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00:12 Plus de 30 000 morts, c'est le dernier bilan annoncé par le Hamas il y a quelques jours.
00:16 Au-delà de ces chiffres, à Gaza, on trouve des conditions de vie inimaginables.
00:22 Des personnes entassées dans des abris faits de briquet de brogue sans eau potable,
00:26 ni nourriture des hôpitaux qui peinent entre bombardements et manque de matériel à gérer l'afflux de blessés et de malades.
00:32 Comment l'aide humanitaire s'organise-t-elle si l'on ose ce verbe depuis le début du conflit ?
00:38 Quelles ressources les ONG ont-elles à leur disposition pour en parler ?
00:42 Je vous ai invité Claire Magone, bonjour.
00:45 Vous êtes directrice générale de Médecins sans frontières.
00:48 Il faut peut-être commencer par nous dire justement de quelle manière Médecins sans frontières est présent à Gaza.
00:55 Bonjour, Médecins sans frontières est présent à Gaza depuis 2000.
01:01 On est présent à travers nos 300 personnels palestiniens qui sont sur place.
01:07 Et depuis début octobre, à travers aussi notre personnel international qu'on a évacué dans un premier temps et qui est revenu depuis.
01:17 Donc on a aussi une vingtaine de personnels internationaux qui viennent prêter main forte au personnel palestinien qui est sur place et qui ne peut d'ailleurs sortir de Gaza.
01:26 Oui, parce que c'est une évidence, mais bon, il faut le dire, Claire Magone, les personnes qui travaillent pour Médecins sans frontières sont exposées à la guerre comme les autres Gaza, oui.
01:35 Nous sommes acteurs, on va avoir l'occasion d'y revenir sous contrainte à Gaza.
01:41 Et nous sommes témoins et victimes en effet de l'extrême violence de la guerre et des bombardements à Gaza, puisque nous avons perdu déjà cinq de nos collègues depuis début octobre.
01:55 Vous qui avez l'habitude, Médecins sans frontières, c'est le rôle de l'association d'avoir à intervenir dans des zones de guerre.
02:04 Si vous deviez donc situer ce qui se déroule à Gaza par rapport à ce que vous avez déjà connu, Claire Magone.
02:11 Les points de repère sont difficiles à trouver.
02:15 D'abord en termes de mortalité, la mortalité journalière qui caractérise la situation à Gaza, elle est inédite.
02:24 Et le fait que ce sont avant tout les enfants et les femmes, mais avant tout les enfants qui sont les victimes des bombardements, c'est quelque chose que nos équipes ont rarement, voire jamais, je pense, eu l'occasion d'assister.
02:39 Ensuite il y a le fait que nous soyons enfermés, que la population soit enfermée sans échappatoire dans un territoire extrêmement réduit, où finalement chacun est à portée de bombes, de tirs de sniper, de chars.
02:52 Et donc ce sentiment finalement que l'ensemble de la population, secouriste compris, est exposée à une forme de roulette russe.
03:02 Donc vraiment le niveau d'insécurité, de dangerosité est extrême et le niveau de pénurie est tous les jours plus extrême également.
03:10 Pourquoi d'abord les enfants ?
03:11 Pourquoi d'abord les enfants ? Parce que la population de Gaza est extrêmement jeune.
03:15 Et puis parce que les bombardements largement indiscriminés touchent les zones résidentielles et donc les enfants sont les premières victimes de ces bombardements en fait, tout simplement.
03:27 Ça ressemble à quoi Gaza, Claire Magone ?
03:30 Ça ressemble à quoi Gaza ?
03:32 Donc depuis cinq mois, on l'a vu, la majorité de la population a dû être déplacée plusieurs fois.
03:42 Aujourd'hui, ce qui caractérise la situation à Gaza, c'est 1,3,4 millions sur 2,2 millions de la population qui est entassée, acculée à l'extrême sud en fait de Gaza.
03:56 Donc dans des conditions de promiscuité qui sont terribles. Ce sont des gens qui ont tout perdu plusieurs fois.
04:02 Ils se sont d'abord, d'abord, ils ont, certains d'entre eux ont obéi aux injonctions de l'armée israélienne de quitter le nord pour d'abord se réfugier dans des zones qu'ils pensaient sûres.
04:11 Et puis après, puisqu'aucune zone n'est sûre aujourd'hui à Gaza, qu'ils se sont réfugiés par attrition, j'ai envie de dire, dans cette zone maintenant face au mur finalement, infranchissable aujourd'hui, quasiment infranchissable de l'Egypte.
04:27 Ils vivent dans des conditions de promiscuité extrême, de dénuement extrême. L'accès à l'eau potable qui a toujours été problématique à Gaza est devenu extrêmement, quasiment personne a accès à de l'eau véritablement potable.
