• l’année dernière
L'invité des Matins de France Culture.
Comprendre le monde c'est déjà le transformer(07h40 - 08h00 - 22 Juin 2023)
Retrouvez tous les invités de Guillaume Erner sur www.franceculture.fr

Category

🗞
News
Transcription
00:00 *Générique*
00:02 7h42 sur France Culture
00:04 *Générique*
00:08 Les matins de France Culture, Guillaume Erner
00:11 Nous sommes je crois jeudi matin et si vous ne vous en souvenez pas c'est peut-être parce que vous devriez travailler moins
00:18 alors travaillez plus, travaillez moins, travaillez mieux, c'est la question qui agite en ce moment de nombreux débats politiques et économiques
00:25 autour de la semaine de 4 jours, c'est un débat qui a lieu dans de nombreux pays et puisqu'il s'ouvre en France
00:32 on a décidé de l'ouvrir dans les matins de France Culture pour vous exposer les conséquences de ce choix
00:39 nous sommes en compagnie de l'économiste Philippe H.K.Nazi, bonjour
00:42 Bonjour
00:43 Bruno Mettling bonjour, vous êtes président fondateur de Topix, cabinet de conseil pour les ressources humaines
00:49 alors tout d'abord pour que l'on sache de quoi nous parlons il faudrait que l'on dresse une sorte de tableau Bruno Mettling
00:56 de la manière dont les français travaillent aujourd'hui, on voudrait passer à la semaine de 4 jours
01:01 mais quel est le temps de travail des français en moyenne, quelles ont été les conséquences des 35 heures
01:08 quelles ont été aussi les conséquences du Covid puisque on se dit qu'avec le télétravail tout cela a eu de nombreux impacts
01:17 Ecoutez c'est difficile de tirer un état des lieux, ça a été rapide mais c'est vrai que le débat qu'a longtemps agité notre pays
01:24 sur la productivité des entreprises et des salariés français comparé à leurs homologues s'est atténué
01:30 il s'est atténué sous plusieurs facteurs, le premier c'est qu'il y a une productivité individuelle horaire importante des salariés français
01:37 il faut le rappeler, comparé à leurs homologues, il s'atténue aussi parce qu'il y a des évolutions dans les autres pays
01:43 il s'atténue aussi parce que le décalage qui a été perçu de compétitivité mais qui renvoyait des ensembles de coûts du travail globalement
01:50 notamment des charges sociales, s'est aussi atténué suite à un certain nombre de politiques publiques
01:53 donc au total et pour résumer la situation, on peut dire que quand on prend sur l'ensemble d'une vie
01:59 le salarié français travaillerait jamais du conditionnel parce que c'est un débat plutôt moins que la moyenne observée dans les pays de l'OCDE
02:06 mais qu'à l'inverse j'allais dire la productivité du salarié français, son comportement au travail fait qu'à l'arrivée il n'y a plus de handicap majeur
02:12 y compris du point de vue des entreprises de ce pays par rapport à la compétitivité.
02:16 - Et alors Bruno Mettling, vous qui observez nos manières de travailler, qu'est-ce que le Covid a changé ?
02:23 Le fait qu'il y ait pour une portion des travailleurs aujourd'hui dans ce pays du télétravail, est-ce que ça, ça change la durée de travail ?
02:33 - Alors en réalité non parce qu'un des grands principes du télétravail c'est que quand vous êtes en situation de télétravail
02:38 et bien on considère qu'en termes de respect des temps de travail, d'exigence, d'obligation d'employeur, de droit des salariés,
02:43 on est dans une situation de travail donc c'est vrai que ça ne change pas en tant que tel.
02:46 Ce que le Covid a profondément modifié et ça on le constate tous les jours y compris à travers les baromètres, sur les attentes des salariés, c'est le lien au travail.
02:54 Et donc le sujet est beaucoup moins quantitatif qu'il n'a pu l'être mais il est sur le contenu du travail, sur la relation au travail,
03:00 sur les équilibres vie privée-vie professionnelle où là le Covid a été un accélérateur incroyable d'un certain nombre de mutations.
03:06 - Oui parce que ce qui est intéressant, je l'ai dit en introduction, le secteur des assurances ouvre le débat sur la semaine de 4 jours
03:13 mais s'il l'ouvre c'est parce qu'il a des difficultés de recrutement et qu'il considère que c'est un atout dans la recherche de salariés Bruno Mettling.
03:21 - Cette nouvelle innovation qui est dans le débat public et sur laquelle on va revenir ce matin, de la semaine de 4 jours,
03:27 elle répond effectivement à un certain nombre de considérations. L'une d'entre elles c'est la difficulté d'attractivité.
03:33 L'autre qui à mon avis est un facteur important de développement c'est que toute une partie des salariés de ce pays, la majorité, n'ont pas accès au télétravail,
03:39 je crois qu'il faut chaque fois le rappeler, n'ont pas accès au télétravail et donc la semaine de 4 jours peut être une réponse
03:46 pour des salariés qui se sentent exclus d'amélioration des conditions et d'exercice des conditions de travail.
03:50 Donc c'est vrai que du côté des métiers pénibles, du côté des métiers pénuriques, on pense à la restauration, on pense à toutes ces activités-là,
03:57 il y a une vraie demande, une vraie aspiration à la semaine de 4 jours.
04:00 Mais alors on parle également de plus en plus, et alors ça c'est un mouvement indépendant qui peut venir polluer d'ailleurs la question de la semaine de 4 jours,
04:09 Bruno Mettling à ces micro-tâches qui nous envahissent, souvent en dehors de nos heures de travail, avec la question de la déconnexion.
04:18 Alors comment conjuguer les choses ? Parce que si vous travaillez 4 jours mais que les 3 autres vous êtes confrontés à des micro-tâches à faire.
04:27 C'est un point fondamental. La réalité, vous savez que j'ai été l'auteur à l'époque de la première proposition publique sur le droit à déconnexion
04:34 qui avait été reprise dans la loi El Khomri, donc c'est quelque chose auquel je crois beaucoup.
04:37 Il y a le travail réel, tel qu'il s'exécute, y compris avec des tâches en dehors des horaires officiels de travail,
04:42 et puis il y a le travail tel qu'il est normalement défini dans sa pratique quotidienne.
