François Molins, ancien procureur de la République, était l'invité de Benjamin Duhamel dans C'est pas tous les jours dimanche, sur BFMTV.
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00:00 Votre relation avec l'actuel garde des Sceaux, Eric Dupont-Moretti, vous en parlez à la fin du livre.
00:04 Rappelons que c'est vous qui avez porté l'accusation dans l'affaire qu'il a conduite dans la Cour de justice de la République, où il a été relaxé.
00:10 On l'a lu dans les comptes rendus d'audience à la Cour de justice de la République, c'était un couteau tiré entre vous.
00:17 On a parfois le sentiment que vous en avez fait une affaire personnelle. Pourquoi ?
00:21 - Je n'en ai absolument pas fait une affaire personnelle.
00:23 J'ai essayé de l'expliquer, je le redis dans le livre,
00:27 moi je ne connaissais pas M. Dupont-Moretti quand il a été nommé garde des Sceaux.
00:30 Je n'avais jamais croisé le faire avec lui dans les audiences, donc ça n'est pas une affaire personnelle.
00:34 Simplement, je me suis trouvé dans un rôle et effectivement,
00:38 on va dire que les quatre ans qui se sont déroulés au cours desquels il s'est défendu comme il avait le droit de se défendre,
00:46 j'allais dire, et c'est le parti que j'ai pris dans le récit que je fais dans le livre,
00:51 c'est de raconter la réalité des faits pour montrer comment cette situation avait pu créer un blocage institutionnel
00:57 et empêcher toute relation institutionnelle entre le Parc des Généraux et la Cour de cassation, le CSM et M. Dupont-Moretti.
01:04 Mais moi je n'ai pas réglé d'affaire personnelle.
01:06 - Oui mais François Mollin, je suis quand même un peu étonné parce que vous avez donné une interview à nos confrères du Monde
01:09 à l'occasion de la sortie de vos mémoires et vous expliquez, vous dites "je n'ai pas compris sa relaxe"
01:14 parlant de la relaxe d'Éric Dupont-Moretti, en ajoutant qu'elle était contraire à la jurisprudence de la Cour de cassation.
01:19 Pour quelqu'un comme vous qui a occupé toutes les plus grandes fonctions de la justice française, c'est quand même un peu étonnant d'aller
01:25 contester un jugement qui en plus n'a pas fait l'objet
01:29 d'un appel de la part de l'accusation.
01:31 - Mais je vais vous expliquer.
01:33 - Je n'ai pas compris.
01:35 Et voilà, vous dites même "je l'ai mal vécu".
01:37 - Je vais vous expliquer.
01:38 Je l'ai mal vécu parce qu'on a dans tout ça essayé de faire penser que c'était moi le coupable.
01:43 Qu'est-ce qu'on disait ? Le coupable c'est Mollin, c'est lui qui a poursuivi.
01:47 Jusqu'à preuve du contraire, le conflit d'intérêt c'est pas moi qui l'ai créé,
01:50 c'était pas à moi de le résoudre, c'était à M. Dupont-Moretti.
01:53 - Et il a été relaxé dans cette affaire ?
01:55 - Après que la Cour ait constaté que les éléments matériels, la prise égale d'intérêt, étaient constitués.
01:59 C'était pas à moi de le régler.
02:01 - Mais c'est-à-dire qu'au fond...
02:03 - Laissez-moi décliner le raisonnement parce que sinon on tombe dans des choses simplistes.
02:07 Moi je suis coupable de rien là-dedans. J'ai exercé mon rôle, j'ai fait mon travail et quand je poursuis,
02:13 je suis obligé de poursuivre. Parce que je vous rappelle que la Commission des requêtes a donné un avis favorable
02:18 et n'importe quel procureur général aurait fait comme moi parce que la loi l'y obligeait.
02:22 - Oui mais François Mollins, il y a...
02:24 - Je veux revenir au verdict.
02:26 - Il y a effectivement cette obligation de poursuite, mais il y a le combat médiatique qu'il y a eu.
02:30 Notamment cette tribune que vous signez dans Le Monde avec la présidente de la Cour de Cassation, Chantal Arrins,
02:34 où là vous dites "les magistrats sont inquiets de la situation dans laquelle se trouve l'institution judiciaire".
02:38 Là c'est une façon d'assumer pour les plus hauts postes de l'institution judiciaire de rentrer frontalement en conflit avec le garde des Sceaux.
02:47 Il y a quelque chose d'autre que vous dites beaucoup dans ce livre.
02:49 Vous dites "au fond les rapports entre la politique et la justice se sont beaucoup dégradés".
02:52 Mais est-ce que précisément en faisant cela, vous n'avez pas aussi une part de responsabilité dans la dégradation de ces rapports ?
02:57 - Ma responsabilité, ça a été exercer les fonctions que la loi me donnait à travers ma nomination.
03:03 Les relations politiques-justice, elles sont dégradées depuis bien plus longtemps que depuis l'affaire Dupont.
