SMART SPACE - Emission du vendredi 9 février

  • il y a 6 mois
Vendredi 9 février 2024, SMART SPACE reçoit Mederic Boquien (professeur, Université Côte d'Azur) , François Leproux (ingénieur en mécanismes spatiaux et auteur) et Brian Kalafatian (Chercheur en politiques spatiales, Institut d'Etudes de Stratégie et de Défense)
Transcript
00:00 [Générique]
00:04 Bonjour à tous et bienvenue dans Smart Space.
00:07 Dans votre émission, on va commencer par l'actualité comme toujours
00:10 avec le lancement prochain de la navette Dream Chaser de Sierra Space.
00:15 Conçue pour la NASA, le vaisseau vient tout juste d'être dévoilé au grand public.
00:20 On parlera aussi d'un record, celui de l'astronaute russe Oleg Kononenko
00:25 qui doit dépasser les 1000 jours dans l'espace. Ce sera une première mondiale.
00:31 Et puis on va revenir sur les dernières images de James Webb époustouflantes comme toujours
00:37 pour vous décrypter ce qu'elles nous racontent de l'univers.
00:41 En deuxième partie d'émission, on prend la direction de la Lune
00:44 car il est temps de faire le point sur le programme Artemis
00:48 alors même qu'un retard de deux ans a été annoncé
00:51 et que l'ancien administrateur de l'agence américaine fustige le modèle de retour vers la Lune.
00:58 Nos invités en plateau reviendront sur ces critiques avec nous.
01:02 Voilà pour le programme du jour, on démarre tout de suite avec l'actualité.
01:05 [Générique]
01:09 20 ans après le début du projet, Sierra Space dévoile une nouvelle version de Dream Chaser
01:16 la prochaine navette spatiale commandée par la NASA.
01:20 Très similaire aux anciennes navettes spatiales alors conçues à l'époque par l'agence américaine
01:25 le Dream Chaser aura pour principale mission de ravitailler la station spatiale internationale.
01:31 Une navette réutilisable qui devrait remplir jusqu'à 15 missions
01:35 mais avec une capsule à usage unique.
01:38 Contrairement aux capsules Dragon de SpaceX, toujours contrairement à cette technologie
01:42 l'amarrage à l'ISS ne sera pas automatique.
01:45 Le véhicule sera capturé par le bras robotique Canadarm de la station spatiale.
01:52 A la fin de la mission, le module de fret nommé Shooting Star brûlera dans l'atmosphère
01:57 tandis que le Dream Chaser retournera sur Terre et atterrira avant d'être préparé pour une autre mission.
02:05 Alors dans les prochains jours, la NASA et Sierra Space débuteront les essais de compatibilité lanceur
02:11 pour s'assurer que le véhicule résiste aux contraintes induites par le décollage.
02:16 Une étape très importante puisque d'ici la fin du mois de juin, le vaisseau spatial effectuera sa première mission
02:24 de démonstration et de qualification à bord du lanceur Vulcain du LA qui vient tout juste de faire ses preuves.
02:31 Le cosmonaute russe Oleg Kononenko bat le record mondial du temps passé dans l'espace.
02:38 Oleg Kononenko a passé plus de 878 jours dans l'espace battant le record détenu jusque-là par son compatriote
02:46 Gennady Padalka selon l'agence spatiale russe Roscosmos.
02:51 Mais il va encore plus loin. A l'issue de sa mission actuelle, Oleg Kononenko devrait battre un second record
02:58 puisqu'il deviendra le premier humain à avoir cumulé 1000 jours dans l'espace.
03:04 Une prouesse technique mais surtout humaine qui demande à l'astronaute une discipline hors norme
03:09 pour maintenir son corps en bonne santé malgré la microgravité.
03:12 A vrai dire, c'est la cinquième mission de ce type pour ce Russe de 59 ans.
03:18 Dernière actualité, 19 galaxies spirales ont été photographiées par le télescope James Webb de la NASA.
03:27 Vous n'avez pas pu rater ces images tant elles sont époustouflantes.
03:31 Elles doivent nous permettre de comprendre davantage la formation des étoiles.
