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00:00 Place à la rencontre. Aujourd'hui, notre invité sont deux invités, deux sociologues de générations différentes.
00:07 Le premier est directeur d'études à l'EHESS et a commencé la sociologie dans les années 60.
00:13 La seconde est directrice de recherche au CNRS et a découvert la sociologie dans les années 90 en lisant le premier.
00:20 Entre octobre 2021 et février 2023, ils se sont vus semaine après semaine pour s'entretenir.
00:26 De quoi ? De sociologie évidemment. Comment sont-ils venus à cette discipline ? Quelle est leur méthode ?
00:32 Comment tentent-ils œuvrer à la société grâce à leurs travaux ? Et surtout, comment défendre aujourd'hui la sociologie ?
00:39 Aujourd'hui, leurs échanges ont été publiés et ils sont ici pour en parler.
00:44 Bonjour Luc Boltanski. Bonjour. Merci beaucoup d'être dans le studio des Médias de Culture.
00:48 Jeanne Lazarus va nous rejoindre dans quelques instants.
00:51 "Comment s'invente la sociologie", c'est le titre de votre livre, écrit aussi avec Jeanne Lazarus et Arnaud Esquerre.
00:58 À la fin de l'avant-propos, Luc Boltanski, on peut lire ceci.
01:01 "Ce livre est une sorte de mémoire écrite pour défendre la sociologie dont nous considérons souvent qu'elle est injustement décriée."
01:10 Est-ce que vous pensez vraiment que la sociologie est aujourd'hui décriée ?
01:14 Écoutez, je pense qu'il appartient à la sociologie d'être une discipline en crise.
01:20 J'ai lu récemment les cours au Collège de France de Raymond Aron, qu'il a professés en 69-70,
01:31 qui portent entièrement sur la crise de la sociologie.
01:34 Et la sociologie est née au 19e siècle pour essayer de répondre à cette grande crise européenne, mondiale, bientôt mondiale, qu'avait été la Révolution française.
01:45 Et donc, si vous voulez, il est dans le destin de la sociologie d'être en crise,
01:49 ce qui est une excellente chose dans un sens, c'est que ça l'oblige à réfléchir sur elle-même,
01:54 et que ça stimule la réflexivité qui est le rôle qu'elle joue dans la société.
02:00 Donc pas besoin de la défendre finalement, il vaut mieux même œuvrer à cette crise, Luc Boltanski.
02:06 Il faut lui maintenir son lustre, il faut qu'elle puisse être désirée.
02:17 Quand je suis rentré dans la sociologie, j'avais 20 ans, j'avais jamais lu une ligne de Durkheim,
02:26 j'ai essayé de lire un petit peu de Durkheim, son traité de sociologie, ça m'a beaucoup ennuyé.
02:35 - Oh, c'est quand même pas mal !
02:37 - Bah non, Durkheim c'est bien, il y a des livres bien, et la pensée est intéressante.
02:42 - Mais pourquoi ça vous ennuie ?
02:43 - Si vous avez 20 ans, et que vous prenez "La guerre civile en France" de Marx,
02:48 ou vous prenez un manuel pédagogique durkheimien, c'est pas la même excitation.
02:57 Mais malgré tout, tous mes copains les plus intéressants allaient vers la sociologie, et j'y suis allé aussi.
03:07 Et donc un des buts de ce livre, c'était de maintenir l'excitation que peut donner le travail sociologique à des gens qui ont entre 20 et 30 ans.
03:24 - Bonjour Jeanne Lazarus.
03:26 - Bonjour Jeanne.
03:27 - Vous venez d'arriver bien sûr, Luc Boltanski vous salue aussi.
03:31 Je demandais à Luc Boltanski, à l'instant, je citais l'avant-propos où vous disiez que la sociologie était décriée,
03:38 et que ce livre "Comment s'invente la sociologie" était là aussi pour la défendre.
03:42 Est-ce que vous trouvez vraiment, vous, que la sociologie est décriée ?
03:47 Sachant, je vais un peu corser ma question, qu'on voit énormément de sociologues dans les médias, qu'on fait part de leurs publications,
03:57 qu'ils ont en fait accès aussi aux responsables politiques.
04:01 - Oui, alors c'est tout le paradoxe de la sociologie.
04:04 C'est à la fois une discipline qui est connue, qui est appréciée, qui est parfois lue en dehors du monde universitaire,
04:12 mais qui reçoit aussi beaucoup de critiques autour du fait qu'elle serait politisée, qu'elle ne serait pas suffisamment scientifique,
04:23 et puis que finalement ce ne serait peut-être pas vraiment une discipline universitaire,
04:29 parce que pas très éloignée de commentaires que chacun et chacune peut faire au jour le jour.
04:34 Et c'est justement ces questions-là qu'on a voulu regarder de près,
04:38 avec une interrogation sur la demande sociale que reçoit la sociologie.
04:43 Donc c'est plutôt bien d'être critiquée, parce que ça veut dire qu'on existe.
04:48 - On va vous retrouver exactement, c'est ce qu'a dit Luc Bressanti, l'huit avant.
04:52 - C'est parfait.
