À 8h20, table-ronde autour de la Panthéonisation de Missak et Mélinée Manouchian avec l'historien Denis Pechanski, l'ancien résistant Robert Birenbaum et petite-nièce de Mélinée, Katia Guiragossian. Plus d'info : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-invite-de-8h20-le-grand-entretien/l-invite-de-8h20-le-grand-entretien-du-mercredi-21-fevrier-2024-6005800
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00:00 Et c'est ce soir, à 20h80, jour pour jour, après avoir été fusillé au Mont Valérien,
00:07 qu'entrera au Panthéon le résistant arménien Misak Manouchian, accompagné de son épouse
00:13 Méliné.
00:14 Pendant l'occupation, Misak Manouchian dirigeait en région parisienne les FTP-MOI, les Francs-Tireurs
00:21 et Partisans Main d'œuvre Immigrés, mouvement de résistance communiste armée constitué
00:26 d'étrangers.
00:27 23 compagnons d'armes, ceux de l'affiche rouge, entreront aussi symboliquement au Panthéon,
00:34 leurs noms gravés sur une plaque.
00:36 Pour en parler ce matin, Léa, nous sommes en studio avec…
00:39 Avec Denis Péchanski, bonjour, historien spécialiste des questions mémorielles, vous
00:44 êtes le conseiller historique du comité pour la panthéonisation de Misak Manouchian,
00:48 vous êtes notamment le co-auteur du documentaire qui est passé hier soir sur France 2, Manouchian
00:52 et ceux de l'affiche rouge, magnifique documentaire, et le commissaire de l'exposition, vivre
00:56 à en mourir, Misak Manouchian et ses camarades de résistance au Panthéon, exposition qui
01:01 ouvrira dans la crypte du Panthéon après-demain.
01:04 Katia Giragosian, vous êtes la petite-niece de Misak et de Méliné Manouchian, votre
01:08 grand-mère était la sœur de Méliné, votre documentaire Misak et Méliné Manouchian
01:13 sera diffusé demain à 23h sur France 3.
01:15 Bonjour à vous ! Et puis c'est au Mont-Valérien et en votre présence, Katia Giragosian, que
01:20 vous, Robert Birnbaum, vous avez reçu le 18 juin dernier la Légion d'honneur pour
01:24 vos actes de résistance au sein des jeunesses communistes.
01:27 A 97 ans, vous publiez vos « Mémoires de guerre », 16 ans résistants chez Stock.
01:33 Et bien merci d'être là également ce matin, à 97 ans, ça nous fait plaisir,
01:38 vous êtes très enfants.
01:39 Bienvenue ! Bienvenue ! C'est plus près des 98 qu'à des 97.
01:44 Oui mais je… Tant qu'on n'y est pas, on n'y est pas.
01:46 C'est bien de me rajeunir.
01:48 Alors d'abord, on voulait savoir ce que vous ressentez tous en ce jour important tout
01:53 de même pour la République et pour la France.
01:55 Pour la première fois, des étrangers font leur entrée au Panthéon.
01:58 Qu'est-ce que ça représente pour vous, Katia Giragosian ? Quel sentiment vous traverse
02:03 ce matin ? Ce matin, je suis très émue.
02:07 Déjà, nous avons tous assisté à la veillée hier soir au Mont-Valérien qui était magnifique.
02:13 Vraiment, c'était un moment très, très émouvant avec la flamme ravivée et puis
02:21 les portraits des 23.
02:23 C'était cette jeunesse qui portait ces 23.
02:26 C'était vraiment un beau moment.
02:28 Et évidemment, symboliquement, c'est très fort.
02:30 Il y a peu de figures autour de laquelle on peut se réjouir aujourd'hui.
02:35 Et j'ai hâte, hâte d'assister à cette belle cérémonie.
02:39 Denis Péchanski, vous me disiez avant de rentrer dans le studio, l'émotion intense,
02:45 émouvante, terrible hier soir au Mont-Valérien qui vous a saisi dans cette veillée avant
02:52 la panthéonisation.
02:53 Imaginez, vous êtes dans la clairière, vous avez le cercueil de Missak qui est mis au
03:01 milieu de la clairière.
03:02 C'est comme un défi.
03:03 C'est Missak qui arrive et qui dit "je suis là, mais vous c'est fini, vous avez voulu
03:10 me fusiller, mais je reviens".