03:36 Pour en parler, on a avec nous en ligne Medhérik Bokian, professeur à l'université Côte d'Azur
03:43 et chercheur à l'Observatoire de la Côte d'Azur.
03:46 Bonjour Medhérik Bokian, bienvenue dans Smart Space.
03:49 Est-ce que vous pouvez nous raconter ce qu'on voit précisément sur ces images toujours aussi spectaculaires ?
03:55 Bonjour. Ce sont des images qui sont vraiment exceptionnelles.
04:00 Elles sont exceptionnelles parce que c'est la combinaison de trois facteurs principaux.
04:05 D'une part, on a une grande finesse de détails.
04:08 Avant, on pouvait voir simplement des détails assez grossiers.
04:11 Maintenant, on peut voir les plus petites structures dans ces galaxies.
04:16 En même temps, James Webb, c'est un satellite qui est extrêmement sensible.
04:20 On peut voir des régions qui sont extrêmement faibles.
04:23 Cela nous permet de voir des détails qui étaient jusque-là vraiment inaccessibles.
04:27 Un point très important, c'est que le satellite James Webb nous permet d'observer au-delà des longueurs d'onde visibles.
04:33 Alors, qu'est-ce que ça veut dire ?
04:35 Quand on regarde une galaxie dans le visible, on voit typiquement les étoiles, comme le Soleil.
04:39 Mais quand on voit à plus grande longueur d'onde, ces étoiles peu à peu disparaissent.
04:43 Ce qu'on voit progressivement, c'est l'émission de la poussière.
04:48 Elle est rougeoise quelque part. On ne peut pas voir ça à l'œil nu.
04:52 Mais ce qu'on voit, c'est la lumière des étoiles qui a été absorbée par la poussière et qui se met à rougevoyer.
05:00 C'est très intéressant parce que dans ces galaxies, il y a un mélange de gaz et de poussière.
05:06 C'est dans ces régions-là que se forment les nouvelles générations d'étoiles.
05:10 Ces observations nous permettent de mieux comprendre, par exemple, comment se forment les étoiles dans ces galaxies
05:16 et comment ça influe l'évolution de ces galaxies à travers les millions et les milliards d'années.
05:22 Est-ce que précisément on a déjà des retours sur ce que ces images auraient pu apporter aux chercheurs ?
05:29 Est-ce que vous-même, vous avez déjà pu tirer quelques conclusions ?
05:33 On attend toujours un peu le groundbreaking, la découverte qui va tout changer de James Webb.
05:39 Ce n'est pas forcément encore le cas ?
05:41 Pour nous, le groundbreaking, les images qu'on a sont absolument incroyables.
05:49 Les premières réunions qu'on a eues avec les collègues, on a surtout passé notre temps à nous pamer devant les images
05:57 tellement elles dépassent l'imagination, elles dépassent ce à quoi on pouvait s'attendre.
06:02 Mais rapidement, on s'est mis au travail parce que si on obtient ces images, ce n'est pas juste parce qu'elles sont jolies,
06:06 mais c'est parce qu'elles nous apprennent des choses sur l'univers.
06:09 On est fondamentalement des chercheurs, on est curieux, on veut comprendre comment les choses se passent.
06:13 Donc ça nous a apporté des informations extrêmement importantes, par exemple sur la composition de ces poussières.
06:20 Il y a des petites toxines qu'on voit par exemple dans l'infrarouge moyen.
06:25 Et ça, par exemple, nous permet de mieux comprendre les propriétés de ces poussières.
06:31 Ça nous permet aussi de mieux comprendre comment se forment les étoiles.
06:34 Par exemple, un phénomène typique, c'est que les étoiles ne se forment pas toutes seules, elles se forment en groupe.
06:41 Ce sont des animaux un peu irriguaires quelque part, donc elles forment ce qu'on appelle des amas d'étoiles.
06:46 Et donc ces amas d'étoiles vivent après quelques millions, quelques dizaines de millions, quelques centaines de millions,
06:53 c'est-à-dire quelques milliards d'années avant que les étoiles ne se dissolvent dans la galaxie.
