Vendredi 22 décembre 2023, SMART BOURSE reçoit Michel Ruimy (Économiste, SPAK)
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00:10 Dernier quart d'heure de Smart Bourse ce soir pour conclure cette année 2023.
00:15 Quart d'heure d'ailleurs qui reflète l'ambition de l'émission de vous apporter un décryptage pédagogique.
00:21 De temps en temps, parfois on est sur des sujets très techniques,
00:23 mais on prend le temps d'expliquer effectivement aussi de grands concepts économiques.
00:27 Et une fois par mois, c'est Michel Rumi qui vient nous en parler et s'atteler à cette tâche.
00:31 Bonsoir Michel.
00:32 - Bonsoir.
00:33 - Merci beaucoup. Ravis de terminer cette année 2023 avec vous.
00:35 Vous êtes économiste, économiste associé notamment de la plateforme SPAC.
00:39 Alors le sujet que vous nous apportez je trouve est magnifique.
00:43 C'est le sujet de l'anticipation ou des anticipations dans l'univers économique, financier, des agents économiques, des investisseurs.
00:51 On parle tout le temps d'anticipation.
00:53 Qu'est-ce que c'est qu'une anticipation ? Définition, j'allais dire académique de l'anticipation Michel.
01:00 - En fait une anticipation c'est le fait d'imaginer une chose par avance.
01:05 C'est-à-dire qu'on va imaginer quel sera le niveau de prix, l'évolution d'une grandeur économique, d'une situation économique et tout.
01:12 Et on s'aperçoit que les anticipations jouent un rôle déterminant dans le déroulement de l'activité économique
01:19 parce qu'il s'agit de prévoir l'évolution future d'une situation ou d'une grandeur.
01:24 Et pourquoi faire cela ? C'est pour prendre aujourd'hui une décision pour, et en même temps la plus adaptée à cette évolution.
01:33 Mais comme toute chose, toute anticipation est entachée d'incertitudes.
01:39 C'est-à-dire qu'on a beau être certain de pas mal de choses, il y a toujours forcément un grain de sable qui vient gripper la machine.
01:46 Et c'est ce qui fait la grande difficulté de l'anticipation. Et c'est pour ça que c'est un pari plus ou moins risqué.
01:52 - Et voilà, toutes les anticipations ne se valent pas. Et il faut prendre le temps d'expliquer comment ces anticipations se forment.
01:59 Chez nous, chez les particuliers, on est des agents économiques comme les autres.
02:03 Alors avec plus ou moins de rationalité, plus ou moins de sophistication, plus ou moins d'éducation bien sûr.
02:08 Comment se forment les anticipations ? Il y a différentes manières de voir les anticipations se former.
02:16 - Alors, on a essayé de classer un peu ces anticipations. Et donc je vais essayer de le faire le plus simple.
02:22 La première, ce sont ce qu'on appelle les anticipations myopes. Qu'est-ce que ça veut dire ?
02:26 Ça veut dire que les individus ont une vision à court terme et ils estiment que l'évolution actuelle va se poursuivre dans le futur.
02:35 C'est-à-dire que le futur sera l'image du passé. En gros, si les salaires augmentent, demain les salaires augmenteront sans preuve.
02:41 Donc ça c'est, on va dire, le propre d'une certaine myopie.
02:44 Puis la deuxième, c'est une anticipation statique. C'est-à-dire que ça revient grosso modo à la même chose, mais au temps là il y avait une évolution.
02:52 Ici, on considère qu'il y a une constance des variables. C'est-à-dire que le niveau des salaires ne va pas bouger, que l'inflation ne va pas bouger, etc.
03:00 Et puis par contre, il y a deux, on va dire, celles qui sont plus intéressantes, on va dire, là-dessus.
03:05 Ce sont les anticipations adaptatives et les anticipations rationnelles.
03:09 Alors, les anticipations adaptatives, c'est issu d'un raisonnement de Milton Friedman, qui dit qu'en fait les individus, quels qu'ils soient, tiennent compte des erreurs du passé.