04:46 J'insiste sur ce point, par exemple, une semaine de 4 jours qui serait concentrée et densifiée sur 4 jours,
04:53 en gros on fait le même temps de travail sur la semaine mais ramenée à 4 jours.
04:55 Si la 5e journée est consacrée à un certain nombre d'activités que l'entreprise vous demande de bien vouloir réaliser,
05:03 si ce qu'on voit beaucoup se développer à cause du pouvoir d'achat et des problèmes de pouvoir d'achat,
05:07 vous faites une autre activité le 5e jour, à ce moment-là vous aboutissez à une densification du travail
05:12 qui fait que la semaine de 4 jours, au lieu d'aboutir à une certaine autonomie, à une capacité de repos par rapport à une semaine de travail déjà dense,
05:20 elle dégrade plutôt la situation et la santé des travailleurs.
05:23 Il faut être attentif à ce que derrière un concept de 4 jours qui est en lui-même porteur de progrès,
05:29 en tout cas il y a le PBC dans son principe, même si peu d'entre eux dans notre pays le vivent,
05:34 il faut être très attentif aux modalités de mise en œuvre qui peuvent en modifier profondément l'impact.
05:38 Ça, ça me rappelle tout à fait les débats qu'il y avait eu au moment du passage au 35 heures Bruno Meckling
05:44 parce que beaucoup de personnes s'étaient rendu compte, parfois d'ailleurs cela avait surpris de nombreux commentateurs,
05:53 que le passage au 35 heures c'était accompagné d'une densification, comme vous dites, du travail et par conséquent d'une pénibilité accrue.
06:02 Absolument, il faut être attentif parce que le débat sur les 35 heures qui a été un traumatisme dans notre pays,
06:08 c'est vrai que toutes les innovations sociales, peut-être que les 4 jours, ça a été, pour les entreprises en particulier, ne trichons pas,
06:14 pour l'hôpital dont on sait que c'était la mise en œuvre à l'hôpital a profondément désorganisé la situation, même s'il y a d'autres facteurs,
06:20 donc on voit bien que notre pays reste profondément marqué par ce débat sur les 35 heures, en tout cas en particulier du point de vue des entreprises.
06:26 Et donc par rapport à ça, il faut être très attentif, je crois qu'il y a deux précautions à prendre.
06:29 L'idée de revenir sur une démarche uniforme et unilatérale, qui ne tient pas compte de la réalité des organisations du travail,
06:35 des situations des travailleurs, ne me semble pas pertinente, je le redis avec beaucoup de conviction,
06:40 mais à l'inverse, il faut aussi renvoyer ce qui par principe, dès lors qu'on parle d'une nouvelle innovation sociale qui peut être porteuse d'amélioration et de progrès,
06:47 considère que c'est par définition à écarter dans notre pays compte tenu de la situation qu'ils estimaient de celle de notre pays.
06:54 Philippe Askenazy, ce débat, il monte, donc le débat pour la semaine de quatre jours dans un grand nombre de pays, en Allemagne par exemple,
07:03 qui les vivent depuis quelque temps. Si vous deviez faire un état des lieux à cet égard.
07:08 Alors c'est intéressant parce que le débat est monté dans de nombreux pays avant même la crise Covid.
07:13 Donc, ce n'était pas lié particulièrement à ce que pouvait nous révéler sur le travail, le lien au travail, la Covid.
07:22 C'est venu en fait du monde managérial. Ce sont des entreprises, des grandes entreprises d'ailleurs plutôt d'Asie ou d'Océanie,
07:29 donc Nouvelle-Zélande ou Japon, qui faisaient face à des problématiques d'engagement de leurs travailleurs et qui cherchaient des solutions.
07:40 Alors effectivement, on peut parler de forme d'innovation en quelque sorte et qui passait soit par une réduction du temps de travail en mettant cela à quatre jours,
07:49 soit effectivement un aménagement du temps de travail. On travaille autant, mais sur une semaine de quatre jours, donc avec des horaires rallongés dans la journée.
07:56 Autant, ça veut dire combien ?
07:57 Pardon ?
07:57 Autant, ça veut dire combien ?
07:59 Oui, alors donc, dans le cas néo-zélandais, on était à 40 heures par semaine et c'était donc quatre jours fois dix heures.
08:06 Ce qui est par exemple proposé aujourd'hui dans le cas belge, puisque en Belgique, il y a une loi sur les quatre jours qui est passée à l'automne dernier.
08:18 Donc, c'est une initiative de l'employeur qu'on propose aux salariés.
08:23 Donc, en Belgique, on a soit des régimes, soit 38 heures, soit 40 heures par semaine.
08:29 Et donc, ça donne 9h30 ou 10 heures sur quatre jours.
08:33 Donc, ce sont de longues journées.
08:34 Ce sont de longues journées. Voilà.
08:36 Alors, ça, ça fait partie aussi du débat.
08:38 Vous avez deux visions assez polaires des quatre jours, soit un outil de réduction du temps de travail.
08:44 C'est ce qui est testé actuellement en Espagne.
08:46 Donc, le gouvernement espagnol finance un petit peu dans une forme de modèle de ce que pouvaient être les 35 heures ou la loi Drobien, en fait, avant même les 35 heures.
08:56 Donc, une réduction du temps de travail sur quatre jours avec un soutien de l'État.
09:01 Donc, on a cela dans cette version espagnole, version portugaise et une version plus nordique.
09:08 C'est au contraire des journées rallongées.
09:10 Évidemment, ça n'a pas du tout les mêmes conséquences sur les salariés et pas nécessairement les mêmes implications en termes de performance pour les entreprises.
09:20 Et vous dites que cela a été débattu avant même la crise du Covid.
09:24 Ça a été débattu dans des contextes très différents.
09:26 Alors, là, j'ai évoqué le secteur des assurances qui cherche à embaucher dans certains secteurs.
09:32 L'automobile avant la crise Covid en Allemagne, cela a été employé sur le volet défensif, comme on disait à l'époque lors des premières négociations sur la réduction du temps de travail pour éviter de licencier.
09:43 L'idée était de diminuer le temps de travail, donc de diminuer également le salaire en passant à une semaine de quatre jours.
09:49 Philippe Askenazy.
09:50 Oui, alors effectivement, il y a des aspects, des aspects emploi.
09:54 C'est une manière un petit peu classique, l'idée de partage du temps de travail qui est à l'œuvre.
