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Art et designTranscription
00:00 *Tic-tic-tic-tic-tic-tic*
00:02 *Musique*
00:08 France Culture, Olivia Ghesbert, bienvenue au club.
00:12 *Musique*
00:17 Bonjour à tous. La littérature dans le prétoir avec la romancière Constance Debré.
00:22 Aujourd'hui, l'ancienne avocate devenue écrivaine interroge dans "Offense" son nouveau roman publié chez Flammarion.
00:28 La frontière entre le bien et le mal à travers le parcours d'un criminel ordinaire.
00:32 Elle quitte cette fois l'autofiction mais retrouve les marges de Playboy.
00:37 Anon retourne sur le parcours d'une battante de la littérature, féroce, en colère aussi peut-être.
00:42 Constance Debré est l'invité de "Bienvenue au club".
00:45 *Musique*
01:02 *Tic-tic-tic-tic-tic-tic*
01:04 Une émission programmée par Henri Leblanc, préparée par Laura Dutèche-Pérez avec Sacha Mathéi, Félicie Fauger et Sam Basquiat à la réalisation, à la technique, Alex Dang.
01:13 Bonjour Constance Debré. - Bonjour.
01:15 - "Offense" raconte l'histoire d'un jeune homme qui a tué une vieille femme, sa voisine d'immeuble pour quelques sous.
01:21 Pour mettre peut-être aussi un terme à leur vie, à leur vie lamentable, comme vous l'écrivez à tous les deux.
01:27 Un meurtre, c'est fait pour que quelque chose s'arrête.
01:30 Est-ce que c'est une histoire vraie dont vous vous êtes inspirée pour ce livre ?
01:34 - Je crois que peu importe en fait, mais oui bien sûr, parce que j'ai très peu d'imagination, tout est vrai.
01:45 Mais il me semble que la distinction entre le... que la fiction, ça n'est pas du mensonge ou des faits qui n'ont pas eu lieu.
01:56 La fiction, c'est la question de la forme, c'est pour ça que les livres sont des romans,
02:01 et que je prends des éléments vrais parce que c'est plus simple, et que ensuite je me pose la question de la forme.
02:09 Mais les romans, je veux dire, d'une autre manière, la recherche du temps perdu est totalement vraie.
02:20 - Alors histoire vraie ou histoire fausse, réelle ou fiction totalement, la question c'est pourquoi cette affaire ou ce cas d'école peut-être vous a frappé,
02:30 vous a marqué au point que vous avez eu envie de l'autopsier et de parler de nous à travers ça ?
02:35 - Alors j'ai pris cette histoire-là parmi d'autres parce qu'elle est finalement extrêmement simple,
02:44 et me semble-t-il emblématique dans sa simplicité d'un certain nombre de choses que je voulais montrer ou dire,
02:58 ou en tout cas laisser dire à travers mes phrases.
03:02 Et puis dans sa réalité, c'est une réalité où c'est une figure à la fois celle du meurtrier et celui de l'accusé, qui est double,
03:14 qui est la première à en essayer d'en faire quelque chose dans la littérature, encore une fois.
03:23 C'est aussi totalement vrai que soit cette histoire, c'est aussi, finalement, c'est totalement Raskolnikov,
03:33 mais à notre époque et pas très loin de Paris, cette histoire.
03:40 - Dans "Offense", c'est un des commandements que vous battez en brèche, ou qui est battu en brèche par la réalité, le "tu ne tueras point".
03:48 Vous l'écrivez dès les premières pages de ce roman, "vous ne tuerez point", "nous si", peut-on lire au début du livre.
03:56 Qu'est-ce qu'il signifie ce "vous ne tuerez point" qui n'est plus si simple à saisir que quand on nous le commande ?
04:07 - Tout simplement, je ne sais pas. D'abord, il y a une réalité qui est que ceux qui transgressent, qui commettent des crimes ou des délits,
04:23 ne sont pas ceux qui les jugent et ne sont pas tout le monde.