03:20 Et qu'ils essayent de corriger ces erreurs sur l'évolution présente. Et donc du coup, en fait, on essaye d'avoir un meilleur raisonnement.
03:32 Simplement, la grande difficulté, c'est que la réaction des individus n'est pas instantanée.
03:37 Elle prend un certain temps et donc c'est là où l'adaptation peut poser problème.
03:42 Puis, si on parle maintenant des anticipations rationnelles, en fait, on considère que les individus forment leur anticipation, non seulement sur la base des observations du passé,
03:53 mais également parce qu'ils ont une certaine connaissance de l'éducation financière, c'est-à-dire du fonctionnement de l'économie.
04:00 Et donc, autrement dit, c'est que les agents rationnels tiennent compte de l'ensemble de l'information présente.
04:06 C'est-à-dire parfaite, mais passée, présente, future même, parce qu'on va prendre en considération, par exemple, les programmes de politique économique envisagés
04:15 ou celles qui sont annoncées, etc. à un moment donné pour élaborer leur anticipation.
04:20 Et donc, du coup, on dit que les individus sont censés, a priori, ne pas faire d'erreurs et de faire de bonnes anticipations.
04:30 Et donc, par exemple, c'est comme les individus qui, on considère qu'ils connaissent un peu le fonctionnement de l'économie monétaire,
04:37 donc les conséquences de la politique monétaire sur l'inflation, et donc ils pensent faire des anticipations qui peuvent être justes.
04:44 On peut toujours se placer dans un monde parfait où tout le monde serait effectivement au top du savoir économique, souhaitons-le, à commencer par moi le premier.
04:53 Mais ce n'est pas le cas, évidemment, Michel. Donc, je reviens à l'idée que, par nature, l'anticipation est entachée d'une fragilité, d'un manque de fiabilité.
05:04 Tout à fait. Donc, en effet, il est raisonnable, et ça serait trop beau d'entrer dans un monde comme ça, c'est que les individus ne sont pas tous des économettes omniscients.
05:13 On va dire ça comme ça. Mais en économie, on dit qu'il est préférable de dire que les individus ne se trompent jamais que de supposer qu'ils se trompent toujours.
05:23 – Je comprends. – Et qu'ils sont incapables de comprendre l'économie. C'est plus plausible, on va dire ça.
05:29 Et ça ne veut pas dire que les anticipations rationnelles sont parfaites. Ce qu'il fait, c'est… Quel est ce raisonnement ?
05:35 C'est de se dire, eh bien, parfois, on va être trop optimiste, d'autres pessimiste.
05:40 Et donc, cette distribution, on va dire, aléatoire d'opinions fait qu'en moyenne, eh bien, tout va s'agréger.
05:48 Et donc, c'est ça l'hypothèse de base, c'est que les anticipations rationnelles sont en moyenne vraies parce qu'elles vont se compenser.
05:55 Et donc, on considère que ça peut être pas si mal que ça.
05:58 – Il y a une forme d'intelligence collective derrière cette idée des anticipations rationnelles, la rationalité des anticipations d'un collectif.
06:07 Il y a aussi l'idée que la formation des anticipations peut amener ou faciliter ou aider la réalisation de l'événement anticipé.
06:17 – Tout à fait. C'est, on va dire, le nudge d'une certaine manière.
06:22 C'est-à-dire qu'en fait, on va anticiper, par exemple, sur le marché des actions,
06:26 on va anticiper qu'une action en particulier va monter. Donc, on va anticiper cela.
06:31 Alors par contre, on peut dire, pour diverses raisons, je ne vais pas rentrer sur un analyse inertie,
06:37 mais concrètement, on va dire, je vais acheter ça par précaution,
06:40 parce que premièrement, je veux la payer moins cher aujourd'hui par rapport à demain, et puis aussi par spéculation.
06:45 Et donc, en fait, c'est ce mouvement massif.