09:59 Mais je pense qu'aujourd'hui, véritablement, ça revient à travers un sujet qui n'est pas tant l'emploi que des problématiques qui, à nouveau, étaient préexistantes à celles de la crise Covid.
10:13 Si vous prenez par exemple la question de l'égalité homme-femme, un des problèmes fondamentaux aujourd'hui d'égalité salariale, c'est une égalité de temps de travail.
10:24 Beaucoup de femmes sont à temps partiel à 80%.
10:28 Pourquoi ? Parce qu'elles s'arrêtent souvent le mercredi pour travailler.
10:32 Et pour certaines entreprises, passer à quatre jours ferme, finalement, d'une norme à la fois pour les femmes et pour les hommes au sein de l'entreprise,
10:39 la norme de temps de travail peut rapprocher la situation des hommes et des femmes.
10:45 Effectivement, dans certaines entreprises où il y a ces expérimentations de semaines de quatre jours, il y a des femmes qui étaient à temps partiel qui passent à temps plein.
10:54 Et donc, on a des types de réflexions, de problématiques qui vont au-delà de la question de l'emploi.
11:01 Et puis, autre question fondamentale, c'est celle environnementale.
11:05 Pour certaines entreprises qui cherchent à réduire leur impact environnemental, et bien utiliser plus leur capital avec des journées plus longues,
11:13 faire venir leurs collaborateurs que quatre jours par semaine, donc avec des déplacements domicile-travail réduits.
11:20 Ça serait une manière pour elles d'afficher un bilan environnemental meilleur.
11:25 Mais Bruno Mettling, aujourd'hui, si une entreprise veut organiser le travail en quatre jours en France, est-ce qu'elle peut le faire ?
11:34 Comment peut-elle le faire ?
11:36 Alors, elle peut le faire. Elle a des obligations de durée maximale de travail qu'elle doit évidemment respecter entre la dernière période travaillée.
11:43 Mais elle peut le faire moyennant un avenant contrat de travail ou un accord collectif.
11:47 Donc la règle du jeu, elle est extrêmement claire. Et d'ailleurs, les entreprises qui mettent en place ces quatre jours, c'est souvent une occasion de dialogue social et celle-ci d'une négociation.
11:56 Et si les syndicats de l'assurance, par exemple, le réclament, parce que c'est vrai que d'un côté, il y a un enjeu de pénibilité, d'attractivité, pardon,
12:02 il y a un enjeu d'amélioration de la qualité de vie au travail, sous réserve des modalités précises.
12:06 Encore une fois, en la matière, le diable se cache souvent dans les détails.
12:09 Et puis, c'est un enjeu environnemental. Moi, je suis absolument convaincu, encore une fois, de ce développement de la semaine de quatre jours.
12:16 Pas de manière générique, automatique et généralisée, vous l'avez compris, mais à l'inverse, quand vous avez le dialogue social,
12:21 les entreprises et les salariés qui aspirent à une évolution, c'est souvent compliqué de ne pas le faire.
12:26 L'organisation, donc, sous forme de quatre jours en France, est-ce qu'il y a un maximum légal en matière de durée de travail quotidien ?
12:38 Alors, il y a un maximum, effectivement, qui est la durée de travail consécutive entre deux périodes travaillées
12:45 pour permettre un temps de repos minimal des salariés.
12:47 Donc, effectivement, vous devez respecter, ça c'est une réglementation européenne d'ailleurs, un temps de repos de 10 heures.
12:53 Et donc, si vous terminez très tard, et Dieu sait si dans votre métier, ça peut arriver, et que vous commencez très tôt,
12:57 vous pouvez être en infraction.
12:58 À l'inverse, il est tout à fait possible d'organiser sur un cycle de 10 heures consécutives, de 9 heures consécutives,
13:05 la durée du travail dans le pays, dès lors que vous respectez la durée hebdomadaire du travail.
13:10 Et puis, vous savez que vous pouvez dépasser cette durée hebdomadaire moyenne, avec évidemment une durée maximale de travail en France.
13:17 Toutes ces réglementations existent, elles sont compatibles, encore une fois, avec la mise en place de la semaine de quatre jours.
13:21 La preuve, elle se met en place dans beaucoup d'entreprises, progressivement, dans notre pays.
13:26 Et derrière ça, il y a trois modalités, j'insiste lourdement, parce qu'il ne faudrait pas qu'il y ait de malentendus.
13:31 La modalité qui a été expliquée, en gros, vous faites la même durée de travail, ce qui est quand même le modèle français, sur une période plus courte.
13:36 Donc on ferait 35 heures sur 4 jours.
13:40 Absolument.
13:40 Sauf dans le cas des cadres, où là, il y aurait 4 jours de travail sans durée de travail.
13:47 Les cadres qui sont au forfait, effectivement, on concentre sur 4 jours, mais là, c'est un peu la même logique.
13:52 Et vous avez un certain nombre de jours de récupération de congés.
13:56 Donc, vous avez cette première hypothèse.
13:58 La deuxième hypothèse, c'est que vous réduisez le temps de travail.
14:01 Il y a des entreprises qui l'ont fait en France, vous basculez concrètement à 32 heures de durée du travail.
14:07 Alors là, les entreprises qui l'ont fait, c'est important de le dire, elles considèrent que l'amélioration de la qualité de vie a fait que la productivité d'entreprise,
14:15 sa capacité, n'a pas été vraiment altérée par cette réduction du temps de travail.
14:18 Parce que, vous y avez fait allusion au début de l'émission, au passage, dans nos entreprises aujourd'hui, et notamment dans nos grandes entreprises,
14:24 on s'aperçoit de plus en plus qu'il y a un temps gâché, un temps perdu, à coup de comitologie, à coup de mails inutiles,
14:31 à coup de processus bureaucratiques qui se sont développés et qui, j'allais dire, prennent du temps.
14:36 Donc, souvent, on accompagne cette mise en place des 4 jours, voire avec réduction du temps de travail, d'un effort sur ces processus-là.
14:43 Et puis, il y a la semaine de 4 jours sur site.
14:45 Ça, c'est une variante où vous ne touchez pas à la durée de travail.
14:48 Par contre, vous fermez pour des raisons énergétiques, notamment, d'économie d'énergie.
14:52 Vous fermez carrément. Personne ne peut venir ce tel ou tel jour.
