hui,
30:14 mais mon papa et moi, ça nous a rapprochés, quand même.
30:16 -Pourquoi ? Quelle est la différence ?
30:18 -Parce qu'il a lâché le morceau, il a dit la vérité.
30:20 Donc, je pense qu'il a soulevé l'omerta
30:22 et que ça lui a fait du bien, en fait, de se "confesser", quoi.
30:25 -Parce que...
30:26 Enfin, tu me dis, si je me trompe,
30:28 mais toi, t'as vécu toute ta vie dans le mensonge.
30:30 -Ouais.
30:32 -Ils ont vécu toute leur vie, aussi, après, ils ont menti, quoi.
30:34 -Bien sûr.
30:35 -Ça devait être dur, aussi, de dire la vérité.
30:37 -Je pense qu'un mensonge en entraîne un autre.
30:39 Ils se sont embourbés dans leurs histoires.
30:41 -Et tu crois, après, à tes mensonges.
30:43 -Bien sûr. Oui, oui.
30:44 -C'est vraiment un cercle vicieux.
30:46 Pourquoi tu penses qu'ils t'ont menti ?
30:47 Parce que c'était illégal et qu'ils avaient peur que tu...
30:50 -Parce que c'était complètement illégal,
30:51 parce que tu dépenses pas une somme d'argent
30:54 de dizaines de milliers de dollars pour avoir un enfant,
30:56 c'est pas possible.
30:57 -Est-ce que peut-être qu'ils avaient peur d'être arrêtés, aussi ?
30:59 Mes parents avaient peur qu'on m'enlève, au départ,
31:01 et ils osaient pas dire que j'étais arrivée chez eux.
31:03 Ils m'ont planqué, je sortais pas.
31:05 La nounou avait pas le droit de me sortir.
31:06 Ou alors, quand il y avait très peu de monde,
31:08 le samedi de dimanche, dans le quartier, etc.,
31:10 si quelqu'un appelait de la DAS ou de je-ne-sais-qui,
31:12 il fallait dire que les parents travaillaient pas,
31:14 qu'ils étaient en congé maternité, alors que c'était pas vrai du tout.
31:17 Moi, ma maman s'est jamais occupée de moi,
31:18 elle m'a jamais emmenée à l'école, elle est jamais venue me chercher.
31:20 Et à l'inverse, mon père m'a tout appris.
31:22 Mon père m'a sortie comme un trophée,
31:24 il m'a appris énormément de choses, on a partagé d'excellents moments.
31:28 Et c'est pour ça que j'ai toujours eu l'impression d'avoir un papa,
31:30 mais pas une maman.
31:31 Elle m'a plus parlé pendant presque un an,
31:33 parce que j'ai quitté l'entreprise,
31:35 j'ai démissionné en bonne et due forme, en lui disant
31:37 "Voilà, je vais changer de métier",
31:38 mais je détestais ce qu'il faisait,
31:40 parce que c'est un métier qui est très masculin,
31:42 alors que moi, j'avais envie, en fait, depuis toute petite,
31:45 d'aider les autres.
31:46 Et bizarrement, tu vois, par rapport à ma propre histoire,
31:48 je me spécialisais en périnatalité,
31:51 pour aider les femmes qui peuvent pas avoir d'enfants
31:53 à cause de blocages psychologiques.
31:54 Donc c'est ça, mon métier.
31:55 Moi, je suis coach en périnatalité,
31:57 et thérapeute aussi pour les enfants.
31:59 Et quel bonheur d'arriver à débloquer l'esprit des femmes
32:02 pour qu'elles tombent enceintes.
32:03 Et elle a jamais compris, elle a pas supporté.
32:05 -Ta maman adoptive, elle pouvait pas avoir d'enfants ?
32:08 -Elle pouvait pas.
32:10 -Elle sait pourquoi elle pouvait pas ?
32:12 -Parce qu'elle est tombée enceinte,
32:13 et qu'un matin, elle est partie de la maison.
32:15 Et elle est revenue le soir, elle s'était faite avorter.
32:18 Sauf qu'à l'époque, y avait pas eu la loi de Simone Veil
32:20 qui légalise l'avortement.
32:21 Donc elle est allée voir des feuseuses d'anges
32:23 qui ont fait la boucherie.
32:24 Et donc, en fait, ça lui a complètement bousillé
32:28 son système reproducteur,
32:30 et elle pouvait plus avoir de bébés.
32:32 Et là, s'en est suivie une quête obsessionnelle
32:34 de "je veux un bébé, je veux un bébé à tout prix".
32:37 Et ça, c'est mon père qui me l'a confessé
32:39 lors d'une discussion qu'on a eue tous les deux,
32:41 parce qu'il aurait bien aimé être papa à ce moment-là,
32:44 qu'il était complètement déconcerté
32:45 quand elle est rentrée le soir et qu'elle a dit
32:47 qu'elle avait plus de bébés dans son ventre.