04:54 Et ça veut dire aussi que, quand on est sociologue, on est un peu chargé de répondre à cette demande sociale.
05:03 Et c'était l'un des débats qu'on a pu avoir.
05:06 Comment on fait ? Est-ce qu'on accepte de répondre aux questions telles qu'elles sont posées par ceux qui nous les posent ?
05:14 Est-ce qu'on change les questions ?
05:16 C'est souvent ce que les universitaires adorent faire, dire que la question n'est pas bien posée,
05:20 qu'il faudrait replacer les termes du débat autrement, etc.
05:24 Et c'est toutes ces questions qu'on aborde dans le livre, en ayant chacun notre regard.
05:30 Évidemment, souvent on se retrouve, comme à l'instant, mais parfois on a aussi un peu de différence.
05:36 Heureusement, sinon il n'y aurait pas d'échange.
05:38 - Alors effectivement, ce livre est constitué de trois parties.
05:41 Il y a une partie où vous revenez sur votre parcours, une partie où vous revenez sur la méthode,
05:45 une partie aussi sur le rapport à la société.
05:47 C'est la sociologie dans la société.
05:50 Et j'aimerais venir tout de suite à cette question qui est importante, puisque vous l'avez soulevée, Jeanne Lazarus.
05:55 C'est que la demande sociale, c'est quoi ?
05:57 C'est des hommes politiques, des responsables politiques qui, tout à coup,
06:01 auraient soulevé des sujets dont vous devriez vous saisir.
06:05 Par exemple, je ne sais pas moi, l'éducation, les inégalités sociales, le rapport à l'alimentation.
06:12 Ou est-ce que c'est vous qui repérez des phénomènes dont vous allez vous emparer ?
06:18 Cette demande sociale, elle émane de qui ?
06:20 De responsables politiques ou d'individus autour de vous dont vous remarquez des comportements à grande échelle ?
06:27 Luc Boltonski.
06:28 Écoutez, vous avez très bien posé la question.
06:32 La sociologie a deux objets.
06:36 Elle a d'abord un objet qui sont ce qu'on appelle les problèmes sociaux.
06:41 On va lire, on va entendre à la radio, on va lire dans les journaux.
06:45 En ce moment, par exemple, je prends un exemple qui me passe par la tête,
06:49 l'agressivité à l'égard des mères est un problème social.
06:52 Ce sont des problèmes dont la sociologie peut étudier d'ailleurs comment ils deviennent des problèmes,
06:59 mais qui sont souvent livrés à des sociologues.
07:02 On se dit, on va demander à des sociologues de travailler sur ces problèmes sociaux.
07:08 Et les sociologues doivent le faire.
07:10 Saskia de Ville : Mais qui demande dans ces cas-là ?
07:15 Ça peut être des organismes d'État, des organismes de ministères,
07:24 ça peut être aussi des organismes critiques qui disent,
07:31 mais on nous répète sans arrêt que les mères sont attaquées,
07:38 mais on ne se demande pas pourquoi ils le sont,
07:40 et il faut aussi interroger les gens qui sont accusés de ces méfaits.
07:44 Vous avez aussi des organismes, vous avez à la fois des organismes de maintien de l'ordre, on va dire,
07:49 et des organismes critiques.
07:51 Et c'est un objet que les sociologues doivent respecter,
07:57 ils doivent répondre à cette demande.
08:00 Mais elle n'est pas toute la sociologie,
08:03 parce que ce qui intéresse les sociologues en tant que sociologues,
08:08 en tant qu'ils appartiennent à leur discipline,
08:10 c'est des questions sociologiques.
08:13 C'est-à-dire, c'est des problèmes qui concernent la société dans son ensemble,
08:19 qui concernent les concepts nécessaires pour étudier les problèmes sociaux,
08:23 et donc ça doit être un va-et-vient entre ces problèmes sociaux
08:27 qui arrivent de l'extérieur et qui sont externes,
08:29 et les questions sociologiques qui naissent à l'intérieur.
08:32 Je vais vous donner un exemple de question sociologique.
08:35 - Oui, qu'est-ce qu'une question sociologique ?
08:37 - Une question sociologique, une question sociologique qui moi, personnellement, me préoccupe beaucoup,
08:42 mais je ne suis pas le seul et je n'ai pas la réponse.
08:45 C'est que, quand vous faites une sociologie de petits groupes,
08:49 d'une association, de deux associations,
08:53 vous avez des méthodes et vous avez des résultats qui sont d'un certain type.
08:59 Quand vous faites, on appelle ça une micro-sociologie,
09:02 et vous étudiez une situation particulière, comme celle dans laquelle nous sommes plongés tout de suite,
09:07 quand vous faites une sociologie pour des vastes ensembles,
09:12 pour ce qu'on va appeler des sociétés qui sont généralement des sociétés nationales et étatiques,
09:17 vous avez des statistiques, vous avez des méthodes, vous avez des théories,
09:24 mais les deux types de sociologie ne coïncident très difficilement.
09:28 Vous passez très difficilement des résultats d'une micro-sociologie à des résultats d'une macro-sociologie et vice-versa.