14:54 Donc, on voit bien que la réalité de la semaine à 4 jours recouvre 3 grandes réalités et qu'il faut être très précis sur les conséquences de chacune d'entre elles.
15:00 Mais lorsque vous demandez à une personne de travailler sur 4 jours en augmentant son temps de travail,
15:06 est-ce que vous ne diminuez pas sa productivité puisque des journées de 10 heures ?
15:09 Eh bien, la réalité montre que, pour les raisons que j'évoquais à l'instant,
15:13 efficacité, encore une fois, des processus de travail que vous pouvez revisiter.
15:17 Et d'autre part, la récupération, quand elle est vraie et réelle, de la quatrième journée fait qu'au total, il n'y a pas perte de productivité.
15:27 En tout cas, c'est ce qu'affirment les entreprises qui développent ces systèmes.
15:29 En Grande-Bretagne, ils ont fait pendant 6 mois sur des centaines d'entreprises, plutôt des petites entreprises,
15:36 ont fait un test grandeur nature financé par les pouvoirs publics.
15:39 À l'arrivée, 92% des entreprises ont considéré qu'il n'y avait pas eu de baisse de productivité.
15:44 Donc, à cet égard, c'était tout à fait un succès.
15:48 Mais est-ce que cela s'est accompagné d'une réorganisation de l'entreprise, d'un changement des rythmes ?
15:54 Parce qu'on évoque la journée de 10 heures, mais après tout, cette journée de 10 heures n'est pas forcément de 9 heures à 19 heures.
16:01 On peut très bien imaginer d'autres formes de travail.
16:04 Alors, l'autre élément, évidemment, qui est important, c'est qu'aujourd'hui, les modes de travail évoluent.
16:09 Et c'est vrai que toute une partie des salariés, toujours toute une partie,
16:11 parce qu'on a l'impression qu'il y a quand même plus de la moitié qui sont exclus de ses capacités d'organiser le travail,
16:15 mais le nomadisme se développe, on peut organiser son travail différemment.
16:19 Et c'est vrai que le développement de ces nouvelles organisations de travail se fait aussi dans un monde
16:23 où le lien physique à un lieu déterminé s'est considérablement atténué
16:27 et donc rend possible des formes de travail différentes.
16:29 Ce fameux nomadisme qui modifie également les conditions d'exercice
16:33 et qui rend possible une beaucoup plus grande souplesse dans l'organisation des horaires.
16:37 Une souplesse qui pourrait être apportée par cette semaine de quatre jours.
16:41 On va voir quelles vont être les conséquences ou quelles seraient les conséquences économiques de cette semaine,
16:48 notamment liées aux questions d'embauche, puisque aujourd'hui, ce qui prédomine en France,
16:52 c'est l'attractivité de certaines activités qui est insuffisante avec des problèmes de goulots,
17:01 d'étranglement dans certains secteurs.
17:03 On en parle en compagnie de Bruno Mettling, qui est président fondateur de Topix,
17:07 cabinet de conseil pour les ressources humaines et l'économiste du travail Philippe Askenazy.
17:12 Il est 8h sur France Culture.
17:13 7h, 9h.
17:14 Les matins de France Culture.
17:19 Guillaume Erner.
17:21 Que faut-il attendre de la semaine de quatre jours pour en parler ?
17:24 Nous sommes en compagnie de Bruno Mettling, président fondateur du cabinet de conseil aux ressources humaines,
17:30 Topix, ex-directeur général adjoint en charge des ressources humaines chez Orange.
17:34 Philippe Askenazy, économiste du travail, directeur de recherche au CNRS,
17:38 au centre Maurice Halbwachs et professeur à l'école normale supérieure.
17:43 Philippe Askenazy, aujourd'hui, les quatre jours pourraient être utilisés en France,
17:48 tout simplement parce que des secteurs ont des difficultés de recrutement.
17:53 Est-ce qu'il est possible de faire un état des lieux, de voir quels sont les secteurs aujourd'hui
17:58 qui ont besoin de trouver une manière d'attirer des salariés ?
18:02 Alors actuellement, effectivement, la France, on le voit là aussi dans la plupart des pays de l'OCDE,
18:07 fait face à des difficultés de recrutement dans des segments particuliers
18:14 qui vont du monde industriel jusqu'à des secteurs des services
18:20 et qui, dans le long terme, ne pourront que s'accentuer parce qu'on est globalement sur une politique migratoire
18:28 qui est serrée et une population qui est vieillissante
18:33 et une diminution progressive de la population en âge de travailler.
18:37 Donc les entreprises savent, elles sont ici à long terme des difficultés de recrutement,
18:43 elles doivent chercher à innover.
18:44 Et la question des quatre jours est aujourd'hui,
18:49 vue par certaines entreprises, comme un outil pour attirer des salariés.
18:56 C'est intéressant aussi de traverser les frontières.
18:58 Il y a eu un accord récemment en Belgique dans une chaîne de supermarché
19:03 avec le syndicat chrétien belge pour les travailleurs à temps partiel.
19:07 Jusqu'à présent, on a parlé de travailleurs à temps plein.
19:09 Avec du temps partiel subi bien souvent dans ces secteurs-là.
19:13 Ils sont dans du temps partiel subi et du temps partiel qui était sur cinq jours, voire six jours par semaine.
19:19 Alors évidemment, lorsque c'est très difficile d'attirer quelqu'un pour travailler quelques heures,
19:24 une personne qui n'arrive pas à trouver un autre travail pour compléter.
19:27 Et là, l'accord passe à semaine de quatre jours.
19:29 Donc on est toujours avec le même temps partiel, la même durée horaire,
19:32 mais sur quatre jours, ce qui va permettre d'attirer certainement plus de candidats
19:38 qui auront la possibilité de compléter par un autre mi-temps, par exemple, dans une autre entreprise.
19:45 Donc voilà, ça peut être un outil d'attractivité.
19:49 Mais je pense que les expériences qui ont été menées déjà dans des entreprises
19:55 montrent plus qu'attirer des salariés, c'est surtout les retenir.
20:00 Le point essentiel, c'est une baisse des démissions, des départs, ce qui est un autre moyen.
20:06 Vous voyez, lorsque vous avez besoin de main d'oeuvre, vous embauchez, soit vous évitez qu'il y ait moins de départs.
