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Art et designTranscription
00:00 *Jusqu'à 13h30, les midis d'Occulture. Nicolas Herbeau, Géraldine Mosnassavoy*
00:08 Notre rencontre quotidienne, c'est une conversation à trois voix avec notre invité.
00:14 Ce midi, c'est un professionnel de la bande dessinée, dessinateur, scénariste, dialoguiste et éditeur.
00:20 Il explore depuis les années 90 tous les métiers et tous les genres du 9e art.
00:26 Il aura sans contort plus de 180 albums, du grand public mais aussi du plus expérimental.
00:31 Peut-être d'ailleurs connaissez-vous son personnage emblématique, Lapinot, dans le dernier album qu'il vient de publier.
00:37 Il parle de lui, de son quotidien, de ces petites scènes ordinaires qu'il réunit sous l'appellation "Les petits riens".
00:44 Le 9e tome est disponible dans la collection Champoint des éditions Delcourt.
00:48 *Bonjour Léouist Ronheim* *Bonjour Géraldine, bonjour Nicolas*
00:51 *Bienvenue dans les midis d'Occulture* *Merci*
00:53 *Ce 9e tome s'appelle donc "Les chemins de désir"*
00:58 *Je me demandais ce qu'étaient ces chemins de désir, on a la réponse dans votre album*
01:03 *On en voit tous, souvent, lorsqu'on se balade par exemple*
01:08 *Qu'est-ce qu'ils représentent pour vous ces chemins de désir et qu'est-ce qui vous ont inspiré pour ce 9e tome "Les petits riens" ?*
01:14 Ce qui est marrant c'est qu'en arrivant ici à la maison de la radio, tout en bas, j'en ai vu un qui se dédouble
01:18 *Je l'ai pensé aussi à celui-là*
01:20 *Donc c'est un chemin de désir, on appelle ça aussi une ligne de désir, mais je trouve ça plus joli, un chemin de désir, pour le titre*
01:26 *C'est le chemin qu'empruntent les gens mais qui n'est pas le chemin prévu par l'architecte*
01:30 *Et donc l'herbe est écrasée, voire anéantie, plus que de la terre*
01:35 *Alors que l'architecte nous prévoyait un petit passage plus compliqué et plus long*
01:39 *Un raccourci en quelque sorte*
01:41 *C'est un raccourci, mais l'être humain n'aime pas les raccourcis généralement faits*
01:46 *En tout cas, s'il les fait lui-même ça va*
01:47 *D'ailleurs il y a un architecte pour un parc qui s'est dit "je ne vais pas tracer mes chemins, je vais laisser le parc tel quel*
01:54 *Et je vais laisser un an ou deux au soin de l'usage des gens, comment ils vont écraser l'herbe*
02:02 *Et selon, je tracerai les chemins dans ce parc, et je trouve que c'est plutôt une belle idée*
02:07 *Est-ce que c'est aussi une façon de penser la vie, les vies strondarium ?*
02:11 *C'est-à-dire on a la liberté d'aller où on veut malgré ces rails qui sont artificiels ?*
02:17 *La société aimerait bien nous guider toujours dans une certaine direction pour se sauvegarder elle-même*
02:21 *Alors que l'être humain n'est pas fait forcément toujours pour cette société, ou en tout cas pour ce que la société aspire*
02:27 *Je crois qu'il faut vraiment faire une dissociation entre ce qu'on veut et ce que la société veut*
02:32 *A quel moment, puisqu'on parle de cette série de carnet qui s'appelle "Les petits riens de la vie strondarium"*
02:39 *A quel moment est-ce qu'un instant que vous vivez se transforme en petit rien ?*
02:45 *Euh... Déjà ça se faisait dans ma tête avant les petits riens, on commençait vers 2006*
02:52 *Et... Mais je le faisais pour moi, mon but c'était juste de me dire tiens, je voudrais apprendre à faire des couleurs de l'aquarelle*
02:58 *Ce que je ne savais pas faire à cette époque-là*
03:01 *Et je me dis comment faire ça, peut-être faire des illustrations, puis après je me disais des illustrations*
03:05 *Moi je suis plutôt narrateur donc je vais écrire des choses, et le plus simple c'est de dessiner des choses qui m'arrivent, que je pense, que j'entends*
03:12 *Donc je dessinais des petites pages comme ça où je faisais mes aquarelles, j'en ai fait une trentaine*
03:16 *Et puis au bout d'un moment je me disais peut-être que ça pourrait faire un livre*
03:19 *Et à partir de là je me disais bon effectivement je vais être un peu plus attentif à ce qui se passe autour de moi*
03:23 *A essayer de repérer des instants qui généralement sont fugaces, qu'on oublie, et qui pourtant font un peu le sel de la vie*
03:30 *Et là-dessus je me disais ce qui serait marrant c'est peut-être de voir, au niveau de la littérature, est-ce qu'il y a des gens qui ont déjà remarqué ce genre de choses*
03:37 *Et mettre ça en citation au début de mes livres, et effectivement il y a beaucoup de choses comme ça, je pense que vous avez remarqué*
03:43 *De Rousseau à...*
03:45 *A qui ?*
03:46 *A Gainsbourg*
03:48 *Et à Jean Genot*
03:49 *Le bonheur je crois, après pas mal d'expériences, s'atteint et se procure par des choses qui sont gratuites*
03:57 *Et de petites choses minuscules, auxquelles d'ordinaire on ne fait pas attention, et qui si on y fait attention, composent le bonheur précisément*
04:05 *Par exemple, goûter le plaisir de voir passer une averse, un vent, le bruit d'un vent particulier dans les arbres*
04:13 *Ou une fleur qu'on aura respirée, un oiseau qui aura tapé à la fenêtre et vous aura chanté*
04:17 *Une visite de quelqu'un qui vous aura intéressé par sa conversation*
04:21 *Tout, tout dans la journée, une pub qui marche bien, un travail qui fonctionne très bien, très bien huilé*
04:28 *Une feuille de papier qui glisse bien, tout ça fait partie du bonheur*
04:31 La voix de Jean Genot, écrivain en 1965, et qui est donc en épigraphe de ce 9ème tome des Petits Riens de Lévis-Strandheim
04:41 Lévis-Strandheim, l'idée, on a compris l'état d'esprit dans lequel vous êtes
04:46 ça veut dire que le but aussi c'est la recherche du bonheur, de ces petits bonheurs qui font le quotidien de nos vies ?
