• l’année dernière
L'invité des Matins de France Culture.
Comprendre le monde c'est déjà le transformer(07h40 - 08h00 - 4 Septembre 2023)
Retrouvez tous les invités de Guillaume Erner sur www.franceculture.fr

Category

🗞
News
Transcription
00:00 *Générique*
00:06 France Culture va plus loin, c'est la rentrée des classes.
00:08 Jusqu'ici, rien ne change, les cahiers, les agendas, les emplois du temps, les devoirs.
00:13 Mais ce matin, je veux recevoir deux invités qui font changer l'école.
00:19 Tout d'abord, Marie-Laure Viau, bonjour.
00:22 Vous êtes spécialiste des pédagogies alternatives.
00:26 Entre nouvelles méthodes d'apprentissage et pédagogie justement inédites,
00:31 nous vous proposons de réfléchir ce matin à ce qu'est une bonne école.
00:36 Et si celle-ci est possible, bonjour Marie-Laure Viau.
00:39 *Bonjour*
00:40 Changer l'école, une nouvelle école est possible, c'est l'ouvrage que vous publiez aux éditions.
00:45 Nathan, mais auparavant, j'aimerais vous faire réagir à ce que disait Catherine Dutudançat.
00:50 Revue de presse internationale, elle évoquait la pression qui pesait sur les enseignants en Corée du Sud
00:56 en France. Comment justement qualifier cette pression ?
01:00 *En France, c'est quelque chose de différent.
01:02 Alors c'est certain qu'il y a un malaise des enseignants.
01:04 Ça, il y a de moins en moins d'enseignants qui se présentent au concours, etc.
01:09 Patrick Rayou, il a une bonne explication là-dessus.
01:12 C'est un sociologue de l'école.
01:13 Il parle de travail empêché.
01:14 Il dit que les enseignants voudraient travailler d'une certaine façon,
01:18 mais qu'ils n'ont pas les moyens de le faire.
01:20 Et qu'en fait, c'est ça qui crée leur malaise.
01:22 Et c'est quelque chose que j'observe sur le terrain.
01:23 Les enseignants qui veulent travailler autrement, par exemple, disent qu'ils ne peuvent pas le faire.
01:29 *Travailler autrement, c'est effectivement le souhait d'un certain nombre d'enseignants,
01:35 mais aussi d'un certain nombre d'élèves.
01:38 Pourquoi faudrait-il changer l'école aujourd'hui ?
01:40 Pourquoi cette vogue ?
01:41 Marie-Laure Viau, de nouvelles pédagogies, de nouvelles tentatives dans ce domaine ?
01:47 *Alors c'est sûr que l'école ne remplit pas bien aujourd'hui les missions qui sont les siennes.
01:51 Dans tous les domaines.
01:52 On le voit au niveau de la transmission des connaissances,
01:57 où il n'y a pas les niveaux qu'on attendrait qui sont atteints.
02:01 On le voit au niveau du bien-être.
02:03 On peut prendre un chiffre, il y a 71% des élèves qui s'ennuient au collège.
02:07 Et puis surtout pour la formation des citoyens.
02:09 *Mais ça, est-ce que c'est quelque chose de nouveau, le fait que les élèves s'ennuient au collège ?
02:15 *C'est quelque chose qui est devenu plus difficile
02:18 avec le fait que les nouvelles technologies aient rendu les connaissances accessibles en quelques clics.
02:23 Avant, c'était en baisse d'année en année,
02:27 mais il y avait quand même un prestige de l'enseignant,
02:29 parce que l'enseignant était la personne qui avait le savoir.
02:32 Et maintenant que le savoir est partout,
02:34 et que le mode de transmission des connaissances n'a pas changé,
02:37 c'est-à-dire que ça reste l'enseignant qui parle face à 30 élèves
02:40 qui sont relativement silenciés en fin du monde,
02:43 l'enseignant l'espère et qui écrive et qui font des exercices.
02:47 Ça, c'est devenu insupportable, surtout au collège.
02:50 *L'enseignant vient de nous rejoindre, Jérémie Fontanieux, bonjour.
02:55 *Bonjour.
02:55 *Vous êtes professeur de lycée à Drancy.
02:58 *On évoquait la pression qui pèse sur les enseignants en période de rentrée.
03:03 *Qu'est-ce que vous en diriez, vous qui êtes enseignant ?
03:06 *Je pense que ce que moi je vis sur le terrain,
03:09 *et que beaucoup de professeurs vivent,
03:11 *rejoint complètement ce que Marilyn a décrit dans ses travaux,
03:16 *c'est-à-dire ce sentiment d'impuissance-là,
03:18 *comme elle l'évoquait à l'instant,
03:20 *la posture du professeur ou de la professeure seule face aux élèves
03:26 *qui, de façon magique, peut parvenir à les mettre tous au travail
03:31 *et à faire naître en eux la volonté de se battre à l'école et de réussir.
03:36 *Je pense que c'est ennuyeux pour les enfants,
03:38 *ou c'est pénible pour les enfants,
03:39 *et c'est pénible pour les professeurs aussi,
03:41 *parce que ça fait reporter d'une certaine manière sur nos épaules
03:45 *toutes les responsabilités.
03:47 *Et c'est vrai qu'il y a beaucoup de souffrance ou de colère chez les enseignants,
03:51 *parce que je pense qu'il y a chez nous,
03:54 *qui avons décidé de devenir enseignants,
03:58 *il y a très peu de...
03:59 *Moi je suis à Drancy, je suis entouré de collègues qui...
04:02 -Drancy, donc, dans la banlieue parisienne.
04:04 -En Seine-Saint-Denis, dans des conditions de travail qui ne sont pas faciles,
04:08 *avec des collègues qui, pourtant, sont très impliqués,
04:12 *un grand nombre d'entre eux ont eu la vocation.
04:15 *Il y a un amour du métier qui est considérable,
04:16 *et dans le même temps, le sentiment de ne pas être du tout écouté,
04:20 *de ne pas être respecté avec...