03:12 Et on a en plus, parce que ça c'est très important dans ces commémorations d'hier
03:18 et d'aujourd'hui, les 23 camarades qui rentrent en même temps avec les portraits
03:27 qui entourent Missak, dont Epstein d'ailleurs qui était son chef.
03:32 C'était très fort et j'ai beaucoup aimé aussi le fait qu'on attende la deuxième
03:40 partie de la cérémonie pour faire chanter l'affiche rouge, où ça, sur l'esplanade,
03:47 ce qui était le signe d'une convergence mémorielle entre la France combattante, la
03:52 France gaullienne, la France du 18 juin qui se commémore toujours sur cette esplanade,
03:59 et puis la France de la clairière, la France des fusillés, soit condamnée à mort, soit
04:04 otage.
04:05 Et là on a une convergence mémorielle.
04:07 C'est l'une des dimensions de la véritable révolution mémorielle qu'on a connue là.
04:12 Pour vous c'est un tournant mémoriel ce qui se passe aujourd'hui.
04:15 Premier étranger, premier communiste à rentrer au Panthéon.
04:19 Dans une France de 2024, dont on dit tous les matins ici dans ce micro et partout ailleurs
04:24 qu'elle est fracturée, qu'elle est divisée, qu'est-ce que ça représente ce tournant
04:28 mémoriel ?
04:29 Vous mettez le doigt dessus.
04:30 C'est le premier résistant étranger.
04:32 Donc la question c'est pas pourquoi Manouchian rentre au Panthéon avec ses camarades, c'est
04:38 pourquoi il n'y est pas rentré plus tôt.
04:39 C'est tout.
04:40 Donc premier résistant étranger, premier résistant communiste, quand on sait le rôle
04:45 des communistes et des étrangers dans la résistance, c'est absurde.
04:49 Et puis en plus c'est une leçon effectivement pour aujourd'hui.
04:51 Parce qu'ils signent par leurs engagements, par leur matrice identitaire, une convergence
04:58 identitaire.
04:59 Alors qu'aujourd'hui, qu'est-ce qu'on vit ? Une assignation à résidence dans des
05:05 cases identitaires.
05:06 C'est ça l'enjeu de cette commémoration aussi pour aujourd'hui.
05:10 Et vous Robert Birenbaum, vous qui avez connu ces années-là, vous qui alliez intégrer
05:15 les FTP quand le réseau est tombé, que ressentez-vous ce matin, aujourd'hui, en cette journée
05:22 d'entrée de Manouchian au Panthéon ?
05:23 D'abord j'ai vu l'émission d'hier au soir qui m'a complètement bouleversé.
05:31 Il se trouve que j'étais très ami avec Simon Reynman après la guerre, on était
05:40 un peu ensemble.
05:41 Et puis je ne connaissais pas les autres, mais enfin j'en avais entendu parler.
05:47 Et puis ça a été une émotion extraordinaire hier au soir.
05:52 Vous savez, c'est très difficile à mon âge de penser qu'on a eu une vie tellement
06:04 heurtée, tellement dure, toujours à peur de la police, toujours peur d'aller en même
06:12 temps.
06:13 On y allait, on y allait parce qu'il fallait se battre.
06:17 Et je dois vous dire que souvent j'ai voulu, j'ai entendu des choses après la guerre
06:27 tout de suite, quand on a commencé à dénigrer, parce qu'au départ, la France était devenue
06:35 communiste à presque 40%.
06:38 On était devenu les rois de la France.
06:44 Et puis quelques temps après, ça n'a pas duré longtemps, on avait quatre ministres,
06:52 Thorez, Biou, enfin c'était formidable.
06:57 Marane qui marche à côté de De Gaulle pour aller quand il arrive.
07:03 On était les héros.
07:06 Et puis au bout de quelques temps, a commencé à courir le bruit que les communistes.
07:15 Ça passait à gauche de Sénère, je n'ai jamais été communiste.
07:21 - Mais juste sur la figure de Missak Manouchian, pour le jeune homme de 16 ans que vous étiez,
07:29 qui allait rentrer dans les FTP, il représentait quoi Manouchian pour vous ? C'était un héros,
07:36 c'était quoi ?
07:37 - Vous savez, à l'époque, je ne connaissais pas son nom.
07:40 Je savais tout simplement que j'avais obtenu l'autorisation par mon parti, par la jeunesse,
07:47 parce que j'avais un pote assez important bien sûr.