09:34 Et c'est un très vaste problème sur lequel on pourrait, mais je ne le ferai pas, en parler pendant des heures,
09:43 qui est très compliqué et qui engage des questions qui sont aussi des questions philosophiques, anthropologiques.
09:50 - Alors c'est quoi une question sociologique, Jeanne Lazarus, dans ce cas-là ?
09:53 C'est l'articulation entre la micro-sociologie et la macro-sociologique ?
09:58 Ou la macro-sociologie c'est une manière de reformuler des problèmes comme on fait aussi en philosophie ?
10:02 Par exemple, si on a "est-ce qu'obtenir des choses rend heureux ?"
10:07 on ne répondra jamais à cette question en philosophie.
10:09 On va formuler un autre problème, c'est pareil pour la sociologie ?
10:12 - Oui, c'est pareil. Et la sociologie a des liens avec la philosophie.
10:17 Un certain nombre des sociologues fondateurs avaient d'abord suivi des études de philosophie,
10:24 étaient souvent agrégés de philosophie.
10:26 Et ce n'est donc pas complètement surprenant qu'on retrouve le même genre de procédés.
10:31 - Sauf que vous, c'est après vos enquêtes que ça arrive, ces questions-là ?
10:34 - Pas forcément. Alors ça fait partie, après, de la diversité des sociologues.
10:39 Certaines façons de travailler vont commencer par partir d'un problème social.
10:44 Et puis, pour y répondre, rencontrer des questions sociologiques.
10:49 Et puis dans d'autres cas, certains sociologues sont plus théoriciens
10:54 ou sont mûs d'abord par répondre à des questions sociologiques.
11:00 Donc on pourrait dire des questions un peu disciplinaires, universitaires,
11:03 qui ont plus comme lieu le séminaire ou des documents très internes à la discipline.
11:14 On peut partir de ce genre de questions-là et puis après chercher un terrain pour essayer de les explorer.
11:20 Et c'est là la différence peut-être avec la philosophie.
11:23 C'est qu'on ne peut pas faire de sociologie sans passer beaucoup de temps à regarder le monde,
11:30 ce que nous appelons le terrain, et qui peut là aussi avoir de multiples formes.
11:35 Être très micro et observer des gens dans leur vie quotidienne, ça peut faire des statistiques.
11:41 C'est aussi une autre façon de faire du terrain.
11:43 Mais il y a un moment où ces questions sociologiques se confrontent à ces données.
11:48 Et c'est dans cette articulation-là que se fait la sociologie.
11:51 - Et vous, vous appartenez à quel type de méthode ?
11:55 Vous avez quelle méthode, Luc Boltanski et Jeanne Lazarus ?
11:57 Je précise que vous le dites dès le début de votre livre, vous appartenez quand même à la même école.
12:02 Jeanne Lazarus, vous avez découvert la sociologie en lisant du Luc Boltanski, en suivant aussi ses cours.
12:10 Vous, c'est quoi votre méthode ?
12:12 - Alors moi, j'ai une méthode assez peu cadrée, si on peut dire.
12:19 - Chaotique ?
12:20 - Oui, et en même temps, je raconte aussi dans le livre que j'ai une formation très classique
12:25 d'Hippocane, de Cagne, je sais faire des dissertations, etc.
12:29 Donc ce n'est pas non plus complètement anarchiste.
12:33 Mais moi, j'ai toujours travaillé en essayant, disons, de suivre ma curiosité.
12:39 Et donc de partir de questions qui m'intéressaient ou de lieux qui m'intéressaient.
12:44 Et puis d'aller voir les gens, de commencer par entendre...
12:49 - Identifier des lieux où vous pourriez poser cette question de manière plus adéquate.
12:52 - Oui, et donc moi, je me suis intéressée aux questions d'argent.
12:57 Et je me suis dit qu'un endroit où voir l'argent, c'était d'aller dans les banques.
13:01 Donc je suis allée dans les banques voir ce qui s'y passait.
13:03 Donc j'ai commencé par simplement regarder, écouter.
13:07 Et à partir de ça, essayer de me dire, bon, quelles questions je vais poser là-dessus ?
13:11 Parce qu'on peut décrire, mais c'est une des parties du travail, mais ça ne suffit pas.
13:16 Et donc ensuite, pour chercher des questions,
13:19 eh bien là, je me suis plongée plutôt dans des choses plus théoriques,
13:22 et notamment dans les travaux de Luc, mais pas uniquement,
13:26 pour essayer de voir ce que tout ça pouvait avoir d'intéressant pour quelqu'un d'autre que moi.
13:32 C'est-à-dire pas juste quelqu'un qui avait envie de savoir ce qui se passait dans une banque,
13:35 mais de se demander ce que ça avait comme signification sociale.
13:40 De se dire que la banque, c'était un endroit où tout le monde passait.
13:44 Je me suis aperçue assez vite que dès que je disais que je travaillais sur les banques,
13:47 au début, les gens me disaient, mais pourquoi tu travailles là-dessus ?
13:49 Et puis, cinq secondes plus tard, ils me disaient, ah mais justement,
13:51 j'ai vu mon banquier il y a quelques semaines, et il s'est passé telle chose et telle chose.
13:54 Donc, en fait, on a plein de choses à raconter là-dessus.