04:54 Le bonheur c'est compliqué, je pense que vous savez tous que chacun a son bonheur particulier
04:59 C'est plus l'instant présent, savoir profiter de ce qui nous arrive, essayer de chasser les mauvaises nouvelles
05:06 comme on en a entendu plein là tout à l'heure déjà c'est suffisant
05:09 et se concentrer effectivement sur des petites choses qui donnent du sel, qui donnent du peps
05:15 qui font des bons souvenirs
05:17 Il y a de temps en temps dans les informations il y a des bonnes nouvelles ou des journaux de bonnes nouvelles
05:22 mais c'est pas constant et cette philosophie là de l'instant présent, c'est pas tout jeune
05:31 depuis les grecs ça existe, sauf que dans nos sociétés où on accélère tout le temps, on oublie
05:36 La société où on accélère, où on ne regarde plus aussi ce qui se passe autour de nous
05:41 Il y a parfois aussi des petites piques sur la modernité, les téléphones portables sur lesquels on a le regard fixé
05:49 mais l'idée c'est d'attendre qu'il se passe quelque chose d'incongru, d'exotique presque ou d'étonnant dans notre vie
05:58 Il y a une partie des dessins que vous faites dans ce tome qui sont de ce type là
06:02 mais il y a aussi effectivement ce que disait Jean Genoux, c'est à dire le plaisir du navers, du vent, des petites choses qu'on ne remarque plus
06:10 Parfois même je fais simplement un dessin, je suis à un endroit qui me plaît bien, devant une église, devant un arbre
06:16 et je vais le dessiner, et puis parfois il n'y aura même pas de texte, ce sera juste le dessin et puis c'est tout
06:21 Qu'est-ce que vous vous dites à ce moment là ? Tout à l'heure je vous demandais quand est-ce qu'arrivait ce petit rien
06:27 C'est immédiatement que vous le saisissez, que vous le couchez sur le papier ou alors c'est le soir, vous vous dites
06:33 qu'est-ce que j'ai vécu aujourd'hui, qu'est-ce qui m'a marqué, de quoi je me souviens ?
06:36 C'est plutôt sur le moment, je ne suis pas en alerte, je ne suis pas en train de me dire qu'il faut vite que j'ai une page à faire, une deuxième page à faire pour remplir mon livre
06:43 ça, ça ne m'intéresse pas, par exemple quand il y a eu le confinement, je me suis retrouvé pendant un an ou deux chez moi et il ne se passait rien
06:50 Le pire, il n'y arrive plus généralement quand je me balade à l'étranger, hors de mon confort personnel
06:56 mais ils ne sont pas recherchés, c'est à dire qu'il y a un moment, une petite alerte, je ne sais pas comment ça se fait dans ma tête, dans mon regard, à mon oreille
07:04 qui me dit tiens, c'est amusant, c'est un petit, comme les anglais disent, fun fact, je déteste dire des trucs anglais, j'aurais jamais dû dire ça, je me tape moi-même
07:15 C'est un petit rien que vous pouvez raconter, ça pour vous
07:18 Il y a aussi quand même beaucoup d'ironie dans vos petits riens, ce n'est pas que des petits bonheurs de la vie
07:24 Vous dites qu'on a oublié l'idée du carpe diem, mais il y a eu quand même toute une mode des petits riens, des petits bonheurs
07:30 Moi je pense à la première gorgée de bière de l'air, mais vous êtes un peu plus féroce, on dirait, ou plus dans l'auto-dérision
07:38 C'est à dire que je vois les jolies choses qui sont autour de moi et je me regarde moi-même en me disant
07:43 je ne suis pas sans défauts donc je vais pointer du doigt mes défauts
07:46 et je fais attention aussi de ne pas pointer du doigt les défauts des autres parce que ce n'est pas un truc pour dénoncer
07:51 Oui j'ai un ou deux copains sur lesquels je vais me moquer un petit peu, mais ils le méritent
07:58 Mais sur mille pages c'est arrivé trois fois
08:01 Alors on l'a bien compris, vous parlez effectivement de vous, notamment de vos voyages, que vous nous emmenez à Vancouver, à Singapour, à Dubaï
08:09 On remarque cette veine et cette tendance d'auto-fiction dans la littérature
08:15 Dans la bande dessinée j'ai envie de dire que ça a toujours existé, notamment dans votre travail puisque vous avez commencé
08:21 par des carnets où vous racontiez déjà qui vous étiez, ce jeune parisien trentenaire qui débutait la bande dessinée dans Approximatement
08:31 où vous vous demandiez effectivement s'il ne fallait pas mieux retourner dans le sud de la France pour faire ce travail plutôt que de vivre à Paris
08:38 Donc cette idée de se raconter soi, de dépasser quelque chose, de pudique en tout cas quand on est auteur
08:45 Alors moi j'ai été élevé dans une famille plutôt pudique, donc je reste pudique quand je fais de la bande dessinée
08:52 Mais je ne fais pas de la bande dessinée autobiographique pour me montrer moi, en fait je déteste parler de moi
08:55 Là je suis venu vous voir parce que vous m'êtes sympathique et je vous écoute
08:59 - C'est gentil, merci
09:01 - Mais en fait ce que j'aime c'est la bande dessinée, j'aime raconter des choses et mon moyen de raconter c'est la bande dessinée
09:06 Donc je vais faire de l'avec fantaisie, je vais faire du polar, je vais faire de l'autofiction, parfois un peu de la recherche
09:16 Quand j'ai fait un livre qui s'appelle "Désœuvrer" je me demandais pourquoi est-ce que les auteurs de bande dessinée font plutôt leur chef d'oeuvre quand ils ont 20 ans et 30 ans
09:24 et quand ils en ont 60, c'est plus du tout intéressant, comment je vais faire pour vieillir en bande dessinée
09:28 Moi qui est maintenant 59 ans effectivement
09:30 - J'allais vous poser la question, quel âge avez-vous ?