04:29 Et non pas, me semble-t-il, simplement parce qu'ils sont plus près du mal que ceux qui ne les commettent pas.
04:37 Et que si derrière toute règle de droit, il y a de la morale, en réalité, dans ces affaires-là, il y a quelque chose qui n'a absolument rien à voir avec la morale.
04:50 Alors que ceux qui les jugent ou ceux qui ne les commettent pas, c'est-à-dire par exemple vous et moi a priori,
05:00 et beaucoup de gens qui nous écoutent, encore une fois, ne sont pas meilleurs.
05:05 Et donc ça nous permet de croire qu'on est meilleurs, mais je ne crois pas que ce soit le cas.
05:08 - Mais ce que vous dites, c'est que c'est a priori quand même la mère de toutes les lois, la mère de toutes les morales, quelque chose qui s'impose à tous.
05:15 Donc pourquoi ? Et c'est aussi ce pourquoi qui vous semble vous intéresser dans ce roman.
05:19 Pourquoi est-ce qu'on transgresse ? Pourquoi est-ce qu'il peut y avoir un passage à l'acte ?
05:24 - Pardon, je ne veux pas vous répondre, pas tout de suite, mais je crois aussi que la littérature a à voir avec la transgression.
05:35 Ou que la littérature permet d'explorer cette question-là, qui est quand même une question qu'on se pose tous aussi.
05:47 Pardon, là je parle d'autre chose que du livre directement, quelque chose qui est derrière le livre.
05:55 Je crois qu'on se pose toujours la question, il faut se souvenir de ces grandes questions philosophiques qu'on se pose en tout cas à l'enfance,
06:01 au moment de l'enfance, parfois on les oublie, qui est effectivement celle du meurtre, celle des positions extrêmes de l'existence.
06:13 C'est-à-dire celle du meurtre, celle de celui qui est tué, celle de la peur, celle de la plus grande, quand on est victime, celle de celui qui va être jugé par la totalité, par le groupe.
06:29 Et c'est aussi des positions que la littérature permet d'explorer, parce qu'elles disent des choses, je crois, essentielles de notre condition humaine.
06:40 Voilà, pardon, je me réponds absolument à côté de ce que vous me disiez.
06:47 - Non, pas du tout. Est-ce qu'on peut dire en fait que la littérature, pour vous, permet de penser de la même manière que votre narrateur dit qu'il faudrait d'ailleurs s'intéresser à un moment à tous ces actes
06:57 qui mettent dans un état si particulier qu'on en arrête de penser ? Est-ce que la littérature, c'est ce moment où on peut réenclencher la pensée ?
07:05 - Oui, bien sûr. Je crois que la littérature nous permet de penser et nous permet d'essayer de penser.
07:15 Finalement, est-ce que la réalité est la figure d'autre chose ? Qu'est-ce qui se passe ? Et comment est-ce que nous, on doit essayer de penser ce qui nous arrive ?
07:27 Comment est-ce qu'on doit essayer de prendre nos décisions, mais aussi de penser ce qui nous arrive ?
07:33 Et essayer de repenser ce qu'on nous dit aussi. C'est le fameux mouvement de Descartes, je ne prétends pas être Descartes, mais voilà, qui va essayer de dire
07:45 "mais peut-être que c'est pas exactement ce qu'on nous raconte". Et je pense que dans l'interdiction, pour revenir à "Vous ne tuerez point",
07:54 cette fameuse interdiction qui traverse la plupart, sinon toutes les sociétés humaines, je pense qu'elle n'est pas là, cette loi, cette grande loi,
08:05 uniquement pour, ou peut-être pas là du tout, pour interdire le meurtre qui n'a jamais, qu'on sache, disparu d'aucune société,
08:14 mais peut-être pour créer finalement quelqu'un qu'on va pouvoir juger. C'est-à-dire pour pouvoir poursuivre le sacrifice qui existe dans toutes, encore une fois, toutes les sociétés.