32:48 Et je lui ai dit "mais en fait, elle avait sa chance,
32:51 elle a pas voulu la saisir,
32:53 prétextant des obligations professionnelles,
32:56 et elle est allée voler le bébé d'une autre
32:58 qui, elle, aurait peut-être voulu garder son bébé".
32:59 Ça, j'aurais pas dû le juger,
33:01 parce que, évidemment, c'est son corps,
33:03 et chacun doit faire ce qu'il veut de son corps,
33:05 et si tu décides de l'avortement, y a pas de problème.
33:08 Et je suis pour que les femmes puissent faire ça
33:10 et qu'elles puissent disposer du corps comme elles veulent,
33:11 sauf que là, je me suis dit "mais pourquoi t'as pris le bébé
33:14 de quelqu'un d'autre alors que tu avais ta chance, en fait ?"
33:16 Cette question m'a taraudée pendant longtemps
33:18 et je me suis interdite de juger,
33:20 et de la laisser faire comme elle voulait,
33:22 de jamais lui en parler, de jamais lui poser de questions, en fait.
33:25 Et j'ai une de mes très bonnes amies
33:28 qui a mis beaucoup de temps à avoir un bébé,
33:29 que j'ai aussi beaucoup accompagnée,
33:31 et qui m'a dit "mais tu sais, t'es prête à tout
33:34 quand c'est le désespoir".
33:36 Et elle me dit elle-même que pendant longtemps,
33:39 pendant plusieurs semaines, pendant plusieurs mois,
33:41 elle se formait des scénarios dans sa tête
33:43 de comment obtenir un bébé si elle n'y arrivait pas naturellement.
33:46 Dieu merci, elle a réussi naturellement à avoir son bébé,
33:48 une magnifique petite fille.
33:49 Elle me dit "on est prête à tout".
33:50 Et je dis "oui, mais on est prête à tout, n'excuse pas tout, en fait".
33:53 -Et par rapport à ton estime de toi-même,
33:56 qu'est-ce qui a changé ?
33:57 Est-ce qu'il y a un avant, après ?
33:59 -Oui, il y a un avant et un après, clairement.
34:01 Il y a la petite fille très peureuse qui disait tout le temps "oui"
34:04 pour se faire accepter, pour faire plaisir et pour éviter le rejet.
34:07 Aujourd'hui, j'ai beaucoup travaillé mon estime et ma confiance.
34:10 Ça se ressent aussi beaucoup dans le travail.
34:12 J'ose faire beaucoup plus de choses, beaucoup plus de projets.
34:14 Et surtout, je pense que je sais dire non, en fait, pour me respecter moi-même
34:19 et me dire "oui, en fait, là, je suis ancrée aujourd'hui,
34:21 maintenant, je peux dire non et j'assume ce non
34:23 et je n'ai pas peur qu'on m'aime moins ou qu'on me rejette".
34:27 Et ça, je pense que ça change beaucoup de choses
34:28 dans la relation avec mon mari, avec mes enfants.
34:30 Toujours très aimant, évidemment, mais quand c'est non, c'est non.
34:33 Et c'est beaucoup plus simple.
34:34 Et je me dis "oui, en fait, t'as le droit".
34:36 "Oui, en fait, tu dis non là", mais ça change rien.
34:38 Ils vont pas moins t'aimer pour autant, ils vont pas forcément te rejeter.
34:40 Tu vas pas être abandonnée.
34:42 Et ça, c'est tout le travail que j'ai fait justement là-dessus.
34:45 -Tu te sens légitime. -Je me sens légitime à nouveau, ouais.
34:47 Tu vois, 38 ans plus tard, c'est tout récent, ça.
34:49 Depuis que je suis allée au Liban, justement,
34:51 ça m'a apporté de la légitimité, ça m'a installée dans une identité.
34:56 Même si elle n'est pas encore complètement connue
34:57 et que j'ai pas encore toutes les réponses à mes questions,
35:00 il y a quand même une grosse partie qui a été comblée en faisant ce voyage.
35:03 Et ouais, je pense que c'est bien, ça.
35:04 Et je suis contente de ça,
35:06 parce qu'aujourd'hui, je sais qui je suis à nouveau.
35:08 -Et le fait de discuter avec toi comme ça aujourd'hui,
35:10 ça installe encore un peu plus le côté libanais,
35:13 les origines, l'identité, où je me dis en fait,
35:16 j'ose enfin exprimer au grand jour qui je suis,
35:18 ce que c'est moi, quoi, tu vois ? -Bah oui.
35:20 -Et ça, c'est hyper important.
35:22 Et je te remercie beaucoup, justement, de nous donner l'opportunité de faire ça,
35:24 parce que c'est génial.
35:25 Et sans appréhension et sans stress, parce que que de la bienveillance.
35:29 Et ça, c'est rare aussi. Donc merci pour ça.
35:31 -Merci à toi. C'était trop bien, cette interview.
35:33 -Ouais, j'ai bien aimé aussi.
35:34 -Et j'espère que ça t'aidera et que tu tiens au bout
35:37 de tout. -J'espère.
35:39 On verra bien ce que la vie m'apporte.
35:41 -T'es en fiche.