09:32 - J'ai 59 et je me dis voilà j'ai préparé ma retraite, j'ai deux retraites complémentaires privées pour qu'à 63 ans je puisse arrêter de casser les pieds à tout le monde
09:41 - Mais d'ailleurs vous vous posez des questions aussi, même si vous n'aimez pas parler de vous, mais en tout cas sur votre métier
09:45 Vous dites bien "toujours me souvenir que j'ai un métier formidable"
09:49 - Oui je pense qu'il y a beaucoup de gens qui ont des métiers formidables, on oublie souvent qu'on est en train de le faire
09:55 Nous dans l'art, dans la narration, on a la chance de pouvoir vivre de notre travail
10:01 J'écoutais chez vous Marc-Antoine Mathieu qui parlait de l'intelligence artificielle
10:06 qui n'est pas trop inquiet, je le comprends, mais en même temps je me dis
10:11 Moi ce qui m'embête par rapport à cette intelligence artificielle là, et donc je lui réponds par votre intermédiaire
10:16 - Allez-y
10:16 - C'est que nous autres artistes, on a des failles, on a beaucoup de choses qui font qu'on vit mal notre vie
10:24 On a des problèmes et on arrive à s'en sortir en faisant notre travail de la sculpture, de la peinture, de la narration, etc.
10:33 Et si l'intelligence artificielle arrive en faisant ça à notre place, c'est-à-dire que si on n'a plus de place pour travailler et pour gagner notre vie en le faisant
10:40 Il y a plein de gens qui vont être anéantis dans la société, qui vont ne plus avoir de place pour gagner leur vie pour simplement ça
10:47 Donc c'est un petit peu embêtant
10:48 - Nous parlions avec Marc-Antoine Mathieu effectivement de la création de bandes dessinées avec des scénaristes
10:55 Mais avec l'aide d'intelligence artificielle qui allait justement créer les images de ces récits
11:01 Vous, ça vous dit de quoi ? Ca vous terrifie après 35 ans de carrière dans la bande dessinée ?
11:07 - Bah non, puisque je suis à la retraite dans 4 ans, donc c'est les petits jeunes qui vont morfler, c'est pas moi
11:11 Donc ça c'est la réponse rigolote et égoïste
11:14 Ce que je me dis c'est qu'arrivera ce qui arrivera
11:18 L'outil est déjà là donc on n'a pas le choix, il faudra s'adapter et vivre avec
11:23 - Mais vous avez dit Lévi-Straunheim que quand même en fait, vous alliez arrêter de travailler à 63 ans
11:31 Mais qu'au delà du fait qu'on vit en travaillant, en faisant de la BD par exemple comme c'est votre cas
11:35 Vous avez dit aussi que ça pouvait calmer des angoisses
11:37 Il y a deux choses, c'est-à-dire que là en fait, si l'intelligence artificielle arrive
11:42 C'est pas seulement qu'une source de revenus qui peut d'ailleurs créer une grande détresse
11:48 Mais c'est aussi des milliers de gens, d'artistes, ou pas forcément des grands artistes forcément reconnus
11:56 Mais qui en fait n'auront plus de moyens de s'exprimer, de proposer quelque chose
12:00 - De s'exprimer ou simplement de naître d'éclore et d'arriver à quelque chose
12:03 Quand j'ai commencé la bande dessinée, en disant que ça pourrait être mon métier, j'avais quand même 24 ans
12:07 Et après j'ai fait mon fanzine tout seul pendant deux ans
12:10 Après j'ai travaillé avec des gens qui ont fait l'association, une structure éditoriale en 90
12:16 Donc je pense que si on n'a plus accès à cette possibilité de se construire, c'est compliqué
12:22 - Et puis une machine n'aura jamais de faille
12:25 Donc ça va jamais donner de... elle peut buguer
12:29 - Moi je sais pas, je sais pas
12:31 C'est ce qu'on dit souvent effectivement
12:33 Je pense que la machine n'aura pas des failles qu'on aura dans notre jeunesse, par notre culture, par notre famille, etc
12:39 Je pense qu'on peut les créer les failles, je pense qu'au bout d'un moment, les programmeurs seront fabriqués de ce genre de choses
12:44 - Ah oui, genre des traumas d'enfance, telle machine aurait eu tel trauma, comme ça, ça permettra peut-être de créer...
12:49 - Et voilà, on va lui dire d'une manière... Allez, fais comme si inconsciemment
12:52 Tu parles de quelque chose qui t'a traumatisé, qu'on va définir à l'avance
12:55 Et puis tu en parles en catimini
12:58 Après au niveau du dessin lui-même
13:00 - Oui, c'est ça, parce que là on parle du fond, mais sur la forme par exemple
13:02 Vous avez été pendant très longtemps très dure avec votre façon de dessiner
13:06 En disant que vous n'étiez pas très bon en dessin, que vous aviez un trait minimaliste
13:11 Mais qui permettait effectivement déjà de créer des personnages, on va en parler dans un instant
13:14 Est-ce qu'une machine peut avoir, je sais pas comment le définir, mais cette sensibilité-là de trait, d'erreur, d'automatisme
13:24 - Même de mal dessiner
13:26 - Pour l'instant, pour l'instant, non
13:27 Moi j'ai eu la chance d'avoir le temps de faire en sorte que mon dessin soit mon écriture
13:32 J'ai demandé à Mitch Jornet de faire Snoopy et de faire Charlie Brown pour voir s'il était capable
13:40 Il n'en est pas du tout capable, parce que c'est un trait trop simple et trop spécifique
13:43 Et après ce serait vraiment du copiage d'y arriver
13:46 Donc il y a peut-être un moment où faire des choses un petit peu classiques
13:50 De guerrier avec des armures très complexes, en réaliste
13:55 Oui ça va se faire, après quand on va être dans des choses plus spécifiques
13:59 Peut-être que ce sera plus compliqué, je sais qu'il y a déjà des programmes qui peuvent faire du manga, du dessin manga
14:03 Alors on va dire "Ah oui mais c'est facile, tout se ressemble en manga"
14:06 Non, tout se ressemble pas, il y a des choses très très différentes les unes des autres
14:09 Mais on va dire qu'il y a une certaine façon de faire que l'ordinateur sait déjà faire
14:12 Après si on dit "l'ordinateur peut faire du Louis Strondheim, si on va lui mettre 10 000 documents, peut-être qu'il y en arrivera"
14:20 Mais ça veut dire après que c'est du plagiat, donc il n'aura pas le droit
14:23 *Musique*
14:31 *Musique*
14:33 *Musique*
14:43 *Musique*
14:44 *Musique*
14:51 *Musique*
14:53 Eh, attends, arrête, laisse moi descendre, lâche moi, tu n'as pas le droit de faire ça, eh !