08:33 Voilà, ça paraît quelque chose de très ancien, cette idée du sacrifice. Or, je suis convaincue que le système judiciaire, les systèmes judiciaires, sont aussi là pour permettre de continuer à sacrifier des membres de la communauté au profit des autres.
08:56 - Voilà. D'ailleurs, vous avez parfois la dent dure, et notamment dans "Non", votre précédent livre avec les juges, avec le boulot des juges, qui n'est pas totalement glorieux ou pas tout le temps glorieux à vos yeux,
09:07 mettre en taule les pauvres, en gros. C'est aussi ça, une des fonctions de la justice aujourd'hui, faire un tri, une sélection.
09:14 - C'est pas leur faute. Ils sont là pour ça, et ils essayent parfois de le faire le mieux possible. Et les juges ont une position difficile, qui est celle de la responsabilité, qui n'est pas celle des avocats qui parlent.
09:30 Voilà, on a ou le pouvoir, ou on parle, ou on a le pouvoir, mais c'est jamais les deux à la fois. Mais cela dit, oui, nous ne leurons pas. Les juges ne sont pas là pour faire la justice.
09:44 La justice, c'est le nom d'une administration qui porte le nom d'une vertu, mais ça n'est qu'une administration. Et il s'agit effectivement que le calme règne dans une société.
09:57 Or, qui dérange la société et met du désordre, et bien oui, c'est toujours ceux qui sont généralement dans un mode de survie, ceux qui n'ont rien à perdre parce qu'ils n'ont généralement pas grand chose.
10:16 Donc ce sont souvent les classes les plus défavorisées. Mais ça on le sait depuis, me semble-t-il, toujours. En tout cas, c'est pas la première à le constater.
10:31 C'est pas une excuse, parce que je m'interroge toujours beaucoup, et je crois, à la liberté individuelle. Mais oui, il y a un cadre politique et social qu'on ne peut pas nier.
10:45 - Sauf qu'à un moment, comme vous étiez barré de votre famille, vous vous êtes aussi barré des palais de justice.
10:53 Ancienne avocate Constance Debré, pourquoi en fait vous avez quitté les prétoires ? Pourquoi vous avez décidé de vous consacrer entièrement à l'écriture ? Pourquoi vous avez rangé votre robe d'avocate ?
11:05 Est-ce que c'est justement parce que certains ont le pouvoir et d'autres ont les mots ? C'est-à-dire, est-ce que vous pensiez que dans ce cadre-là, vous étiez impuissante avec vos seuls mots ?
11:16 - Oui, sans doute, certainement. D'abord, je crois, indépendamment de ça, je pense que j'ai la conviction, certainement, de l'ordre de la foi est peut-être aussi peu rationnel,
11:27 mais que la littérature est quelque chose de très important, plus important pour moi que ce que je faisais avant, c'est tout. Je pourrais m'arrêter là.
11:36 - Pour moi, néanmoins ? C'est-à-dire pour vous ou pour nous ?
11:39 - Pour moi, avec la conviction que c'est un absolu, oui, que c'est une vérité absolue.
11:45 - Parce que la société a aussi besoin d'avocats ou de défenseurs qui ont la foi.
11:49 - Non, mais je ne méprise pas du tout ça. Je pense que la création artistique et l'art est quelque chose d'important et de plus difficile que mon métier d'avocat précédent, pour moi.
12:07 Donc, il fallait le faire, puisque c'était difficile. Néanmoins, oui, vous avez raison, si j'ai quitté cette fonction, c'est aussi parce que j'avais le sentiment qu'on est finalement un prétexte au système.
12:22 C'est-à-dire qu'on défend pour dire que celui qui va être condamné est défendu et que finalement on est de toute façon à un stade tellement avancé du processus qu'on ne sert pas à grand chose.
