Minelli, Kookaï, Pimkie... pourquoi s'est-on détourné de ces enseignes ?

  • il y a 9 mois

Category

🗞
News
Transcription
00:00 6h39, les matins de France Culture, Guillaume Erner.
00:06 Marguerite Caton, je vous salue.
00:08 Bonjour Guillaume, bonjour à tous.
00:10 Le nouveau Premier ministre en tout cas vous inspire.
00:12 Oui, en convoquant les classes moyennes dans son discours de passation de pouvoir à Matignon.
00:17 Des classes moyennes qui travaillent, qui financent les services publics, le modèle
00:21 social mais qui doutent.
00:22 Et bien, Gabriel Attal a mis le doigt sur une passion française.
00:25 Celle d'un idéal de société égalitaire qui se fragilise de crise en crise.
00:30 Et cela m'a inspirée, oui, car je veux voir dans la disparition de tout un pan de
00:34 la mode française, de tout le moyen de gamme, dans la liquidation de Minnelli, Koukaï,
00:39 Pimki et j'en passe, la preuve de cette fragilisation de la classe moyenne.
00:43 Pour savoir comment vont les Français, M.
00:46 Attal, regardez où ils s'habillent, observez leurs vêtements.
00:49 Bonjour Gilles Damainviel.
00:50 Bonjour.
00:51 Vous êtes directeur de l'Observatoire économique de l'Institut français de la mode.
00:55 Est-ce qu'il est possible, peut-être pas, de lister mais au moins de donner un aperçu
00:59 des différentes enseignes en difficulté ?
01:00 Alors, les enseignes en difficulté malheureusement ont beaucoup touché les enseignes historiques
01:06 françaises, vous l'avez dit, du milieu de gamme.
01:08 Ça ne veut pas forcément dire, et on en parlera peut-être, que le milieu de gamme
01:12 est condamné.
01:13 Mais c'est vrai que ces enseignes-là ont particulièrement souffert.
01:16 On pense à la fermeture emblématique fin 2022 des magasins camailleux.
01:21 C'est la chaîne spécialisée du vêtement féminin la plus importante en France.
01:26 S'est-on évalué le nombre d'emplois menacés ou perdus ? Vous parlez de camailleux, c'était
01:31 2600 personnes.
01:32 Là on a Minnelli, Pimki, Jennifer, Sandmarina, Burton Caporal.
01:37 Est-ce qu'on a une idée ?
01:38 Difficile de répondre à cette question parce qu'il y a des choses qui sont en cours.
01:42 Mais on peut penser qu'au minimum c'est 5000 emplois qui sont menacés.
01:47 Et c'est très important dans l'écosystème de la mode parce que, comme vous le savez,
01:51 aujourd'hui il y a davantage d'emplois dans le commerce, dans la distribution que dans
01:54 l'industrie en France, dans l'écosystème de la mode.
01:57 Oui, c'est-à-dire qu'on avait déjà perdu des emplois de l'industrie textile et maintenant
02:00 c'est la vente qui est touchée.
02:03 Alors, West France a publié hier une enquête.
02:05 Le journal parle de 45 900 emplois disparus dans le prêt-à-porter.
02:10 Alors depuis 2010, depuis 2020, ils chiffrent ces nombres d'emplois disparus à 7500 rien
02:16 que pour ce début d'année 2024.
02:18 Il y a 387 pour la suppression de postes chez Minnelli, 75 chez Jennifer, 257 chez Pimcky,
02:24 800 pour l'enseigne Chausse-Expo.
02:26 Est-ce qu'il y a peut-être un problème de gestion à pointer pour commencer ?
02:30 C'est la conjonction de plusieurs éléments qui peuvent expliquer ce phénomène.
02:36 La gestion c'est très important.
02:38 Il faut effectivement observer qu'on a des enseignes qui ont des belles performances.
02:44 Il faut parler aussi des trains qui arrivent à l'heure.
02:47 Il y a des exceptions positives.
02:49 Effectivement, derrière ces exceptions positives, on y voit aussi une gestion solide des investissements,
02:57 une vision de long terme.
02:59 Alors que peut-être depuis la chute et le démantèlement du groupe Vivarté, on était
03:05 plutôt habitué à une gestion chaotique avec des grands coups de barbe à bord, tribord,
03:10 sans forcément penser au long terme et en cherchant la rentabilité court terme.
03:15 Ça fait beaucoup de mal au secteur.
03:17 On appelle généralement, vous l'avez dit, ce segment le milieu de gamme.
03:20 Gilles Damainviel, qu'est-ce qu'on désigne précisément par ce terme ?
03:23 Et puis, quel était le profil des acheteurs ?
03:25 Alors le milieu de gamme, on peut penser emblématiquement aux gros cylindrés qui,
03:31 elles, n'ont pas de difficultés.
03:32 Zara, H&M, Uniqlo par exemple, ce sont des grands groupes internationaux qui affichent
03:36 des belles performances, y compris à l'international.
03:39 Et ça, c'est très important.
03:41 Emblématiquement, comme je l'ai dit, en France, on pense à Camailleux, Promod, Pimki,
03:46 des enseignes qui se sont développées en fait fin des années 90, année 2000.
03:50 Elles s'adressent à une population, vous l'avez évoqué, je pense que la réflexion