13:57 Et que c'est un sujet qui est au cœur de la vie quotidienne,
14:02 de la construction du salariat, de la construction de la classe moyenne.
14:07 Et progressivement, c'est autour de ces questions-là que j'ai creusé
14:11 et que j'ai construit des questions plus théoriques.
14:14 Et puis, progressivement aussi, l'idée, c'est d'arriver à construire des concepts,
14:19 soit d'emprunter des concepts qui existent déjà et de les faire travailler avec les données qu'on trouve,
14:25 soit sur le terrain qu'on a, de trouver des concepts qui vont nous aider à articuler tout ce qu'on trouve.
14:30 - Luc Boltanski, je vais vous reposer la question de votre méthode, de votre école,
14:34 de votre manière de travailler, mais avant, j'aimerais qu'on écoute la voix d'un grand sociologue
14:40 qui, lui aussi, est passé par la philosophie.
14:43 - Il est vrai que la sociologie n'est pas toujours facile à vivre.
14:47 Lorsque, par exemple, je vais parler de sociologie à des non-sociologues, à des non-professionnels,
14:53 je suis toujours partagé entre deux stratégies possibles.
14:57 La première qui consiste à présenter la sociologie comme une discipline académique,
15:00 comme s'il s'agissait d'histoire ou de philosophie.
15:03 Et dans ce cas, j'obtiens un accueil intéressé, mais précisément académique,
15:09 ou bien je cherche à exercer l'effet spécifique de la sociologie,
15:14 c'est-à-dire je cherche à mettre mes auditeurs en situation d'auto-analyse.
15:20 Et à ce moment-là, je sais que je m'expose à devenir le bouc émissaire, finalement, de l'assistance.
15:28 Je pense que la vérité sociologique, enfin je mets "vérité", mon hésitation marque des guillemets,
15:34 la vérité sociologique a une telle violence qu'elle blesse, elle fait souffrir.
15:41 Et du même coup, les gens se libèrent de cette souffrance en la reprojetant sur celui qui apparemment a la cause.
15:48 La voix de Pierre Bourdieu s'était sur France Culture dans l'émission "A voix nue" en 1988.
15:53 Luc Boltanski, vous avez été proche de Pierre Bourdieu, vous avez travaillé avec lui.
15:58 Je ne sais pas jusqu'à quel point ça vous agace au bout d'un moment d'entendre la voix de Pierre Bourdieu
16:04 dès qu'on parle de sociologie, surtout que vous vous êtes écarté de sa méthode et son type de sociologie,
16:11 qui est la sociologie critique, pour former ce qu'on appelle une sociologie pragmatique.
16:16 Ça ne m'agace pas, ça m'émeut, parce que c'était une grande partie de ma jeunesse.
16:22 J'ai eu beaucoup de chance de travailler dans cette équipe, j'ai appris énormément de choses,
16:30 et puis je m'en suis écarté. Vous savez, même dans la Bible, on dit "il faut quitter son père et sa mère".
16:35 Et en science, être fidèle à ses idées n'est pas une qualité formidable.
16:42 La meilleure qualité, c'est d'essayer, à ses risques et périls, d'avancer, d'aller où on souhaite aller,
16:50 de façon à décrire le monde d'une façon différente de celle dont elle a été décrite jusque-là.
16:58 Et donc, petit à petit, j'ai beaucoup travaillé avec Bourdieu, effectivement, des journées entières,
17:07 et je dirais même des nuits entières, parce que c'était un travailleur de nuit.
17:10 Mais petit à petit, mes intérêts se sont détachés, et je dirais ça de façon très simple, si vous voulez.
17:18 C'est que l'intérêt principal de Bourdieu, et il est tout à fait légitime en sociologie,
17:23 était de découvrir des régularités statistiques, notamment en ce qui concerne les classes sociales.
17:31 Et moi, assez vite, et pour ça, il avait un modèle qu'on appelle "dispositionnel",
17:36 c'est-à-dire l'idée que, du fait de leurs conditions de vie dans l'enfance,
17:41 les personnes acquiéraient une certaine manière d'être, et que c'était ce passage de l'enfance à l'âge adulte,
17:50 et de cette manière d'être où ils allaient agir dans le monde, qui reproduisait les classes sociales,
17:55 et qui reproduisait la société.
17:57 Et donc, c'était d'une certaine façon une réponse au problème micro-macro, dont je parlais tout à l'heure.
18:03 Et évidemment, ça supposait quelque chose comme un inconscient, comme la référence à un inconscient.
18:11 Et moi, j'ai pris une autre voie, qui était de prendre au sérieux les prétentions des gens,
18:19 y compris leurs prétentions à la justice et à la morale.
18:22 Et avec un collègue dont j'ai beaucoup appris, qui s'appelle Laurent Thévenot, qui était un ex de l'INSEE,
18:30 nous nous sommes lancés dans une série d'enquêtes sur des disputes, particulièrement.
18:34 Parce que dans les disputes, les personnes expliquent, c'est des critiques.
18:39 Pourquoi tu m'as dit ça ?
18:41 Alors, ils sont obligés de produire des justifications de ce qu'ils ont dit.