04:22 -Donnez-nous des exemples, Jérémie Fontagneux,
04:25 *de ce que cela veut dire, ne pas être écouté,
04:29 *ne pas être entendu.
04:30 -Je pense que vous savez qu'il y a une pénurie d'enseignants
04:33 *qui était apparue médiatiquement l'année dernière,
04:36 *qui se confirme cette année.
04:38 *Le nombre de candidats est en forte baisse.
04:41 *Il y a un marasme, concrètement,
04:44 *si vous voulez, c'est par exemple le fait que le pouvoir d'achat des professeurs
04:47 *est diminué de 30% depuis 40 ans,
04:49 *et que le pouvoir politique propose, en réponse à cela,
04:53 *de nous augmenter à condition que nous fassions des tâches supplémentaires.
04:57 *Il y a une sorte de mépris derrière ça,
05:00 *derrière l'idée, en quelque sorte, que les professeurs ne travaillent pas assez,
05:03 *ou que les professeurs seraient toujours en vacances,
05:06 *enfin, vous voyez les clichés un peu habituels,
05:08 *qui, du coup, paralysent complètement nos capacités d'action,
05:12 *qui, par ailleurs, sont considérables,
05:14 *parce que, encore une fois, les professeurs ont décidé de faire ce métier-là,
05:17 *mais, en quelque sorte, tant qu'il n'y a pas un climat de confiance
05:20 *et un sentiment de reconnaissance qui, aujourd'hui, n'existe vraiment pas,
05:23 *les professeurs ne peuvent pas parvenir à réaliser leur mission.
05:27 -Et parmi ces professeurs, Marie Lorvio,
05:31 il y a de plus en plus d'enseignants qui souhaitent appliquer,
05:35 qui expérimentent déjà de nouvelles pédagogies.
05:38 Alors, ces nouvelles pédagogies, elles sont nombreuses.
05:41 Il y a, bien sûr, la méthode Montessori, les méthodes Steiner, Freinet...
05:47 Peut-être quelques mots sur ces différentes tentatives pour changer l'école.
05:51 -Alors, toutes ces pédagogies, elles ont en commun de partir des intérêts de l'élève,
05:56 de partir de leur questionnement, de vouloir respecter ses besoins, ses rythmes,
05:59 développer l'autonomie, la responsabilité, évaluer autrement aussi,
06:03 évaluer en valorisant les réussites.
06:05 Elles ont aussi en commun qu'elles considèrent que si l'élève ne réussit pas,
06:09 ce qu'il faut mettre en cause, c'est la façon d'enseigner.
06:12 Ce n'est pas les capacités de l'élève.
06:14 Pas dire "il n'a pas fait assez d'efforts", "il n'a pas assez travaillé", etc.
06:18 Après, elles sont aussi assez différentes les unes des autres.
06:20 On a tendance, en France, à considérer Freinet, Montessori comme un tout,
06:24 et les autres pédagogues, alors qu'en fait, il y a pas mal de lignes de clivage entre elles.
06:28 -Justement, j'aimerais quelques mots de définition pour ces méthodes.
06:33 -Alors, ces lignes de clivage, elles sont à la fois pédagogiques,
06:37 elles sont en termes de public accueilli, elles sont en termes de projet social,
06:40 ce n'est pas quelque chose de simple.
06:42 En termes pédagogiques, il y a une différence,
06:44 notamment entre Freinet et Montessori, qui sont les plus connus en France,
06:47 sur ce qui motive l'enfant.
06:49 Pour Freinet, ce qui motive l'enfant, c'est de travailler sur un projet réel,
06:53 une situation vraie.
06:55 Par exemple, on va faire un journal,
06:56 et du coup, il y aura une motivation pour ça, pour communiquer avec l'extérieur.
07:00 Pour Montessori, ce qui motive l'enfant, c'est
07:03 de faire un travail exactement,
07:07 dont l'enfant a exactement besoin à ce moment-là de son développement.
07:12 Du coup, on est sur des classes toujours multi-âge,
07:15 on est sur un matériel en libre accès,
07:17 avec beaucoup de manipulations, et chaque enfant peut choisir son matériel.
07:21 Et c'est, donc voilà, l'accord sur ce qui va motiver l'enfant n'est pas le même.
07:26 -Marie Lorvio, on a l'impression que dans ces différentes méthodes,
07:30 ce qui prédomine, c'est le fait que l'enfant a le choix.
07:32 Est-ce que c'est le cas ?
07:35 -Oui, dans toutes ces pédagogies, l'enfant fait des choix.
07:40 -C'est-à-dire qu'on le laisse libre de faire ce qu'il veut faire,
07:46 ou c'est une caricature de dire ça ?
07:48 -Non, c'est une caricature, mais c'est intéressant comme question,
07:51 parce qu'on a cette représentation de l'école différente,
07:53 qui serait une école où les enfants seraient libres.
07:56 L'enfant a des choix, mais dans un cadre défini.
07:59 Et en fait, la question, c'est l'intérêt de ces choix.
08:03 Et à quoi ça sert ?
08:05 Déjà, ça crée plus de motivation.
08:07 Ça permet à chacun de travailler selon ses besoins, à son niveau réel.
08:13 Par exemple, à l'autre collège, qui est un petit établissement
08:16 où je fais une recherche action,
08:19 les enfants mathématiques, enfin les collégiens,
08:21 peuvent choisir par un ensemble de compétences.
08:24 Alors, est-ce qu'ils vont d'abord travailler le théorème de Pythagore ?
08:26 Est-ce qu'ils vont d'abord travailler ceci ?
08:27 Est-ce qu'ils vont d'abord... Ils choisissent.
08:29 Alors, il y a des conditions.
08:30 Par exemple, pour travailler le théorème de Pythagore,
08:32 il est écrit qu'il faut déjà avoir travaillé les puissances.
08:35 Mais ils commencent par ce qu'ils souhaitent.
08:37 Et le simple fait de commencer par ce qu'on veut,
08:40 crée de la motivation, parce qu'on a l'impression d'avoir choisi.
