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00:00 Les matins de France Culture
00:05 Guillaume Erner
00:06 Le génocide Tutsi au Rwanda aura fait en tout près d'un million de victimes
00:12 selon les Nations Unies. Ce dimanche 7 avril marquera les 30 ans de ce drame.
00:19 Comment le Rwanda est-il aujourd'hui après cette horreur ?
00:26 Que pensent les rescapés ?
00:28 Pour en parler, nous sommes en compagnie tout d'abord en duplex d'Hélène Dumas. Bonjour.
00:34 Bonjour Guillaume Erner.
00:36 Vous êtes historienne chargée de recherche au CNRS, spécialiste du Rwanda.
00:39 On vous doit sans ciel ni terre, paroles orphelines du génocide des Tutsi aux éditions La Découverte.
00:46 Et puis ici dans ce studio, en face de moi, Dominique Sélis. Bonjour.
00:52 Bonjour.
00:53 Vous êtes romancière belgo-rwandaise. On vous doit notamment Ainsi pleurent nos hommes aux éditions Philippe Rey.
01:02 Et puis, gêneur de survivants, la question du génocide des Tutsi.
01:07 Peut-être quelques mots tout d'abord Hélène Dumas pour ceux qui, il y a 30 ans, n'étaient pas nés.
01:13 Pour leur expliquer, leur dire en quelques mots ce qui s'est déroulé au Rwanda alors.
01:19 Oui, alors le génocide des Tutsi a eu lieu entre le 7 avril et la mi-juillet 1994.
01:26 C'est le dernier génocide du XXe siècle qui, hélas, à l'époque, n'a pas été reconnu comme tel.
01:32 Il s'agissait bien d'une entreprise d'extermination exhaustive de ceux qui avaient été désignés comme Tutsi
01:39 par une idéologie raciste qui remonte évidemment à la colonisation
01:45 et ensuite à la manipulation de ces identités, de ces assignations racistes et raciales par les régimes post-coloniaux.
01:54 Toute une organisation a été mise en place avant le déclenchement général du génocide sur l'ensemble du pays le 7 avril 1994.
02:07 Nous vous écoutons comme c'est en duplex, Hélène Dumas, je ne vous vois pas.
02:15 Oui, donc c'était juste pour revenir, peut-être c'est difficile de résumer un événement aussi massif en quelques mots,
02:23 mais pour dire que ce génocide des Tutsi appartient à l'histoire de notre monde
02:28 puisque le racisme qui a été le terreau de cette entreprise d'extermination
02:33 est le même qui a donné lieu à l'antisémitisme.
02:38 Donc c'est une histoire intellectuelle qui est aussi une histoire européenne
02:42 et les catégories raciales Hutu-Tutsi qui ont justifié le génocide en 1994
02:51 font partie de l'histoire intellectuelle de l'Europe et cet événement est un événement monde.
02:59 Dominique Sélis, vous qui êtes en studio avec moi, dans quel état d'esprit êtes-vous, vous qui avez écrit sur ce génocide, qui en êtes un témoin ?
03:14 Merci, je voudrais d'abord saluer les auditeurs et les auditrices.
03:17 C'est impossible d'entendre Hélène Dumas en saluer son dernier livre, "Sans ciel ni terre",
03:23 qui parle du génocide à hauteur d'enfant et puisque c'est si difficile de comprendre cet événement,
03:30 je pense que ce livre, qui pour moi, de toute la littérature sur le génocide, est vraiment un livre remarquable et que je ne peux que recommander.
03:38 Je ne peux pas passer à côté de cela.
03:41 Alors, dans quel état je me trouve aujourd'hui ?
03:46 Comme dit Hélène Dumas, dimanche ça fera 30 ans.
03:51 Nous allons commémorer le génocide des Tutsis et je suis partagée.
03:56 D'un côté, l'idéologie de haine anti-Tutsis se porte bien dans la région des Grands Lacs.
04:03 À l'extérieur du pays, notamment en France et en Belgique, mon pays paternel,
04:08 le négationnisme par la théorie du double génocide, qui est une création à la base de François Mitterrand, se porte bien aussi.
04:16 Il faut expliquer, Dominique Sélis, ce qu'est cette théorie.
04:19 La théorie du double génocide, c'est de mettre deux à dos, bourreau et victime.
04:25 C'est le négationnisme par minimisation, c'est-à-dire qu'on reconnaît qu'il y a eu génocide contre les Tutsis.
04:32 Et ça fait partie de la définition du génocide, d'ailleurs.
04:35 En même temps, c'est de dire que certes, les Tutsis ont été exterminés, mais les bourreaux, les Hutus, comme on disait avant 1994, aussi.
04:44 Et donc, voilà, tout ce négationnisme se porte bien.
04:48 Et quand je commence par cela, c'est pour dire que ce n'est pas fini.
04:55 Ce n'est pas fini.
04:56 Le Rwanda est en pleine expansion à beaucoup de niveaux, mais la menace anti-Tutsis reste présente.
05:06 Et en même temps, d'autre part, ça ne va pas nous empêcher, nous les Rwandais, d'avancer.
05:15 J'ai un scoop pour vous, Guillaume Erner, nous n'allons plus mourir.
05:18 C'est terminé de mourir comme ça, d'être massacrés.
05:22 Et j'ai envie de dire, et je termine par là, que ce que nous avons appris de la campagne génocidaire de 1990 à 1994,
05:31 je suppose que tout le monde est bilingue, belgo-français,
05:36 ce que nous avons appris de cette campagne, quand le monde entier nous regardait être tués en dînant,
05:42 c'est qu'on ne peut compter que sur nous-mêmes.