07:51 J'étais avec Robert Roentgeveld, qui était le chef des jeunesses communistes juives,
07:56 des jeunesses communistes.
07:57 Et j'avais enfin obtenu, après des mois et des mois de sollicitations, l'autorisation
08:07 de me battre avec les autres.
08:08 C'était très compliqué bien sûr.
08:11 J'étais heureux de pouvoir entrer dans ce groupe.
08:16 J'avais passé des examens pendant plusieurs jours avec des types terribles qui m'ont interrogé
08:23 pour voir si j'étais capable.
08:24 - Oui, et Denis P.
08:25 - Et puis on m'a accordé.
08:26 - Et on vous a accordé le droit de rentrer dans les…
08:28 - Et le jour où j'attendais, on perd la chaise.
08:32 La fille qui passait à côté de moi en courant et qui m'a dit « pas de repêchage »,
08:39 ça voulait dire ce que ça voulait dire.
08:41 - Mais juste ce point historique, les FTP et notamment les FTP MOI, moi je ne sais plus
08:48 comment on dit, quand on était petit on disait moi.
08:50 - Quand on est de chez moi on dit moi.
08:54 - Oui c'est ça.
08:55 - Mais juste rappelez-nous leur fait de gloire parce qu'ils étaient quand même héroïques.
09:01 - C'est simple.
09:04 Ce qu'il y a d'extraordinaire avec le témoignage de Robert c'est qu'on passe par l'intime
09:11 et par l'humour en plus.
09:13 Cette porte d'entrée dans cette histoire est extraordinaire.
09:18 Les FTP MOI c'est simple, après la rupture du pacte germano-soviétique, le PC s'engage
09:24 dans la lutte armée et tout de suite on a trois composantes sur Paris dont une composante
09:29 déjà d'étrangers, les étrangers vont avoir une part très importante dans la lutte armée.
09:34 Et en avril 1942, après des premières chutes, parce qu'on ne comprend rien à la résistance,
09:40 en parallèle on n'a pas l'histoire de la répression qui en l'occurrence est menée
09:45 par la police parisienne, la police française, et bien on reconstitue ça autour des francs-tireurs
09:52 et partisans de Charles-Tillon au niveau national.
09:54 Et puis au niveau, évidemment, régional, Paris.
09:57 Et au niveau régional vous avez une composante, les FTP MOI, la Main d'œuvre Immigrée,
10:02 les francs-tireurs et partisans de la Main d'œuvre Immigrée, qui sont organisés par
10:06 Boris Solban, qui va avoir un rôle très très important puisque c'est le prédécesseur
10:10 de Missak, c'est le chef militaire des FTP MOI d'avril 1942 jusqu'à fin juillet 1943,
10:18 date à laquelle Missak va reprendre la main comme chef militaire.
10:23 Il faut quand même avoir en tête que ces actions militaires, oui au total il y a 80-100
10:30 allemands qui ont été tués, mais c'était totalement insupportable pour les allemands.
10:35 Depuis 1940 leur obsession c'était assurer la sécurité des troupes d'occupation sur
10:40 l'ensemble du territoire national.
10:41 Alors dans Paris, qui en 1943, Paris intra-muros j'entends, il n'y avait plus que deux groupes
10:48 français, tous les autres étaient tombés ou bien étaient très actifs en banlieue.
10:52 Mais Paris intra-muros, ils étaient sous la menace, en risque d'un coup de pistolet
10:57 et d'une grenade lancée par les FTP MOI.
10:59 C'est insupportable et surtout se rajoutent les dimensions politiques.
11:04 Pensez à cette exécution de Julius Ritter, le 28 septembre 1943.
11:09 C'est un colonel SS qui est responsable du service du travail obligatoire en France.
11:14 Alors on a une équipe spéciale au sein de ces FTP MOI qui va liquider ce gars, sauf
11:20 qu'ils ne savaient pas, ils savaient que c'était une grande personnalité, ils l'ont
11:24 suivi pour retrouver le point de départ, son adresse.
11:29 Et là ils localisent rue Petrarque et il est liquidé le 28 septembre et le lendemain
11:34 ils apprennent que c'était Julius Ritter.
11:39 Vous imaginez dans l'opinion, ils sont traumatisés depuis des mois par l'envoi forcé de leur
11:46 gamin né en 20, 21, 22, 23 en Allemagne pour remplacer ceux qui vont sur le front russe,
11:54 sur le front de l'Est.