08:44 - Mais alors, justement, vous, Jérémie Fontanieu,
08:47 vous êtes devenu célèbre parce que vous êtes professeur de sciences économiques et sociales
08:53 dans un lycée qualifié de difficile à Dorency.
08:56 Le fait de donner le choix aux élèves,
08:59 on a l'impression que vous, vous fonctionnez un peu aux antipodes,
09:02 c'est-à-dire que vous considérez qu'il faut leur donner au contraire un cadre extrêmement strict.
09:07 - En fait, de la même manière que ce que vient de dire Marilor Viau
09:14 au sujet de l'importance du choix pour les élèves,
09:17 afin qu'ils soient motivés et qu'ils deviennent acteurs de leur travail d'élèves,
09:23 je pense que pour nous enseignants, le fait de nous sentir nous-mêmes libres,
09:28 et le thème du jour, c'est "Qu'est-ce qu'une bonne école ?"
09:32 et je pense qu'une bonne école, c'est une école dans laquelle les élèves se sentent épanouis,
09:37 et je pense que pour que les élèves se sentent épanouis et travaillent et progressent,
09:41 il faut que les professeurs soient épanouis.
09:42 Et c'est vrai qu'à l'origine, moi, de la méthode que j'ai développée avec un collègue, David Benoît,
09:49 à partir de 2012 à Drancy, au lycée,
09:54 c'est vrai que nous, on a opté pour une sorte de rigidité,
09:58 pas par principe, mais de façon pragmatique, en quelque sorte.
10:01 C'est vrai que nos élèves, qui sont des adolescents d'abord et avant tout,
10:05 qui manquent beaucoup de confiance en eux et qui ont la flemme,
10:08 qui se laissent souvent aller et qui gâchent beaucoup leur potentiel,
10:12 et du coup le nôtre en tant qu'enseignant,
10:14 c'est vrai qu'on s'est rendu compte que quand on était un peu plus strict, en quelque sorte,
10:19 ça les aidait à faire moins de bêtises, si je puis dire.
10:23 Mais ce qui est intéressant, c'est qu'aujourd'hui, la méthode qu'on a développée,
10:26 et dont on va reparler, je pense, en deuxième partie notamment,
10:29 qui est basée sur le travail avec les familles...
10:31 - Il faut que vous nous disiez en quelques mots en quoi consiste cette méthode.
10:33 - La méthode est basée sur le travail avec les familles.
10:35 En gros, l'idée, c'est de sortir de la posture dont on parlait tout à l'heure,
10:38 du professeur ou de la professeure un peu héroïque, tout puissant ou toute puissante,
10:43 et de faire alliance avec les parents,
10:44 de façon à ce que les familles nous protègent des violences du métier d'enseignant.
10:49 Et ce qui est intéressant, c'est que... - Et les parents sont d'accord ?
10:52 - Le cœur de la méthode est de faire en sorte que les parents soient non seulement tous d'accord,
10:56 mais que ce soit des alliés formidables.
10:58 Et justement, la clé, c'est comment est-ce qu'on fait pour y parvenir ?
11:01 Et donc, finalement, aujourd'hui, cette méthode, c'est un protocole de façon à créer,
11:06 de manière complètement irréversible, en quelque sorte,
11:10 l'alliance entre les parents et les profs.
11:13 Et ce qui est intéressant, c'est qu'à l'origine,
11:15 nous, dans la façon dont on a appliqué cette méthode,
11:17 il y avait une forme de rigidité, comme vous l'évoquiez,
11:20 et ça marche très très bien, c'est formidable,
11:22 mais dans le même temps, aujourd'hui,
11:24 cette méthode, elle est reprise par plus de 200 professeurs,
11:28 c'est un collectif aujourd'hui, Réconciliation,
11:30 et au sein de ce collectif, il y a aussi bien des professeurs qui,
11:34 parce que ça correspond à la fois à leur caractère et puis à leur contexte,
11:40 adoptent cette même rigidité,
11:42 et dans le même temps, il y a des collègues qui ne le font absolument pas,
11:45 et qui, pour certains, reprennent des méthodes qui étaient évoquées tout à l'heure,
11:48 inspirées de Freinet, notamment avec la classe flexible,
11:52 quelque chose que moi, je ne fais pas du tout,
11:54 mais qui, chez des collègues en collège notamment,
11:57 produit des résultats formidables,
11:58 parce qu'encore une fois, ça correspond à ce que les professeurs ont envie de faire au fond d'eux.
12:02 Je crois que le plus important pour avoir une bonne école,
12:05 c'est d'avoir des professeurs qui se sentent libres,
12:09 et pour que les professeurs se sentent libres,
12:12 il faut qu'ils se sentent reconnus,
12:14 il faut qu'ils se sentent respectés, ce qui, à l'heure actuelle, n'est pas le cas.
12:17 - Vous allez continuer à nous expliquer vos expérimentations, Jérémy Fontanieux.
12:21 Je rappelle que vous êtes professeur de sciences économiques et sociales
12:24 au lycée Eugène Delacroix à Drancy, en Seine-Saint-Denis.
12:28 Marie Lorvio, maître de conférence en sciences de l'éducation.
12:31 Vous publiez "Changer l'école, une nouvelle école est possible",
12:36 "Reconnecter à l'enfant et aux défis du monde", c'est aux éditions, Nathan.
12:40 Mais maintenant, on va écouter un biais en forme de biais,
12:45 avec aujourd'hui, puisque nous sommes lundi, Esther Duflo.
12:49 - 6h39, les matins de France Culture, Guillaume Erner.
12:57 - France Culture va plus loin, qu'est-ce qu'une bonne école ?
13:00 Nous sommes en compagnie de Marie Lorvio.
13:02 Vous publiez "Changer l'école", aux éditions Nathan.
13:04 Dans ce livre, vous exposez l'appétence pour les nouvelles méthodes éducatives,
13:09 leur intérêt, la manière dont celles-ci pourraient être mises en place,
13:12 sont déjà mises en place à l'école.
