SMART BOURSE - Décryptage éco : le seigneuriage

  • il y a 7 mois
Vendredi 23 février 2024, SMART BOURSE reçoit Michel Ruimy (Économiste, SPAK)
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00:00 [Musique]
00:10 Le dernier quart d'heure de Smart Bourse, une fois par mois, c'est un quart d'heure dédié au décryptage d'un concept économique.
00:17 Et chaque dernier vendredi du mois, nous retrouvons l'économiste Michel Rumi, associé de SPAC, notamment à mes côtés en plateau.
00:24 Bonsoir Michel.
00:24 Bonsoir.
00:25 Merci beaucoup.
00:26 On parle d'un super sujet. J'appelle ça le business des banques centrales.
00:29 Si je puis me permettre. Comment une banque centrale gagne sa vie, gagne son argent ?
00:35 C'est ça la question et ce que vous allez nous expliquer ce soir Michel.
00:38 Tout à fait. En fait, on parle beaucoup, notamment en zone euro, de l'indépendance des banques centrales.
00:44 Donc bien sûr, on parle souvent, on axe souvent la discussion sur l'indépendance politique.
00:49 Mais on ne se pose jamais à savoir comment les banques centrales gagnent leur argent,
00:53 puisque l'indépendance ne peut pas être politique, elle est aussi financière.
00:56 Et donc là, il convient de savoir, on va essayer de savoir, comment elles gagnent leur vie.
01:02 Bon, quels sont les...
01:03 J'essaie de gagner de l'argent.
01:04 Mais évidemment, une banque centrale doit aussi gagner sa vie.
01:07 De quoi on parle concrètement ? Quels sont les différents moyens qui s'offrent à une banque centrale pour générer un revenu financier ?
01:14 Alors, il y a plusieurs manières.
01:16 De manière générale, elles gagnent leur vie grâce à leur réserve en devise qu'elles placent.
01:22 Et donc, ça rapporte, on va dire, des revenus. Première des choses.
01:26 Mais deuxième chose, il ne faut pas oublier qu'une banque centrale, c'est une banque.
01:29 Donc, comme toutes les banques, une banque commerciale gagne sa vie en prêtant de l'argent à des parties qui ont des entreprises,
01:37 eh bien la banque centrale gagne des revenus en prêtant de l'argent avec les banques commerciales.
01:43 Et ça permet de vivre.
01:46 Néanmoins, il ne faut pas oublier que les banques commerciales peuvent notamment déposer leur argent à la banque centrale.
01:54 Un des taux directeurs, c'est le taux de facilité de dépôt.
01:57 Et donc, la banque centrale est obligée de rémunérer ses dépôts.
02:00 Et donc, en gros, elle gagne cet aspect, je dirais, sur la marge d'intermédiation de façon simple là-dessus.
02:09 Et c'est ça qui est très important. C'est majoritairement cet aspect-là.
02:13 Et puis, dernière chose, et donc là, j'attire votre attention, autant la banque commerciale gagne un peu d'argent, autant on gagne beaucoup.
02:22 Ah bah oui, c'est plus les mêmes sommes, c'est plus les mêmes montants qui sont en jeu.
02:24 Tout à fait. En fait, là, en gros, l'eurosystème a gagné 300 milliards d'euros entre 2012 et 2021.
02:32 Et de manière générale, ceci découlait de la politique des taux d'intérêt qui a été pratiquée à ces moments-là.
02:38 Et donc, tout va pour le mieux là-dessus.
02:41 Et puis, dernière chose, c'est aussi... Il y a aussi les billets. Et là, c'est ça qui est souvent mal connu.
02:48 On l'a mis, c'est le titre de l'interview, le seigneuriage. C'est ça.
02:51 Exactement. Exactement. En fait, qu'est-ce qui se passe ?
02:55 C'est que le seigneuriage, en fait, c'est le pouvoir de battre monnaie qu'avaient les seigneurs.
03:01 Et donc, dans ce cadre-là, eh bien, les seigneurs pouvaient prêter de l'argent.
03:07 Et qu'est-ce qui se passe ? C'est qu'en fait, les revenus de la Banque centrale reviennent de l'émission de billets.
03:15 Mais contrairement à ce que, généralement, on peut croire, la Banque centrale ne gagne pas son argent entre la valeur faciale
03:22 et, on va dire, les coûts de production, d'entretien, de stockage, etc.
03:27 Ça, c'est autre chose. Donc... Mais...
03:31 Mais ça coûte cher de produire un billet.