11:56 C'est une forme de déportation, ils sont totalement traumatisés et là ils ont des
12:00 résistants qui liquident le gars qui est responsable de ça.
12:03 Mais ils ont dû se dire "ah oui quand même, chapeau les gars".
12:06 C'était ça ces résistants étrangers qui ont servi pour la France.
12:10 Katia Guiragoschian, enfant vous avez connu Méliné, vous lui rendiez visite dans son
12:16 appartement de Belleville avec votre mère.
12:18 Elle parlait de Missa, elle racontait le résistant, le héros qu'il avait été.
12:26 Ce n'était pas tante Méliné qui me racontait, elle était un sphinx en fait, elle était
12:33 très mystérieuse, ce qui attisait d'autant plus ma curiosité.
12:36 Je l'aimais beaucoup, elle parlait mais très peu.
12:39 En réalité c'est ma grand-mère armène qui me racontait beaucoup et que j'écoutais
12:44 religieusement.
12:45 Méliné, on allait la voir, je regardais toujours ses petits mots parce qu'elle prenait
12:49 toujours plein de petites notes et donc je lisais comme ça, je regardais.
12:53 Elle n'avait pas forcément les mots pour une enfant, je pense que déjà ça tenait
12:58 à sa nature profonde mais aussi aux 18 ans qu'elle avait passé en Arménie soviétique.
13:02 C'était quelque chose qui était de l'ordre du secret.
13:05 D'ailleurs, elle m'a délivré un secret quand j'étais petite en me disant "je
13:11 vais te donner un secret mais attention, c'est très grave un secret, il ne faut jamais trahir
13:15 la parole donnée".
13:16 Et en fait au moment où je me suis relevé, j'ai traversé la pièce, j'avais oublié
13:21 ce qu'elle venait de me dire.
13:22 Je pense que l'enfant que j'étais a trouvé cette parade pour ne pas avoir à trahir la
13:27 parole.
13:28 C'est un destin incroyable de Misak Manouchian parce que c'est aussi un destin et une vie
13:32 incroyable.
13:33 Il n'a pas vécu longtemps, il est né en 1906 dans ce qui était l'Empire Ottoman.
13:38 Il va échapper avec son frère au génocide des Arméniens en 1915.
13:42 Il va voir son père tué, massacré et tué devant ses yeux par les Turcs.
13:47 Il va fuir et comme beaucoup d'Arméniens qui ont fui le génocide, il arrive au Proche-Orient,
13:52 en Syrie puis au Liban.
13:53 Il va grandir avec son frère dans un orphelinat au Liban.
13:55 Et puis il arrivera à rejoindre la France en 1924.
13:59 Il débarque en France sans argent, apatride.
14:02 Il enchaîne les petits boulots, menuisier, livreur de charbon, ouvrier chez Citroën,
14:06 fissleur de paquets mais aussi nu pour les artistes peintres.
14:10 Oui, parce qu'il était beau.
14:11 Il était athlétique surtout parce qu'il avait suivi beaucoup de cours de sport.
14:17 On prenait quand même un minimum soin des orphelins, on faisait en sorte qu'ils soient
14:22 un peu costauds pour qu'ils puissent ensuite aller travailler.
14:24 Et puis ça, les gens tiennent aussi au fait que c'est un intello, pour le dire simplement.
14:31 Un amoureux de la littérature française, qui écrit des poèmes, qui écume les bouquinistes
14:37 du quartier latin, contribue à des revues arméniennes de Paris, fait des traductions
14:42 de l'arménien au français.
14:43 C'est aussi un érudit, un artiste, un poète.
14:46 Et le français en arménien aussi.
14:47 Oui, voilà, vite fait.
14:49 Il crée des revues, il est rédacteur en chef, il pose pour des peintres, il suit
14:54 des cours.
14:55 Moi qui ai découvert ses carnets en Arménie, je peux vous dire que c'est des trésors
14:58 que j'avais entre mes mains.
14:59 Avec en effet des cours de mythologie, des poèmes, mais aussi des schémas extrêmement
15:07 aboutis, très techniques, sur des domaines très divers.
15:11 Vraiment, il était très riche, il avait une appétence.
15:14 C'était un assoiffé de culture, qui s'est nourri de culture.