18:45 Ça s'appelle de la justification d'ailleurs.
18:47 Et donc le livre s'appelle "La Justification", et on y voit des gens qui n'ont pas simplement des dispositions inconscientes
18:54 qui les amènent à agir d'une façon ou d'une autre, mais qui sont contraints par la situation de motiver leur façon d'agir.
19:03 Et nous avons considéré qu'il fallait prendre aussi au sérieux cette façon de motiver sa façon d'agir.
19:10 Et nous sommes passés à un modèle qui n'était plus un modèle de disposition, mais un modèle de compétence.
19:15 Quelles sont les compétences dont chacun dispose pour faire face à une situation ?
19:20 C'est un petit peu la critique qu'on peut souvent faire à la sociologie de loin, c'est-à-dire de décrire des régularités,
19:25 de décrire des individus qui seraient passifs, dépourvus de toute liberté.
19:29 Alors vous, vous avez décidé de passer d'un sujet qu'on va étudier à un acteur.
19:35 Mais en sociologie, comment on peut conceptualiser ou modéliser des gens dont on pourrait se dire qu'ils agissent de leur propre initiative, indépendamment des autres ?
19:47 En considérant qu'ils ont une langue commune, qu'ils ont une langue commune de l'action,
19:53 et que si par exemple, à ce micro, je me mettais à raconter ma vie familiale pendant ce week-end, ça ne serait pas ajusté.
20:03 J'ai un savoir, une compétence de la parole publique, même si ici nous ne sommes absolument pas en public, mais dans le privé.
20:13 Eh bien, c'est vrai pour tout le monde et pour tout un ensemble de situations.
20:19 Et je ne vais pas vous raconter longuement ce que j'ai fait, mais j'ai étudié notamment des gens qui étaient accusés de se conduire anormalement dans des situations,
20:29 en traitant cela comme des fautes dans la compétence sociale qui peuvent entraîner très loin,
20:36 qui peuvent entraîner une perte de travail, qui peuvent entraîner même des internements, etc.
20:41 Jeanne Lassarus ?
20:43 Oui, ça permet de revenir à votre question tout à l'heure sur la méthode.
20:46 Et la méthode, c'est aussi ce qu'on cherche quand on fait un travail de sociologie.
20:51 On l'entendait dans l'extrait que vous avez passé de Pierre Bourdieu, quand il dit qu'il met les gens dans un état désagréable en leur disant
21:02 "En gros, vous pensez que vous agissez librement, mais moi je sais, parce que je suis sociologue, que vos actions sont liées à votre socialisation et à diverses contraintes".
21:13 Et effectivement, c'est extrêmement violent.
21:15 Et c'est pour ça que quand vous dites que j'ai découvert la sociologie avec Luc Boltanski, ce que j'ai découvert, c'était une autre façon de faire de la sociologie.
21:24 Ce n'est pas ça la question qui est posée. La question qui est posée, c'est quelles sont les normes dont on dispose à un moment donné.
21:32 Et donc le travail consiste justement à comprendre dans quel espace on se trouve.
21:39 Par exemple, sur les questions d'argent, qu'est-ce qu'on peut faire avec l'argent ? Qu'est-ce qui est autorisé, non autorisé ?
21:46 Et donc, quand on va regarder un groupe social, on va se demander quelles sont les normes qui fonctionnent dans ce groupe social ?
21:54 Et à quel moment est-ce qu'on les transgresse ou ne les transgresse pas ?
21:58 Et ça permet de ne pas poser la question de savoir s'il y a des dispositions, ou bien finalement même de la reposer, la question des dispositions.
22:06 On a différentes normes disponibles, et oui, on peut avoir des dispositions, aller vers telle ou telle autre.
22:11 Mais ce n'est plus ça la question qu'on se pose, parce qu'on ne se pose plus des questions sur les individus,
22:16 et sur le fait de vouloir absolument placer des individus dans des trajectoires. Ce n'est plus ça l'enjeu.
22:22 C'est presque l'inverse en fait. C'est-à-dire que vous partez d'un phénomène que vous allez observer,
22:27 dont vous allez percevoir des régularités, plutôt que de rencontrer des gens dont vous allez dire à quel cas ils correspondent,
22:33 dans quel phénomène je vais les faire rentrer.
22:35 Luc Boltanski ?
22:36 Je peux vous donner un exemple très simple. C'est un livre que j'ai écrit avec Arnaud Esquiret,
22:41 qui était le troisième de notre petite bande pour faire "Comment s'invente la sociologie",
22:47 mais lui qui a trouvé le titre du livre. Et c'était un livre sur le commerce.
22:52 Notamment sur le commerce. Ça s'appelle "Enrichissement".
22:56 Et une question que nous nous sommes posées, c'est quelle est cette compétence que chacun d'entre nous sait mettre en œuvre
23:04 pour se débrouiller dans un monoprix, se débrouiller dans un petit commerçant de quartier, se débrouiller dans un grand magasin,
23:11 mais le même va être perdu si vous le projetez dans un bazar au Maroc.
23:16 Il ne saura plus comment mesurer la qualité des produits, il ne saura plus comprendre la question du prix,
23:21 il va être perdu dans les marchandages.
