Lundi 18 décembre 2023, SMART BOURSE reçoit Pierre-Yves Dugua (Correspondant américain)
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00:00 Le dernier quart d'heure de Smartbourg, chaque lundi 17h45 en direct et à retrouver en replay
00:09 sur bsmart.fr, c'est le quart d'heure américain et c'est l'occasion de retrouver Pierre-Yves
00:13 Dugas, notre correspondant américain avec nous en visio.
00:16 Bonsoir et bienvenue Pierre-Yves.
00:17 Merci beaucoup.
00:18 Petit cours de méthodologie sur la manière dont fonctionne la réserve fédérale américaine
00:24 et la manière dont fonctionnent notamment certains de ces outils qui sont des outils
00:28 de communication importants, on l'a vu encore mercredi dernier avec le FOMC, la conférence
00:34 de presse de Jérôme Poel.
00:35 On se focalise avec vous Pierre-Yves et c'est un rappel nécessaire, vous avez raison, sur
00:39 ce fameux dot plots de la réserve fédérale américaine.
00:43 Moi je le traduis en français comme nuage de points mais je trouve que ce n'est pas
00:47 très joli et surtout pas très parlant.
00:48 Nuage de points qui sont effectivement les différentes projections de chacun des membres
00:55 du FOMC sur la course des taux directeurs de la Banque Centrale sur les prochaines années.
01:01 Voilà, alors c'est une idée de Ben Bernanke qui a été mise en place en 2012, à l'époque
01:11 la réserve fédérale essayait de maximiser l'effet qu'elle pouvait tirer de la communication
01:18 pour influencer le marché.
01:20 Et Ben Bernanke s'est dit nous allons publier sous forme graphique mais de manière anonyme
01:27 les anticipations des Fed Funds sur trois années et mettre ça sur un graphique de
01:36 manière à envoyer un signal au marché sur ce que nous nous projetons.
01:41 Je crois que c'était une excellente idée en 2012 mais il me semble que ce n'est plus
01:48 une bonne idée en 2023 alors que l'on bascule vers 2024.
01:53 D'ailleurs vous observerez que à nouveau depuis la réunion du comité monétaire de
01:59 la Fed de la semaine dernière, nous avons une succession d'interventions de membres
02:04 du comité monétaire qui font du rétro-pédalage pour envoyer au marché un signal contraire
02:11 à celui de cette précipitation qui a fait encore chuter les rendements obligataires.
02:18 Je crois qu'en 2012, Bernanke avait raison de compter sur ces "Dodd plots", sur ces
02:22 nuages pour préparer le marché à l'abandon de l'assouplissement quantitatif et donc
02:30 à une remontée de taux et qu'aujourd'hui on est dans la situation inverse où on veut
02:36 préparer le marché à une baisse de taux et que le marché est trépigne d'impatience
02:41 et va trop vite et trop loin et est en train de surinterpréter ces "Dodd plots".
02:46 En fait, je crois que ces "Dodd plots" nous envoient simplement non pas une projection,
02:53 non pas une promesse, non pas un engagement à baisser les taux.
03:01 Je suis absolument choqué de voir que dans les secondes qui suivent la publication du
03:06 comité monétaire de la Banque centrale américaine, on l'a vu la semaine dernière, les grands
03:11 titres, tant sur les dépêches que dans les grands journaux sérieux, ont été de dire
03:19 "la Fed nous donne le signal de trois baisses de taux en 2024".
03:24 Non, non.
03:25 D'ailleurs, toute la communication verbale depuis, y compris 30 minutes plus tard par
03:31 Jérôme Paron, allait dans le sens inverse.
03:34 Nous restons "data dependent", nous n'avons pas décidé de la date de la baisse de taux,
03:40 nous ne discutons pas de baisser les taux.
03:43 A priori, nous estimons qu'il n'y aura plus de majoration de taux, mais on en reste
03:49 là pour longtemps.
03:50 Nous n'excluons pas une nouvelle majoration de taux si les données relatives à l'inflation,
03:57 à l'emploi et à la croissance et au policy mix se révélaient en janvier, février ou
04:02 mars, contraire à ce que nous imaginons aujourd'hui.
04:06 Le nuage de points, c'est magnifique pour nous donner une idée de ce qui se passe dans
04:10 la tête des membres du comité monétaire à l'instant T, mais ce nuage de points vieillit
04:16 très vite.
04:17 Rappelez-vous, le 20 septembre dernier, on sort du comité monétaire de la Fed et même
04:24 chose, ah voilà, ça y est, les dates plots nous indiquent qu'il y a encore une majoration
04:29 de taux qui va intervenir probablement au mois de décembre.
04:32 Ben non, il n'y a pas eu de majoration de taux en décembre.
04:35 Du 20 septembre à la mi-décembre, les perceptions et les signes donnés par la conjoncture américaine
04:42 ont changé et la Fed s'est adaptée.
04:45 Arrêtons de surinterpréter ces dates plots, on risque de se tromper.