06:57 Et mieux comprendre comment se produit ce phénomène nous permet de mieux comprendre la formation d'étoiles.
07:03 Et ça nous permet aussi d'obtenir comme une sorte de chronomètre.
07:07 Une des grandes difficultés qu'on a, c'est de comprendre finalement à quelle vitesse se forment les étoiles.
07:12 Et on a maintenant, grâce à James Webb, une meilleure capacité à mesurer des âges.
07:20 Alors quand on parle d'âge, ici on parle en millions d'années.
07:22 Pour nous, un million d'années, c'est une période extrêmement courte.
07:24 Et donc ça nous permet de mesurer ce type d'échelle de temps.
07:28 Et in fine de comprendre aussi comment notre étoile, le Soleil, a pu apparaître dans notre galaxie, c'est ça ?
07:34 Absolument. Le Soleil n'est pas né tout seul.
07:40 On sait qu'il y a des frères et des sœurs du Soleil, ou des cousins et des cousines, qui partagent certaines caractéristiques.
07:47 Le Soleil est né avec d'autres étoiles dans une région de formation d'étoiles.
07:53 Alors là, évidemment, on regarde d'autres régions de formation d'étoiles, qui ne sont pas dans nos galaxies, mais dans des galaxies voisines.
07:59 Mais ce sont des régions qui, avant, étaient extrêmement difficiles à observer.
08:03 Par exemple, si on essaie de les observer avec le satellite Hubble, qui est bien connu, qui est beaucoup plus sensible au visible,
08:11 le problème c'est que la poussière absorbe de façon très efficace le rayonnement visible.
08:16 Ce sont des régions où il y a énormément de poussière, ce qui fait qu'en fait, on ne pouvait pas les voir.
08:19 Et James Webb, ça nous a permis de découvrir des régions de formation d'étoiles qui, jusque-là, étaient complètement invisibles à nos yeux avec Hubble.
08:27 Merci beaucoup, Médéric Bocchian, d'avoir pris le temps de nous décrypter un petit peu ces images qui sont, pour nous, époustouflantes et pour vous, révolutionnaires aussi,
08:37 si je comprends bien ce que vous nous expliquez.
08:40 Continuez d'analyser ces images et puis on en reparlera en plateau pour connaître un petit peu plus sur la révolution que nous apporte ce télescope James Webb.
08:49 On enchaîne, quant à nous, avec le Space Talk, direction la Lune et le programme Artemis.
08:55 La course à la Lune et la course à l'innovation sont-elles compatibles ?
09:04 Alors que le programme Artemis, qui doit renvoyer des humains sur la Lune, prend du retard, on s'interroge quant à la pertinence d'une formule qui entend remplir un petit peu tous les défis technologiques de notre époque, finalement.
09:19 Alors, pour en parler, j'ai avec moi François Leproux, ingénieur en mécanismes spatiaux et auteur. Bonjour.
09:25 Bonjour, Cécile.
09:26 On est sur le plateau de Smart Space. On a aussi avec nous à distance Brian Calafasian, chercheur en politique spatiale à l'Institut d'études et de stratégie et de défense.
09:36 Bonjour, Brian. Bienvenue avec nous dans cette émission.
09:39 Bonjour.
09:40 Alors, est-ce que c'est la faute de SpaceX si Artemis prend du retard ?
09:45 Alors, ce serait... Ce n'est pas uniquement la faute de SpaceX. Effectivement, SpaceX est en charge du Starship, c'est-à-dire du vaisseau qui va permettre aux astronautes américains d'aller à la surface de la Lune.
09:59 C'est un développement qui prend du retard. On l'a vu l'année dernière avec deux échecs lors de votre décès, qui ont néanmoins permis à l'entreprise d'avoir des données très valables pour le développement de cet engin qui est tout de même une rupture technologique.
10:14 Donc, on va dire que son développement suit sa route. Il y a d'autres industriels privés qui sous-traitent pour la NASA dans le cadre du retour sur la Lune et qui ont pris du retard.
10:24 C'est notamment le cas d'Axiom Space qui est en charge des combinaisons spatiales pour les astronautes qui ont également pris du retard.