06:49 – Si beaucoup de gens se mettent à anticiper qu'une action va monter…
06:53 – Et bien, c'est exactement. Et donc, la motion monte, et c'est pareil à la baisse, je précise aussi.
06:57 – Oui, bien sûr.
06:58 – Et c'est ce qui fait que parfois, il y a des crashes.
07:01 Mais c'est ça qui fait qu'on parle de prophétie autoréalisatrice d'une certaine manière.
07:06 – Si on en vient à la question des anticipations d'inflation, plus précisément,
07:10 parce que pourquoi on traite de ce sujet ? Parce que c'est les banques centrales derrière.
07:14 Pourquoi les banques centrales sont tellement attentives aux anticipations des agents économiques,
07:18 des ménages, des investisseurs ?
07:20 On parle de… il faut ancrer les anticipations quand on est un banquier central.
07:24 Qu'est-ce qui joue dans la formation des anticipations d'inflation des ménages,
07:27 notamment, je me souviens de Jérôme Poel, il y a un an,
07:29 alors que les marchés n'ont pas tellement l'habitude de regarder ce genre d'anticipation,
07:33 les investisseurs ont leurs propres anticipations de l'inflation.
07:36 Jérôme Poel a dit "non, moi, ce qui compte aujourd'hui,
07:39 c'est ce que les ménages anticipent de l'inflation demain".
07:42 – Tout à fait. En fait, c'est quoi ? C'est que c'est un indicateur
07:45 qui est bien suivi par les banques centrales.
07:48 Pourquoi ? Parce qu'ils sont appréhendés comme une première des choses,
07:52 comme une mesure de la crédibilité de la politique monétaire,
07:55 c'est-à-dire la capacité de la politique monétaire à atteindre l'objectif qu'elle s'est assigné.
07:59 Donc ici, ça serait, on va dire, de 2%.
08:01 Et puis une autre, c'est aussi un canal de transmission de la politique monétaire,
08:05 dans la mesure où ça permet de dire "ben, voyez, je dis ce que je fais, je fais ce que je dis".
08:11 Et donc, du coup, ça marche et ça facilite.
08:14 Et donc, si une politique monétaire est bien anticipée,
08:18 les individus comprennent ce que les autorités monétaires vont faire.
08:22 Et donc, du coup, par exemple, s'ils anticipent qu'il va y avoir de l'inflation,
08:27 et donc ils vont, par exemple, demander, au moment des hausses salariales,
08:31 des hausses de salaire, du concurrence, on va dire ça.
08:35 Par contre, si c'est en déflation, ils vont préserver leur consommation,
08:40 ils vont la reporter à demain.
08:43 - Ce sera moins cher demain. - Exactement.
08:45 Et donc, du coup, on retombe d'une certaine manière sur les prophéties autorisatrices.
08:49 Et donc, du coup, c'est pour cela qu'en fait, aujourd'hui,
08:54 on cherche des indicateurs avancés de plus en plus pour prévoir les possibilités.
08:58 Je me souviens de Mario Draghi qui régulièrement,
09:01 donc la zone euro était en schéma des inflationnistes ou pré-déflationnistes, etc.
09:08 La bataille de la BCE de Mario Draghi, c'était de faire remonter l'inflation.
09:11 Il avait toujours ce discours de dire "non mais l'inflation faible ou l'inflation blasse",
09:15 il ne disait pas la déflation, bien sûr,
09:17 c'est bon, ça permet d'acheter plus de choses, moins cher.
09:21 C'était vraiment l'idée d'inciter les ménages justement à ne pas reporter,
09:24 à ne pas décaler dans le temps autant que nécessaire leurs intentions et leurs actes d'achat.
09:29 C'est maintenant, ce n'est pas cher, c'est maintenant, allez-y.
09:32 Oui, parce qu'après, ça porte à un ralentissement de l'économie,
09:35 et à l'échommage, etc.
09:38 Et juste sur comment ces anticipations d'inflation,
09:40 comment les particuliers sont influencés,
09:42 par quoi est-ce qu'ils sont influencés quand on leur pose la question,
09:46 parce que c'est comme ça que ça marche.