04:51 Un problème nouveau, c'est vrai que le marché regarde la médiane, je ne sais plus, je crois
04:57 qu'il y a 17 participants peut-être au sein du FOMC, il y a des membres votants et des
05:01 membres non votants également qui participent et qui ont le droit, je crois, de projeter
05:05 également leur niveau de taux directeur, je parle sous votre contrôle Pierre-Yves.
05:09 En tout cas, le marché regarde la médiane de la trajectoire et part de l'idée que
05:13 ça va être le chemin de la politique monétaire naturelle pour la réserve fédérale américaine.
05:17 Alors quand tout le monde, quand les points sont très concentrés, pourquoi pas ? Mais
05:22 là il faut regarder la dispersion qu'on a autour de cette médiane et autour de cette
05:27 moyenne et c'est encore une dispersion énorme qu'on a sur les prochaines années.
05:30 Et oui, alors cette dispersion c'est un souci de la part de tout président du Conseil des
05:36 gouvernants de la Fed parce que n'oubliez pas que le patron de la Fed, il a deux objectifs.
05:42 Un, décider, je parle uniquement de la politique monétaire, pas de la réglementation bancaire.
05:48 Il a un objectif de décider du prix de l'argent, en gros essentiellement la plupart du temps
05:54 du niveau des Fed Funds, mais il a aussi à obtenir le maximum de consensus possible parce
06:02 que dès qu'il y en a un sur les 19, normalement ils sont 19, ils sont 17 je crois en ce moment,
06:08 s'il y en a un ou deux qui commencent à sortir du consensus, en soi cela représente
06:12 un signal pour le marché en disant "ah ah, ils ne sont pas d'accord, ils hésitent,
06:16 on va basculer, on ne va pas basculer, on est fait pour ça".
06:19 Je viens de voir Austin Goolsbee, l'ancien conseiller économique de Barack Obama, qui
06:25 est maintenant président de la réserve fédérale de Chicago, dire qu'il ne comprend pas très
06:29 bien la réaction du marché depuis mercredi dernier.
06:34 Loretta Mester, présidente de la réserve fédérale de Cleveland, dit la même chose.
06:38 Vendredi c'était le patron de la Fed de New York qui disait ça, mais comment suit-il
06:42 qu'on s'emballe ? Effectivement on s'emballe, on regarde les marchés des futures et on
06:46 voit que plus de 80% maintenant de probabilité est donné à une première baisse de taux
06:51 par la Fed dès le mois de mars.
06:53 Comment peut-on être à ce point convaincu que le pivot a été largement acté alors
07:01 que tout dans les paroles prononcées par les responsables de la Fed vont au contraire
07:05 dans le sens de "ok probablement plus de majoration, mais le moment n'est pas venu
07:11 de parler de baisse".
07:13 On a toujours l'envie de "jump the gun", c'est-à-dire de partir avant.
07:18 Oui, alors j'ai lu Loretta Mester dans le FT qui n'est pas une tendre au sein du
07:22 comité de politique monétaire.
07:24 Elle dit que les marchés sont un peu "a bit ahead", ils sont un peu devant effectivement,
07:29 mais elle dit "moi je fais partie des banquiers centraux américains qui ont mis trois baisses
07:32 de taux pour 2024".
07:34 Jérôme Poel, le 1er décembre, il nous dit "prématuré de spéculer sur des baisses
07:38 de taux", le 13 décembre, après un communiqué du FOMC qui est déjà doviche à travers
07:43 les dots, à prendre avec du recul, dans la conférence de presse, tout du long de A à
07:49 Z, il endosse l'idée de baisses de taux à venir.
07:52 Des baisses de taux sont en vue, nous avons bien conscience du risque de rester à des
07:57 niveaux de taux élevés pour trop longtemps.
07:59 On était dans le "higher for longer" il y a encore 15 jours précédents.
08:03 Donc j'allais dire, je me mets un peu du côté du marché, Pierre-Yves c'est mon
08:07 rôle, mais au-delà des dots, c'est au-delà de la distance qu'il faut prendre avec les
08:11 outils de communication, il y a quand même une communication du capitaine du navire qui
08:15 laisse entendre que oui, le pivot arrivera en 2024, pour de bonnes ou de mauvaises raisons,
08:20 parce que l'inflation sera plus basse et que la croissance économique sera encore là,
08:24 ou pour des mauvaises raisons, parce que peut-être qu'on aura un accident sur la croissance
08:27 économique.
08:28 Alors là, je suis absolument d'accord avec vous.
08:33 D'abord, c'est pas parce que le nuage de points peut trahir les intentions de la Fed
08:37 que par ailleurs, d'autres modes de communication, en particulier cette façon qu'à Jerome
08:42 Powell semble-t-il d'improviser, n'intervient pas aussi pour troubler, voire pour trahir
08:51 les intentions du comité monétaire de la Fed.
08:53 J'étais un petit peu surpris de ce ton extrêmement conciliant de Jerome Powell, d'où ce rétro-pédalage
09:02 de au moins trois présidents de la Fed, et je ne serais pas surpris qu'on en ait d'autres
09:07 au cours des prochaines heures.