20:09 Mais attendez quand même, Philippe Askenazi, parce que vous dites ça sur le ton de l'évidence,
20:13 parce que c'est votre métier, vous êtes économiste.
20:16 Mais il y a peu de temps, on évoquait malgré tout le chômage de masse.
20:21 On considérait que c'était, à juste titre d'ailleurs, le principal fléau.
20:24 Le chômage demeure d'ailleurs en France, bien sûr.
20:27 Mais comment est-on passé soudainement d'une situation où on avait tout essayé contre le chômage sans le réduire,
20:33 à une situation où aujourd'hui, lorsqu'on se promène en France,
20:37 on se rend compte que toutes les entreprises cherchent à recruter.
20:42 Certaines estiment avoir augmenté les salaires, parce qu'il faut quand même évoquer là aussi ce point
20:47 qui est un autre levier pour l'attractivité de l'embauche.
20:51 Alors, il faut savoir qu'en France, on a un taux de chômage qui est de 7%.
20:55 Lorsqu'on prend l'allot du chômage, c'est-à-dire aussi des catégories qui sont entre activité et chômage,
21:00 on atteint pratiquement 5 millions de personnes qui sont en difficulté.
21:04 Il y a des problèmes, disons structurels dans l'économie française
21:11 qui font qu'il n'y a pas nécessairement des salariés qui se retrouvent en face des emplois disponibles.
21:17 Ne serait-ce que d'un point de vue géographique, vous avez une différence entre les Herbiers,
21:23 donc en Vendée, où il y a à peine 3% de chômage, et la zone Hague de Pézenas, où on est à 14% de chômage.
21:29 Donc, différence géographique absolument considérable.
21:32 On a une difficulté de créer une mobilité de la main d'œuvre française, ne serait-ce que pour des problèmes de logement.
21:37 - Et ça, c'est propre à la France, parce que des zones où le chômage est important, avec des inégalités géographiques, ça se trouve.
21:46 - Oui, ça se trouve dans beaucoup de pays, mais peut-être plus marqué en France.
21:51 Je pense que cette question du logement, par exemple, est une question très importante.
21:56 Il y a aussi une forme d'héliotropisme.
21:59 Je parlais justement à Pézenas, il y a une attractivité résidentielle de certaines zones qui n'ont pas nécessairement des emplois en France.
22:08 Donc, c'est peut-être plus marqué en France que dans des pays nordiques ou même qu'en Allemagne.
22:15 On a aussi une problématique de, on peut dire, en partie, de discrimination.
22:19 On a des taux de chômage qui sont trop importants sur certaines populations.
22:25 Pas uniquement des immigrés récents, mais de plusieurs générations.
22:31 Donc, très probablement ce type de difficulté.
22:33 Donc, ces sujets-là de fond rajoutent en quelque sorte sur des éléments de difficulté de recrutement.
22:40 Et là-dessus, la semaine de quatre jours peut être vue par des entreprises comme un élément de solution à la fois pour attirer, mais aussi pour retenir des salariés.
22:52 Et peut-être un point important, puisqu'il y a un débat aujourd'hui qui naît sur la question de l'absentéisme, comment on peut lutter contre l'absentéisme.
22:58 Là aussi, un des résultats du passage de la semaine en quatre jours, c'est une baisse très nette de l'absentéisme dans les entreprises.
23:06 Non pas parce que quatre jours vous permet d'être nécessairement mieux, mais parce que cette semaine de quatre jours, c'est une sorte de véhicule au sein de l'entreprise pour essayer de réfléchir sur l'organisation, sur ce qui marche, ce qui ne marche pas.
23:17 Et ça aboutit généralement par remettre en cause des processus qui pouvaient être délétères.
23:22 Donc, vous voyez, finalement, il y a les gains qui passent aussi à travers la baisse des démissions et la baisse de l'absentéisme.
23:31 Qu'en pensez-vous Bruno Mettling ?
23:33 C'est vrai que les entreprises, alors pas toutes les entreprises, j'imagine, mais certaines entreprises ont des difficultés à recruter.
23:41 Il y a donc la notion de marque employeur qui signe les efforts qui sont faits par certaines entreprises pour trouver les salariés dont elles ont besoin.
23:53 C'est devenu une problématique en ressources humaines.
23:55 Ce qui vient de dire est fondamental. Le travail d'un DRH aujourd'hui, c'est ce qu'on appelle dans le jargon la grande lessiveuse.
24:01 C'est-à-dire que vous avez souvent des efforts considérables qui sont faits pour attirer dans un marché souvent tendu des compétences.
24:07 Mais dans le même temps, vous perdez à peu près autant de personnes par démission parce qu'il y a une proposition, parce que les conditions de travail ne sont pas réunies.
24:14 Et donc, ce qu'il faut traiter, c'est là que la semaine de quatre jours prend toute l'importance, c'est tenir les deux bouts de la ficelle,
24:20 c'est-à-dire à la fois effectivement être capable de développer des enjeux de fidélisation des collaborateurs que vous avez et dans des domaines comme la restauration,
24:27 l'hôtellerie, c'est loin d'être facile. Et puis de l'autre, attirer les talents de plus en plus pénuriques.
24:31 Donc on voit bien que cette logique de l'innovation dans le travail, des conditions de travail, de l'organisation du travail est importante.
24:37 Ça, c'est le premier message qui vient des données, mais il est absolument clé pour expliquer pourquoi nous sommes un certain nombre de personnes convaincus que ça ne sera pas généralisé,
24:45 mais qu'à l'inverse, la diffusion d'innovation comme la semaine de quatre jours sera importante.
24:50 L'autre enjeu auquel je vois, c'est qu'il y a une situation de pénibilité du travail.
24:53 On a eu un grand débat sur l'emploi des seniors. On voit bien que ce tomba a été tronqué, qu'il est loin d'être terminé.
24:57 On voit bien que des solutions, des innovations comme la semaine de quatre jours, qui permettent de rester plus longtemps dans le poste,
25:03 dans des situations exigeantes sur le plan physique, après un parcours professionnel très avancé, participent en tout cas de la réponse à ce genre de situation.
25:11 Donc pour toutes ces raisons, moi, je crois qu'effectivement, les DRH, et ce n'est pas un hasard, c'est 54% d'entre eux aujourd'hui,
25:19 se disent d'être favorables à des réflexions, à expérimenter des sujets sur la semaine de quatre jours.