13:15 Et puis, Jérémy Fontagneux, vous êtes professeur de sciences économiques et sociales
13:19 dans un lycée dit "difficile", et vous, vous l'avez construit, votre méthode,
13:25 une méthode qui s'appelle "réconciliation" et qui est censée donc permettre
13:31 aux élèves, aux enseignants et à leur famille, puisque c'est l'une des spécificités
13:35 de cette méthode, de mieux travailler ensemble.
13:37 J'aurais aimé avoir votre avis sur ce que vient de dire mon camarade Jean Lemarie,
13:42 autrement dit, sur la manière dont les politiques, présidents actuels,
13:47 mais les politiques auparavant faisaient d'eux-mêmes, agissent ou n'agissent pas sur l'école.
13:54 - En fait, je trouve que le billet était très juste.
13:57 Il y a beaucoup de colère et de lassitude chez les enseignants vis-à-vis des responsables politiques,
14:03 dont beaucoup d'annonces semblent surtout relever de la communication.
14:06 Ça a été évoqué, le fait de parler de l'uniforme, des abayas,
14:11 ou de la critique contre la manière dont l'école, dont l'histoire devrait être enseignée,
14:16 ou bien les critiques contre...
14:17 - Ce n'est pas seulement de la communication, sur les abayas, il y a eu une décision de prise.
14:21 - Oui, mais ce que je veux dire, c'est que face au dysfonctionnement de l'école,
14:25 qui touche à la fois les élèves, le fait que le système scolaire français soit l'un de ceux
14:29 qui favorise le plus la reproduction sociale, le marasme chez les enseignants,
14:32 la crise des vocations, comme ça a été rappelé, le fait de légiférer sur la tenue de certaines élèves,
14:39 ce n'est pas la priorité, disons que ce n'est pas la hauteur des défis.
14:41 C'est comme le fait d'expérimenter l'uniforme, pourquoi pas,
14:45 mais ça ressemble quand même beaucoup à des recettes magiques, en quelque sorte,
14:48 et qui surtout permettent de façon...
14:52 C'est de la communication, de passer à côté des vraies solutions possibles.
14:56 - D'aucuns pourraient vous dire que la laïcité à l'école, ce n'est pas un problème périphérique.
15:01 - Absolument, mais je ne pense pas que la laïcité se limite à la façon dont c'est présenté par ceux qui nous gouvernent.
15:06 Mais par contre, comme ça a été évoqué, l'école est avant tout basée sur les enseignants.
15:12 Les enseignants ont des capacités d'innovation, d'expérimentation,
15:16 de méthodes, qu'elles soient alternatives ou classiques, qui sont extraordinaires.
15:20 Encore une fois, les enseignants ont choisi ce métier,
15:23 et s'ils continuent à le faire malgré les salaires qui sont indécents,
15:27 et la revalorisation a été évoquée, je rappelle juste que pour deux tiers des enseignants,
15:32 celle-ci sera inférieure à l'inflation, donc c'est une revalorisation qui n'est vraiment pas du tout à la hauteur,
15:37 et la vraie revalorisation, en quelque sorte, elle est à condition de faire des tâches supplémentaires.
15:41 Donc ce n'est pas une revalorisation.
15:43 Donc, encore une fois, pour que l'école change,
15:47 ou pour que les professeurs parviennent à mieux faire leur travail,
15:50 d'une certaine manière, il faut qu'ils se sentent en confiance,
15:52 et à l'heure actuelle, ce n'est pas du tout le cas.
15:55 Et je pense que tant que, d'un point de vue politique,
15:58 comme ça a été évoqué dans le billet, les réponses ne sont pas à la hauteur,
16:01 le marasme risque de se poursuivre.
16:04 - Votre point de vue, Marie-Laure Viau ?
16:06 - Il y a plusieurs façons de changer l'école.
16:10 Il y a une façon qui consiste à imposer de façon hiérarchique, verticale, des réformes top-down,
16:16 c'est-à-dire imposées par la hiérarchie,
16:18 et c'est comme ça que ça a été fait, la réforme du lycée,
16:21 c'est comme ça que, globalement, l'exécutif fonctionne.
16:26 Les enseignants se sentent très méprisés.
16:29 Et en plus, ils ont l'impression, et c'est généralement très vrai,
16:34 qu'il n'y a pas de prise en compte du terrain.
16:36 Donc ça, on voit, ça ne fonctionne pas.
16:39 Après, on peut essayer de faire l'autre chose, c'est-à-dire de faire des réformes.
16:42 On dit "ça, ça ne marche pas", ok, on va faire du bottom-up.
16:45 C'est-à-dire qu'on va dire que les réformes doivent venir du terrain.
16:49 Et en fait, le président de la République fait un petit peu les deux.
16:52 C'est-à-dire, d'un côté, il est en très hiérarchique,
16:55 on va imposer ceci, et tout le monde doit faire la même chose, etc.
16:58 On va lire les mêmes textes, éducation civique tous les jours, enfin, voilà.
17:02 Vous allez faire comme ça, c'est moi qui décide.
17:04 Et d'un autre côté, il dit, ok, maintenant, il y aura l'autonomie des établissements,
17:09 les choses doivent remonter du terrain, etc.
17:11 Mais ça aussi, en fait, si c'est fait juste comme il le propose,
17:17 c'est-à-dire en disant "prenez des initiatives, on vous donne de l'argent",
17:21 ça ne marche pas.
17:23 Et on le sait parce qu'il y a des pays comme la Grande-Bretagne,
17:26 comme les États-Unis où il y a eu les free schools, les charter schools,
17:30 enfin, tout ce modèle d'autonomie,
17:32 où les recherches, en fait, montrent que ça ne conduit pas à plus d'innovation
17:36 et pas à plus d'avancée.
17:38 Ça conduit à des enseignements beaucoup plus traditionnels.
17:41 Parce que quand on donne le choix aux parents de différentes écoles,
17:44 les parents ne connaissent pas et ils ne vont pas vers l'innovation
17:47 parce que généralement ça les inquiète.