10:30 Mais est-ce qu'ils n'ont pas pris du retard parce qu'on repousse les budgets dédiés à ce sujet pour se concentrer sur les lanceurs ? C'est possible ?
10:38 Dans le cadre d'Axiom, c'est tout à fait possible. Dans le cadre de SpaceX, il faut bien voir que le développement du Starship, c'est vraiment quelque chose de tout à fait complexe.
10:47 Il y a deux missions Artemis qui ont été repoussées, Artemis 2 et Artemis 3.
10:50 Artemis 3, c'est le premier à l'unissage d'un Starship à la surface de la Lune. C'est directement imputable au retard du Starship.
10:57 Dans le cadre d'Artemis 2, qui est une répétition générale finalement...
11:02 C'est un tour de la Lune avec astronautes, mais personne ne s'y pose.
11:05 Tout à fait. C'est la même mission qu'en novembre 2022, mais avec des astronautes à bord.
11:09 On sait que la mission prend également du retard, vu que la NASA a des défauts au niveau du bouclier thermique de la capsule Orion et souhaite les régler avant de faire un vol habité.
11:19 Capsule Orion à la bord de la fusée SLS, qui doit servir aussi dans le cadre de ce programme, en plus de Starship.
11:26 Brian Calafation, quel est votre regard sur ce report-là ? Est-ce que c'est aussi la conséquence de la stratégie des États-Unis de travailler main dans la main avec des partenaires privés ?
11:39 C'est une excellente question. Ce que nous remarquons, c'est que la réussite d'une mission lunaire passe par la maîtrise d'une multitude de facteurs techniques, de briques technologiques,
11:50 qu'il faut maîtriser avant de pouvoir faire un voyage qui soit sécurisé, si on veut dire, si on veut remporter des humains.
11:56 Il faut pour cela maîtriser de nouveaux lanceurs, des atterrisseurs, des systèmes vides, des procédures de rendez-vous, de ravitaillement, tout à fait.
12:03 Après, la NASA s'est toujours appuyée sur le secteur privé pour faire la conception de ces systèmes.
12:08 Le LEM, qui avait servi pour Apollo, a notamment été développé par Grumman avant la fusion avec Nordrop.
12:14 Certaines briques technologiques, comme l'a énoncé François Leproux, sont développées par le privé.
12:20 C'est le cas notamment par Axiom, qui développe la combinaison lunaire, SpaceX avec le Starship, ou encore Blue Origin avec le Blue Moon Lander.
12:28 Ces trois projets sont en retard. Il ne faut pas se mentir. Mais c'est également du côté des entreprises historiques de l'industrie que cela se joue.
12:39 Les retards sont énoncés du côté de Lockheed Martin, qui développe Orion, ou encore de Boeing, qui s'occupe de SLS.
12:45 Si on prend le rapport de l'inspecteur général de la NASA en 2023, il faut pour comprendre tout ce mécanisme,
12:51 remonter au départ de la légitimation du projet Artemis, du programme Artemis.
12:57 Celui-ci a été conçu avec l'idée que l'on pouvait réutiliser des technologies issues de la navette spatiale ou du programme Constellation pour faire gagner du temps et de l'argent.
13:07 Pourtant, selon les mots de l'inspecteur général, cela a produit le phénomène contraire,
13:13 notamment si on regarde les retards qui ont été accumulés pour la partie SLS concernant ces moteurs, qui sont des dérivés des moteurs de la Space Shuttle.
13:21 C'est intéressant. Le programme Constellation, où vous me préparez ma transition, était mené par l'ancien administrateur de la NASA, Michael Griffin,
13:31 qui a justement pris la parole tout récemment au sujet d'Artemis et qui, grosso modo, parle peut-être d'un retour nécessaire à l'ancien modèle qui tirait ses origines de Constellation.
13:43 En tout cas, il fustige le programme lunaire actuel. Est-ce qu'on peut comprendre pourquoi ?
13:49 On peut quelque part le comprendre. Il faut rappeler ce qu'était Constellation.
13:54 C'est un programme de retour sur la Lune qui a été initié au début des années 2000 sous l'administration de George Bush
13:59 et qui visait à réutiliser les technologies de la navette spatiale pour faire des lanceurs lourds et atteindre la Lune.