04:42 Pourquoi ? Parce que les ressources en eau, elles sont produites à partir de désalinisation ?
04:47 Absolument.
04:48 A partir de quel procédé Claire Magad ?
04:49 Absolument. En fait, beaucoup des sources de... La majorité des sources d'eau à Gaza sont somatres, sont... Enfin, oui, somatres.
05:00 Impropres à la consommation.
05:01 Impropres à la consommation. Et donc, pour la désaliniser ou pour l'extraire dans les zones profondes, les zones profondes de l'eau potable, il faut de l'électricité. Et donc, il faut du carburant, ce qui manque cruellement depuis le début de la guerre.
05:18 Donc, il y a cette situation-là à Rafah, donc extrême promiscuité, extrême dénuement. Le nord de Gaza a été rasé littéralement, même s'il y a encore quelques centaines de milliers de personnes qui continuent à y vivre, et donc dans un état de dénuement extrême et de privation extrême.
05:35 Là, je pense que le point de bascule auquel on assiste, même si finalement, le point de bascule dans l'horreur n'en finit pas de basculer tous les jours, c'est vraiment cette question de l'accès à l'alimentation.
05:45 Ça fait quelques semaines seulement, si j'ose dire, qu'on voit plus que poindre, mais d'abord, on a vu poindre les premiers cas de malnutrition. La malnutrition, c'était quelque chose de totalement inconnu dans cette région du monde et à Gaza en particulier.
05:59 Et là, nous-mêmes, Médecins sans frontières, on a commencé à voir les premiers enfants mal nourris il y a quelques semaines, et là, les indications que nous avons via les collectes de données des Nations Unies montrent que la malnutrition sévère est en train de s'aggraver.
06:14 Or, quand on commence à avoir dans ce type de situation-là pas d'accès à l'eau, pas d'accès à l'alimentation diversifiée, voire à l'alimentation tout court, on sait que ça peut aller extrêmement rapidement, extrêmement rapidement.
06:27 Alors, Catherine Dutude parlait dans sa revue de presse internationale du petit Yazan, ce garçon qui est mort des suites de la privation de médicaments et de nourriture. Il avait 10 ans.
06:39 Est-ce que ce garçon, ceux qui ont vu cette image, son visage en mémoire ? S'agit-il d'un cas isolé ? Est-ce que vous, qui êtes directrice générale de Médecins sans frontières, vous avez connaissance de cas semblables ?
06:55 Alors, je vais situer un peu l'action de Médecins sans frontières parce que je pense que ça illustre un peu la question de l'état sanitaire à Gaza aujourd'hui.
07:04 Médecins sans frontières, nous, depuis le début du conflit, on a essayé de prêter main forte notamment aux hôpitaux dans lesquels on travaillait déjà avant la guerre.
07:14 Et pour situer un petit peu les difficultés auxquelles le système sanitaire fait face, on a dû évacuer successivement une dizaine d'hôpitaux.
07:22 Donc, aujourd'hui, la question de la prise en charge des blessés et des malades, c'est évidemment extrêmement problématique.
07:29 Le chiffre qu'on connaît de plus de 70 000 blessés, c'est le chiffre des autorités sanitaires, d'ailleurs qui n'est pas contesté aujourd'hui, ni celui des morts ni celui des blessés.
07:43 Il n'est pas contesté. Ce qu'on sait maintenant, c'est qu'il est certainement sous-estimé puisque le nombre de morts et de blessés, finalement, ne rend pas compte du nombre de personnes qui sont extrêmement malades et qui ont des maladies chroniques,
07:58 comme le petit garçon qui avait apparemment une maladie congénitale et qui, eux, n'ont absolument pas accès au soin.
08:04 Donc, nous, la question des blessés eux-mêmes, on travaille dans plusieurs hôpitaux au sud de Gaza et ce qu'on voit, c'est que les possibilités de prise en charge des blessés sont extrêmement limitées.
08:18 D'abord, les conditions d'hygiène sont absolument désastreuses. Nous-mêmes, on a, par exemple, un hôpital à Rafa, l'hôpital indonésien qui est entièrement géré par Médecins Sans Frontières,
08:29 dans lequel nous fournissons des soins post-opératoires à des gens, donc, encore une fois, largement des femmes et des enfants, dont les membres ont été écrasés dans les bombardements ou qui ont été brûlés dans les bombardements.
08:41 C'est vraiment beaucoup ce type de blessures auxquelles on fait face et dont les blessures sont quasiment directement infectées, en fait.