15:18 Et qui était ami d'ailleurs avec les Aznavouriens, il était ami avec les parents de Charles
15:23 Aznavour.
15:24 C'est d'ailleurs Missa qui apprendra à Charles à jouer aux échecs et Méliné va
15:28 se réfugier chez eux, chez les parents d'Aznavour, quand il sera fusillé.
15:33 Parlez-nous, Denis Péchanski, vous qui avez tellement travaillé autour de cette figure
15:38 de cet homme, pourquoi est-ce qu'il est devenu un héros ? Pourquoi ensuite ses mots
15:41 et sa dernière lettre à Méliné, avant d'être fusillé, vont inspirer Aragon, vont
15:45 inspirer Léo Ferré ? C'est aussi pour ça qu'on connaît l'affiche rouge.
15:48 Parlez-nous de cet homme.
15:51 Cet homme, d'abord dans l'orphelinat, à côté de Beyrouth, à Jounier, avant de venir
16:01 en France en 1924, déjà grâce à son professeur, il apprend cette littérature, la poésie
16:08 française.
16:09 Il baigne déjà là-dedans.
16:10 Beyrouth était sous mandat français à ce moment-là, après la première guerre mondiale,
16:16 après l'effondrement de l'Empire Ottoman.
16:18 Il baigne là-dedans et son frère Garabel lui dit quand même, tu es bien gentil mais
16:27 on va quand même apprendre la menuiserie aussi.
16:29 Tu ne vas pas simplement prendre tes cours de poésie et de littérature.
16:33 Il a fait son premier poème à 12 ans, c'est tout mignon.
16:36 Et quand il vient en France, son poème qui l'envoie, c'est vers la France.
16:45 Il a un amour pour le pays qu'il accueille, qui est d'ailleurs partagé par tous les
16:52 immigrés qui vont se retrouver dans les FTP.
16:54 Oui, c'est ça qu'il faut comprendre.
16:56 Ils ont la matrice communiste, universaliste, et puis les origines les plus diverses, italiens,
17:05 juifs d'Europe centrale-orientale, espagnols, avec Celestino Alfonso.
17:10 Et puis ils partagent cet amour pour la révolution française, la France des droits de l'homme,
17:18 la France des lumières.
17:19 C'est cette France-là qui les aime.
17:21 Mais oui, c'est sûr que ce n'est pas la France de pétain.
17:23 Bien sûr.
17:24 Ce n'est pas le sens de ma question non plus.
17:27 Je l'ai bien compris.
17:28 Merci de le souligner.
17:29 Nous serons d'accord là-dessus.
17:31 Non mais ce que vous dites, c'est ça qu'on essaie de célébrer aujourd'hui.
17:37 C'est la délise.
17:38 Liberté, égalité, fraternité.
17:39 Combien ces Français ont aimé la France parfois plus que les Français eux-mêmes.
17:45 C'est ces Français de préférence.
17:47 Ces Français qui sont tombés pour la France.
17:49 Et puis ce que Robert a très bien expliqué, ils jouaient leur peau tous.
17:53 Sauf qu'ils disaient qu'on n'a pas le choix.
17:56 On y va.
17:57 On ne peut pas laisser faire ça.
17:58 C'est ça qui est extraordinaire chez eux.
18:01 Et s'ils se retrouvent au Panthéon, Missak et derrière avec ses camarades.
18:06 Mais lui c'est premièrement parce qu'il avait des responsabilités importantes dans
18:09 la résistance.
18:10 Deuxièmement parce qu'il a eu la fiche rouge.
18:13 Parce qu'ils ont voulu faire un procès montrant comment le juif, l'étranger, le communiste
18:21 étaient derrière.
18:22 C'était l'armée du crime qui était derrière la résistance.
18:25 C'est une opération qui n'a pas d'équivalent.
18:27 Et qui s'est inversée.
18:29 C'est-à-dire que les Français l'ont inversée.
18:33 Et les ont héroïsée.
18:35 Voilà, comme une affiche de la résistance.
18:36 Et troisièmement, la rencontre d'un poète avec des poètes.
18:39 Aragon et Léo Ferré.
18:43 Et c'est ça qui fait que Manouchian rentre dans la mémoire collective dès la fin des
18:49 années 50.
18:50 Robert Birnbaum, qu'est-ce que ça vous évoque tout ça ?