23:23 Eh bien, ce sont des compétences, c'est une façon très simple d'exprimer le thème évidemment,
23:27 mais ce sont des compétences que nous avons tous intégrées et qui font le lien à l'intérieur d'une société
23:34 et qui évitent des malentendus pouvant se terminer en dispute très facilement.
23:41 Alors je vais vous poser une question qui va peut-être un peu vous choquer, mais à quoi ça sert de savoir ça ?
23:45 À quoi ça sert de travailler là-dessus ? En fait de savoir que quand on va à la banque, on rentre dans un certain nombre de normes,
23:52 que quand on va dans un commerce, dans un monoprix ou dans un autre magasin, ce n'est pas la même manière de s'en sortir.
23:59 Moi par exemple qui ouvre ces livres-là, qu'est-ce que ça va me faire de le savoir ?
24:04 Jeanne Nazarius ?
24:06 Ça va vous aider à avoir une certaine réflexivité sur ce que vous faites,
24:11 ce qui est toujours une bonne chose pour comprendre jour le jour les réactions qu'on peut avoir.
24:18 Ça peut aussi aider à un certain humanisme et je dirais que c'est aussi une des choses qui nous réunit peut-être tous les trois dans ce livre.
24:26 C'est un rapport un peu généreux aux autres, de savoir que les normes sont diverses,
24:34 que chacun, et ça c'est une chose qui est très forte dans le travail que Luc avait fait avec Laurent Thévenot,
24:41 chacun pense agir de façon juste, le plus souvent.
24:45 Et c'est ça qui est très compliqué dans les disputes.
24:48 Les disputes deviennent très violentes quand chacun est persuadé d'avoir raison
24:53 et que l'autre ne veut pas accéder aux arguments qu'on donne parce qu'il est lui sur un autre cadre de justification.
25:03 Et donc c'est à ça que ça sert, c'est à mieux se comprendre les uns les autres,
25:08 à comprendre ce qui se passe, à comprendre aussi des rapports de force.
25:11 Parce qu'imposer une norme à un moment donné aux autres, il n'y a rien de plus fort, aliénant.
25:19 Et puis c'est un rapport de pouvoir extrêmement puissant.
25:22 Donc il n'y a pas que la question de la justice, il y a aussi la question de la liberté.
25:26 Si je vous pose la question, c'est que j'ouvre un livre de sociologie, qu'est-ce qui va être mis en œuvre pour me libérer ?
25:33 C'est-à-dire que le lire va me faire prendre conscience de normes et de déterminisme dont je n'aurais pas eu idée.
25:40 De quelle manière ? C'est une forme de libération.
25:42 C'est un petit peu ce qu'a voulu faire par exemple Spinoza avec l'éthique.
25:47 On est tous déterminés, il n'y a pas d'empire dans un empire.
25:50 Et donc de savoir que je suis déterminé fait que déjà je peux acquérir une forme de liberté.
25:55 Ou est-ce que, en lisant vos ouvrages de sociologie, vos travaux,
25:59 je ne vais pas seulement prendre conscience des mécanismes qui m'aliènent,
26:02 mais je vais pouvoir aussi peut-être m'engager, agir dessus, essayer de m'en détacher ?
26:09 Si vous voulez, la sociologie prend très au sérieux un type de compétence
26:15 dont on considère qu'il est sans doute anthropologique,
26:19 et en tout cas très développé dans les sociétés modernes,
26:22 qui est la compétence à faire de la critique, à critiquer.
26:26 Et un des rôles de la sociologie, c'est de prendre au sérieux cette critique
26:32 et de faire parler les gens de cette critique,
26:39 de les faire justifier cette critique,
26:41 de façon à en évaluer la cohérence et en asseoir le sérieux.
26:46 Et donc si vous voulez, c'est un rôle social qui est très important,
26:50 qui n'est pas simplement le rôle critique,
26:52 qui peut être un rôle de défense de certains dispositifs d'ordre,
26:55 mais c'est là que se fait le lien entre la sociologie et la politique, si je puis dire,
27:00 avec des différences dont on parlera peut-être si on a le temps, qui sont gigantesques.
27:04 Mais si vous voulez, c'est devenu un organe de la société,
27:10 comme le métier que vous faites, comme le métier des médias,
27:14 un organe de la société qui lui permet de contrôler mieux ce qu'elle fait,
27:18 d'être réflexif et de mieux entendre les critiques,
27:21 et de mieux entendre les justifications faites par ceux que l'on critique,
27:26 de façon à essayer de résoudre les problèmes, non par des préjugés,
27:30 mais de façon pacifique, si je puis dire, ou de façon rationnelle même.
27:35 On peut dire que la célèbre définition d'Aristote,
27:48 "L'homme est un admiral politique, ce qui signifie dont la nature est de vivre en groupe,
27:53 que ce groupe soit de nature politique comme le clan, la cité, la tribu, la nation, l'empire,
27:59 ou de toute autre nature, contient déjà en germe la sociologie.
28:04 Scène, décor, rôle, dialogue, personnage, tout se tient dans le drame social.