15:00 *Musique*
15:06 *Musique*
15:11 *Musique*
15:16 *Musique*
15:28 Jusqu'à 13h30, les midis de culture, Nicolas Herbeau, Géraldine Mosnassavoy
15:34 *Musique*
15:36 Mickey Mouse, nettoyeur de pendules qui date de 1937
15:41 Ce n'était pas Donald ?
15:42 Il y avait les deux
15:43 Ah ok
15:44 On a entendu la voix de Donald, ouais
15:45 Moi je ne fais que lire ce qu'on m'a donné comme conseil
15:48 C'est un extrait du dessin animé effectivement Mickey Mouse où on retrouve Donald et Mickey
15:54 Justement, ce sont des dessins animés, des comics d'abord que vous avez beaucoup lus, ceux qui datent de 1930-1940
16:02 C'est ceux-là qui ont façonné aussi votre œil de dessinateur et ensuite de conteur d'histoire ?
16:09 Moi, mon père était libraire, on vivait au-dessus de la librairie et j'avais le droit de piocher des livres dans la librairie tant que je ne les ouvrais pas à plus de 90°
16:19 Pour ne pas marquer le pli
16:22 Donc je lisais Tintin et je lisais tout ça
16:24 Et un jour, ils m'ont offert un recueil de chez Hachette de Karl Barks qui était le dessinateur de Donald qui a inventé Picsou et plein d'autres personnages de la même famille
16:34 Et je n'ai pas ouvert le livre parce que je me disais que mes parents sont libraires et ils m'offrent un livre, ça ne m'intéresse pas, ce n'est pas sympa
16:41 Et un an plus tard, comme je m'ennuyais, la télé à l'époque c'était une chaîne
16:46 Donc j'ai fini par le lire et j'ai trouvé ça formidable, c'était vraiment un univers très chouette
16:52 Et beaucoup plus tard, j'ai appris des choses très intéressantes par rapport à Disney
16:55 Par exemple, ils avaient beaucoup dépensé sur Fantasia, le groupe Disney
17:00 Et ils ont failli être en faillite, sauf que c'est les bandes dessinées qui ont sauvé Disney
17:05 Parce que les comics strips qui passaient tous les jours dans tous les journaux du pays ont renfloué les caisses
17:11 Donc si l'Empire Disney est ce qu'il est actuellement, on peut dire que c'est un peu grâce à Karl Barks et Fred Godfreyson qui faisaient les comics strips de Mickey et de Donald
17:23 Ces deux dessinateurs du début du XXe siècle, on vous a diffusé cet extrait effectivement parce qu'il y a cette influence
17:30 Mais aussi parce que chez vous, les Wistrendheim, il n'y a pas véritablement de personnages humains
17:36 Il y a beaucoup d'animaux, par exemple dans Les Petits Riens, vous vous représentez comme un oiseau
17:44 Ce qui évite effectivement d'abord de faire un autoportrait
17:47 C'est la première raison qui m'est venue à l'esprit
17:49 Non, c'est surtout pour éviter de dessiner réaliste, ce qui est beaucoup plus compliqué que de dessiner simplement avec des animaux
17:55 Moi je fais des yeux, c'est des points, je fais un bec, je n'ai pas besoin de faire ni de nez ni de bouche
18:01 Je ne savais pas dessiner, je voulais raconter des histoires et pendant très longtemps je n'ai pas trouvé le moyen de le faire simplement
18:08 Puis un jour j'ai lu une bande dessinée qui était très mal dessinée mais très bien racontée
18:12 Et là j'ai eu un déclic, je me dis effectivement je pourrais faire de la bande dessinée parce que
18:16 si j'accroche le lecteur à la première bulle, avec une relation de personnage qui est intéressante, le lecteur va aller jusqu'au bout
18:23 Pour peu au moins que ce soit écrit proprement
18:26 C'est ce que je dis souvent aux élèves quand je fais des cours ou des masterclass
18:30 Déjà écrivez proprement et intéressez le lecteur à la première case
18:33 Je pense que ça peut être aussi un handicap de savoir trop bien dessiner
18:37 Parce qu'on est là, on est dans ses fioritures, on fait son truc et puis on dit c'est suffisant, il n'y a pas besoin d'autre chose
18:42 Or, en tout cas dans le milieu de la bande dessinée, il faut faire une histoire avant tout
18:46 Et d'ailleurs c'est tout l'idée et l'état d'esprit de votre première bande dessinée qui s'appelait "Psychanalyse" en 1990
18:53 qui est parue en 1990 chez les arts graphiques
18:56 Et il y avait un personnage qui était à peine ébauché, il y avait quoi ?
19:00 Deux, trois traits pour le corps, effectivement, deux points pour les yeux et un trait pour la bouche ?
19:06 C'est même pire que ça, c'est que je fais le personnage, cette case là j'ai fait avec le personnage la bouche ouverte
19:11 et après le personnage la même bouche fermée
19:13 Et je copiais les cases à la photocopieuse et je rajoutais des bulles en les collant
19:17 Donc il y avait deux cases
19:19 Les deux cases identiques durant toutes les planches ?