18:53 C'est tout mon passé, je m'excuse.
18:57 Je les ai tellement aimés.
19:00 Et j'en ai connu d'autres.
19:01 Il y avait d'autres groupes de francs-tireurs que j'ai fréquentés.
19:05 J'ai bien connu Maurice Holleman, leur chef au départ.
19:08 C'était le commandant de notre bataillon.
19:10 A 18 ans, je me suis engagé dans l'armée française, c'était la libération.
19:15 On a formé la compagnie Rayman, du nom d'un des combattants.
19:20 Je connaissais très bien son frère, je vous l'ai dit.
19:24 Et j'ai connu des autres groupes de francs-tireurs qui étaient parmi nous.
19:30 Vous savez, notre commandant, personnellement, c'était un cousin de ma femme.
19:35 Sa femme venait de mourir à Chantilly.
19:38 Il s'appelait Yarrouchem.
19:47 Yarrouchem, Alfred Yarrouchem.
19:52 Alfred Yarrouchem, sa femme, a sauté dans la valise de chevaux.
19:57 Elle transportait des grenades.
19:59 C'était la cousine de mon épouse.
20:02 Elle a sauté avec une grenade et elle est morte.
20:07 Et lui, il est devenu notre commandant de bataillon.
20:11 C'était un type extraordinaire.
20:14 J'avais toute une équipe dans notre compagnie Rayman.
20:18 Il y avait beaucoup de francs-tireurs qui n'étaient pas du groupe Malouchian.
20:23 Mais ils étaient très nombreux chez nous.
20:27 On est en ligne au Standard d'Inter avec Laurent, qui est le fils d'un résistant
20:32 espagnol.
20:33 Bonjour Laurent.
20:34 Oui, bonjour.
20:35 Bienvenue.
20:36 Merci.
20:37 On vous écoute.
20:38 Je suis donc le fils d'un résistant espagnol dans la région Bordelaise qui a participé
20:44 à un commando pour un attentat sur un officier allemand.
20:51 Il a été déporté.
20:53 Il en est revenu vivant.
20:55 Mais moi, je téléphone parce que cette journée, elle va rester unique.
20:59 Et peut-être qu'après, on va oublier ce qu'est l'importance de ces immigrés dans
21:08 la résistance.
21:09 Donc, ce qui serait bien aussi, c'est de continuer peut-être cette action.
21:14 J'assiste souvent aux commémorations et j'en sors très en colère parce qu'on ne parle
21:22 jamais, pratiquement jamais de cette résistance immigrée.
21:27 Et je suis en train de proposer à des municipalités autour de moi que soient inscrits sur les
21:36 monuments morts un hommage à cette résistance immigrée pour que ça reste en notre mémoire
21:45 auprès de ceux dont les noms sont gravés sur nos monuments morts.
21:49 Donc, les lier tous les deux.
21:53 Parce qu'on cite les Français, bien sûr.
21:57 Et moi, je pars très en colère souvent parce qu'on oublie ces gens-là.
22:05 On oublie ces immigrés qui ont donné leur vie, qui ont souffert après.
22:09 Et ça me met à chaque fois en colère.
22:12 - Et on entend votre grande émotion, Laurent, ce matin.
22:15 Merci d'avoir témoigné au Standard d'Inter.
22:19 Denis Péchanski, dans le cadre des travaux de cette panthéonisation, vous vous êtes
22:23 replongé dans des recherches historiques sur la résistance.
22:26 Vous vouliez retrouver les résistants étrangers morts pour la France pour les décorer de
22:30 la Légion d'honneur.
22:32 Et vous découvrez qu'il faut être de nationalité française pour bénéficier de la mention
22:37 mort pour la France, c'est ça ?
22:39 - Ah oui, ça, ça a été la cerise sur le gâteau.
22:43 Parce que quand je parle de révolution mémorielle, elle est aussi là.
22:47 Elle est dans la reconnaissance des morts pour la France.
22:50 C'est une loi qui a été promulguée en 1915.
22:54 Et je n'avais pas travaillé dessus, je travaille quand même depuis quelques décennies sur
22:57 la Deuxième Guerre mondiale.
22:59 Et là, je tombe de l'armoire.
23:01 Parce que Bruno Roger-Petit, le conseiller de mémoire, me dit, à la fin de la rencontre
23:05 qu'on a eue avec Katia et Jean-Pierre Saccoun, qui est le président du comité de soutien,
23:12 et puis Aonzou Liass, et puis Nicolas Dragon.