25:23 Le tout, encore une fois, comme vous l'avez dit, sur fonds d'innovation, ou pour toute une catégorie effectivement des salariés,
25:29 on peut, entre les jours de congé, entre les enjeux de rémunération, entre les enjeux de nomadisme, organiser différemment les choses et trouver des éléments de flexibilité,
25:37 parce que l'autre grande demande qui monte, c'est de plus en plus une certaine individualisation, la prise en compte des situations individuelles au travail,
25:45 les situations de parents aidants, les situations de...
25:48 Pour toutes ces raisons, on voit bien qu'aujourd'hui, entre les nouveaux outils dont on dispose, les nouvelles organisations du travail,
25:53 en jouant, on peut offrir de la flexibilité, de l'agilité aux salariés pour répondre à des enjeux de vie qui sont très différents.
25:59 Mais alors, pour autant, est-ce qu'il y a aujourd'hui un unanimisme, ou en tout cas, est-ce consensuel parmi les syndicats ?
26:06 Alors, il y a eu différentes consultations, par exemple, la Confédération Générale des Cadres a indiqué, souhaitait que le secteur de l'assurance passe aux quatre jours,
26:17 mais il y a trois quarts des salariés, alors chacun jugera si c'est important ou pas, trois quarts des salariés dans le secteur qui y sont favorables,
26:26 du côté de la CFDT, bien, semble-t-il, c'est le premier syndicat de l'assurance, ils sont prêts à discuter.
26:35 Bref, on sent à la fois les syndicats plutôt positifs, mais prudents malgré tout. Bruno Mettling...
26:41 On retrouve la configuration qu'on avait au moment du télétravail. Les syndicats ont une préoccupation qui est quand même ce maintien de ce collectif,
26:48 de ce lien au travail, de cette organisation collective, et ils voient bien que certaines formes d'organisation peuvent contribuer à déliter cette relation collective,
26:55 ce lien à l'entreprise, ce lien au travail, donc ils sont attentifs à cet aspect-là. Mais en même temps, il y a une poussée, une attente,
27:00 vous avez donné le taux, des salariés vers des innovations sociales. Et donc, les syndicats, j'allais dire, accompagnent ces évolutions-là,
27:07 et c'est normal, et c'est leur rôle, mais en y mettant quelques éléments clés. Le premier d'entre eux, évidemment, c'est la question des salaires.
27:13 On est à l'heure où la préoccupation au pouvoir d'achat est très importante. Et c'est vrai que des réductions ou des concentrations sur 4 jours,
27:19 j'allais dire, avec maintien du salaire, c'est une chose. Si, corrélativement, vous avez réduction du salaire, c'est évidemment un autre contexte.
27:26 Donc c'est vrai que la forme est importante pour les syndicats. Le deuxième enjeu, c'est du point de vue de l'entreprise. Vous avez quand même tout un courant de pensée,
27:33 et j'ai souvent l'occasion d'en parler avec des dirigeants, qui pointent dans notre pays ce qu'ils estiment être un délitement du lien au travail,
27:40 une relation au travail contrariée, et qui disent « à force d'organiser, j'allais dire, le non-travail, ces périodes-là, est-ce qu'on n'est pas tout simplement
27:48 en train de fragiliser les conditions dans lesquelles... » Et ils renvoient à des comportements supposés des jeunes générations, à leur relation au travail.
27:54 Donc il y a quand même, il ne faut pas se le cacher, face à ce développement... Et puis il y a le problème de la parentalité, ça a été dit.
27:59 Quand vous passez en France sur 9 heures par jour, pour matière de durée de travail, que vous y ajoutez les temps de trajet,
28:04 ça veut dire que vous n'avez plus le temps concrètement d'aller chercher les enfants à l'école, ou de les amener.
28:08 Donc on voit bien, il y a des expériences qui sont revenues en arrière par rapport aux 4 jours, autour de ces enjeux justement de parentalité.
28:15 Donc on voit bien que la réponse clé, elle est de dire 1) on est confronté à un phénomène qui va se développer, qui va être soutenu par les partenaires sociaux
28:21 sous réserve des conditions économiques de déploiement et de mise en œuvre, et à l'inverse, il faut garder la lucidité, par exemple,
28:26 exiger des temps collectifs, des temps de présence en entreprise. Et vous avez par exemple des accords innovants, je pense à Generali,
28:33 qui laisse la possibilité des 4 jours... - L'entreprise donc, d'assurance...
28:36 - D'assurance, qui offre la possibilité des 4 jours, mais elle dit "attendez, il y a un truc sur lequel je ne transigerai pas,
28:41 c'est les 40% de temps de présentiel sur place, pour ceux qui ont accès au télétravail, parce qu'il faut un minimum d'organisation".
28:47 Donc on voit bien qu'il y a des équilibres et des conditions de la réussite, mais en tout cas, les partenaires sociaux, l'entreprise va voir se développer...
28:53 - Ah oui, c'est intéressant ce que vous dites, parce qu'aux États-Unis, il y a par exemple eu une exigence d'un grand nombre d'entreprises
29:01 de faire revenir les salariés sur site après la période du Covid, faute de quoi ils seraient licenciés.
29:09 Certains salariés en entreprise sont partis loin de leur entreprise originelle, je veux dire, à l'époque où ils étaient encore dans l'obligation de venir travailler dans des bureaux.
29:21 Donc on te recrée le retour sur site contre la semaine de 4 jours, Bruno Mettling ?
29:25 - C'est une hypothèse, mais surtout ce qui me frappe dans cet exemple américain, c'est cette absence de nuance dans la mise en place des innovations.
29:32 On est passé effectivement de la situation du 100% télétravail, vous travaillez d'où vous voulez, etc.
29:38 Puis on s'est aperçu ce qu'en France, on avait pressenti dès le départ.
29:41 On s'est aperçu effectivement des conséquences extrêmement négatives du point de vue du fonctionnement entreprise,
29:45 de la dimension collective, il y a une dimension collective dans le faire ensemble, être ensemble en entreprise.
29:49 Et donc du coup, ils font machine arrière brutalement et on va repasser du 100% télétravail à l'obligation de présence sur place.
29:54 La France a un modèle de télétravail différent qui se concentre aujourd'hui plutôt autour de ces fameux 3 jours de présence, 2 jours de télétravail ou inversement,
30:02 qui a été d'emblée très dubitative et très réservée en dehors de quelques secteurs de la nouvelle technologie sur ce plan de télétravail.