12:34 Et que de toute façon, on s'adresse à trois personnes, quand par exemple c'est un tribunal de trois magistrats, comme c'est souvent le cas, qui se fichent un peu de ce qu'on leur dit.
12:46 - Est-ce qu'aujourd'hui vous écrivez contre de la même manière que vous plaidiez contre, en vous plaçant toujours dans le camp des vaincus ?
12:52 - Souvent, pas que. Je crois que si on ne fait que plaider contre ou si on ne fait qu'écrire contre, on rate quelque chose.
13:06 Il faut une proposition, ou en tout cas un espoir de pour.
13:18 Ou de nous, et je crois que c'est quelque chose que j'ai essayé de mettre un peu dans le livre, il y a par moments ce nous qui affleure.
13:37 Je crois que c'est ça aussi que je veux dire, c'est simplement qu'il n'y a pas un camp du bien ou du mal.
13:47 Le monde n'est pas séparé entre victime ou coupable, que les deux choses sont mélangées, que c'est notre misère, mais peut-être aussi notre grandeur, en tout cas ce qui nous est commun.
14:04 C'est à la fois notre solitude et ce qui nous est commun, c'est ce que j'appelle l'humanité.
14:10 - Il y a le nous et il y a le vous, parce que ce jeune homme qui a tué cette vieille dame, et il était proche d'elle avant, en tout cas c'était celui qui l'aidait de temps en temps à porter ses courses.
14:19 Là où toute sa famille à elle, qui habitait pourtant pas très loin, en face, l'avait abandonnée, trouvait que c'était un peu une vieille emmerdeuse finalement et qu'il n'avait pas grand temps à lui accorder.
14:31 Il le dira à son procès, en tout cas c'est dans le livre, dans "Offense", lui qui l'avait tué avait été le seul à parler d'elle avec bonté, ça c'est ce que votre narrateur dit,
14:42 et lui raconte "je l'ai tué, mais je l'ai tué à votre place, je l'ai tué pour vous et avec vous".
14:48 Voilà, c'est cette histoire du nous et du vous que vous nous racontez aussi.
14:52 - Oui, je crois aussi qu'on est concerné par tous les actes des hommes, en fait, quels que soient les actes, c'est-à-dire que,
15:04 c'est une phrase de Karamazov, mais je ne vais pas le citer correctement, mais on est coupable de tout devant tous les hommes, on est coupable du meurtre commis par autrui sur quelqu'un d'autre.
15:25 Il y a quelque chose qui nous concerne et je pense que tout meurtrier nous engage la responsabilité des autres, en fait, et je me demande dans quelle mesure il ne tue pas à notre place.
15:37 S'il n'y a pas dans celui qui va chuter, disons pour employer un terme ancien voire religieux, quelque chose qui est aussi de l'ordre du sacrifice.
15:50 - Est-ce que le narrateur, dans ce roman "Offense", est-ce que la romancière se fait l'avocat du diable ?
15:57 Est-ce qu'elle se fait aussi peut-être l'avocat ou l'avocate d'une cause perdue ?
16:02 - Je ne sais pas, oui, en tout cas j'ai ce mouvement, mais qui je pense n'est pas très personnel, ou en tout cas qu'on a tous, qui est de tout à coup,
16:21 dès qu'un homme sort du groupe, soit par un acte extrême, quelle que soit l'extrémité de son acte, et par le moment où il va être jugé par le groupe,
16:34 de m'intéresser à lui et d'essayer de parler pour lui. Parce que ce mouvement de sortir du groupe dit quelque chose qui nous concerne tous,
16:45 qui peut être une colère ou un désespoir, et puis on sait très bien que le groupe ne supporte pas quiconque s'éloigne,
16:53 et donc va à ce moment-là le tuer, ne serait-ce que symboliquement, et là tout d'un coup se met en place une autre violence, donc bien sûr que oui.
17:02 Et parce qu'on est toujours dans ce, je crois, dans ce... aussi... Enfin en tout cas ça nous parle tous, ce moment où on est seul face au groupe.