23:16 Je dis ça parce que Pierre Aonzou Liass, sénateur communiste, Nicolas Dragon, maire
23:21 LR de Valence, c'est pour dire que c'était très très large.
23:25 Il n'y a aucun problème.
23:26 Il y a une unanimité autour de cette panthéonisation.
23:29 Et donc, c'était à peu près réglé.
23:31 On est le 30 mars 2022, donc ça date déjà de quelque temps.
23:36 Et en sortant, Bruno me dit, est-ce que vous ne pouvez pas regarder s'il n'y a pas des
23:41 survivants à décorer ? Moi, j'en ai un.
23:45 C'était Robert et c'était superbe.
23:48 Mais je lui dis quand même, 80 ans après, ça va être compliqué.
23:52 Et puis ceux qui, a priori, ils ont sans doute déjà les gens, mais je vais voir.
23:58 Ils ont déjà les gens d'honneur.
23:59 Je vais voir.
24:00 Et puis, deux assos qui me disent non, on n'a personne.
24:04 La troisième, c'est Claudie Bassé qui me dit, écoute, ce n'est pas notre problème.
24:07 Notre problème, c'est les morts pour la France.
24:09 Et je tombe de l'armoire.
24:10 Parce que je découvre, à cause d'une loi de 1915 qui décide de la mention mort pour
24:16 la France, première guerre mondiale, armée régulière contre armée régulière, ça
24:20 ne pose pas de problème.
24:21 Il faut être français pour être mort pour la France.
24:22 Il faut être de nationalité française.
24:23 Alors après la deuxième guerre mondiale, on a godillé l'administration, on a donné
24:28 à certains et pas à d'autres.
24:29 Et qu'est-ce qu'on découvre ? Qu'au Mont-Valérien, sur les 185 étrangers qui ont été fusillés
24:36 à Paris, il y en a pas.
24:37 185 sur 1000, ça fait une belle proportion.
24:40 Bien plus importante que le nombre, la proportion d'étrangers en France.
24:43 Il y en a 92 qui n'avaient pas été encore dits morts pour la France.
24:49 Et sur les 92, il y avait Xivax qui était sur l'affiche rouge.
24:54 Dernière question à vous, Katia Guiravoucian.
24:56 Il nous reste quelques secondes pour répondre aussi à l'auditeur sur ce qui va se passer
25:00 demain, une fois la pentalionisation passée.
25:03 Je sais que c'est quelque chose qui vous tient à cœur et que vous allez voir les
25:06 jeunes aujourd'hui pour leur dire qu'ils avaient votre âge.
25:09 Moi régulièrement, j'allais dans les collèges voir les jeunes justement et leur dire "quel
25:14 âge tu as toi ? 15, 16 ans ? Imagine, tu es résistant".
25:18 Et en règle générale, j'essaie toujours de les ramener à leur réalité.
25:22 Je dis "tu es sur les réseaux, qu'est-ce que tu donnes comme info de toi sur les réseaux
25:25 ?" Et en règle générale, je dis "en deux secondes, on t'a logé".
25:30 Essayez de garder un peu plus d'info par-devers toi et de ne pas tout livrer de toi, de ta
25:35 vie parce qu'on sait que tu vas à tel endroit, tel endroit, tel endroit.
25:38 Et tout de suite, c'est concret pour eux.
25:41 Et donc ça les saisit.
25:42 Mais toute cette année, évidemment, il va y avoir des expositions, il y a beaucoup de
25:47 documentaires, il y a beaucoup d'œuvres, il y a beaucoup de livres qui sortent.
25:51 Et on espère évidemment que ça ne s'arrêtera pas là.
25:54 De mon côté, je vais essayer je pense de faire une maison Manouchian et des résidences
25:57 d'artistes parce que Manouchian est vivant et que je veux lui retirer son habit de m'artirer.
26:02 Et voilà.
26:03 Merci, merci beaucoup à tous les trois.
26:06 Denis Péchanski, Katia Aguirre-Agossian et Robert Birenbaum.
26:11 Je donne le titre de votre livre, Robert, 16 ans résistants, publié chez Stock.
26:17 Publiez donc vos mémoires à 98 ans, bravo.
26:19 Et merci d'avoir été à ce micro.
26:22 Il est 8h49.