17:49 Et puis, quand on donne de la liberté comme ça aux établissements,
17:52 eh bien, il faut...
17:53 En général, on veut savoir si ça marche bien,
17:56 donc on impose des tests assez standardisés aux établissements.
17:59 Et du coup, que font les établissements ? Ils préparent ces tests.
18:02 Et pour préparer ces tests, ils bachotent.
18:04 Et donc, on va vers quelque chose d'encore plus classique
18:08 et d'encore moins innovant.
18:10 Donc, on sait que ça ne marche pas quand c'est trop hiérarchique,
18:13 que ça ne marche pas quand c'est laissé comme ça,
18:15 les gens partirent d'en bas sans les encadrer.
18:18 Ce qu'il faut, c'est de la formation.
18:19 Et ça, le président de la République n'en parle pas du tout.
18:22 Mais c'est ça la clé du changement de l'école.
18:25 - Jean-Lie Marie, est-ce que, je le disais,
18:27 le président de la République entame sa septième rentrée scolaire
18:32 depuis qu'il est à l'Élysée ?
18:33 Est-ce que sa vision de l'enseignement, sa vision de l'école
18:37 a changé selon vous depuis qu'il est à l'Élysée ?
18:40 - Marie-Laure Viau ?
18:41 - Non, il me semble que c'est quelque chose que,
18:44 aussi bien Jean-Michel Blanquer que Papanda
18:47 et que le ministre actuel, de toute façon,
18:50 suivaient la même ligne.
18:52 Je n'ai pas vu de grands changements.
18:54 On est toujours dans quelque chose de très autoritaire.
18:56 - Ils ont été considérés comme ayant, chacun,
18:58 une doctrine bien différente en matière scolaire ?
19:02 - Oui, mais en même temps, on est toujours sur l'imposition
19:05 très autoritaire de réformes venues d'en haut
19:08 qui n'ont pas d'autres effets,
19:10 et je crois que c'est un peu compliqué, Marie-Laure Viau,
19:12 parce que les Français sont assez attachés à l'idée
19:15 que l'école soit nationale
19:18 et que donc, elle ait des méthodes qui valent aussi bien
19:22 pour Rodez que pour Drancy,
19:25 que pour tous les lieux du territoire.
19:28 Et donc, si vous n'imposez pas d'en haut des méthodes nationales,
19:32 comment faire pour assurer l'égalité républicaine ?
19:34 C'est un peu l'équation à résoudre en la matière.
19:38 - Mais c'est l'un des reproches d'ailleurs qui sont adressés
19:40 à la foi qu'Emmanuel Macron a dans l'autonomie
19:44 ou l'autonomisation des établissements.
19:46 Ça risque de nuire justement au caractère national
19:49 de l'éducation nationale, et donc du coup de nuire
19:52 à cette promesse qui n'est déjà pas tenue
19:54 de l'égalité des chances.
19:56 En fait, le débat politique et la réflexion politique
19:59 est très intéressante et elle est indispensable
20:01 puisque il faut le dénoncer.
20:03 Et surtout que cette inaction
20:05 ou cette action négative d'un point de vue politique
20:10 frustre beaucoup et paralysent, me semble-t-il,
20:12 vraiment les capacités d'action des enseignants
20:13 puisqu'ils ne se sentent pas reconnus, ils se sentent méprisés.
20:16 Et du coup, c'est difficile...
20:17 - Ça, vous le répétez, Jérémy Fontanieu.
20:22 Vous considérez effectivement qu'il y a là un problème,
20:24 mais quand on écoute le discours des politiques,
20:27 ceux-ci, au contraire, considèrent que les enseignants
20:30 sont entendus.
20:33 Emmanuel Macron dit que sous aucun autre quinquennat,
20:36 on a autant revalorisé...
20:38 - Encore une fois, sur cette rentrée scolaire-là,
20:41 la fameuse revalorisation socle,
20:43 c'est-à-dire sans tâches supplémentaires,
20:45 elle est, pour deux tiers des enseignants,
20:46 et c'est des statistiques qui sont sur le ministère
20:49 de l'Éducation nationale, inférieure à l'inflation.
20:51 La moyenne de l'augmentation des professeurs est de 5,5 %,
20:54 ce qui est inférieure à l'inflation.
20:56 Mais ce qui est intéressant, c'est que d'une part,
20:58 on peut avoir cette réflexion politique.
20:59 Et en fait, il y a beaucoup de professeurs
21:01 qui n'attendent plus rien de ceux qui nous gouvernent,
21:03 et j'en fais partie.
21:04 Et le projet que j'ai la chance de coordonner,
21:08 et dont je suis le porte-parole,
21:09 puisque j'enseigne à Drancy,
21:10 et surtout, aujourd'hui, je passe beaucoup de temps
21:12 accompagné des collègues qui nous rejoignent,
21:14 on est 200 maintenant,
21:16 c'est que la liberté pédagogique qu'on continue d'avoir
21:19 et qui existe, au-delà de tous les débats politiques,
21:22 aujourd'hui, cette semaine, les professeurs,
21:24 en reprenant la classe, vont se retrouver face à des élèves.
21:29 Et dans ce cadre-là, ils ont des marges de manœuvre
21:31 qui sont considérables,
21:33 à condition de s'en saisir d'une certaine manière.
21:36 Et c'est vrai que, nous, la méthode qui s'est développée à Drancy,
21:39 et qui commence à être...
21:40 - Je vous rappelle les méthodes où vous travaillez de concert avec les familles.
21:45 - C'est ça. En gros, l'idée, c'est de rompre avec l'isolement
21:48 dont souffrent beaucoup d'enseignants,
21:49 et dont nous-mêmes, on souffrait.
21:51 En fait, habituellement, on fait classe seul face aux élèves,
21:56 et donc, d'une certaine manière,
21:57 on dépend de la bonne volonté des élèves,
21:59 qui, pour toutes sortes de raisons,
22:01 n'est pas forcément considérable,
22:03 parce qu'eux, ils ont la flemme de travailler,
22:05 parce qu'ils n'ont pas forcément confiance en eux.