17:13 Voilà, la question de notre solitude face au groupe, mais je pense que toute la littérature parle aussi de ça, parle de la question de l'individu face au groupe.
17:25 - Autrice de Offense publiée chez Flammarion, l'écrivaine Constance Debré est notre invitée, il est 12h18 sur France Culture.
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20:14 - Le crooneur suédois JJ Johnson avec ce titre "Finally", premier extrait de son nouvel album "Fetish".
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20:28 - Vous avez écrit "Love Me Tender" en 2018, puis "Love Me Tender" en 2020, et puis aujourd'hui coup sur coup "Non", "N.O.M" et "Offense" avec un "S".
20:38 - Vous ne faites plus qu'écrire Constance Debré, la seule chose importante, dites-vous, dans "Non". Pourquoi ?
20:44 - Vous en avez parlé presque comme d'une drogue dans ce livre "Non" de l'écriture, avec une accoutumance qui a l'air d'avoir été extrêmement rapide pour vous.
20:54 - J'ai un tempérament... - Addictif ?
20:58 - Addictif, oui, certainement, sans doute. Mais non, je ne pense pas que ce soit du tout une drogue, je vois comme un travail...
21:04 - D'écriture ? - Ah oui, oui. Non, non, parce que ce n'est pas du tout de l'ordre de la pulsion.
21:12 - Peut-être que le travail est une drogue, ça c'est autre chose, mais je suis un peu mnémoniaque, j'ai du mal à faire beaucoup de choses,
21:20 et quand je fais une chose, j'essaie de le faire le plus possible. - Mais avec du plaisir quand même, ou pas, dans l'écriture ?
21:25 - Ah, du plaisir... Oui, le plaisir du travail, c'est-à-dire du travail qui vous paraît avoir un sens, et de surmonter des difficultés,
21:34 et d'arriver à livre après livre à faire des choses, mais une fois qu'un livre est fini, la seule question qui se pose est celle du livre suivant.
21:45 - Avec le plaisir peut-être aussi du bon mot, c'est-à-dire pas de la belle phrase, mais du mot brut, en tout cas ce livre-là, vous l'avez écrit,
21:54 droite au but, aussi presque à l'os, comment un livre se trouve-t-il un style ?
21:59 - Oui, c'est sa grande question, c'est la question de la forme, je pense. Enfin, pour moi, une fois que j'ai à peu près défini une matière,
22:07 c'est à la fois très instinctif, et je pourrais en parler des heures, mais je crois que c'est plus de l'ordre de l'instinct,
22:21 c'est un peu comme quand on marche dans la rue, je pense, mais... Non, bien sûr, après je pourrais vous dire que mon goût,
22:31 que la langue que j'aime et que la langue que j'essaye d'écrire vient à la fois de la littérature française du XVIIe ou de celle de la loi,
22:48 des codes d'Apolléon, avec cette austérité-là, mais pas toujours, ça peut être aussi Thomas Bernard et Peggy, vous voyez,
23:02 donc j'ai des contradictions, mais non, à mon avis... - En tout cas, il n'y a rien d'austère, pardon, dans "Offense",
23:10 on est plutôt de l'ordre de l'hypercute, c'est pour ça que je me demandais si vous étiez venu avec vos gants de boxe aussi aujourd'hui dans ce studio,
23:17 il faut dire que vous interpellez directement le lecteur, vous nous interpellez, vous allez vraiment nous chercher au col,
23:24 en tout cas votre narrateur aussi, avec cette écriture, ça secoue, ça tape ?
23:28 - Alors ça, si je disais malgré moi, je sais que je ne serais pas totalement crédible, mais par moment, je pense que oui,
23:37 parce qu'il y a des moments où je pense qu'une écriture est aussi détachée, froide que possible,
23:43 mais en revanche, ce dont il s'agit, ce qu'elle expose, cette écriture, ce sont des faits effectivement,
23:52 non pas bruts, mais qui sont violents, et encore une fois, que je n'ai pas inventé à dessein, puisqu'ils sont juste partout autour de nous,
24:03 donc je les ai, ces faits-là, je les pose, et je les pose aussi froidement que possible.