14:06 Ça se basait sur deux lanceurs qui ont utilisé tous deux l'abri qui est resté de ce développement.
14:13 C'est la capsule Orion qui était déjà présente. La capsule Orion devait être tirée par un lanceur du nom de ARES-1 et un deuxième lanceur du nom de ARES-5,
14:22 qui est très proche de la SLS qu'on connaît actuellement, devait mettre en orbite un module lunaire et les deux devaient ensemble aller sur la Lune.
14:30 Ce programme avait été arrêté par l'administration Obama en 2009, notamment parce qu'il était vu comme un Apollo bis qui n'apporterait pas de nouvelles technologies,
14:39 quelque part de nouveaux développements technologiques. On imaginait déjà qu'il dépasserait ses budgets et que d'un point de vue technique, il ne serait pas tout à fait satisfaisant.
14:49 C'est pour ça qu'on a migré vers un nouveau programme qui a pris le nom du programme Artemis.
14:55 Les critiques sont relativement valides dans le sens où les critiques de cet ancien administrateur de la NASA se portent essentiellement sur le nouveau système d'alunissage, le Starship,
15:04 qui est un système lourd qui nécessitera une dizaine de ravitaillements en orbite assurés elles-mêmes par des Starships.
15:12 Cela nécessite déjà que le Starship soit fonctionnel, qu'il soit capable de revenir sur Terre, que l'on maîtrise la technologie du ravitaillement en orbite qui n'est pas actuellement...
15:20 C'est au moins dix vols tout ça. C'est une rupture technologique, vous en parliez tout à l'heure.
15:25 Michael Griffin dit que la rupture technologique n'est pas l'allié de la course à la Lune, de la nouvelle course.
15:31 Tout à fait. Il pointe quelque chose qui est intéressant, c'est qu'en fait les objectifs de la NASA sont relativement contradictoires.
15:36 D'un côté, il y a un discours comme quoi la NASA retourne sur la Lune, mais quelque part n'a plus de rien à prouver, vu qu'elle y est déjà allée dans les années 70.
15:43 Donc on y va pour rester. C'est-à-dire qu'on peut se permettre d'introduire des technologies de rupture qui vont permettre d'amener des charges très lourdes sur la Lune,
15:50 de construire des avant-postes permanents. Mais d'un autre côté, il y a également une simili-course à l'espace avec la Chine, dont l'objectif est d'arriver sur la Lune avant 2030.
16:02 Et ça, ce n'est pas quelque chose qui est forcément compatible avec l'introduction de technologies de rupture qui sont au moins aussi complexes que l'était la navette spatiale dans son temps.
16:12 Vous partagez ce regard, Brian Calafascian, sur cette incompatibilité, cette ambivalence des ambitions de la NASA ?
16:19 Totalement, totalement. On va dire que c'est deux visions politiques qui rentrent en dissonance.
16:26 Comme l'a dit mon collègue précédemment, il faut voir le projet long-termiste et le projet court-termiste.
16:32 Si l'objectif à court terme, c'est d'arriver en premier, il faudrait se baser sur des technologies qui sont déjà éprouvées ou qui seront plus faciles à mettre en œuvre.
16:39 Mais si l'objectif, c'est évidemment de s'installer, et c'est ce que met en avant l'administration américaine, de s'installer durablement sur la Lune, sur le pôle Sud,
16:47 alors là, l'objectif sera de développer des technologies qui permettent d'avoir une redondance dans les capacités pour pouvoir occuper rapidement l'espace et permettre la sécurité des astronautes qui sont envoyées sur place.
17:01 Peut-être qu'on peut comparer cette stratégie à double tranchant avec la stratégie chinoise.
17:07 La Chine a rattrapé son retard. La Chine aujourd'hui est en train de se positionner face aux nouveaux concurrents des États-Unis.
17:15 Vous l'avez dit, il y a cet effet de course qui est en train de naître. C'est la question qu'on se pose aujourd'hui d'ailleurs.