22:08 Bref, pour toutes ces raisons,
22:09 les élèves ont du mal à faire les efforts
22:11 que nous, les professeurs, leur demandons de faire,
22:13 que ce soit au lycée à Drancy,
22:15 en collège, en école primaire, quel que soit le contexte.
22:17 D'ailleurs, ce qui est intéressant,
22:18 c'est que sur les 200 enseignants aujourd'hui dans le projet,
22:20 il y a une diversité extraordinaire de contextes socio-culturels.
22:24 Et l'idée, c'est que, alors qu'on nous a appris,
22:28 et c'est comme ça qu'assez rapidement,
22:29 on s'est habitué à faire notre travail,
22:31 à faire notre travail seul face aux élèves,
22:33 là, l'idée, c'est d'aller chercher les familles,
22:35 de faire en sorte que les familles, les parents d'élèves,
22:37 deviennent, pour nous, une protection face aux violences du métier,
22:40 c'est-à-dire ne plus prendre sur nos épaules toutes les responsabilités,
22:44 mais en fait, aller chercher les familles
22:46 pour leur faire faire un travail qui, nous, va nous aider à faire le nôtre.
22:49 - Mais alors, ça, ça a souvent été souligné
22:52 par des politiques ou des sociologues,
22:54 l'idée que l'école devait aujourd'hui
22:57 prendre deux missions, éduquer et socialiser.
22:59 Ça veut dire que, finalement,
23:01 la dimension socialisatrice de l'école,
23:05 vous souhaitez la faire ou l'abandonner,
23:08 ou alors peut-être la partager ?
23:10 Je ne sais pas quel verbe vous utiliseriez avec les familles.
23:13 - En fait, de façon très concrète, moi, en tant qu'enseignant,
23:16 j'aspire à ce que mes élèves soient à peu près à l'heure,
23:18 à peu près sérieux en classe,
23:20 ils prennent des notes et révisent à la maison.
23:22 Et tous les enseignants ont des aspirations semblables.
23:26 Les élèves n'y arrivent pas forcément pour toutes sortes de raisons.
23:30 Ce que souvent, nous, enseignants, faisons,
23:32 c'est qu'on essaye de faire réussir les élèves malgré eux.
23:35 C'est-à-dire que parfois, les élèves sont vraiment bloqués.
23:38 Et donc, du coup, on a ce sentiment d'impuissance
23:40 parce que, finalement, on a l'impression de plus souhaiter
23:42 la réussite des élèves que les élèves eux-mêmes.
23:44 Et donc, du coup, de manière très pragmatique,
23:46 notre solution, la solution qu'on a improvisée,
23:49 c'est, et si, puisqu'on n'arrive pas à faire faire aux élèves ces efforts-là,
23:54 on avait recours, on demandait aux parents de nous aider.
23:58 Parce qu'en fait, les parents, les familles ont une influence
24:01 en tant que parents que nous, nous n'avons pas.
24:03 Habituellement, les parents et l'école ne se parlent pas beaucoup.
24:06 Ils se parlent seulement ponctuellement lors de la remise des bulletins
24:08 ou lorsqu'il y a des soucis.
24:10 Souvent, on nous informait des réunions.
24:11 - Des réunions, parents-profs ?
24:12 - Il y a des réunions ponctuelles.
24:14 Ou alors, lorsqu'on décroche le téléphone pour appeler les parents,
24:17 c'est seulement en cas de souci.
24:18 Là, l'idée, c'est de créer une relation régulière, en quelque sorte,
24:22 de façon à ce que les parents à la maison repassent une deuxième couche,
24:26 en quelque sorte, ce qui, nous, en tant que professeurs,
24:28 va augmenter notre autorité et va rendre notre discours auprès des élèves plus légitime.
24:33 - Jean-Les-Barry, vous avez prononcé le mot "autorité".
24:35 Le président de la République l'a prononcé aussi un grand nombre de fois
24:39 depuis les émeutes du mois de juin.
24:40 Et puisque vous évoquez les familles, le rôle des familles,
24:42 le président aussi dit qu'il faut remettre et mettre les familles au centre du jeu,
24:47 en même temps que les enseignants, en même temps que l'école,
24:49 précisément dans ce dont parlait Guillaume, c'est-à-dire la socialisation
24:54 que doit permettre l'apprentissage à l'école,
24:57 au-delà des savoirs fondamentaux qu'on évoque depuis tout à l'heure.
25:00 Est-ce que vous vous reconnaissez au moins dans cette partie-là du discours politique ?
25:03 - En fait, ce qui est intéressant, c'est que moi, en tant qu'enseignant
25:05 qui ai des élèves à gérer et qui travaille avec les familles,
25:09 je sais quelle est l'importance de l'autorité à une échelle locale, si je puis dire.
25:14 Le fait qu'Emmanuel Macron, qui dirige notre pays, utilise le même discours,
25:19 en fait, c'est une dépolitisation totale de son action.
25:22 C'est-à-dire qu'en tant que président de la République, en tant que chef de gouvernement,
25:26 il dirige une politique qui a un impact sur les inégalités,
25:29 sur des choses qui sont structurelles et c'est du coup son travail.
25:33 Le fait qu'il utilise ce genre de discours-là, qui pour nous, à l'échelle locale, est légitime,
25:37 parce qu'on est dans la gestion d'humains à l'échelle d'une classe,
25:41 puisque c'est notre travail, du coup, encore une fois, ça relève de la communication.
25:47 Dire que ce qui s'est passé en juin est le symptôme d'une crise d'autorité,
25:51 sans parler des inégalités, sans parler du racisme, sans parler des choses structurelles...
25:56 Ce sont des âmes qui ont été abordées...
25:58 Bien sûr, mais dans le discours politique, c'est une dépolitisation en quelque sorte,
26:02 et encore une fois, ça relève de la communication.
26:04 Je ne suis pas sûr de vous suivre lorsqu'un politique aborde un certain nombre de mesures,
26:09 ça n'est pas une manière de dépolitiser, c'est au contraire le privilège du politique.