19:21 Voilà, j'ai même fait un truc qui s'appelle "Pierre c'est le dormeur" c'est une seule case
19:25 C'est un personnage qui est dans son lit et il pense ou alors il parle à quelqu'un qui est en off
19:29 Et j'ai découvert qu'à un ou deux ans avant de le faire
19:33 c'est David Lynch qui le faisait avec le chien le plus...
19:37 "The angriest dog in the world"
19:40 Et donc il y avait trois cases identiques avec un chien qui tire sur sa laisse dans son jardin
19:44 C'est Lynch qui dessinait
19:45 La quatrième case, c'est la même case mais de nuit
19:48 Et là il y avait une bulle de la maison qui disait quelque chose
19:51 Pourtant les personnages c'est peut-être ce qui attire le plus, ce qui accroche le plus les lecteurs à une bande dessinée
19:58 C'est-à-dire quand on pense à une bande dessinée de manière grand public, très large
20:02 On pense, vous avez parlé de Mickey, on peut penser à Tintin
20:06 On peut penser à ces personnages qui font qu'on s'attache à eux
20:10 Là, comment on se dit "non moi je vais faire quelque chose de beaucoup plus simple aussi
20:14 et c'est pas grave, je vais quand même raconter une histoire qui va attirer du monde"
20:17 - Parce qu'on a pas le choix, on essaye
20:20 Moi quand je faisais les psychanalyses et le dormeur
20:24 Je dessinais genre un centimètre carré et puis je mettais de la trame
20:29 Après je me suis dit il faut que je m'améliore
20:31 Donc j'ai fait un livre qui s'appelle "L'apinot et les carottes de Patagonie"
20:33 Sur 500 pages, parce que je me suis dit je vais faire 500 pages pour apprendre à dessiner
20:37 J'ai fait un gaufrier de 12 cases par page
20:39 Pour pas avoir à réfléchir au cadrage à chaque fois, donc j'avais des cases carrées
20:42 Et je me suis dit "Allez, avançons dans la narration, soyons intéressants"
20:45 J'ai arrêté au bout de 423 pages parce que ça me...
20:47 Je me dis "bon c'est bon, je peux passer à l'étape suivante, c'est-à-dire faire des albums un peu plus cartonnés"
20:51 Sauf qu'à l'époque, faire des albums de dessinée animalière minimaliste pour adultes
20:56 Et ben c'était pas très compréhensible
20:58 Les éditeurs se disaient "ben non, je comprends pas
21:02 Ça s'adresse à qui en fait ?"
21:04 Et il a fallu que j'aie un prix à Angoulême en 93 ou 94
21:08 Sur un album qui s'appelle "Slalom" où j'ai des personnages de Lapinot et ses amis qui sont en vacances de ski
21:12 Qui a eu un prix pour le meilleur jeune auteur
21:16 Et là les éditeurs se sont dit "ah ben oui, ça peut intéresser donc on va le prendre"
21:20 - Mais qu'est-ce qui fait que ça a marché ?
21:23 - Peut-être que c'était marrant, peut-être que c'était intéressant, peut-être qu'il y avait un petit peu de profondeur
21:26 Et que l'alchimie a fait que les lecteurs...
21:30 - Ou c'était tout nouveau peut-être ?
21:32 - Non, parce que le minimalisme existait déjà, l'animalier existait déjà
21:35 Moi je l'apporte en France parce que c'est vrai que c'est plutôt anglo-saxon comme système
21:41 Donc il a fallu un petit peu de temps pour gérer ça
21:45 Pareil pour l'humour, moi j'ai un humour qui est plutôt décalé, non-sens
21:50 Parce que le non-sens en France, ben non, on avait pas les Monty Python en France
21:57 On avait Benny Hill malheureusement et Colaro
22:00 Donc on a un humour un peu gras
22:03 Et quand on le découvrait plus tard...
22:05 - C'est un peu absurde quand même Benny Hill
22:07 - C'est répétitif
22:09 - C'est un peu lourd
22:11 Donc voilà, j'étais un peu décalé
22:14 J'avais l'impression de ne pas être sur la bonne planète on va dire
22:17 Puis finalement, les gens avec le mondialisme au niveau de la culture
22:23 Ça se rattrape en disant "mais c'était génial les Monty Python etc"
22:28 Et donc je reviens un petit peu dans l'air du temps
22:31 - Vous en avez dit un mot tout à l'heure
22:33 Vous avez créé avec d'autres dessinateurs une maison d'édition en 1990
22:39 qui s'appelle l'Association
22:41 Justement, vous aviez besoin d'un espace de liberté à ce moment-là
22:46 pour pouvoir expérimenter et faire à votre façon de la bande dessinée ?
22:52 - Nous on a toujours adoré la bande dessinée
22:55 On voulait faire des bandes dessinées différentes
22:57 On les a faites en noir et blanc parce que ça coûtait moins cher
22:59 On aurait pu les faire en couleur, on les aura faites en couleur
23:01 Il y a David Bay qui a commencé à raconter ses rêves
23:03 Jean-Christophe Menu, des choses autobiographiques
23:08 On faisait ce qu'on pouvait parce qu'on avait un budget assez limité
23:14 À l'époque, on démarchait nous-mêmes les librairies
23:18 On allait poser les livres en disant "non non non, c'est la vente ferme, c'est pas juste en dépôt"
23:23 Ça a mis très très longtemps avant de fonctionner à minimum
23:28 Je pense qu'on a mis à peu près 4-5 ans avant que les libraires nous fassent vraiment confiance
23:32 On n'est pas payé pour faire tout ça
23:34 Et puis après, en 2001, il y a Percépolis qui arrive
23:38 Ça écrase tout et puis ça nous a sauvés
23:42 - Est-ce que vous vous dites que vous avez participé justement à faire évoluer la bande dessinée
23:47 à changer aussi le regard sur cet objet ?