17:20 Est-ce que c'est une course ou un marathon ? On comprend bien que c'est un petit peu les deux.
17:23 Et la Chine, elle a choisi une méthode un peu plus classique. Mais s'il semble faire ses preuves, alors est-ce que ce n'était pas la solution ?
17:31 C'est une méthode qui est tout à fait cohérente pour la Chine et qui est de toute façon cohérente avec la feuille de route spatiale de la Chine qui est suivie, on va dire, depuis la deuxième moitié des années 90,
17:40 qui est vraiment une acquisition progressive et permanente de nouvelles technologies.
17:45 Aussi bien dans le vol spatial d'habiter, alors d'abord avec le premier vol d'une capsule, de petites stations spatiales.
17:50 La construction d'une station spatiale et maintenant des vols vers la Lune.
17:53 Que dans le domaine robotique, ça fait depuis 2013 que la Chine envoie régulièrement des missions robotiques à la surface de la Lune qui sont assez ambitieuses.
18:01 Ce sont les premiers à avoir envoyé un objet sur la face cachée de la Lune.
18:05 Tout à fait et ils espèrent et vont lancer une mission dans quelques mois dont l'objectif sera justement de faire un retour d'échantillons du pôle sud qui est la région la plus intéressante à explorer.
18:14 À cause des glaciers.
18:15 Tout à fait, à cause de la présence de la glace qui pourra permettre d'obtenir de l'eau ou du carburant.
18:19 Donc la Chine a vraiment cette approche qui est très classique. Certains diront qu'elle est prudente, elle est légitime.
18:24 Mais je vais dire que ce n'est pas une surprise. La Chine a annoncé très clairement ses intentions depuis les années 2000 au moins.
18:32 Et elle suit une feuille de route qui est tout à fait pertinente pour elle.
18:37 Mais Brian, elle veut y rester aussi la Chine. L'idée c'est qu'elle n'y va pas simplement pour dire on y a mis les pieds pour la première fois et peut-être avant que les Américains retournent.
18:47 La stratégie est quand même similaire avec l'idée de s'installer durablement, d'aller explorer la zone sud si bien pour pouvoir ensuite redécoller depuis la Lune peut-être vers Mars.
18:58 Il y a quand même ce désir de s'installer.
19:01 Bien entendu, oui, tout comme avait pu l'énoncer la Russie également dans l'ILRS, dans leur entreprise commune qui a rassemblé aussi certains BRICS.
19:10 La question pour la compétition entre la Chine et la Russie n'est pas tant l'avance potentielle de la Chine mais le retard progressif des États-Unis, on va dire, qui les années s'amoncèlent.
19:21 C'est justement ce qui fait perdre un peu le soutien du Congrès au bout d'un moment.
19:26 Parce que les financeurs perçoivent ça comme la perte d'un avantage comparatif.
19:32 Il ne faut pas sous-estimer la Chine en réalité.
19:35 Parce que pour la Chine, l'espace est un véritable outil de puissance et de normalisation de ses échanges avec ses partenaires internationaux ainsi qu'avec ses concurrents.
19:43 Pékin sera sûrement au rendez-vous des années 2030 comme cela a été fixé, tout simplement parce que cela rentre dans la concrétisation du rêve chinois qui avait été énoncé par Xi Jinping.
19:57 C'est cela qui pourrait aussi parachever la bascule de certains États émergents vers la Chine, ce que ne souhaitent pas les États-Unis honnêtement.
20:09 La Chine pourrait aussi souhaiter s'installer durablement sur la Lune pour des enjeux de puissance, pour des enjeux de ressources également, pour des enjeux de médiatisation,
20:19 pour montrer qu'elle aussi est une puissance technologique et c'est très important.
20:23 La progression vers Mars n'est pas vraiment un objectif politique à long terme.
20:29 C'est un peu difficile à expliquer à l'opinion publique aux États-Unis.
20:33 Pour ce qui est de la Chine, c'est d'avant tout la Lune et le retour sur certaines planètes comme Vénus notamment.
20:39 Mars reste du très lointain pour beaucoup de la science-fiction.
20:43 Est-ce qu'il faut choisir entre le marathon et la course ?