28:11 Sciences sociales et sciences humaines ne seraient donc que cohabitées en vertu de leur unité profonde,
28:19 mais que leur demeure soit commune ou simplement voisine à un fait est certain,
28:23 c'est que sous l'un ou l'autre de leurs trois noms,
28:26 sciences humaines, sciences sociales ou sociologiques,
28:30 elles sont de plus en plus à l'ordre du jour des préoccupations contemporaines."
28:35 En 1953, dans Université Radiophonique Internationale, la voix du sociologue français Georges Davy.
28:41 On peut dire, vous en avez parlé Luc Boltonski, vous avez parlé de la politique,
28:45 on peut dire que la politique et la sociologie ont la même substance, qui est la vie en société,
28:51 mais les deux n'ont pas les mêmes horizons.
28:54 Comment bien distinguer le travail, l'approche des sociologues du travail des politiques ?
29:01 Ça semble évident a priori.
29:03 Et en fait, on reproche souvent aux sociologues d'être de parti pris,
29:07 d'indiquer peut-être des problèmes, des solutions qui seraient sensiblement colorées politiquement.
29:15 Alors, quelle différence faire entre les deux ? Jeanne Lazarus ?
29:18 Ça, c'est une question qui nous a beaucoup occupés.
29:23 Pas forcément de faire une différence, mais plutôt de comprendre comment la sociologie doit répondre à cet enjeu
29:33 qui est qu'elle est mobilisée par la politique, que ce soit les partis politiques, les syndicats.
29:40 Ce n'est pas que des individus seuls qui lisent de la sociologie chez eux.
29:43 Oui, et les sociologues sont à la fois critiqués pour ça et aimés pour ça.
29:49 Et par ailleurs, la plupart des gens qui s'engagent dans la sociologie sont des gens qui ont envie d'agir sur le monde,
29:57 pas forcément en étant eux-mêmes en responsabilité, mais évidemment, dans ce regard un peu extérieur,
30:06 il y a bien un but de transformation.
30:09 Donc, le lien avec la politique, il doit être assumé.
30:13 En revanche, toute la difficulté, c'est de s'assurer qu'on fait un travail qui est reconnu comme étant un travail universitaire
30:21 et qui a cette légitimité-là, avant de pouvoir éventuellement être mobilisé dans un espace politique.
30:28 Donc là, c'est toute la question de comment on fabrique une discipline universitaire.
30:32 Comment on ne tombe pas dans l'opinion.
30:33 Comment on ne tombe pas dans l'opinion et puis comment est-ce qu'on fait la différence entre un sociologue et quelqu'un qui n'est pas sociologue.
30:39 Est-ce que quelqu'un qui nous parle des rapports hommes-femmes est forcément sociologue ?
30:43 Pas forcément, mais on peut avoir des sociologues qui vont le faire.
30:46 Et donc, il y a la question de la différence avec la politique, mais il y a la différence avec plein d'autres choses.
30:51 La différence avec le journalisme, la différence avec simplement des gens qui regardent le monde, avec la littérature.
30:59 Donc, toutes ces questions-là de différence, toutes les sciences humaines ont ce genre de questions.
31:05 L'histoire a aussi une longue tradition de discussion avec la littérature.
31:10 Qu'est-ce qui fait que c'est de l'histoire ou de la littérature ?
31:14 On est sans cesse troublés par ça.
31:18 Avec une discipline qui, à la différence d'autres, n'a pas de frontières extrêmement marquées.
31:23 C'est quelque chose dont on a beaucoup discuté ensemble.
31:27 L'entrée dans la sociologie semble une entrée plus facile que vers d'autres disciplines plus techniques
31:34 ou qui reposent sur un savoir très encyclopédique.
31:38 Comme l'histoire, par exemple.
31:40 Ou la philosophie qui peut sembler parfois plus difficile, nécessiter d'avoir énormément travaillé.
31:47 Il y a une histoire qui est plus grande aussi de la philosophie de ce point de vue-là.
31:51 Oui, donc il y a évidemment le fait que la sociologie est une science relativement jeune.
31:56 Et puis que les sociologues, entre eux, passent leur temps à se dire que les autres ne font pas ce qu'il faut.
32:03 À dire aussi que lui n'est pas un vrai sociologue.
32:07 Ce qu'on entend moins dans d'autres disciplines où les gens peuvent se dire qu'ils n'aiment pas la philosophie d'un tel ou d'un tel
32:14 mais ils ne vont pas lui dire que ce n'est pas un vrai philosophe.
32:17 Qu'est-ce que vous répondez justement à ça, vous deux, quand on attaque la sociologie en disant
32:24 que c'est de l'opinion, c'est du militantisme, c'est une vraie question qui se pose.
32:29 D'autant que vous avez des querelles, des écoles, des clans de sociologie qui sont différents.
32:35 Comment vous faites pour faire face, pour prouver la validité scientifique de vos théories
32:39 face à d'autres, non seulement productions, mais face aux détracteurs ?
32:44 Luc Boltanski ?
32:46 Je pense qu'il faut distinguer plusieurs choses dans votre question.
32:50 Il faut distinguer les débats entre sociologues sur le plan des méthodes et des théories.
32:58 Ça c'est très comparable à ce qui se passe dans les autres sciences.