23:50 Il y a encore quelques années, on parlait beaucoup moins de bande dessinée
23:53 Il y avait beaucoup moins d'albums qui étaient vendus
23:55 Aujourd'hui, c'est complètement hallucinant le nombre d'albums qui sortent chaque année
24:01 avec des styles très différents aussi
24:03 Vous avez parlé de Percépolis, des choses qui sont très variées
24:05 Vous pensez avoir été précurseur sur ce terrain-là ?
24:10 - Non, je ne pense pas avoir été précurseur
24:12 Il y a des gens comme Krupp ou Will Eisner qui dans les années 60-70 faisaient des choses un peu équivalentes
24:17 Contrairement à ce qu'on pense, la bande dessinée ce n'est pas quelque chose qui est populaire
24:24 On va dire que Tintin va être populaire, mais c'est une erreur de se dire que la bande dessinée est populaire
24:28 Je pense que c'est un travail de niche
24:31 La plupart des bandes dessinées se vendent autour de 3 500 exemplaires
24:37 Il va y avoir toujours des Astérix à 2 millions
24:41 On travaille pour très peu de librairies, pour très peu de lecteurs
24:48 On est content d'en parler un peu, d'en faire la promotion quand on va dans les médias
24:53 Malheureusement, généralement, moi y compris, on n'est pas très bon pour parler de nous-mêmes et parler de bande dessinée
24:59 Heureusement, il y a des gens comme Joe Wassenspar qui eux vont un petit peu valoriser le médium
25:03 Mais mon but ce n'est pas d'être le pape pour prêcher la bonne parole en disant que la bande dessinée c'est bien
25:11 Oui c'est bien, il y a plein de choses qui sont bien
25:14 Allez voir les libraires, allez vous faire conseiller
25:17 Si vous ne connaissez pas trop de choses, n'ayez pas peur
25:20 Mais en France, surtout, par rapport à d'autres grandes nations de bande dessinée
25:28 qui sont les Etats-Unis ou le Japon
25:31 qui sont vraiment vers le côté très populaire avec des choses souples et peu chères
25:36 Nous on est dans le côté bibliophilique avec des albums cartonnés souvent plus chers
25:39 mais on a aussi un éventail de dessins et de narrations incroyables
25:43 Donc n'hésitez pas à aller voir votre libraire bande dessinée et vous faire conseiller
25:48 Mais malgré tout, si un auteur a un complexe, il a besoin d'amour, etc
25:57 qu'il ne fasse pas de bande dessinée, qu'il aille faire du cinéma ou de la télévision
26:00 Alors vous nous disiez, Lévi-Strandheim, que la bande dessinée n'était pas populaire
26:04 En tout cas, elle l'interroge, elle questionne aussi le travail des auteurs que vous êtes
26:09 et vous racontez d'ailleurs dans ce tome 9 des Petit Riens
26:12 votre rencontre avec le Président de la République lors d'un déjeuner à Avignon
26:16 - À Angoulême - À Angoulême, pardon
26:18 Qu'est-ce qu'on se dit quand le Président de la République vous convoque pour un déjeuner
26:24 pour vous questionner sur c'est quoi être auteur de bande dessinée aujourd'hui ?
26:30 - C'était pas tout à fait ça, j'étais pas seul auteur
26:33 - Oui, vous étiez nombreux
26:35 Il y avait en tout cas une interrogation sur cet art-là
26:40 - Surtout sur le statut de l'auteur de bande dessinée qui n'existe pas
26:44 et c'est pas peu d'auteurs de bande dessinée, beaucoup d'auteurs n'ont pas de statut en France
26:47 On cherche à bouger un petit peu les lignes avec l'Europe là-dessus
26:52 pour effectivement être un petit peu sauvegardé dans notre travail
26:57 Mais moi ce que j'ai vu avec le Président, c'est qu'il connaissait très bien le dossier
27:02 et que rien n'était fait derrière
27:03 Donc j'ai perdu deux heures de mon temps, mais bon j'ai bien mangé
27:09 - Qu'est-ce qu'il faut faire ?
27:11 Quelle reconnaissance il faut avoir aujourd'hui selon vous pour être un auteur de bande dessinée
27:16 et pour pouvoir en vivre ? Vous disiez aussi qu'il y en a beaucoup qui n'en vivaient pas
27:20 - Je crois qu'on est à peu près 3000 auteurs de bande dessinée, scénaristes, dessinateurs, coloristes
27:23 en France et en Belgique
27:25 Il y en a environ 350 qui vont en vivre et en vivent que de ça
27:31 Tous les autres font autre chose à côté, ou un mari ou une femme qui font autre chose pour vivre
27:35 Donc 350 personnes, c'est pas beaucoup, c'est pour ça que je parle de niche
27:40 Je ne suis pas sûr d'avoir bien répondu à la question
27:44 Mais qu'est-ce qu'il faut faire ? Il faut avoir la foi, simplement, il faut avoir quelque chose à raconter
27:48 Mais il ne faut pas y aller en se disant "je vais être aimé et je vais gagner ma vie avec"
27:53 Il faut avant tout se dire "essayons" parce que j'ai foi, j'ai lu de la bande dessinée quand j'étais gamin
28:00 Je m'exprime par ce moyen là, c'est plus simple pour moi que de prendre mon iPhone et de faire des films ou de faire du Youtube
28:08 Il y a une certaine noblesse malgré tout à la bande dessinée, c'est un artisanat qui n'est pas très compliqué
28:15 Il faut savoir écrire, il faut savoir dessiner, il faut savoir faire en sorte que d'une case à l'autre l'ellipse fonctionne bien
28:20 Il faut savoir cadrer, il faut savoir faire de l'éclairage
28:24 Il y a tous les corps de métier qui sont en un seul
28:27 Et c'est pour ça qu'au niveau de l'intelligence artificielle dont on parlait tout à l'heure
28:30 Je pense que faire une bande dessinée via ce moyen là, sans personne derrière, c'est complexe et on est un peu protégé pour l'instant
28:39 Mais il y a quand même un peu de place, mais bon, il ne faut pas se leurrer
28:46 Je pense que c'est plus facile de faire une école de bande dessinée et gagner sa vie que de faire de la bande dessinée