09:09 Vous savez, on ne sort de l'ambiguïté qu'à son détriment, et j'aime toujours reprendre
09:16 cette citation que l'on attribue à Alan Greenspan, si vous avez compris ce que je
09:20 vous ai dit, c'est que je me suis mal exprimé.
09:22 À vouloir être trop transparent, la Fed a quelque chose à perdre dans sa manière
09:30 d'influencer le marché, il ne faut pas trop en dire, surtout quand ce que l'on commence
09:36 à dire peut être mal interprété ou surinterprété.
09:39 Oui, il y a ce concept d'ambiguïté constructive dans la communication des banques centrales
09:45 qui a été mise en avant, c'était sous Mario Draghi, mais également sous d'autres
09:49 à la réserve fédérale américaine.
09:50 Je me souviens également que Janet Yellen s'était interrogée publiquement sur le
09:55 bien fondé de publier tous les trois mois les dots des différents membres du FOMC.
10:00 C'est une discussion qui avait déjà eu lieu de mémoire, bon, visiblement pour l'instant
10:05 les dots sont toujours là et sont là pour rester, Pierre.
10:09 Il nous reste assez peu de temps pour conclure, mais je trouve que ça va bien dans cette
10:13 idée-là.
10:14 Toujours se méfier du consensus, se méfier de la médiane des dots pour la réserve fédérale
10:19 américaine, mais plus généralement se méfier des consensus économiques, de marché, voire
10:25 politique, en prévision de 2024.
10:27 Le consensus c'est quelque chose d'éprouvantable.
10:30 C'est quelque chose d'abord d'extrêmement pratique parce qu'on est à l'aise quand
10:34 tout le monde est d'accord.
10:35 Quand on sort du lot, on vous demande des comptes.
10:39 Ensuite, quand on est dans le consensus et qu'on se trompe, on peut dire "je me suis
10:43 trompé mais on s'est tous trompés".
10:44 Le problème dans les affaires boursières c'est ce qu'on appelle en anglais "the
10:48 crowded trade".
10:49 Quand tout le monde a fait le même pari et s'aperçoit au même moment que c'est
10:53 un mauvais pari, à ce moment-là, il y a des coûts d'accordéon terribles, à la
10:57 hausse ou à la baisse.
10:58 Donc, miser systématiquement sur le consensus en matière boursière, ça peut être extrêmement
11:03 dangereux, extrêmement pénalisant.
11:05 En matière politique, n'en parlons pas.
11:07 Le consensus c'est quoi aujourd'hui ? C'est qu'on va avoir un atterrissage en
11:12 douceur en 2024.
11:13 Enfin, il y a un an, le consensus c'était qu'on aurait une récession et puis on
11:17 l'a pas eu.
11:18 Ensuite, ça a été "attendez, on va avoir une récession mais elle va être shallow,
11:21 elle va être légère, elle va être peu profonde".
11:24 Bon, le consensus au mois d'octobre c'était que le marché obligataire américain, en
11:30 particulier les taux longs, ça n'allait pas du tout.
11:32 La crédibilité du Trésor, c'était pas ça.
11:34 Il y avait trop d'inflation aux Etats-Unis, il y avait des shutdowns à répétition,
11:38 il y avait cette histoire de plafond de la dette.
11:40 Tout ça a fait s'envoler en octobre les rendements des taux longs américains et
11:44 puis coûts d'accordéon dans l'autre sens.
11:46 On est passé d'un rendement de 5% en octobre à 3,9% aujourd'hui parce que le consensus
11:53 a changé.
11:54 Méfions-nous de ce consensus.
11:55 En matière politique, le consensus c'est quoi aujourd'hui ? C'est qu'on aura Trump
11:59 contre Biden.
12:00 Oui, peut-être, oui, mais on peut avoir une triangulaire.
12:04 Biden peut avoir un accident cardiaque.
12:07 Trump peut finalement dégoûter pas mal de républicains dans les primaires.
12:11 On n'est pas à l'abri d'une surprise désagréable pour M.
12:15 Trump.
12:16 Le consensus repose souvent sur des considérations raisonnables, mais il n'est pas interdit
12:22 de remettre en cause certaines de ses hypothèses.
12:24 On a hâte de voir ce que 2024 nous réserve, une fois qu'on a dit ça, Pierre-Yves, et
12:30 quels sont les éléments qui sortiront ou non du consensus et des consensus qui sont
12:34 formés en ce moment sur la partie macro, sur la partie marché et sur la partie politique
12:39 puisque je rappelle que le calendrier électoral sera intense.
12:42 On commence 2024 avec l'élection à Taïwan et on va la terminer quasiment avec l'élection
12:46 d'Astral en novembre prochain.
12:48 Merci beaucoup Pierre-Yves, on va tous réfléchir au consensus pendant la période des fêtes
12:52 de fin d'année.
12:53 On vous retrouve en janvier bien sûr en 2024, Pierre-Yves, vous serez toujours avec nous
12:58 pour ce quart d'heure américain de début de semaine.
13:00 Pierre-Yves Dugas qui était avec nous en visioconférence, à retrouver bien sûr Henri
13:04 Pley sur Bismarck.fr.
13:05 Merci.