33:01 Il n'y a pas plus méchant que les scientifiques les uns avec les autres.
33:04 Parce que chacun est persuadé qu'il détient la vérité.
33:07 Rien n'est plus dangereux qu'un scientifique.
33:10 Il ne faut jamais les mettre au pouvoir, il ne faut jamais leur donner de pouvoir,
33:13 parce qu'ils mettraient tout le... Bref, j'arrête là.
33:16 Donc ça c'est un point, si vous voulez, qu'il faut savoir, c'est ça être dans ces métiers-là.
33:23 Par rapport à l'extérieur, le problème c'est que la sociologie doit être poreuse.
33:30 C'est un organisme poreux. Ça doit être poreux par rapport à l'extérieur,
33:35 puisque son objet c'est l'extérieur et que c'est la même substance sur laquelle agit la politique
33:41 et sur laquelle décrit le sociologue.
33:44 Mais en même temps, la sociologie ne doit pas se laisser envahir complètement par les problèmes de l'extérieur.
33:50 Alors, si vous voulez, une des façons de faire qui a été théorisée il y a bien longtemps,
33:55 notamment par Max Weber, que je reprendrai à partir du principe de symétrie,
34:01 qui a été inventé par un sociologue de la science et qui a repris Bruno Latour,
34:06 dont on était très très proche, qui était un des grands penseurs de cette nouvelle sociologie,
34:11 qui est le principe de symétrie.
34:13 Quand vous étudiez une dispute scientifique du passé,
34:17 eh bien vous ne devez pas le faire à partir de nos connaissances actuelles.
34:21 Vous devez donner le même poids à celui qui a perdu, si je puis dire, qui se trompait,
34:26 et à celui qui a réussi, c'est-à-dire qui est considéré aujourd'hui comme ayant eu raison.
34:31 Parce que sinon, vous faites une histoire téléologique
34:36 et vous ne rendez pas justice à celui qui s'est trompé, qui avait des raisons de se tromper.
34:41 Eh bien, si vous voulez, on retrouve ça dans le rapport entre sociologie et politique.
34:47 Un homme politique qui pratiquerait le principe de symétrie, il serait considéré comme nul.
34:52 Il dirait "voilà ma position, mais alors l'autre elle est très bonne aussi".
34:55 Non, parce que la politique c'est de prendre des décisions et c'est d'agir sur le monde.
35:00 Mais un sociologue n'a pas directement à agir sur le monde.
35:04 Il a d'abord à bien décrire la façon dont ce monde est constitué,
35:08 quelles sont les disputes et les critiques qui animent ce monde,
35:12 et puis ensuite, en tant que citoyen, il peut très bien signer une pétition et avoir ses choix.
35:17 Mais dans son travail de sociologue, il doit pratiquer un principe de symétrie
35:21 et décrire de façon à peu près égalitaire les différentes personnes qui sont en face de lui dans une dispute.
35:31 Est-ce que vous voulez ajouter un tout dernier mot, Jeanne Lazarus ?
35:34 Oui, dans cette question du lien avec la politique,
35:39 je pense que c'est peut-être dans le livre, là où on fait aussi une sorte de programme de travail,
35:50 parce que ce n'est pas quelque chose qui est évident,
35:53 et les critiques que reçoit la sociologie, il faut aussi les entendre.
35:57 Et donc c'est aussi important de comprendre ce que Luc vient de dire,
36:03 les raisons pour lesquelles le problème est structurel,
36:06 et donc que la sociologie se mobilise aussi pour essayer de mieux se défendre,
36:14 parce que dans un certain nombre de cas, on est pris dans des pièges du fait de cette discipline qui est externe, interne,
36:25 et qui sait très bien ce qu'elle est, mais qui parfois donne l'impression d'être un peu brumeuse et de se mélanger avec d'autres.
36:33 Merci beaucoup à vous deux Jeanne Lazarus et Luc Boltanski,
36:36 De vous, et écrit aussi avec Arnaud Esquerre, on peut lire "Comment s'invente la sociologie, parcours, expérience et pratiques croisés" aux éditions Flammarion.
36:43 C'est passionnant et je suis sûre que ça va éveiller des vocations de sociologue.
36:47 Vous allez vous mettre d'accord dans un instant, puisqu'il faut choisir une chanson pour terminer l'émission.
36:51 Une chanson sur le laboratoire, une chanson sur le terrain, laquelle choisissez-vous ?
36:56 Et merci pour vos questions !
36:57 Merci à vous !
36:58 Sur le laboratoire !
36:59 Alors c'est Jeanne Lazarus qui a choisi le laboratoire !
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37:32 Un grand merci à l'équipe des Midi de Culture qui sont préparées tous les jours par Aïssa Twendoy, Anaïs Hisbert, Cyril Marchand, Zora Vigné, Laura Dutèche-Péresse et Manon Delassalle.
37:54 Réalisation Nicolas Berger, prise de son Jean-Guylain Mech.
37:57 Pour écouter cette émission, rendez-vous sur le site de France Culture, à la page des Midi de Culture et sur l'application Radio France.
38:03 A demain Nicolas !
38:04 A demain !