28:50 Un des rares principes de base auxquels je tiens, c'est de me mettre en état de disponibilité quand je dessine de façon à ce que l'inattendu arrive
29:00 Je commence à faire une image en m'interdisant de réfléchir et en m'interdisant de préméditer quoi que ce soit
29:08 Et pendant les 20 minutes ou les 60 minutes que dure le dessin, quand on dessine, en fait on n'a pas l'esprit qui est vide
29:16 Il y a des moments où on s'intéresse à ce qu'on fait, puis il y a des moments où quand on fait des hachures ou qu'on fait des trucs, il y a l'esprit qui se met à vagabonder et on rêve
29:23 On est dans un état comme ça
29:25 Et pendant ce rêve, à quoi on rêve ? On rêve à la deuxième image
29:30 Donc quand la première image est finie, la deuxième image, ça y est, elle s'est fixée dans la tête et on sait ce que ça va être
29:35 On l'a fait et ainsi de suite, la troisième image arrive
29:38 Et ça peut être... la deuxième image peut être la continuation de la première, elle peut être en opposition avec la première, ça peut être énormément de choses
29:44 Donc je ne me fais plus du tout de l'inquiétude, je ne pense qu'être des histoires maintenant
29:48 Il suffit que je commence la première image
29:51 La voix de l'auteur de BD, Moebius, était en 1986
29:56 C'est si facile que ça, David Strondheim, il suffit de trouver la première image et ensuite c'est parti pour tout d'y pencher
30:02 Alors lui il l'a fait effectivement sur le garage hermétique, il ne l'a pas fait après quand il faisait Blueberry ou d'autres choses
30:08 C'est un travail très exigeant de le faire comme ça en improvisation, je travaille souvent en improvisation
30:11 Généralement je vais écrire 2, 3, 4 pages et après je vais les ancrer
30:16 J'ai fait un travail comme ça parce que j'adore effectivement le garage hermétique
30:21 D'improvisation de case à case sur les cartes de Patagonie
30:26 Aussi sur "Île Bourbon 1730" même si c'était avec un scénariste qui était à côté qui me prévoyait un petit peu l'histoire
30:35 Sans crayonner, c'est un jeu très complexe parce que ça met en oeuvre beaucoup de qualités d'équilibriste
30:45 Et on en finit trempé parce que c'est épuisant
30:49 Donc au bout d'un moment j'étais plus vieux et j'ai fait des crayonnés
30:54 Mais c'est un travail que je conseille quand même de faire, de dessiner vraiment improvisé case à case de cette façon là
31:01 Mais quand on entend Jean Giraud dire ça, ça concerne à mon avis 0,01% des auteurs de bandes dessinées et des albums qui ont été faits
31:12 Généralement on va quand même un petit peu plus se sécuriser
31:16 - Tout à l'heure vous parliez de cette bande dessinée que vous aviez, une sorte d'essai dessiné que vous avez intitulé "Des œuvrées en 2005"
31:23 Qui interrogeait justement sur comment est-ce qu'on vieillit quand on est auteur de bandes dessinées
31:28 Et vous disiez notamment en parlant de la génération précédente que c'était un travail assez solitaire, répétitif
31:36 Parfois on avait aussi du mal à trouver une nouvelle inspiration
31:40 Est-ce qu'aujourd'hui vous vous dites que c'est toujours le cas ?
31:43 Est-ce que la bande dessinée c'est toujours un travail très solitaire ?
31:46 J'ai l'impression qu'il y a beaucoup de collaborations qui se mettent en place
31:49 On travaille dans des ateliers avec d'autres
31:51 Est-ce qu'il y a aussi une forme de réflexion collective sur ce métier là ?
31:57 Par rapport aux anciens, ceux des années 40, 50, 60, ils avaient leur personnage attitré
32:03 Ils devaient faire leur album une fois par an pour gagner leur vie
32:07 Et puis ils ne se posaient pas plus de questions que ça
32:09 Après quand ils ont eu des ouvertures comme Franquin qui a pu faire "Les idées noires" à côté
32:13 C'était formidable
32:16 Mais c'est vrai que nous on est dans une génération un petit peu dorée on va dire
32:19 Quand je dis dorée, c'est à dire qu'il y a eu un âge d'or dans la bande dessinée dans les années 40, 50, 60
32:24 Et il y a eu un nouvel âge d'or dans les années 2000, 2010, on va dire jusqu'à 2020
32:28 Où on a pu faire à peu près tout ce qu'on voulait, comme on voulait
32:32 Il y avait toujours eu un éditeur pour nous publier même si c'était à 500 exemplaires
32:35 Et la chance de collaborer avec des copains
32:38 Quand on voit par exemple Emmanuel Guibert ou Johannes Farr
32:43 Emmanuel Guibert va faire un scénario pour Johannes Farr sur "Les sardines de l'espace"
32:48 Et puis Johannes Farr va faire un scénario pour Emmanuel Guibert pour "La fille du professeur"
32:52 C'est le genre de choses qu'on ne voit pas dans d'autres médiums
32:54 Au cinéma c'est pas possible de faire ça
32:56 Ce genre de collaboration où un auteur complet qui est capable de tout faire
33:00 Va se dire "Ah bah finalement je vais travailler avec quelqu'un qui va m'enrichir de ses facultés que je n'ai pas"
33:08 C'est très rare et moi c'est ce que j'adore aussi dans ce métier
33:13 J'ai dû faire, vous avez dit, 180 bouquins sans doute, oui
33:16 Et j'en ai fait plus de la moitié en collaborant
33:20 Parce que c'est tellement agréable de se reposer sur les qualités des autres
33:23 Alors justement il y a un autre cycle que vous allez reprendre, si je ne dis pas de bêtise
33:28 C'est le cycle "Donjon" que vous portez depuis la fin des années 90
33:31 Et vous allez faire un nouveau tome, le tome 18 de "Donjon Monster"
33:37 C'est avec justement Johannes Farr, ça doit sortir bientôt ?