24:08 Ensuite, oui, il m'arrive, dans les livres que j'écris, et dans celui-ci en particulier,
24:15 d'avoir quelque chose de plus frontal et d'attraper le lecteur pour lui dire,
24:23 mais j'attrape le lecteur comme je m'attraperais moi-même, je ne suis pas dans une position de procureur,
24:29 et c'est pour dire, qu'est-ce qu'on… j'en sais rien, pour dire ce que je dis,
24:36 mais en tout cas, qu'on ne peut pas ignorer cette violence qui est là.
24:41 Et j'ai toujours le sentiment que dans le tout-va-bien apparent de certains centres-villes de nos grandes villes,
24:53 d'un certain milieu bourgeois dans lequel je vis, qui est mon monde,
25:01 quelque chose d'indécent et d'obscène, et une violence dans le fait même de ne pas voir ou de ne pas vouloir voir.
25:11 Et donc oui, il y a des moments… Mais parce que, et je pense que c'est quelque chose qu'on sent tous,
25:19 qui fait nos colères, mais qui sont souvent rentrées, et la colère et le désespoir, ce sont les mêmes choses à mon avis.
25:28 Donc la littérature aussi, pour dire ça, c'est quelque chose qui ne va pas.
25:33 - Dans "Non", vous disiez que vous aimiez deleuze, ses réflexions sur la vie, sur le sens de la vie, et notamment sur la question du corps.
25:42 Mais aussi Jean-Patrick Manchette, qui est quand même un des rois néopolare, pourrait-on dire.
25:49 Il disait souvent aussi que cette forme-là, le roman noir, est-ce que d'ailleurs au fond, c'est pour vous un roman noir ou un polar ?
25:56 En tout cas, ça lui permettait d'aborder la critique sociale, mais tout en jouant avec cette forme littéraire,
26:01 tout en étant dans un exercice, un peu un télo, qui lui, lui plaisait.
26:06 Est-ce que c'est aussi cette quête-là, cette quête littéraire que vous faites à travers cela ?
26:11 En plus de l'envie d'écrire pour comprendre pourquoi on vit, quelle place on a dans cette société ?
26:16 - Alors, je ne sais pas si c'est un roman noir, certainement un roman est certainement noir, mais c'est complètement vrai.
26:24 Alors, à ce moment-là, il faudrait mettre "Crime et Châtiment" ou "L'étranger" dans la catégorie roman noir.
26:30 Mais pour parler deux secondes de Manchette, Manchette est effectivement, à mon avis, un des plus grands romanciers français,
26:40 notamment de cette période-là, en gros, après le nouveau roman, tout d'un coup, il se passe quelque chose.
26:45 Et Manchette est un des écrivains les plus politiques, par sa forme du roman.
26:51 J'adore Manchette, oui. Je ne dirais pas grand-chose, si ce n'est que j'adore Manchette, en fait.
26:56 - Alors, on ne sait pas si c'est un roman tout court ou un roman noir. En tout cas, ce n'est pas publié dans cette catégorie-là.
27:02 Mais juste, vous devez nous répondre, Constance Debré, avant de se quitter, sur le S de "Offense".
27:07 Quelles sont les offenses ?
27:09 - Elles sont partout. D'abord, c'est celle qu'on reçoit tous et celle qu'on commet tous.
27:16 Dans le livre, je crois qu'absolument personne n'est innocent. Le meurtrier est coupable.
27:27 Je ne l'excuse pas, une seconde. Mais tous ceux qui sont autour de lui, comme ceux qui le jugent, c'est-à-dire nous.
27:36 - Merci beaucoup, Constance Debré. "Offense" vient de paraître chez Flamarion. Merci mille fois.