30:09 Et donc la semaine de 4 jours, pour moi, ça sera plus le débat de ceux qui n'ont pas accès au télétravail,
30:14 le fameux débat col bleu, col blanc, de ceux qui se sentent exclus de l'innovation sociale, ça sera plutôt une réponse à cet enjeu-là,
30:21 que quelque chose qui s'ajouterait au télétravail.
30:24 - Philippe Askenazy, lorsqu'on a fait les 35 heures dans les années 2000, il s'agissait de faire en sorte que le chômage diminue en France.
30:35 Aujourd'hui, alors d'après différents chiffrages, ceux par exemple de la sociologue du travail Dominique Méda,
30:41 du fondateur de Nouvelle Donne, Pierre Laroutourou, le passage aux 32 heures permettrait de créer 1,5 à 2 millions d'emplois supplémentaires.
30:49 Qu'en pensez-vous ?
30:51 - Alors, disons que ce que nous a appris l'expérience des 35 heures, mais plus globalement les réductions du temps de travail,
30:59 c'est qu'elles se traduisaient par des créations d'emplois, mais jamais aussi massives que ce que peuvent décrire,
31:05 enfin on parle d'élasticité en quelque sorte, ce que peuvent avancer Dominique Méda et Laroutourou.
31:13 Potentiellement quelques centaines de milliers, mais si vous voulez, justement, ce qui est intéressant aujourd'hui,
31:21 c'est qu'on est passé justement d'un débat emploi à un débat qui est celui travail et celui performance de l'entreprise.
31:29 Et je crois que c'est sur ça que finalement la France a des difficultés à s'adapter.
31:32 - Vous pouvez expliquer nous la différence entre on est passé d'un débat emploi à un débat travail ?
31:36 - Ah ben, si vous voulez, il y a eu, historiquement, la France est une sorte d'héritage en quelque sorte de 1936.
31:49 Le débat, c'était sur la loi des 40 heures, frontalement posé, on était après la crise de 1929,
31:58 sur une question d'emploi et de partage du temps de travail.
32:04 Et cette thématique là s'est prolongée avec l'idée des 35 heures lors de l'élection de François Mitterrand.
32:10 Je vous rappelle qu'en 1981, il y avait la promesse d'immédiatement, pas immédiatement, mais au sein de son septennat, de passer aux 35 heures.
32:16 Ce qui n'a jamais été le cas.
32:18 Ça n'a été qu'avec l'élection, comme premier ministre de Lionel Jospin, lorsqu'il y a eu une majorité socialiste.
32:28 Avec toujours cette question, on va faire un partage du temps de travail.
32:32 Je pense qu'aujourd'hui, on a dépassé cette question là.
32:35 Pourquoi ? Parce que finalement, on s'aperçoit qu'effectivement, il y a des mécaniques de passage.
32:39 Mais surtout, ce que l'on voit lorsqu'on met en place une réduction du temps de travail ou un changement sur l'organisation des temps,
32:47 c'est que l'organisation globale de l'entreprise est remise sur la table.
32:54 Et cette organisation globale se traduit par des éléments de gains de productivité.
32:59 Donc, vous voyez, vous avez des personnes qui effectivement peuvent travailler moins, mais pour une heure donnée vont produire plus.
33:07 Et donc, la règle de trois en termes de création d'emplois disparaît, puisque vous allez, si vous alliez à l'extrême, vous produisez autant.
33:15 Eh bien, il n'y aura aucun besoin d'emplois supplémentaires dans l'entreprise.
33:18 Alors, je vais essayer d'introduire quand même un distinguo par rapport à cette situation.
33:22 Philippe Askenazy, lorsqu'on a fait la première réduction du temps de travail, je veux dire le passage aux 35 heures,
33:27 on était dans un contexte de chômage de masse et il s'agissait de partager le travail ou partager le chômage,
33:33 puisque c'était ça, en fait, le débat qui faisait polémique à l'époque.
33:36 Aujourd'hui, c'est différent. On a des goulots d'étranglement puisque des secteurs n'arrivent pas à embaucher.
33:42 Quand un secteur n'arrive pas à embaucher, ça crée du chômage derrière, puisque quand vous n'avez pas suffisamment de serveurs dans un restaurant,
33:50 ça veut dire qu'il y a des personnes en cuisine qui chôment.
33:53 Est-ce que ça, ça pourrait, ça ne pourrait pas avoir un effet vertueux et finalement expliquer plus de création d'emplois que les simples gains de productivité ou partage du travail ?
34:05 Là aussi, je ne crois pas, ça permettrait éventuellement de résoudre certaines difficultés pour les entreprises en termes d'embauche.
34:15 Mais à nouveau, puisqu'on a des gains de productivité, moins d'absentéisme...
34:17 Mais ça, ça aurait des conséquences dans ce que vous appelez des bouclages macroéconomiques.
34:21 Oui, mais je ne pense pas de manière aussi majeure.
34:24 À nouveau, même si vous vous amusez à faire un bouclage macroéconomique, on pourrait avoir quelque chose comme de l'ordre de 1 % à 2 % de la main d'oeuvre française.
34:33 Donc finalement, on n'est pas dans une...
34:36 C'est pas vrai, ça fait 500 000 salariés.
34:38 Oui, mais vous me parliez de chiffres de plusieurs millions.
34:41 De 1,5 à 2 millions.
34:43 Voilà, oui, oui. Donc c'est à cela auquel je réagissais.
34:45 On est sur un facteur 4 en quelque sorte en termes de calcul.
34:52 Mais à nouveau, plus que réduire, passer à 4 jours, etc., c'est vraiment par le fait même qu'en ayant l'idée de passer à 4 jours, impose une négociation, une réflexion sur le travail au sein de l'entreprise.
35:12 C'est là où ça peut être à la fois des gains sociétaux pour les salariés, peut être pas de manière systématique, effectivement, dans le cas de la parentalité, mais aussi des gains en termes de performance pour l'entreprise et donc aussi pour l'économie dans son ensemble.
35:30 Et ce qui est vrai dans le privé est aussi vrai dans le public.
35:32 Donc c'est plutôt cela.
35:33 Voilà, poser la question du travail, réfléchir sur le travail et pourquoi pas à travers la question.