08:50 Donc, en plus, ce sont des blessures extrêmement complexes qui nécessiteraient des soins de longue durée qu'on a du mal à fournir dans ces conditions.
08:57 - Vous, par exemple, vos équipes sur place, Claire Magone, comment font-elles pour avoir des médicaments, pour avoir de quoi continuer à travailler ? Est-ce qu'il y a des camions qui pénètrent dans Gaza ?
09:08 Il faut rappeler qu'il y a, à ce jour, deux entrées dans Gaza, une côté égyptien, l'autre côté israélien.
09:16 - Alors, c'est surtout via le point de passage de Rafa que nous pouvons faire venir... - Donc, côté égyptien. - Côté égyptien.
09:25 Donc, nous, on a réussi à faire venir, depuis le début du conflit, quelque chose comme 70 ou 80 tonnes de médicaments.
09:33 Donc, nous, on arrive à faire à peu près rentrer notre matériel, même s'il y a quelques camions qui n'ont pas pu rentrer, puisque, vous savez, ils sont systématiquement inspectés.
09:42 Donc, médicaments et équipements médicaux parviennent à peu près à rentrer, mais tout ce qui, derrière, sous temps, soutient le système sanitaire, carburant, eau potable, etc., ça reste extrêmement problématique.
09:56 - Donc, il y a eu un passage qui est utilisé du côté égyptien, du côté israélien, donc le point de passage de Keren Shalom, est-ce qu'il est utilisé ?
10:06 - Non, il n'est pas vraiment utilisé. - Donc, en fait, vous n'avez qu'un biais pour utiliser des camions ou différents types de livraison.
10:17 De toute façon, je ne vois pas d'autres biais, puisque, évidemment, le largage par avion qui a été employé est quelque chose d'homéopathique.
10:26 Il n'y a quasiment pas de personnes qui peuvent être nourries par ce biais-là, Claire Magon ?
10:31 - Oui, tout à fait. Il faut se rendre compte un peu de la dimension, enfin, de la question du besoin d'aide extérieure à Gaza.
10:41 Avant, en temps normal, si j'ose dire, quand la population n'était que sous blocus, 80% de la population dépendait déjà, pour sa survie quotidienne, d'une assistance extérieure.
10:50 Depuis que le siège s'est rajouté au blocus, on a beaucoup commenté dans les premières semaines, et j'ai envie de dire, nous-mêmes, on a joué ce jeu-là de dire
10:58 "10 camions, 20 camions, 30 camions, ce n'est pas assez par rapport aux 500 camions qui étaient estimés nécessaires par jour".
11:05 Mais j'ai envie de dire qu'on n'en est plus là, en fait, puisque, quand bien même, et on en est loin, il y aurait-il un nombre de camions suffisant pour rentrer à l'intérieur de Gaza,
11:12 les capacités de déploiement de cette aide-là, donc, encore une fois, tout ce qui permet le déploiement, c'est-à-dire des personnes capables d'organiser les secours,
11:22 sans craindre d'être elles-mêmes bombardées, mais aussi tout ce qui est infrastructure civile, qui a été complètement, systématiquement et méthodiquement détruit par l'armée israélienne,
11:30 n'est pas en place, et donc on en arrive, effectivement, à ces situations de pénurie et de chaos extrême, qu'on a vu illustrer la semaine dernière,
11:39 dans la tragédie qui a tué plus de 100 personnes, et, comme vous le disiez, qui, par réflexe, a suscité un largage homéopathique.
11:53 En fait, pour nous, c'est un peu une espèce de "la fausse bonne idée" à un problème réel qui pourrait être résolu, tout simplement, en faisant preuve d'une humanité de bon sens,
12:01 qui est de dire "réouvrons les points de passage et assurons le déploiement sécurisé de l'aide".
12:08 On va continuer à en parler dans quelques instants. Claire Magone, je rappelle que vous êtes directrice générale de Médecins sans frontières,
12:14 et puis nous serons en duplex avec Tamara Al-Rifaï, qui est directrice des Relations extérieures de Lune-Roy, c'est l'office de secours de l'ONU pour les Palestiniens.
12:24 7h56 sur France Culture.
12:30 6h39, les matins de France Culture. Guillaume Erner.
12:34 8h21, alors que la situation empire de jour en jour à Gaza, où la population peine à avoir accès aux vivres,
12:43 les agents humanitaires tentent tant bien que mal de stabiliser la situation. Comment venir en aide au Gaza ?
12:49 Oui, quels sont les obstacles rencontrés par les ONG ? Nous sommes en compagnie de Claire Magone, vous êtes directrice de Médecins sans frontières,
12:56 et nous sommes en duplex avec Tamara Al-Rifaï. Bonjour.
12:59 Bonjour.