09:47 Quel est le niveau d'inflation que vous anticipez dans un an, dans trois ans, dans cinq ans ?
09:51 Il y a des critères personnels.
09:53 D'abord, il y a l'âge, parce que l'âge donne une certaine expérience.
09:56 On a un recul, on a vu un peu plus d'histoire, on sait comment ça se passe,
09:59 donc on a un peu plus de recul.
10:01 On a connu des périodes inflationnistes, par exemple.
10:03 Exactement. Et donc, on sait plus ou moins à quoi s'attendre.
10:06 Puis aussi, il y a le caractère, et là c'est plus paternel,
10:09 c'est est-ce que je suis fondamentalement optimiste ou pessimiste,
10:12 et ça va toujours mal, ou ça va toujours bien.
10:15 Et donc, ça impacte, on va dire, le réseau.
10:19 Et puis il y a aussi le degré de confiance, le niveau de confiance dans les décideurs.
10:23 Est-ce qu'ils ont la capacité à pouvoir sortir de cette situation, etc.
10:28 Et puis aussi, il y a les connaissances, on va dire, de l'économie en général,
10:32 de certains mécanismes, et c'est là où le rôle de l'éducation financière est là.
10:37 C'est-à-dire que si on arrive après, ça permet en même temps,
10:40 si on élève le niveau d'éducation financière aux politiciens et aux décisionnaires
10:44 de nous orienter où on se trouve.
10:46 La transmission est plus facile.
10:48 Exactement, est plus facile.
10:49 Michel, on va se quitter dans une minute,
10:51 quelle est votre anticipation la plus rationnelle pour 2024 ?
10:55 Ça va être dur.
10:57 C'est déjà une bonne anticipation, ne serait-ce que de dire que ça va être dur.
11:01 Ça va être imprévisible.
11:04 Tout à fait.
11:05 La première des choses que j'ai retirée depuis quelques mois,
11:08 c'est qu'en fait, la géopolitique drive l'économie mondiale.
11:12 Et donc, on voit que certains conflits locaux touchent une population de plus en plus large.
11:17 On le voit, ce qui s'est passé en Ukraine, on le voit ce qui se passe au Moyen-Orient,
11:21 aujourd'hui c'est la mer Rouge.
11:23 Donc tout cela, c'est que la mondialisation bienheureuse de quelques années est mise à mal.
11:27 Et donc, en 2024, je ne suis pas serein, en fait, parce que, pourquoi ?
11:32 Parce qu'en fait, c'est une année électorale, et à plusieurs mots.
11:35 Par exemple, en janvier, nous avons Taïwan.
11:37 Rien ne nous empêche, et on peut faire de la politique fission, je précise,
11:40 que la Chine puisse nous faire un blocus.
11:43 En mars, c'est les élections en Ukraine et en Russie.
11:46 En juin, c'est en Europe. En novembre, c'est les Etats-Unis.
11:49 Donc, en fait, on va avoir une année d'incertitude, et qui nous attend de rendez-vous.
11:54 On a une séquence électorale dans le monde sur 12 mois, qui est peut-être inédite,
11:59 à la fois dans les émergents et dans les développés.
12:02 On m'a donné le chiffre global, il y a plus de la moitié du monde qui vote en prochain.
12:07 Exactement. Potentiellement.
12:09 Effectivement. Merci beaucoup, Michel.
12:12 Merci pour cette chronique mensuelle, effectivement,
12:15 et l'exercice de décryptage économique que vous nous apportez chaque mois,
12:20 le vendredi à 17h45.
12:22 Michel Rumi, économiste associé de SPAC, qui était avec nous l'invité de ce dernier quart d'heure de Smart Bourse.
12:27 Dernier quart d'heure de cette année 2023.
12:29 On marque une pause réglementaire pour la fin d'année.
12:31 On se retrouve le 2 janvier en direct sur Bsmart.
12:34 [Musique]