03:07 Depuis l'affaire du monsieur Dupont-Moretti.
03:09 Cette tribune, on l'a faite avec la première présidente parce que le problème du conflit d'intérêts n'était pas traité par les organes de contrôle qui auraient dû le faire.
03:16 Pour revenir au verdict que vous évoquiez, parce que je veux quand même répondre à votre question,
03:19 et ce n'est pas une critique mais on a quand même le droit de penser,
03:22 c'est objectif de rappeler qu'une décision est contraire à la jurisprudence de la Chambre Criminelle fixée depuis le 15...
03:28 - Mais il y a l'autorité de la chose jugée.
03:30 - L'autorité de la chose jugée n'empêche pas des commentaires juridiques sur une décision.
03:34 15 décembre 1905.
03:36 Pour autant, cette décision, moi je l'accepte très bien, je vais vous dire plus,
03:40 j'aurais été procureur général à la place de Rimietz, j'aurais fait comme lui.
03:44 J'aurais pas fait de pourvoi. Je vais vous dire pourquoi.
03:46 J'aurais pas fait de pourvoi parce que je pense que s'il y avait eu un pourvoi,
03:51 il y aurait certainement eu des chances de cassation au niveau de la Cour de cassation.
03:55 L'affaire aurait été envoyée devant un cours de justice de la République qui aurait vraisemblablement fait la même chose.
04:00 Donc il y a un moment, il faut tourner la page et ne plus parler de ces choses-là.
04:04 Tout ça en réalité.
04:05 - Je sens quand même, François Mollens, quand on aborde ce sujet, que ça vous tient à cœur.
04:10 Quelque chose d'autre qui m'a frappé, vous parlez de sa nomination,
04:13 la nomination d'Éric Dupond-Moretti dans le livre,
04:15 et vous dites "ce n'était pas la meilleure façon d'entamer la relation et le dialogue social avec les magistrats".
04:20 Et toujours dans les colonnes du Monde, vous dites "est-ce qu'au fond, on aurait nommé Place Bovo un ministre de l'Intérieur
04:25 si les syndicats de police y étaient opposés ?"
04:27 Faisant référence à ce qu'avaient dit les syndicats de magistrats,
04:29 qui avaient qualifié de déclaration de guerre pour la plupart la nomination d'Éric Dupond-Moretti.
04:32 Ça veut dire que c'est au syndicat de magistrats de choisir qui va être leur ministre de la justice ?
04:37 - Non, j'ai simplement comparé, j'allais dire, des situations et des visions différentes suivant les ministères.
04:43 Et je pense qu'il y a un œil particulier qui est aujourd'hui porté par les politiques sur notre justice.
04:48 Je pense que quand la justice fait son travail, elle dérange.
04:51 Quand vous avez une affaire politico-financière, j'en ai fait l'expérience à plusieurs reprises,
04:55 quoi que vous fassiez, vous serez critiqué.
04:58 - Il aurait pas dû être nommé Éric Dupond-Moretti ?
05:00 - Si vous poursuivez, vous serez critiqué par l'autre bord politique,
05:03 et si vous classez, on vous reprochera d'enterrer un dossier, d'être complaisant avec le pouvoir.
05:07 Quoi que vous fassiez, vous êtes critiqué.
05:09 Donc vous avez une fonction, vous l'exercez.
05:11 Moi, j'ai ma responsabilité de magistrat, j'avais ma responsabilité de procureur,
05:16 j'estime que j'ai fait mon métier comme je devais le faire,
05:19 conformément à la loi, sur le reste, après, les questions politiques, c'est pas de mon niveau.
05:24 - Non mais, vous en parlez, vous dites au fond,
05:27 certains ont pensé que je m'en prenais, ou du moins que j'avais un rôle dans cette histoire,
05:31 parce que vous auriez aimé être à la place d'Éric Dupond-Moretti.
05:34 - Dans tout sens.
05:35 Le procureur général, au cours de l'audience, puisque vous avez l'air de l'avoir suivi précisément,
05:40 je vous rappelle, a dit que tout ça était une faible.
05:42 Je n'ai jamais voulu être garde des Sceaux, je n'ai pas d'ambition politique,
05:46 je n'en ai pas eu dans le passé, je n'en aurai pas plus dans l'avenir,
05:52 ça ne m'intéresse pas, j'ai des engagements qui prennent d'autres formes,
05:56 et je suis très heureux de ce que j'ai aujourd'hui, je sers autrement,
05:59 c'est sur la transmission, le partage, sur la formation,
06:02 je n'ai aucune ambition dans ce domaine-là, et je le redis très fermement.
06:06 - Vous savez que quand on interrogeait Éric Dupond-Moretti avant qu'il soit nommé,
06:08 en lui demandant si un jour il ferait de la politique, il disait que non.
06:10 - Moi j'ai une parole et je m'y tiens.