13:00 Vous êtes directrice des Relations extérieures de Lune-Roy. Lune-Roy, c'est l'office de secours de l'ONU pour les Palestiniens.
13:06 J'aimerais que vous nous décriviez en quelques mots cette organisation.
13:11 Lune-Roy, c'est l'Agence des Nations Unies pour les réfugiés de Palestine.
13:15 Elle a été fondée suite à la création de l'État d'Israël en 1949.
13:20 Elle a été fondée pour répondre aux besoins des Palestiniens qui ont perdu leur domicile ou ont été expulsés et sont devenus, depuis 1948, des réfugiés.
13:31 C'est un réseau de 700 écoles, 140 dispensaires et autres services de base pour les Palestiniens en Cisjordanie, à Gaza, en Syrie, au Liban et en Jordanie.
13:42 Donc ce sont les endroits, les pays, les zones où vivent les descendants des Palestiniens chassés de chez eux en 1948.
13:50 Voilà. Là, c'est une grosse machine, Lune-Roy.
13:54 Très grosse machine, avec des services qui ressemblent aux services étatiques, aux services publics, donc un système de scolarisation, un système de santé publique, etc.
14:04 Donc effectivement, ce n'est pas une petite ONG, je ne le dis pas d'ailleurs de manière méprisante, mais on a affaire à un organisme qui est lié à l'ONU.
14:18 Quelles sont les situations que vous observez sur place, Tamara Al Rifai ?
14:23 On a décrit avec Claire Magone de Médecins sans frontières la terrible situation sur le plan sanitaire, sur le plan également de la nourriture, avec une situation de famine, de pré-famine.
14:38 Comment décririez-vous les choses, Tamara Al Rifai ?
14:41 Un enfant sur six de moins de deux ans aujourd'hui est mal nourri à Gaza, selon l'Organisation mondiale de la santé.
14:49 90% de la population gazaouie aujourd'hui fait face à la faim.
14:54 On parle d'insécurité alimentaire, ce qui veut dire que les gens n'ont pas accès au nombre minimum de calories qui leur permettra de survivre.
15:03 On observe aussi les maladies aujourd'hui qui se propagent, la diarrhée, l'hépatite A, des maladies respiratoires, des maladies de la peau.
15:14 On observe l'encombrement dans les abris de l'endroit, justement, de l'agence que je représente.
15:21 Mais on remarque aussi ce déplacement en masse qui rend une partie de la bande de Gaza comme Gaza dans le sud, un endroit extrêmement encombré,
15:31 que ce soit à l'intérieur des abris, mais à l'extérieur aussi, en pleine nature, sous les bombardements.
15:39 Tout ça avec une aide humanitaire qui arrive à Gaza au compte-gouttes.
15:45 Donc les agences humanitaires comme celle que je représente, comme l'ONUROI, mais bien d'autres, n'arrivent même pas à pourvoir aux besoins urgents de la population gazaouie.
15:56 C'est vraiment une situation catastrophique.
15:58 Alors la situation à Gaza est catastrophique. Claire Magone, vous êtes directrice générale de Médecins sans frontières.
16:02 On a entendu aux actualités que votre ONG intervenait également en Haïti, où là aussi la situation est grave pour des raisons tout à fait différentes.
16:15 Et je reçois des mails de personnes qui me disent "mais bon, vous parlez de Gaza, il y a aussi d'autres situations de famine, dans le Tigré par exemple, au Kivu, qu'en pensez-vous ?
16:29 C'est vrai qu'il y a d'autres crises sur lesquelles on est actif et qu'on peine à mobiliser l'attention médiatique et de l'opinion publique.
16:38 Vous avez cité Haïti, donc situation de chaos qui ne cesse de s'enfoncer dans le chaos, de désespérance totale.
16:44 Il y a aussi le Soudan, nous avons, il y a quelques semaines, publié les résultats d'une enquête de mortalité et de malnutrition qui montre des niveaux tout à fait alarmants et des situations de pénurie terribles.
16:58 Il y a la situation en effet en RDC où plusieurs centaines de milliers de déplacés sont arrivés à Goma en quelques mois.
17:06 C'est la région du Kivu auquel nous avons consacré dans les enjeux internationaux.
17:09 C'est une région où il y a eu des millions de morts dans l'indifférence.
17:13 Ça c'était il y a longtemps des millions de morts, on n'en est plus là, mais des centaines de milliers de déplacés arrivent à Goma.
17:17 Oui, et des millions de morts qui n'étaient pas liés à la famine, qui étaient liés à la famine.
17:19 Tout à fait, ce n'est pas des situations de famine. En RDC, il n'y a pas de situation de famine, mais il y a une situation de violence, d'insécurité généralisée.