26:13 Mais sur votre méthode, Jérémy Fontanieu, si vous deviez la décrire lorsque vous dites
26:18 qu'on demande justement aux parents de s'impliquer dans l'éducation de leurs enfants,
26:25 mais précisément, ce qui est souvent souligné par les sociologues de l'éducation,
26:29 c'est qu'un certain nombre de parents n'ont pas la possibilité de s'impliquer.
26:35 Les parents sont déjà impliqués dans l'éducation de leurs enfants,
26:38 ce sont d'ailleurs les responsables de l'éducation de leurs enfants,
26:40 et nous, on n'a pas de leçons à leur faire là-dessus.
26:41 Par contre, on demande aux parents de s'impliquer davantage dans la scolarité de leurs enfants,
26:46 et on leur donne les outils qui leur permettent de s'impliquer davantage dans la scolarité de leurs enfants.
26:50 En fait, par exemple, les professeurs qui utilisent, qui essayent cette méthode,
26:55 font comme nous à Drancy, c'est-à-dire qu'ils appellent très tôt les parents
26:58 pour se présenter, pour leur proposer de créer une sorte de partenariat,
27:02 une sorte d'alliance avec les parents,
27:04 en s'engageant à les tenir au courant tout au long de l'année de l'évolution de leurs enfants.
27:07 Et les parents, à chaque fois qu'on les appelle tôt, qu'on leur tend la main,
27:11 réagissent de façon très positive.
27:13 En fait, il y a un grand malentendu entre l'école et les familles,
27:16 entre les parents et les professeurs,
27:18 qui relève simplement d'un manque de communication.
27:19 Ce qui est formidable, et ce que vivent, ce que nous on a vécu,
27:22 qu'on continue de vivre chaque année à Drancy,
27:25 et que maintenant les collègues qui nous rejoignent vivent,
27:28 c'est que lorsqu'on tend la main, d'une certaine manière, vers les familles,
27:31 non seulement celles-ci ne sont pas démissionnaires, contrairement à ce qu'on entend parfois,
27:35 ou démunis, mais elles sont très demandeuses,
27:38 et elles nous font confiance, et donc elles nous aident énormément.
27:41 Le cœur de la méthode, c'est de ne plus subir en tant qu'enseignant, grâce à l'aide des parents.
27:45 - Marie Dorvio, dans les méthodes dites "alternatives",
27:49 ou "thessorie", par exemple, que vous analysez, quel est le rôle des familles ?
27:52 - Eh bien, ça dépend des pédagogies.
27:54 Il y a des pédagogies où les familles sont tenues à l'écart,
27:57 mais en fait, on voit que quand on implique les familles, ça marche toujours.
28:01 À l'autre collège, qui est donc le collège où je fais cette recherche-action,
28:06 chaque famille fait 4 heures par semaine, comme dans les crèches parentales.
28:10 Et en fait, on voit que c'est extraordinaire, que ça permet une ouverture culturelle, un enrichissement,
28:15 et ça a des effets qu'on analyse, et qui sont très positifs.
28:21 - Mais là aussi, l'une des difficultés, c'est qu'il faut pouvoir, en tant que parents,
28:26 pouvoir participer 4 heures par semaine à ces travaux de classe.
28:31 Bref, ça n'est pas toujours évident.
28:34 - Oui, mais bon, on essaye de tester la faisabilité d'un autre modèle,
28:38 et pour l'instant, on le teste à une petite échelle.
28:42 De toute façon, ce qu'il faut, c'est une diversité éducative.
28:44 C'est-à-dire que tous les modèles, toutes les façons d'enseigner ne peuvent pas correspondre à tout le monde.
28:49 - Mais alors, le problème, c'est que l'école, elle, est un modèle unique.
28:52 - Oui, mais justement, en allant vers plus de diversité,
28:55 et en acceptant l'idée qu'il n'y a pas une seule façon de faire,
28:58 mais que pour aller au même but, il pourrait y avoir beaucoup de chemins différents,
29:02 peut-être, les choses pourraient commencer à changer.
29:05 - Lorsque l'on étudie les pédagogies comme la pédagogie Montessori ou Freinet,
29:11 justement, on se demande si celles-ci peuvent convenir à tous les élèves,
29:14 parce qu'il y a des élèves, par exemple, qui s'accommodent fort bien des méthodes traditionnelles.
29:20 Pourquoi aller vers des méthodes alternatives pour eux ?
29:23 - Toutes les recherches sur ces pédagogies montrent,
29:29 et on a des recherches qui sont très intéressantes, qui sont des suivis de cohorte,
29:32 des fois des suivis de cohorte sur 4, 5 ans,
29:35 c'est-à-dire qu'on prend des classes, on prend des écoles, même,
29:38 et puis on voit comment les enfants réussissent,
29:42 comment ils s'adaptent au collège, comment ils s'adaptent à l'université.
29:45 Toutes ces recherches-là montrent que pour l'ensemble des enfants,
29:48 on a des acquis en termes de connaissances qui sont au moins aussi importants,
29:52 soit aussi bons, soit meilleurs que dans le système standard,
29:56 et qu'en plus, on a du plaisir d'apprendre, on a une réduction de la violence,
30:00 on a une réduction du stress, on a des indicateurs qui sont très positifs,
30:04 et c'est montré par des recherches internationales.
30:06 - Justement, à l'international, comment font les autres pays ?
30:09 Est-ce qu'il y a des méthodes ailleurs dont on devrait s'inspirer ?
30:13 - Il y a aussi des méthodes en France dont on devrait s'inspirer,
30:17 mais en tout cas, les pédagogies alternatives se développent dans tous les pays du monde.
30:21 - Mais est-ce qu'il y a des pays où celles-ci sont plus fortes, je dirais ?