03:32 Ah oui, oui, oui.
03:33 Oui, c'est ça.
03:34 Ça coûte cher. C'est pas gratuit.
03:35 Ah ben non.
03:36 Donc, il y a surtout... Et c'est surtout l'entretien.
03:39 Parce que ce qu'il faut voir, c'est que, rapidement, je veux dire, un billet, c'est un produit de haute technologie.
03:45 Faut pas oublier qu'il y a pas mal de signes de reconnaissance.
03:48 Et puis, surtout, il faut éviter la contrefaçon. Il faut éviter, on va dire, la qualité, on va dire, du billet.
03:54 Donc, il faut l'entretenir.
03:55 Tout est technologique. L'encre, le papier, les signes de reconnaissance.
03:58 Et puis, la distribution auprès de tout le monde. Donc, ça aussi.
04:01 Donc, ça a un coût. Et, en fait, qu'est-ce qu'elle a ?
04:05 C'est que l'histoire dit que les Etats ont donné à la Banque Centrale le pouvoir d'émettre des billets.
04:13 Et en France, par exemple, la Banque de France a eu ce privilège le 14 avril 1803.
04:18 C'était un petit clin d'œil de l'histoire.
04:20 Et alors ?
04:21 Et alors, vous dites... Oui, c'est pas... C'est pas entre le coût et...
04:25 C'est sur la partie émission des billets que la Banque Centrale gagne son argent. C'est ça.
04:29 Tout à fait. Et je vais essayer de le faire clair.
04:32 Alors, supposons qu'une banque commerciale souhaite des billets pour répondre à la demande de sa clientèle,
04:40 ses entreprises et particuliers.
04:43 Donc, elle va s'adresser à la Banque Centrale.
04:45 Et, en échange, qu'est-ce qu'elle fait ?
04:47 Elle va le faire plusieurs fois.
04:48 Soit, elle dit, j'amène des monnaies étrangères, par exemple.
04:52 Ça, ça peut être en échange.
04:54 Mais de manière générale, parce qu'il ne faut pas oublier, de façon simple,
04:58 une banque fait de l'argent avec de l'argent.
05:00 Donc, elle veut garder la matière première qui est son argent.
05:02 Donc, elle va plutôt emprunter.
05:04 Et, en fait, elle va emprunter pour avoir ses billets.
05:06 Donc, elle va emprunter et elle devra rembourser la valeur faciale de ses billets
05:10 plus l'intérêt auquel elle a effectué ce prêt.
05:14 Et tout ceci, c'est la première des choses.
05:17 C'est la première étape.
05:18 Donc, la Banque Centrale gagne de l'argent à partir de ses intérêts.
05:22 Mais ce n'est pas tout.
05:23 Avec ses intérêts, elle va acheter d'autres titres,
05:27 notamment des obligations d'Etat, qui vont lui rapporter.
05:31 Et, en fait, tout ceci va se composer en revenus.
05:35 Ça fait une grande somme.
05:36 Toutes ces sommes gagnées, c'est ce qu'on appelle le seigneuriage.
05:40 Mais ce qui est très important, c'est que...
05:43 Qui est l'actionnaire de la Banque Centrale ?
05:45 Uniquement...
05:46 - Les Etats.
05:47 - Les Etats.
05:48 Donc, ce seigneuriage revient indirectement à l'Etat.
05:54 Et c'est une source de revenus, notamment.
05:57 Il n'y a pas que ça.
05:58 Et c'est ça qui est très important.
06:00 C'est que cette indépendance financière, elle est là.
06:02 Et ce qu'il faut bien comprendre, c'est que la Banque Centrale doit gagner de l'argent.
06:06 Parce qu'elle ne peut pas recevoir de l'argent d'aucune institution ni d'Etat.
06:10 Et c'est ça qui est important là-dessus.
06:12 - Quand elle fait des pertes, comme c'est le cas aujourd'hui,
06:14 ça ne peut être que "temporaire".
06:16 Il y aura un retour à la normale.
06:20 Et un retour...
06:21 Vous disiez que l'eurosystème a gagné 300 millions entre 2012 et 2021.
06:27 On reviendra à cet équilibre-là naturellement,
06:31 une fois qu'on aura épongé effectivement la housse des taux
06:34 pour des choses qui coûtent aujourd'hui à la Banque Centrale.
06:37 Ça rapporte combien de billets, du coup ?
06:39 Cette histoire d'intérêt, de placement et d'intérêt composé derrière,
06:44 ça sort concrètement sur chaque billet ?