17:25 Une épidémie de violence sexuelle notamment autour de Goma et des déplacés qui n'en finissent pas non plus d'être déplacés.
17:34 En effet, il y a d'autres crises sur lesquelles les équipes de Médecins sans frontières sont mobilisées,
17:40 et sur lesquelles il y a moins d'attention médiatique, c'est sûr, qu'aujourd'hui sur Gaza.
17:46 Après, la particularité aussi de la situation à Gaza, c'est que c'est une situation qui est entretenue finalement avec la complicité active des démocraties occidentales,
17:55 et notamment des États-Unis, et je pense que c'est ça aussi qui fait une différence en fait dans l'ascension.
18:00 C'est-à-dire, qu'est-ce que vous voulez dire, Claire ?
18:01 Ce que je veux dire, c'est qu'une humanité de bon sens commanderait que les bombardements cessent immédiatement,
18:09 puisqu'il y a un lien direct de cause à effet entre l'hécatombe à laquelle on assistait ce niveau de violence,
18:13 et que les États-Unis, à chaque fois qu'il y a une possibilité d'appuyer cette demande de cesser le feu, a émis son veto.
18:21 Donc il y a vraiment ce sentiment à la fois d'impuissance, mais ce sentiment que quelque chose de si simple pourrait être fait pour remettre fin à cette hécatombe.
18:29 Mais dans le même temps, Claire Magone, vous qui dirigez Médecins sans frontières,
18:33 on évoquait les largages via des avions d'aide humanitaire qui représentent presque, je ne veux pas utiliser un terme trop brutal,
18:43 mais c'est quasiment de la gesticulation, puisque c'est un camion et demi environ de largué,
18:48 et ça signifie que même les États-Unis ne parviennent pas à faire entendre raison au gouvernement israélien
18:55 pour ouvrir le passage notamment de Kéren Shalom pour passer l'aide humanitaire.
19:00 Même chose quand même en Égypte, parce que les Égyptiens pourraient laisser passer cette aide humanitaire à Rafa, ils ne le font pas.
19:08 Est-ce que vous avez une idée des raisons pour lesquelles les Égyptiens et les Israéliens s'entendent de fait ?
19:15 Je ne sous-entends pas qu'il y a une alliance de fait à cet égard, mais en tout cas, les deux gouvernements refusent de laisser passer l'aide.
19:24 Disons que la population de Gaza est soumise à un rationnement organisé, et effectivement l'Égypte fait partie de l'organisation de ce rationnement de longue date,
19:32 mais comme vous l'avez très bien dit, l'histoire du largage humanitaire, vous avez parlé de gesticulation, c'est le bon terme, et même d'iversion.
19:40 Je ne mettrai pas tout à fait sous le même plan le pouvoir que corrent les États-Unis pour tenter de faire en sorte que la situation actuelle cesse,
19:48 et que le niveau de violence cesse, parce qu'encore une fois, la question est moins le nombre de camions dont on a besoin,
19:54 que les conditions de déploiement nécessaires pour faire en sorte que cette aide puisse être déployée, sans être déployée sous les bombes.
20:02 Tamara Al Rifai, vous observez les choses, je rappelle que vous travaillez pour Lune Roy, pourquoi cette aide est-elle interdite d'entrer par les Égyptiens et les Israéliens ?
20:15 Pour nous, la question qui se pose, c'est pourquoi est-ce que cet acheminement d'aide humanitaire reste au compte-goutte,
20:23 malgré un avis de la Cora International de Justice et deux résolutions du Conseil de sécurité ?
20:32 Nous continuons en tant que l'organisation la plus étendue, la plus grande, avec le plus grand nombre de personnels,
20:38 et surtout l'organisation qui gère plus de 150 abris où on trouvait refuge plus d'un million de personnes,
20:46 nous continuons d'appeler d'abord à un cessez-le-feu, un cessez-le-feu humanitaire pour pouvoir quand même circuler dans la bande de Gaza,
20:56 toute la bande de Gaza, y compris dans le nord qui est sous blocus,
21:01 et nous continuons d'appeler aussi à un acheminement d'aide humanitaire beaucoup plus grand, beaucoup plus signifiant, vous avez parlé du largage.
21:10 Le largage aérien doit toujours rester un moyen exceptionnel.
21:15 Il ne faut pas se leurrer, le plus simple c'est d'ouvrir les points de passage, Rafa et Kerem Shalom,
21:20 et d'alléger la bureaucratie imposée par l'État d'Israël pour ce qu'ils appellent la vérification du contenu des camions,
21:28 et d'arriver à un système d'administrer, de gérer ce flot, cet acheminement de camions plus simple, plus léger.
