Xerfi Cnaal a reçu Kevin Pastier, professeur associé à ICD Business School, pour parler de ce qu'il y a au-delà de l'entreprise libérée.
Une interview menée par Jean-Philippe Denis.
Une interview menée par Jean-Philippe Denis.
Category
🗞
NewsTranscription
00:00 Bonjour Kevin Passier.
00:10 Bonjour.
00:11 Kevin Passier, vous êtes professeur associé à l'Icd Business School, laboratoire LARA.
00:16 Exactement.
00:16 Kevin Passier, auteur dans la revue française de gestion d'un article consacré à l'entreprise
00:22 libérée. Au-delà de l'entreprise libérée, point de suspension démocratisé, l'entreprise,
00:28 point d'interrogation. Et puis il y a deux études de cas qui nous ont présenté des
00:34 organisations qui essayent de faire différemment. Alors pourquoi elles essayent de faire différemment ?
00:38 Parce que, et c'est la thèse de votre article, il faut aller au-delà de l'entreprise libérée.
00:41 Expliquez-nous.
00:42 Aller au-delà. D'abord, peut-être rappeler un peu ce qu'est l'entreprise libérée.
00:46 Ça a fait un tabac ce concept.
00:48 Exactement, ça a fait un tabac, ça a été beaucoup médiatisé. Et l'idée c'était de libérer les
00:52 salariés et le travail d'une certaine bureaucratisation, prescription managériale.
00:58 Et donc il fallait laisser les salariés s'organiser de manière autonome et donc finalement passer
01:03 d'une entreprise comment, c'est-à-dire où on prescrit le comment du travail, à une entreprise
01:08 pourquoi, où le comment était décidé par les salariés et où le pourquoi était promu garant
01:15 par un certain leader libérateur. Et derrière on a eu plusieurs critiques qui sont apparus sur
01:21 l'entreprise libérée, à la fois sur certains plateaux et certains médias, mais aussi dans la
01:27 littérature en sciences de gestion avec notamment... Alors pourquoi, pourquoi ces critiques ? Qu'est-ce
01:32 que vous avez contre l'entreprise libérée ? Qu'est-ce qu'on a contre l'entreprise libérée ?
01:35 Tout d'abord, ce qui est intéressant, c'est que les études ont pu aller voir ce qui se cachait
01:39 derrière la belle vitrine de l'entreprise libérée. Le dark side. Le dark side, exactement. Et on a
01:45 identifié, je les ai regroupés en trois critiques, un leader libérateur qui est hégémonique,
01:49 qui personnifie à l'extrême l'entreprise, une décentralisation du pouvoir certes,
01:54 mais très contrôlée, avec un contrôle du corps social par lui-même. Et surtout,
01:59 ce qui m'intéressait, c'est une délibération qui est limitée et très consensuelle. On ne critique
02:05 pas la vision du leader libérateur. Et finalement, le bonheur au travail, la libération du travail,
02:13 c'est aussi quelque chose de très consensuel, où la critique et le pluralisme est assez interdit.
02:18 Effectivement, voilà. Finalement, pour vous, il y a une dimension qui a été un peu occultée.
02:25 Exactement.
02:26 Cette dimension, c'est le contrôle dit exclusif de la gouvernance. Expliquez-le.
02:30 En effet. Quand on regarde, quand on lit les promoteurs de l'entreprise libérée,
02:35 on se rend compte qu'il y a une forme d'impensée. Il faut libérer le travail,
02:38 mais la question de la gouvernance et la question de la propriété du capital n'est
02:42 jamais explicitement abordée. C'est une non-question, en fait. Et l'entreprise libérée
02:49 et ses promoteurs ne voient pas de contradiction entre, d'un côté, l'impératif d'une libération
02:53 du travail et des travailleurs, et de l'autre, une gouvernance qui reste inchangée et qui est
02:58 finalement contrôlée par un leader libérateur et qui donc contrôle ce pourquoi de l'entreprise.
03:05 C'est pourquoi il est le précaré de ce leader libérateur.
03:08 Donc l'enjeu, c'est la gouvernance, pour faire simple.
03:10 En effet.
03:11 Et donc le pouvoir, qu'est-ce qui se passe alors quand on se libère du pouvoir ? J'ai
03:15 envie de dire ça, comment on s'en libère ?
03:17 Dans cet article issu de ma thèse, j'ai pu aller étudier deux cas d'entreprise assez
03:21 originales, puisqu'elles associaient une libération de l'organisation du travail,
03:25 des équilibres autonomes et du commande, mais à côté, l'associait à un statut de l'économie
03:30 sociale et solidaire, et donc à une gouvernance démocratique, puisque selon la loi, c'est une
03:36 obligation légale de mettre en place une gouvernance démocratique pour toute entreprise
03:41 de l'ESS.
03:42 Et là, on retrouve des choses assez intéressantes.
03:44 Et en particulier, on va retrouver un processus d'égalisation des relations organisationnelles.
03:51 Un disempowerment du leader libérateur, il doit en effet partager la gouvernance,
03:56 mais aussi un empowerment des autres parties de l'entreprise, et en particulier salariés.
04:01 Et à partir de ce moment-là, on a une organisation tout à fait originale qui se crée,
04:05 qui est en fait au-delà de l'entreprise libérée telle qu'elle a été pensée,
04:08 et où le pourquoi de l'entreprise n'est plus le précaré du leader libérateur.
04:13 Quels enseignements finalement pour des entreprises qui voudraient s'engager
04:17 dans cette démarche au-delà de l'entreprise libérée ?
04:20 Ce qui est intéressant, c'est qu'à partir du moment où on libère ces deux niveaux de
04:26 l'entreprise, j'ai pu identifier que le pourquoi devenait ce qu'on pourrait appeler une figure
04:30 libre.
04:30 Chacun peut se l'approprier, peut avoir un avis dessus.
04:33 C'est plus une figure imposée.
04:34 Exactement.
04:35 Ce qui était le cas dans l'entreprise libérée.
04:36 C'est plus une figure imposée, et où finalement l'ensemble des parties peuvent s'approprier le
04:41 pourquoi et exprimer une opinion dissensuelle sur ce que devrait être l'entreprise et devrait
04:46 faire l'entreprise.
04:47 Et finalement, on peut à partir de ce moment-là exprimer des désaccords,
04:51 et en particulier avec le leader libérateur.
04:53 Merci Kevin Pastier.
04:54 C'est dans le numéro 311 de l'Arvue française de gestion.
04:57 Merci à vous.
04:58 Merci à vous.
04:59 Merci à vous.
05:00 Merci à vous.
05:01 [Musique]