35:40 Des 35 heures dans le passé et aujourd'hui dans la question des 4 jours et donc pas de règle de 3.
35:47 C'est plutôt à travers une réflexion globale sur qu'est ce que produire et comment bien produire.
35:53 Bruno Mettling, est ce qu'il n'y a pas un risque que cela nuise à la qualité de vie au travail, c'est à dire que cela provoque des augmentations de cadence qu'en échange du passage aux 4 jours,
36:06 on exige une autre organisation du travail, voire du temps travail parce que finalement, ces 4 jours, ils peuvent être en horaires atypiques et il y a de plus en plus de salariés qui sont en horaires atypiques.
36:19 Vous savez, toutes ces transformations du travail, c'est toujours la même logique du point de vue des entreprises.
36:25 C'est à la fois une source d'opportunités incroyables et positives pour les salariés.
36:29 Et puis, de l'autre côté, il y a des risques qu'il faut pointer avec la même exigence.
36:33 Et depuis 15 ans que je me penche sur ces questions d'adaptation du travail,
36:37 j'invite à avoir la même exigence pour mettre en évidence les opportunités par rapport à ceux pour qui toute évolution des conditions de travail est en soi problématique.
36:45 Et puis ceux qui, à l'inverse, sont les tuer et faire des transformations.
36:47 Ils pensent qu'on peut être à 100% de travail sans qu'aucune altération d'entreprise.
36:50 Et c'est exactement la même logique.
36:52 Donc, le premier message, si vous profitez du passage à 4 jours pour faire ce que j'appelle la chasse au gaspillage organisationnel,
37:00 c'est-à-dire tout ce temps perdu, cette inefficacité créée par des reporting inutiles que personne ne lit,
37:06 qui épuisent les entreprises de services notamment,
37:09 à ce moment-là, oui, vous pouvez réduire la durée du travail sans forcément atteinte à la productivité,
37:14 voire mieux des salariés qui sont effectivement mieux protégés.
37:17 Donc, je pense qu'il faut relancer cette dynamique du suivi de la charge de travail, de l'attention à la charge de travail,
37:23 parce que si on le fait dans des mauvaises conditions, ça peut altérer la santé des travailleurs.
37:27 Mais si, au contraire, on pointe la même precaution, c'est une source d'allégorie et d'épanouissement.
37:30 Et les premières enquêtes, bien évidemment, ceux qui sont pionniers dans une innovation sociale,
37:34 c'est en général des entreprises qui ont un comportement...
37:37 - Vertueux ! - Vertueux !
37:38 - Et qui y croient ! - Elles y croient.
37:40 Mais les enquêtes sont sans ambiguïté.
37:43 En France, les entreprises, encore une fois, il y a 4% de... Voilà, donc on est vraiment au démarrage d'un processus.
37:47 Mais les entreprises qui l'ont fait, effectivement, dans la négociation sociale,
37:51 témoignent d'un état d'esprit des salariés, d'une qualité de vie au travail qui a été améliorée.
37:54 Puis il y a quelques cas sur lesquels on a décidé de faire machine arrière,
37:58 parce que les conditions dans lesquelles ça a été fait, les personnes auxquelles ça s'adressait,
38:01 j'allais dire, n'ont pas donné satisfaction.
38:04 Donc, le message clé, c'est qu'aujourd'hui, les logiques uniformes décrétées
38:09 à partir, forcément, d'une réglementation normative d'organisation du travail sont derrière nous.
38:15 Il y a des règles de précaution qu'il faut évidemment maintenir,
38:18 mais globalement, on ne transforme pas le travail à coup de décret et de loi.
38:21 Ça, c'est un des grands enseignements.
38:22 À l'inverse, on est de plus en plus demandeurs de flexibilité, d'autonomie et de confiance.
38:29 L'une des clés de la réussite, c'est la confiance entre l'entreprise et son salarié.
38:33 Et quand vous donnez de l'autonomie et de la confiance dans l'organisation du travail,
38:35 qui reste compatible avec votre process d'organisation et de production,
38:39 à ce moment-là, vous êtes quand même plutôt gagnant.
38:42 - Philippe Askenazy, un mot de conclusion.
38:44 Est-ce qu'aujourd'hui, tout bien pesé, il faudrait militer en faveur de ces quatre jours,
38:51 du point de vue de l'économiste que vous êtes ?
38:53 - Oui, alors à nouveau, je ne pense pas qu'il faille militer sur la semaine de quatre jours.
38:59 En revanche, militer pour qu'il y ait un vrai dialogue au sein des entreprises,
39:04 à travers les organisations syndicales ou même globalement un débat avec les salariés,
39:10 je pense que c'est absolument essentiel.
39:12 - C'est drôle que vous disiez ça.
39:14 - Je pense que c'est... Pourquoi pas, voilà.
39:17 Il y a 20 ans, la réduction du temps de travail avait eu de nombreux partisans,
39:22 principalement à gauche,
39:23 encore que les lois d'Eurobien n'étaient pas portées par un homme politique de gauche.
39:27 Mais là, aujourd'hui, ça ne serait pas la même chose, diriez-vous ?
39:32 - Ah non, clairement pas.
39:33 Vraiment, aujourd'hui, à travers le monde,
39:35 la question des quatre jours est portée par le monde managérial.
39:38 C'est les grandes revues de management qui le portent bien plus que des politiques de gauche.
39:42 - Un mot de conclusion, Bruno Mettling ?
39:44 - Moi, je crois à la diffusion, encore une fois, de ce modèle progressive,
39:48 parce qu'il y a des enjeux énergétiques derrière,
39:50 il y a des attentes en matière de qualité de vie au travail
39:51 et des enjeux d'efficacité des entreprises dans le recrutement et la fidélisation.
39:55 Donc, quand les trois se rejoignent,
39:57 ça rend quand même assez irréversible les transformations du travail.
40:00 - Merci de nous avoir éclairés sur ce sujet, Philippe Askenazy,
40:04 économiste du travail, directeur de recherche au CNRS, au Centre.
40:08 Maurice Halbwachs, Bruno Mettling,
40:10 président fondateur du cabinet de conseil en ressources humaines Topix
40:15 et ancien directeur général adjoint en charge des ressources humaines chez Orange.
40:19 Dans quelques instants, le 8/45 d'Anne-Laure Chouin, le Point sur l'actualité.

Recommandations