06:46 Combien la BCE peut se rémunérer à la fin ?
06:48 - Pour faire simple, je vais prendre un billet de 10 euros.
06:50 On prend un 10 euros et je vais supposer que la Banque Commerciale va emprunter.
06:55 Et on va emprunter à un coût de 2% pour faire simple.
07:00 Donc concrètement, pour chaque billet,
07:04 la Banque Centrale va gagner 2% de 10 euros.
07:08 Ça fait 20 centimes.
07:10 Ça, c'est les intérêts gagnés.
07:12 Et à côté de ça, il y a le coût des billets.
07:15 Et donc, pour faire simple,
07:17 on va considérer que le coût de production est de 23 centimes.
07:21 C'est rien que pour les calculs.
07:22 23 centimes, le coût de distribution de 10 centimes.
07:25 Et de manière générale, un billet de banque a une durée de vie,
07:28 grosso modo, s'il est bien entretenu, d'environ 11 ans.
07:31 Donc, qu'est-ce qu'on va faire ?
07:33 On va essayer, première des choses, de gagner le coût de mise en circulation des billets.
07:37 Donc on sait que ça nous rapporte...
07:39 Il y a un coût de 33 centimes sur 11 ans.
07:41 Ça fait que le coût d'un billet par an, ça revient à 3 centimes.
07:46 Et donc, c'est là où on revient.
07:48 C'est que je gagne 20 centimes par an.
07:51 Ça me coûte 3 centimes.
07:52 Je gagne 17 centimes par billet.
07:55 Donc, comme il y a une très grande masse de billets,
07:59 vous multipliez autant de billets, etc. là-dessus.
08:01 Donc ça fait une masse.
08:02 Et donc, je gagne une certaine somme.
08:04 Et cette somme, je vais acheter des obligations d'Etat, pour faire simple.
08:07 Et c'est ça qui va constituer tout le seigneuriage.
08:10 Donc, voilà.
08:11 Plus l'on émet des billets, d'une certaine manière,
08:13 et plus la banque gagne de l'argent.
08:15 Comment ça se passe dans une zone économique intégrée ?
08:20 Même si non parfaite, comme la zone monétaire européenne.
08:25 Parce que là, l'argent d'un pays à l'autre,
08:27 l'eurosystème, ce sont des banques nationales domestiques.
08:31 Et la BCE, qui est la haute digne de l'eurosystème.
08:34 Alors, ce qu'il faut bien voir, c'est que,
08:36 alors qu'on était avant, on va dire,
08:38 lorsqu'il n'y avait pas l'eurosystème,
08:40 on pouvait savoir, a priori,
08:42 le nombre de quantités de billets qu'il y avait en France.
08:44 Aujourd'hui, par exemple, c'est très bien.
08:47 Tiens, ce week-end, je vais aller partir en Belgique,
08:49 ou je vais aller à Rome,
08:50 je vais amener des billets français,
08:52 que je vais "exporter" en Italie ou en Belgique.
08:55 Et c'est là qu'il va se passer.
08:57 Ce qu'il faut bien voir, c'est que
08:59 le nombre de billets en circulation,
09:02 varie énormément en fonction, on va dire,
09:04 si c'est une période touristique, etc.
09:07 Par exemple, quand on le voit avec l'été,
09:09 on a une terre d'accueil grâce au tourisme,
09:12 donc on va avoir des touristes allemands
09:14 qui vont amener des billets de la Deutsche Bundesbank,
09:16 les Italiens de la Banca d'Italia, etc.
09:19 Et on va avoir des billets qui ne sont pas "français",
09:22 donc c'est pour autant que la Banque de France
09:25 ne va pas émettre d'autres billets.
09:27 Et donc, la demande de billets n'est pas que faite
09:31 de la demande nationale, on va essayer de gérer ça.
09:35 Et c'est ça qui est très important, c'est que,
09:37 en fait, le concept avant du nombre de billets qu'on pouvait
09:40 a été remplacé par ce qu'on appelle la notion
09:42 d'émission nette, c'est-à-dire,
09:44 les billets que j'émets, moins ceux que je reçois,
09:46 voilà en gros ce qu'il y a, grosso modo,
09:48 en circulation là-dessus.
09:50 On ne sait absolument pas de façon précise,
09:52 on estime, mais on ne sait pas de façon précise
09:54 le nombre de billets, quelle que soit la coupure là-dessus.