21:41 Nous parlons aujourd'hui d'une agitation, pour utiliser des termes qui ressemblent aux vôtres,
21:46 une agitation diplomatique et politique au plus haut niveau, au Conseil de sécurité, à l'Assemblée Générale,
21:52 pour moins de 100 camions d'aide humanitaire par jour. Nous sommes très loin du minimum de 500 camions par jour dont nous avons besoin,
22:00 pour pouvoir, au minimum, des besoins des Gazaouines.
22:03 Ça veut dire qu'il y a quand même 100 camions qui passent à Rafa aujourd'hui, quotidiennement ?
22:08 Il y a au maximum 100 camions qui passent de Rafa et de Kerem Shalom ensemble, tous les jours.
22:15 Mais 100 camions, encore une fois, il faut mettre les choses en perspective. 100 camions, c'est moins de ce que reçoit un supermarché de quartier.
22:24 Pour une population de 2,2 millions de personnes à Gaza, plus de 70% de la population est aujourd'hui déplacée, 1,7 million.
22:33 Donc c'est vraiment rien du tout, 100 camions. Nous faisons appel à un passage de minimum 500 camions par jour.
22:40 C'était ce qui passait avant le 7 octobre, à une bande de Gaza déjà sous blocus, recevait tous les jours 500 camions,
22:50 un mix entre les camions humanitaires et les camions commerciaux. Aujourd'hui, il n'y a pas de camions commerciaux.
22:55 Toute la population à Gaza dépend de l'aide humanitaire. C'est extrêmement malsain.
23:00 Claire Magone, l'une des raisons qui avaient été invoquées officiellement, consistait à dire "bon mais cette aide,
23:07 elle va au Hamas et elle ne va pas aux populations civiles". Qu'est-ce que vous, vous observez sur place ?
23:13 Il faut qu'on arrive à distinguer les choses. Elle va au Hamas. Gaza est sous gouvernement du Hamas depuis 2007, n'est-ce pas ? Depuis 2006.
23:26 Donc, l'accusation selon laquelle l'aide irait au Hamas, ça a été utilisé avant tout comme prétexte pour punir la population civile d'accès à une aide vitale.
23:45 Donc, c'est particulièrement vrai sur les questions de carburant, puisque l'accès au carburant sous prétexte que ça pourrait nourrir l'effort de guerre du Hamas a été complètement contraint.
23:54 Mais au-delà de ça, et c'est pour ça que je dis qu'il faut distinguer les choses, malheureusement c'est ce que l'armée israélienne ne fait pas,
24:00 c'est que finalement, l'argument selon lequel, quoi qu'il adhienne, quels que soient les efforts faits pour soutenir la vie civile à Gaza, ça nourrit aussi le Hamas,
24:16 ce narratif-là, finalement il condamne à continuer à écorcher vif la population sous prétexte que le Hamas leur collerait à la peau.
24:24 Et donc ça, c'est quand même un problème majeur en fait aujourd'hui, l'absence de distinction entre la population civile et les cibles militaires d'Israël.
24:33 Mais alors, vous, vous gérez par exemple l'hôpital indonésien, Médecins Sans Frontières, est-ce que vous avez vu cet hôpital utilisé par le Hamas dans des fins militaires ?
24:45 Est-ce que vous avez vu les tunnels, puisque manifestement des tunnels, je ne dis pas tous les tunnels, mais beaucoup de tunnels partent d'hôpitaux, de lieux civils ?
24:57 L'hôpital indonésien dont je parlais tout à l'heure, l'hôpital indonésien de MSF Arafat, c'est un hôpital que nous avons entièrement nous-mêmes mis sur pied,
25:05 dont on contrôle complètement cet hôpital, on a accès à absolument l'entièreté de l'hôpital, et donc c'est un hôpital qui soigne des patients, et c'est son unique fonction.
25:19 Le fait que Gaza soit rempli de tunnels, j'ai envie de dire, on ne le découvre pas aujourd'hui, donc ça, le fait qu'il y a des tunnels sous Gaza, ça fait partie d'une réalité objective.
25:32 Quand les équipes de Médecins Sans Frontières sont dans des hôpitaux, tels que par exemple Chifa, la taille de Chifa c'est la salle pétrière,
25:42 et donc vous avez raison de poser la question, parce que j'ai envie de dire, on nous pose toujours cette question-là,
25:47 mais le fait de dire, nous à Chifa, à Nasser, c'est un hôpital aussi qu'on a dû évacuer il y a quelques semaines, et qui maintenant est hors d'état,
26:01 dans ces hôpitaux-là, nous on n'a pas accès à l'entièreté de l'hôpital, ce que je peux vous dire, c'est que ce qu'on y voit, ce qu'on y a toujours vu,
26:13 et ce qu'on y voit encore, enfin, quand ils n'ont pas été mis hors d'état de nuire, c'est que ce sont des hôpitaux qui sont bourrés de déplacés,
26:19 bourrés de réfugiés, bourrés de patients, bourrés de malades, et que le reste, est-ce qu'il y a des caches d'armes dans ces hôpitaux-là ?