03:55 est pertinente, les classes moyennes.
03:58 Et les fondamentaux de l'économie ne sont pas forcément bons pour les classes moyennes.
04:03 Lorsqu'on observe les choses à une période moyen terme, long terme, on voit un avant
04:09 et un après crise des subprimes.
04:11 La crise des subprimes, ça peut paraître loin, mais finalement, on la ressent, 2008,
04:16 on la ressent encore aujourd'hui, puisque l'évolution du pouvoir d'achat depuis 2007-2008,
04:21 elle est pratiquement stable.
04:22 Elle progresse à peine entre 0 et 0,5%, alors qu'avant, on avait coutume de voir le pouvoir
04:28 d'achat progresser de 2%.
04:30 Donc les catégories socioprofessionnelles qui sont fragiles, effectivement, sont particulièrement
04:36 touchées et il y a une nouvelle façon de consommer, puisque ces catégories-là ont
04:41 la possibilité d'avoir accès à une offre de tout petit prix avec un paysage concurrentiel
04:47 qui s'est beaucoup modifié, de nouveaux acteurs, Chiine, Temo, etc.
04:50 Dans l'alimentaire, les Aldi Lidl qui s'intéressent aussi aux vêtements.
04:54 Bref, c'est difficile pour les enseignes historiques françaises de rivaliser dans
04:59 un contexte tel que celui-là.
05:01 - Si on reste sur les consommateurs, ces classes moyennes se sont déportées en fait vers
05:06 la mode à petit prix, le low cost.
05:08 C'est vraiment vers des enseignes moins chères qu'ils sont allées ?
05:10 - Alors, les classes moyennes ont la possibilité, effectivement, et l'inflation, ça a été
05:15 un élément très important aussi, puisqu'on revoit ces arbitrages quand on est consommateur.
05:19 Pour faire face aux hausses de prix dans l'alimentaire, on va peut-être différer ces achats de mode,
05:24 voire les supprimer.
05:25 Et donc, les classes moyennes ont effectivement plutôt tendance, par nécessité, c'est
05:30 une consommation de crise, à se tourner vers les petits prix.
05:33 Il y a des enseignes françaises qui fonctionnent bien sur ce segment de marché.
05:37 Et puis, il ne faut pas oublier la seconde main aussi, puisque le moteur premier qui
05:42 est cité par les consommateurs lorsqu'ils achètent de la seconde main, c'est le prix.
05:46 Les critères des co-responsabilités sont importants, mais le prix arrive en premier.
05:50 - Est-ce qu'on observe aussi un effet spatial, peut-être une bascule du centre-ville vers
05:55 la périphérie dans la consommation et l'achat de vêtements ?
05:57 - La géographie est importante.
05:59 Vous avez raison.
06:01 La question du centre-ville, de l'animation du pays, de manière générale, c'est quelque
06:09 chose de très important.
06:10 Les chaînes spécialisées milieu de gamme, traditionnellement, étaient plutôt en centre-ville.
06:14 Et en région, il y a des centres-villes qui sont un petit peu abandonnés, d'une certaine
06:18 façon, au profit de la périphérie.
06:20 Et ce sont plutôt des modèles de grande distribution, avec des grandes surfaces, qui s'adressent
06:26 à l'homme, la femme, l'enfant, qui ont plutôt la faveur des consommateurs, alors
06:30 que le centre-ville est en difficulté.
06:31 Le tout, bien sûr, accompagné par la montée en puissance d'Internet, où là, il n'est
06:37 question ni de centre-ville ni de périphérie, mais on peut faire, comme vous le savez,
06:40 ses achats chez soi.
06:42 - Véhissement, paupérisation et périphérisation, je ne sais pas si ça se dit, des achats avec
06:48 la classe moyenne, c'est ce qu'on observe.
06:49 Est-ce que cette difficulté du moyen de gamme risque d'affecter le secteur supérieur,
06:55 du « luxe accessible premium » ?
06:58 - Le segment du « luxe accessible premium » s'adresse à des populations qui ont un
07:04 pouvoir d'achat moins fragilisé.
07:07 Mais vous avez raison, on peut penser que cette crise, finalement, va peut-être aller
07:15 au-delà des classes moyennes, parce que ce qu'on observe sur la période récente,
07:21 c'est que le taux d'épargne des Français a beaucoup progressé.
07:23 Donc on peut très bien imaginer certains foyers qui disposent d'un revenu confortable,
07:29 mais qui choisissent de moins consommer et qui choisissent plutôt d'épargner davantage
07:34 dans un contexte difficile, qui est celui qu'on connaît depuis Covid, inflation, etc.
07:39 Donc l'épargne se fait au détriment de la consommation et, par définition, qui épargne,
07:44 ce sont plutôt les CSP, les classes sociales favorisées.
07:48 - Merci beaucoup Gilles D'Aminviel d'être venu nous éclairer ce matin.
07:52 On comprend Pim Kimm, Minéli Koukai, c'est la disparition d'une histoire française et
07:57 d'une histoire sociale.
07:58 Je rappelle que vous êtes directeur de l'Observatoire économique de l'Institut français de la
08:01 mode.

Recommandations