09:57 Et c'est ça qui est important dans tout ça,
09:59 c'est qu'aujourd'hui, ça change,
10:01 et donc, on pourrait à la limite avoir ça
10:03 au niveau de la zone euro, et encore.
10:05 - Comment ça se passe concrètement pour la Banque Centrale Européenne,
10:09 puisque je comprends bien que ce sont les banques nationales,
10:11 domestiques avant tout, qui émettent,
10:14 physiquement, la monnaie, les billets,
10:17 la BCE, elle n'émet pas ?
10:19 - Non, en fait, c'est social, on va dire ça comme ça.
10:22 Entre guillemets, elle n'est pas opérationnelle,
10:26 je mets des guillemets, je prends mes guillemets là-dessus,
10:28 c'est qu'en fait, il a été admis que,
10:31 sur l'ensemble des revenus,
10:34 tirés du chèneriage,
10:37 ça remonte à la BCE,
10:40 sur ces 100, la BCE gagne 8%.
10:44 Et après, ce qui se passe,
10:47 c'est qu'on va répartir les 92 en fonction de la clé en capital,
10:52 la BCE, c'est-à-dire par exemple la France,
10:54 elle a une certaine part de, admettons, 20%.
10:57 - La participation que vous avez à la BCE.
11:00 - Exactement, et c'est ça qui est très important,
11:02 parce qu'il y a des pays, nous, on ne se pose pas de questions,
11:04 on arrive, mais il y a des pays, par exemple,
11:06 qui ont plus d'entrées de billets que d'émissions,
11:08 ce qu'elles peuvent fabriquer.
11:10 Par exemple, souvent, la façade Est,
11:13 souvent, les billets rentrent par l'Autriche,
11:15 qui se trouve avec beaucoup de billets,
11:16 et pas assez d'émissions nationales.
11:18 Donc, ce qu'on fait, c'est qu'on mutualise l'ensemble,
11:20 on va dire, de toutes ces, je dirais,
11:22 de ces revenus de chèneriage,
11:24 et après, c'est en fonction de la clé en capital
11:26 que ça se passe.
11:28 - Est-ce qu'on compte toujours les billets à la main
11:30 dans les succursales de la Banque de France,
11:31 sur le territoire ?
11:32 Ça, c'est une histoire qu'on va raconter.
11:34 - Non, l'idée, l'idée, non, non, on ne compte pas.
11:37 - Parce que du coup, c'est important.
11:39 - Non, non, ce qui est très important,
11:41 d'abord, ce qu'il faut bien voir,
11:43 c'est que, de manière générale,
11:44 la finance suit la technologie, OK ?
11:46 Donc, ce qu'il faut voir, c'est que les billets,
11:49 bien sûr, c'est compté, on va dire, en machine,
11:53 et bien sûr, ce qu'il faut bien voir,
11:55 c'est que le travail de la Banque centrale
11:57 c'est d'assurer, c'est une démission qui...
11:59 On parle souvent, oui, une démission de la Banque centrale,
12:01 c'est d'émettre des billets,
12:03 mais c'est aussi de s'assurer de la qualité du billet,
12:05 de telle manière que, à la limite,
12:07 c'est pas que je vous fais un scoop,
12:10 mais dès lors que vous avez un billet usagé,
12:12 méfiez-vous s'il n'a pas été contrefait.
12:14 Mais par contre, la qualité, il doit être craquant,
12:16 et donc c'est ce qui est très important.
12:18 - Eh oui, productrice de monnaie,
12:20 jusque à émettre, effectivement, les billets,
12:23 les cortifier, s'en occuper,
12:26 c'est 11 ans la durée d'huile d'un billet en moyenne ?
12:28 - A peu près, bien sûr.
12:29 Après, l'idée, c'est selon...
12:31 C'est-à-dire que le billet de 500 ou de 200 qui se circule...
12:33 - Il peut vivre un peu plus longtemps, j'ai compris.
12:35 - Mais en moyenne, voilà.
12:36 Vous voyez, souvent, le billet de 5,
12:38 c'est un rendu de monnaie, il est souvent usé,
12:40 et donc il est vite remplacé.
12:42 - Merci beaucoup, Michel, de nous avoir éclairé
12:44 sur la manière dont les banques centrales
12:46 gagnent de l'argent à travers l'émission
12:48 des billets de banque, notamment.
12:49 Michel Rumi, économiste associé de SPAC,
12:51 avec nous chaque dernier vendredi du mois
12:53 dans Smart Bourse sur Bismarck.
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