26:29 Eh bien, nous on n'a pas accès à cette connaissance-là. En revanche, ce que je peux vous dire, c'est que jamais les équipes de MSF n'ont opéré au milieu de lance-roquettes ou de combattants.
26:41 Et c'est vraiment important, parce que le principe de proportionnalité qui est inscrit dans le droit humanitaire international, et qui, autour duquel la question de la perte de protection des hôpitaux doit se mesurer,
26:53 elle nécessite qu'on observe le coût humain d'une opération, de la mise à terre d'un hôpital au regard de son bénéfice militaire. Nous, on est du côté du coût humain, ça on peut en attester.
27:04 En revanche, la question de "est-ce qu'il y a un bénéfice militaire ?" ça c'est à Israël d'en faire la preuve, robuste, et certainement pas aux humanitaires de le faire.
27:14 Mais Tamara Al Rifai, vous qui êtes directrice des Relations extérieures de LuneRoy, on imagine que LuneRoy, pour opérer, y compris dans un cadre humanitaire, est obligée de s'accorder avec le Hamas, de négocier avec le Hamas.
27:27 LuneRoy, comme n'importe quelle agence humanitaire ou ONG, quand on travaille dans une zone de conflit, on est obligé de coordonner, si ce n'est que sur le plan logistique au quotidien, nos mouvements, notre sécurité, avec les autorités sur place.
27:43 A Gaza, les autorités de facto sur place sont les autorités du Hamas. Et donc, nous devons, en effet, communiquer de façon vraiment très factuelle, ce qui concerne la sécurité de notre staff, la sécurité de nos opérations.
28:00 Ce n'est pas une surprise qu'une organisation humanitaire soit en contact avec les parties au conflit dans une zone de conflit.
28:08 Justement, là-dessus, est-ce qu'on a des garanties ? LuneRoy a été au cœur d'une polémique. Je crois qu'il y avait 12 membres de l'organisation qui ont été accusés d'avoir été impliqués, d'une manière ou d'une autre, dans les tueries du 7 octobre.
28:26 12 membres, c'est peu par rapport à la taille de LuneRoy. Mais est-ce que ça signifie qu'il y a une forme de complaisance de la part de certains de vos membres, voire une aide directe apportée au Hamas, alors que l'ONU doit apporter une aide aux populations civiles ?
28:45 12 membres sur 13 000 membres de notre personnel à Gaza, c'est moins de 0,01%. Mais chacun de ces cas est un cas que nous prenons très au sérieux.
28:55 C'est pour ceci qu'il y a une enquête en cours maintenant sur la potentielle, la possible implication de 12 membres de LuneRoy dans les attaques horribles du 7 octobre.
29:06 Ceci dit, punir une agence dans son entièreté à Gaza et dans toute la région, et la décision de certains États de suspendre leur contribution à l'agence qui aujourd'hui même est l'agence la plus étendue, la plus grande à Gaza, est quand même une décision irresponsable, pour dire le moins.
29:30 Maintenant, est-ce que ça veut dire qu'il y a connivence, proximité ? C'est ce que l'enquête va voir. Mais quand bien même l'enquête découvre peut-être que certains membres, un, deux ou cinq, soient impliqués, l'agence LuneRoy renforcera ces systèmes qui sont déjà très robustes, très solides, pour s'assurer qu'il y ait le moins de risques possibles d'entrave à la neutralité.
29:56 Il faut rappeler, douze membres sur trente mille personnes qui travaillent à LuneRoy dans la région, treize mille à Gaza.
30:04 Claire Bagone.
30:05 Je voudrais juste profiter de ce moment pour effectivement souscrire à ce que vous venez de dire, et puis rappeler le rôle absolument vital que LuneRA joue aujourd'hui à Gaza, en fait, les treize mille personnes qui amènent l'aide à Gaza, les soins primaires, les infrastructures, etc.
30:24 Et donc, nous, à Médecins Sans Frontières, on soutient activement, en fait, la nécessité de garder l'opérationnalité de LuneRA, et on s'insurge aussi contre la décision qui a été faite et qui contrevient de cesser le financement de LuneRA, et qui contrevient en effet directement aux mesures conservatoires de la Cour internationale de justice, et qui commandent finalement aux États membres de tout faire en sorte pour que l'aide humanitaire soit à la hauteur des besoins.