20:49 Est-ce que vers la Lune, si vous aviez le pouvoir de choisir et peut-être de remodeler le programme d'Artemis pour pallier ce retard, est-ce que vous choisiriez entre le marathon et la course ?
21:00 Pour ma part, je pense que l'approche qui a été adoptée par les États-Unis est pertinente pour viser une installation au moins à moyen terme sur la Lune.
21:09 Ce qui est un peu regrettable, c'est que je sens que c'est l'objectif du programme Artemis, mais ce n'est pas celui qui est mis en avant.
21:15 L'objectif d'Artemis qui est beaucoup mis en avant, c'est justement de déposer les premiers hommes et la première femme à la surface de la Lune, mais assez peu au sujet de l'installation.
21:24 Et à ce niveau-là, c'est un peu regrettable que le programme Artemis souffre également d'une autre ambivalence.
21:30 C'est-à-dire que c'est un programme qui est initié par des Américains. La communication est très « America first » si je peux me permettre.
21:36 Alors que c'est un programme international, l'Europe en est un partenaire majeur, de même que le Canada, le Japon et maintenant les Émirats Arabes Unis également.
21:44 Je pense que l'Europe aurait un rôle très important à jouer dans l'installation à long terme à surface de la Lune, notamment parce qu'elle a avancé un certain nombre de concepts.
21:54 À l'époque, ça s'appelait le Moon Village qui avait été proposé par Ian Vorner, qui est celui d'une station en sol.
21:59 L'Europe propose un certain nombre de systèmes, également de logistique, pour exploiter les ressources et amener du cargo à la surface de la Lune.
22:06 Donc c'est quelque chose qui mériterait d'être mieux mis en avant.
22:09 Peut-être d'avoir une plus forte implication de l'Europe au sein du programme Artemis, afin de le rééquilibrer et de tendre davantage vers une installation à long terme.
22:18 Et quelque chose qu'on peut regretter, c'est qu'avec tous les retards qui concernent les systèmes d'atterrissage,
22:25 donc la NASA a fait appel l'an dernier à Blue Origin afin de développer un nouveau module.
22:30 Certainement re-challengé d'Insert SpaceX.
22:33 Tout à fait.
22:34 Blue Origin qui est à la ligne d'une sorte de NEM un peu plus classique.
22:38 Certainement, l'Europe aurait également pu proposer un système analogue, sachant qu'elle développe également le système cargo Argonaut.
22:45 Argonaut, on n'en parle très peu en Europe aujourd'hui, mais c'est un vrai sujet en cours de développement.
22:51 De toute façon, le sujet des propositions cargo européennes, c'est un large sujet qu'on aborde souvent dans l'émission.
22:58 Il y a la question politique aussi.
23:01 Cette décision n'est pas que scientifique, elle n'est pas que d'une ambition de l'humanité, mais elle est politique aussi.
23:10 Et les prochaines élections présidentielles pourraient jouer un rôle peut-être dans la pérennité de ce programme Artemis, Brian ?
23:17 Bien sûr, bien sûr. Il y a la question des élections présidentielles, mais aussi celle du Congrès, ce qui se passe sur Capitol Hill,
23:24 qui est très intéressant et qui, on va dire, influe beaucoup sur ce que vont mettre en avant les présidents.
23:31 En réalité, le programme a été mis en avant notamment par Donald Trump.
23:36 Il a été pérennisé par l'administration actuelle.
23:41 Il y a peu de chances là où on en est actuellement pour qu'il soit purement et simplement annulé.
23:46 Ce qui pourrait arriver, c'est un changement dans l'architecture même, donc se concentrer plutôt sur du robotique
23:51 ou alors laisser la première place à la Chine pour pérenniser l'envoi de technologies.
23:55 C'est surtout sur ce genre de choses que cela peut se jouer actuellement.
23:59 Ce qu'on voit du côté du Congrès aussi qui est très intéressant, c'est que Bill Nelson, l'administrateur actuel, est un ancien sénateur.
24:06 Donc il connaît un peu les pratiques, on va dire, de Capitol Hill, de ce qui se passe dans les chambres des représentants, dans les organismes du Congrès.