30:26 - Oui, alors on a fait une recherche qui a consisté à comparer justement
30:30 les pays où ces pédagogies étaient soutenues, se développaient,
30:34 comme l'Allemagne, le Québec, etc.,
30:37 et les pays où ces pédagogies n'étaient pas soutenues,
30:41 comme la France, l'Italie, le Chili,
30:43 et on voit que là où elles ne sont pas soutenues,
30:46 c'est généralement des pays centralisés et on donne la priorité au savoir académique,
30:50 tandis que là où elles se développent, c'est plutôt des pays décentralisés
30:54 où on accepte une diversité éducative
30:56 et où, dans la société, on considère que ce qui doit être mis en avant,
31:01 ce n'est pas les savoirs académiques, c'est l'épanouissement de tous les aspects de la personnalité.
31:06 - Et alors, ça, c'est quelque chose de très peu français, a priori.
31:10 - Oui.
31:11 - Mais alors, comment faire ?
31:13 - Je ne sais pas si on peut changer la culture de notre pays.
31:17 Finalement, ça renvoie aussi à ce dont on parlait dans le billet politique,
31:19 il y a cette tradition jacobine, verticale,
31:22 puis un peu messianique d'attendre en quelque sorte que les choses changent dans l'ombre.
31:28 - C'est-à-dire, Jérémy Fontanieu, l'idée, c'est que l'école, souvent,
31:32 est considérée comme étant un lieu qui n'est pas fait pour épanouir les élèves,
31:37 qui est fait pour les encadrer.
31:39 C'est un peu d'ailleurs ce qu'on retrouve dans votre méthode,
31:42 parce que c'est une méthode quand même assez autoritaire.
31:45 - En apparence, c'est ce qu'on fait à Drancy,
31:49 dans le fait d'être, de froncer un peu les sourcils ou d'être rigide.
31:53 - Mais là, ce n'est pas très rousseauiste, ce que vous faites.
31:56 - Bah, si par rousseauiste, vous entendez...
31:59 Moi, je suis très rousseauiste dans la foi qu'il a,
32:02 dans le caractère bon de la nature, et c'est justement parce qu'il me semble
32:06 que les élèves valent plus que ce qu'ils font.
32:08 Ils font souvent des bêtises, ils me semblent qu'ils valent plus que cela.
32:11 Et c'est pour ça que je fronce un peu les sourcils.
32:12 Après, encore une fois, le cœur de la méthode réconciliation,
32:15 ce n'est pas cette rigidité-là, c'est le travail avec les familles,
32:18 qui ensuite s'adapte en quelque sorte aux pédagogies de chacun, chacune.
32:23 Et je pense que ce qu'on a dit aussi dans la comparaison internationale,
32:27 c'est que finalement, la question centrale pour que l'école soit bonne
32:30 et pour que les choses fonctionnent, il faut qu'il y ait une confiance,
32:33 qu'à l'heure actuelle, il n'y a pas, ou que les professeurs ne ressentent pas.
32:38 Je pense que la diversité des pédagogies et des manières de faire réussir les enfants
32:41 sont considérables. Enfin, l'éducation et la pédagogie,
32:43 ce sont des thèmes qui sont extrêmement larges, qu'il ne faut pas simplifier.
32:47 Et donc, il y a plein de manières différentes de faire réussir les enfants
32:50 et de faire en sorte que les professeurs y parviennent.
32:53 La méthode réconciliation, le travail avec les familles en est une,
32:56 mais ce n'est pas une recette magique.
32:58 Et encore une fois, tant qu'il n'y aura pas d'impulsion politique
33:01 qui favorise cette confiance-là, notamment à travers une reconnaissance matérielle,
33:07 cette confiance-là risque de ne pas exister.
33:09 - Marie Lauriot.
33:10 - Et surtout, par rapport à ce que vous disiez,
33:12 il y a cette représentation en France que si on fait plus d'épanouissement,
33:17 on fera moins de savoirs académiques.
33:18 C'est comme s'il y avait ces deux vases qui se vidaient.
33:20 Quand on fait l'un, il y a moins de l'autre.
33:22 Et les gens ont du mal à se représenter qu'en fait, on peut faire les deux ensemble.
33:26 Mais la question, ce n'est pas de faire plus de la même chose qui ne fonctionne pas.
33:32 Par exemple, dans le journal, on disait, on va faire plus de maîtrise des fondamentaux,
33:36 plus de maths, plus de français.
33:38 Mais en fait, si on fait, si quelque chose ne fonctionne pas
33:40 et qu'on en rajoute et qu'on en rajoute,
33:43 de ce quelque chose qui ne fonctionne pas, ça ne marchera pas.
33:45 Ce qu'il faut faire, ce n'est pas faire plus, c'est faire autrement.
33:48 Par exemple, à l'autre collège, on parlait du français dans le journal,
33:52 de la compréhension de l'écrit.
33:54 Il y a une heure ou il y a deux heures par jour maximum sur les apprentissages fondamentaux.
33:59 Et on a 100% de réussite au brevet des collèges.
34:01 Avec une heure ou deux consacrées au maths, au français, de façon classique.
34:06 Mais ce qu'on fait, c'est des projets pluridisciplinaires.
34:08 Par exemple, les jeunes font des émissions de radio.
34:11 Et du coup, quand ils font de la radio, qu'est-ce qu'ils font ?
34:14 Ils préparent à l'écrit leurs interventions,
34:18 ils se documentent, ils font des recherches documentaires,
34:21 ils apprennent à s'exprimer à l'oral.
34:23 Et tout ça leur permet de travailler le français, mais de le travailler autrement.
34:28 Et là, on voit que ça réussit, en fait.
34:30 - Merci Marie Lorvio.
34:32 "Changer l'école", c'est l'ouvrage que vous avez publié aux éditions.
34:36 Nathan, je rappelle que vous êtes maître de conférence en sciences de l'éducation à l'université de Lille.
34:41 Merci Jérémy Fontagneux.
34:43 Vous êtes professeur de sciences économiques et sociales au lycée Eugène Delacroix à Dorency.
34:48 Et dans quelques instants, voici des jeunes qui vont s'élancer pour leurs projets radio.

Recommandations