30:53 Claire Bagone, à Gaza, il y a donc les Gazaouis, et puis il y a aussi des otages israéliens. Est-ce que des membres de Médecins Sans Frontières, puisque vous êtes directrice générale de Médecins Sans Frontières, les ont vus, ces otages ?
31:07 Bien sûr que non. Nous n'avons pas vu ces otages. Nous, les otages, on ne peut que compatir à la souffrance et à l'angoisse des familles qui sont dans l'anxiété et dans l'attente, mais nous n'avons absolument pas accès, ni de près, ni de loin, à la question des otages.
31:23 Même chose Tamara Al Rifai, est-ce que LuneRA, donc là vous êtes une organisation d'une autre taille, est-ce que vous les avez vus, est-ce que vous pouvez leur apporter également de l'aide, puisqu'il y a eu des livraisons de médicaments pour ces otages ?
31:39 Malheureusement, nous n'avons pas accès à ces otages, et nous avons d'ailleurs condamné dès le premier jour la prise d'otages, et nous avons appelé à ce qu'ils soient libérés et rendus à leur famille.
31:49 Aujourd'hui, sur cette situation humanitaire, on a compris Tamara Al Rifai que les besoins étaient très au-dessus de ce qui est fait en matière humanitaire, de livraison de vivres et de livraison de médicaments.
32:05 Qu'est-ce que l'on peut imaginer, qu'est-ce que l'on peut espérer aussi pour ce territoire ?
32:12 D'abord, on peut espérer que les choses se calment, on peut espérer un cessez-le-feu, et on peut espérer une réflexion approfondie et sérieuse sur l'après.
32:24 Car au-delà de l'urgence, sûrement il y a un après, après cette guerre, quel genre de transition aura lieu à Gaza, pour quel genre de plan de longue durée, quel système de gouvernance, quel futur pour cette société ?
32:39 Et ici, un rappel que l'UNRWA, avec ses services para-étatiques ou quasi-étatiques, est l'agence la plus solide en matière d'infrastructure pour assurer une transition.
32:54 Ce sont nos écoles auxquelles se rendent plus de 300 000 enfants gazaouis, des filles, des garçons.
33:00 Ce sont nos dispensaires qui s'occupent des maladies et de la santé des gazaouis.
33:05 S'il y a une transition jusqu'à un après à plus long terme, avec une solution politique, inshallah, c'est l'UNRWA qui peut assurer une transition réussie.
33:17 Sans l'UNRWA, ce sera encore plus le chaos, encore plus la catastrophe mondiale.
33:22 Donc ça c'est un plaidoyer pro-domo, parce que beaucoup de voix appellent à un UNRWA nouveau sans l'UNRWA.
33:28 C'est très difficile une transition sans l'UNRWA, vu que nous avons quand même la structure et l'infrastructure humanitaire et de développement la plus étendue sur Gaza.
33:38 Claire Magone, un mot de conclusion. On a compris que la situation était terrible.
33:45 Aujourd'hui, est-ce que vous avez des nouvelles des livraisons de vivres, de la manière dont les choses peuvent s'organiser peut-être, en forme de vies, s'améliorer ?
33:55 Si je devais conclure, on parle beaucoup du jour d'après.
33:59 Moi j'ai envie de dire qu'on est toujours dans le jour de maintenant, et qu'avant même de commencer à envisager ce qui pourrait être reconstruit,
34:05 le plus important c'est d'arrêter de détruire.
34:07 D'arrêter de détruire tout ce qui soutient de près ou de loin la vie civile à Gaza.
34:11 Et déjà ça, ça permettra un petit peu d'épargner les vies qui restent.
34:16 Il y a donc des dons qui sont faits. Peut-être parler de cela, puisque vous n'êtes pas un organisme para-étatique comme l'UNRWA, vous êtes une ONG,
34:27 donc vous vivez de la générosité notamment des Français ?
34:31 Tout à fait MSF, on est financé à 99% par les dons privés, et donc effectivement, pour répondre à la crise à Gaza,
34:40 mais aussi aux crises dont nous venons de parler, que ce soit en République démocratique du Congo, en Haïti ou au Soudan,
34:46 on dépend entièrement de la solidarité et de la générosité des Français.
34:50 Merci Claire Magone, je rappelle que vous êtes directrice générale de Médecins sans frontières.
34:54 Merci Tamara Al-Rifaï d'avoir été en duplex avec nous.
34:57 Vous êtes directrice des Relations extérieures de l'UNRWA, l'office de secours de l'ONU pour les Palestiniens.