33:40 "Donjon" depuis 1998, on a fait une cinquantaine d'albums déjà depuis 25 ans
33:48 Avec Johan on écrit tout le temps tous les albums
33:52 Il avait fait une pause quand il avait commencé à faire de l'audiovisuel avec le film "Gainsbourg"
33:56 Donc pendant 5 ans il n'y avait rien eu
33:58 Et puis après on a repris et on travaille avec plein d'auteurs qui nous inspirent
34:05 "Monster 18" je ne sais pas, c'est celui avec "Hautes Pico" j'imagine ?
34:08 C'est une autrice qui est formidable, qui travaille toute seule, qui fait des albums comme "Moi Je" qui sont incroyables
34:14 Et qui malgré tout accepte de travailler avec nous
34:17 Et on ne sait pas pourquoi, parce qu'effectivement on ne travaille pas avec elle
34:22 Avec Johan on déteste les vacances, donc on vacance ensemble pour ne pas avoir des vacances
34:27 Et pour travailler, faire les scénarios de "Donjon"
34:29 Et puis après on donne les scénarios aux dessinateurs
34:32 Les dessinateurs ne travaillent pas avec nous en soi, main dans la main, dans le même atelier
34:37 On leur fournit quelque chose, après on est derrière pour les aider, pour leur expliquer des choses
34:41 Mais "Donjon" c'est un truc que je ne comprends pas même
34:46 On a commencé à faire une aventure, parce que Johan avait envie de faire un boulot avec moi
34:50 Donc il m'a proposé cette histoire de canard qui vit dans un donjon
34:54 Et puis il va chercher un guerrier
34:58 - Hervé Rémaruine
35:00 - Pour faire une aventure, et puis le guerrier va se faire tuer et il va remplacer le guerrier
35:05 Je me dis "C'est un super pitch, on va faire quelque chose"
35:07 Après deux albums, Johan était frustré de ne pas dessiner
35:09 Il s'est dit "Ah moi je veux dessiner, je vais faire ce qui se passe dans le futur"
35:12 Et je lui ai dit "Ok, dans ce cas là on fait ce qui se passe dans le passé"
35:14 Alors on a demandé à Christophe Blain de faire ce qui se passe dans le passé
35:17 Et puis après on a dit "Ah on pourra faire des albums qui se passent n'importe quand"
35:20 Donc on fait des donjons monstres dont vous parliez
35:22 Qui se passent n'importe quand avec n'importe quel personnage
35:24 Et de fil en aiguille
35:26 C'est un truc que j'ai jamais voulu faire, "Donjon"
35:30 Mais que j'adore
35:32 Là je suis en train de faire une série qui s'appelle "Aurore et l'Orque"
35:36 Que je mets sur Instagram
35:38 C'est pas animalier, c'est avec une petite fille et un orque
35:41 Qui se retrouve dans une classe avec elle et elle ne comprend pas pourquoi il l'accepte dans cette classe là
35:46 Il n'y a que elle qui comprend que c'est un orque avec des grosses dents et une grosse massue
35:48 Et j'avais fait pour un copain dessinateur qui m'a dit "Ah non finalement j'arrive pas à le faire, j'arrive pas à le trouver"
35:54 "Fais-le toi-même"
35:56 Et je me retrouve à faire ce truc là, j'avais fait juste 2-3 pages pour lui
35:58 Et maintenant j'en suis à mon troisième album
36:01 Vous continuez à travailler malgré vous
36:03 En quelque sorte peut-être que vous ne serez jamais à la retraite d'ailleurs Lévi-Strandail
36:06 Je sais pas, je me prépare au pire de façon à accepter le meilleur
36:10 Merci beaucoup Lévi-Strandail d'être venu dans les Midi de Culture
36:13 Je rappelle l'apparition du tome 9 des Petits Riens
36:16 Un livre avec beaucoup de pas grand chose
36:18 C'est comme ça que vous le présentez en quatrième de couverture
36:22 Ce tome s'appelle "Les chemins du désir"
36:24 Il est disponible dans la collection Champoint aux éditions Delcourt
36:27 Merci à vous
36:28 Et pour finir nous avons choisi deux chansons
36:30 L'une sur le désir, l'autre sur les petits riens
36:32 Laquelle souhaitez-vous écouter ?
36:34 Euuuuh
36:37 Désir ou petits riens ?
36:39 Je vais faire sur les petits riens même si je crois connaître la chanson
36:43 *musique*
37:01 Le bonheur est fait de mille petits riens
37:07 Comme un nid est fait de mille petits nids
37:11 C'est un brin de ta tendresse
37:15 C'est un grain de gentillesse
37:17 Un regard, une caresse, presque rien
37:23 C'est aussi un peu de chance c'est certain
37:27 Et l'oiseau dans sa patience le sait bien
37:33 Tout ce qui paraît utile pour le bonheur est utile
37:39 Puisqu'il est fait de ces mille petits riens
37:45 Oui je t'aime
37:47 Mathé, Altéri, mille, petits riens, Lewis Strandheim
37:51 Je ne suis pas sûr que vous pensiez à cette chanson-là
37:53 C'est vrai que c'est toujours un peu difficile
37:55 Ces voix qui viennent des années 30 et 40
37:57 On a l'impression que c'est accéléré ou que c'est trop aigu
38:00 Et en fait les paroles sont pas bien
38:02 Merci beaucoup en tout cas d'être venu dans les Midis de Culture
38:04 Une émission préparée par Aïssa Touendoy, Anna Esisberg, Cyril Marchand, Zora Vignet, Laura Duttech-Pérez, Manon Delassalle et Candice Bergeron
38:11 L'émission est réalisée par Nicolas Berger et à la prise de son ce midi c'est Anthony Tomasson
38:15 Merci à toute l'équipe, à demain Géraldine
38:17 A demain Nicolas