24:15 Et c'est sur ce point-là que va se jouer la potentielle reconduction des programmes, l'annulation de certaines parties ou de certaines missions sur la question du budget.
24:26 La question du budget est absolument centrale aux États-Unis.
24:29 Il y a souvent des commissions d'enquête qui investissent, qui s'intéressent à ce genre de choses.
24:33 Et on s'est rendu compte que le budget a été de maintes reprises,
24:37 il s'en est systématiquement repoussé pour arriver à être en phase avec ce que demandait notamment SpaceX, mais aussi l'administration de la NASA.
24:49 Donc ce n'est pas terminé.
24:50 Ça peut encore évoluer.
24:52 L'avenir d'Artemis peut encore évoluer.
24:54 Et les élections, si j'aurais à dire, n'arrivent pas forcément au meilleur moment.
24:57 C'est-à-dire qu'il nous aurait manqué peut-être, en tout cas il aurait manqué aux États-Unis, peut-être une mission clou d'éclat,
25:03 une mission où on renvoie peut-être des humains autour de la Lune pour embarquer tous les bords politiques peut-être américains.
25:11 Est-ce qu'on sait, Donald Trump on le connaissait plutôt pro-Space,
25:15 mais là on parle d'une collaboration, vous l'avez dit aussi, avec l'Europe et le Canada.
25:20 Est-ce qu'on connaît son positionnement ?
25:22 Est-ce qu'il serait plus apte à pousser vers le maintien du budget que Bill Nelson ?
25:28 Alors ça c'est assez difficile à dire dans le sens où la campagne aux États-Unis se concentre assez peu actuellement sur ce genre de sujet.
25:35 Effectivement, comme l'a rappelé Brian, le programme Artemis a été initié par l'administration Trump
25:42 et notamment par son vice-président qui sur ce genre de sujet on va dire était un peu plus conservateur.
25:47 Après je pense que si les États-Unis venaient à refonder le programme Artemis,
25:53 ils préviendraient l'approche du sens consistant à envoyer au plus vite les astronautes à la surface.
26:00 Et du coup ce qui risque de passer à l'attrape, ce serait plutôt la station Gateway,
26:04 qui depuis l'introduction du Starship dans l'architecture du programme n'a plus vraiment un intérêt aussi fort qu'avant.
26:11 C'est cet avant-poste et il a une orbite très complexe également,
26:15 mais ça ce serait particulièrement regrettable pour les partenaires internationaux,
26:19 vu que l'Europe et notamment TALISSA LINEASPACE fournissent un certain nombre d'éléments de cette station.
26:23 C'est également le cas du Japon, c'est également le cas des Émirats Arabes aujourd'hui.
26:27 Donc c'est plutôt cet élément-là qui risquerait de passer à l'attrape.
26:33 Ce qui est sûr c'est que Donald Trump choisirait la course, parce que cette idée de course avec la Chine,
26:38 on a vu le positionnement de Donald Trump vis-à-vis de la Chine sur beaucoup d'autres sujets pendant son mandat.
26:44 On peut imaginer que celui-là sera une nouvelle compétition.
26:47 Vous l'avez dit, ce sera peut-être la fin de ces projets-là.
26:51 La lune Narghe Towe, rappelons que c'est une station spatiale orbitale qui devrait être en orbite autour de la lune.
26:57 Alors je n'ai plus les détails, mais je crois qu'on est plutôt autour de 2030 pour lancer ces projets-là.
27:03 Brian, avant de conclure, on n'a plus le temps d'aller plus loin dans cette émission,
27:11 mais je vous remercie tous les deux d'avoir pris le temps de venir parler de ce sujet passionnant en plateau.
27:16 On suivra le sujet notamment à l'aune des élections présidentielles pour connaître un petit peu l'évolution de ce programme et de ses budgets.
27:24 Merci à tous les deux d'avoir pris le temps de venir dans notre émission,
27:27 et merci à tous de nous avoir suivis dans ce sujet passionnant à la production L'Île Isalkine.
27:33 On se retrouve dès la semaine prochaine sur Bismarck.
27:37 [Musique]

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