05:45 Ça, nous l'avons bien compris.
05:47 Et donc, désormais, nous comptons sur nous-mêmes, nous avançons.
05:51 Et le fait de ne pouvoir que compter sur nous-mêmes, ça nous donne une force extraordinaire,
05:59 notamment à la jeunesse, vous savez qu'aujourd'hui, 70% de la population rwandaise a moins de 30 ans.
06:04 Et même s'ils ont une distance par rapport à cela, eux aussi savent ça.
06:09 Et donc, il y a dans ce pays une énergie, une volonté d'avancer.
06:14 Et on avance.
06:16 On avance Hélène Dumas, vous vous êtes au Rwanda actuellement.
06:21 La réconciliation, est-ce un mot ou quelque chose que vit pleinement cette société ?
06:28 La réconciliation, ce qu'il faut essayer de comprendre, c'est que c'est avant tout un choix politique
06:34 qui a été posé après le génocide de 1994,
06:39 en tentant de refonder la narration nationale autour de l'identité rwandaise,
06:47 et non plus d'une identité de différenciation raciste ou tout-outsi.
06:53 Ce qu'il faut bien rappeler aux auditeurs, aux éditrices, c'est que tous les Rwandais ont en commun une même langue,
07:00 c'est-à-dire une même culture, communient aux mêmes croyances religieuses,
07:05 et partagent un territoire depuis des millénaires.
07:08 Donc, il n'y a pas, si vous voulez, ce qui est très compliqué à comprendre dans l'histoire du génocide et tout-ici,
07:13 c'est que c'est un génocide qui repose sur une absence de différence, sur des différences qui ont été construites.
07:19 Et il faut comprendre ça pour ensuite tenter d'analyser le projet national qui a été mis en place après le génocide.
07:27 Ce projet national de réconciliation considère que l'ensemble des Rwandais partage un même berceau national,
07:36 et qu'il s'agit de le reconstruire autour de référents identitaires différents de ces assignations outou-toutsi.
07:46 Donc, il y a ce projet politique qui a été mis en place après le génocide,
07:51 et qui a été incarné dans un certain nombre d'institutions, je pense en particulier à la justice,
07:56 et à cette justice très particulière qu'ont été les gatchatchas,
08:00 qui se sont déployées à l'orée des années 2000 et jusqu'en 2012.
08:04 Et puis, il faut...
08:07 Il faut expliquer en quoi consistaient ces institutions, Hélène Dumas.
08:12 Oui, alors ce sont des tribunaux qui ont été créés à l'orée des années 2000,
08:17 parce que les juridictions classiques, le système judiciaire rwandais avait été mis à terre par le génocide,
08:25 et il aurait été impossible de juger l'ensemble des personnes soupçonnées d'avoir participé au génocide,
08:31 à un degré ou à un autre, devant des tribunaux ordinaires.
08:35 Et puis, l'autre nécessité, c'était de ramener le crime à l'échelle où il avait été commis,
08:40 c'est-à-dire au cœur des collines et des quartiers.
08:43 Et ces juridictions ont donc été composées de citoyens ordinaires qui ont jugé leurs voisins.
08:50 Et ça fait partie du projet national de réconciliation.
08:54 Mais il faut distinguer une autre échelle, c'est la réconciliation à l'échelle individuelle,
08:59 ou aux échelles plus collectives des familles.
09:01 Et là, on ne peut pas répondre à la place des rescapés du génocide.
09:05 On ne peut pas faire de la réconciliation une injonction morale ou politique.
09:12 Donc il faut bien distinguer les différents niveaux d'analyse.
09:14 Justement, Dominique Sélis, est-ce que pour vous, il n'y a plus ni Tutsini ou Tu, il n'y a plus que des Rwandais ?
09:21 Oui. Comme dit Hélène Dumas, c'est d'abord une construction sociale coloniale et organisationnelle.
09:28 Dès le 17 juillet, on a banni la question de l'ethnique dans les cartes d'identité.
09:36 Donc aujourd'hui, c'est justement ce qu'on essaie de reconstruire.
09:41 Ce qu'Hélène dit, le projet politique d'unité et de réconciliation, l'aspect unité,
09:47 c'est d'abord d'intégrer le fait que ces différences ne sont pas des différences.
09:55 Et donc le travail aujourd'hui, je pense qu'il est acquis, parce qu'on se mélange, parce que c'est la même langue,
10:03 c'est les mêmes, on communie les mêmes dieux, etc.
10:05 Oui, je pense que désormais, nous pouvons dire que nous sommes des Rwandaises et des Rwandais.
10:09 Et nous, nous ne parlons plus au Rwanda en termes de Tutsi et de Hutu, mais nous parlons en termes de bourreaux et de victimes.
10:16 Les victimes, vous l'écrivez dans "J'éneure de survivants" dans la collection "Liberté, j'écris ton nom", Dominique Sélis.
10:23 Vous écrivez en substance que les rescapés gênent. Expliquez-nous pourquoi, qu'est-ce que ça veut dire ?
10:31 Alors, le texte auquel vous faites référence a été publié en Belgique en 2012. J'en profite pour préciser de là où j'écris.
10:39 Moi, je ne suis pas une survivante, puisque j'étais en Belgique en 1994. Le génocide a traversé ma famille,
10:47 ma famille ne m'a pas emporté tout le monde. Ma mère vit à Bruxelles d'ailleurs. Et il y a plus de 10 ans,
10:56 je voulais montrer que les survivants sont là pour nous rappeler ce qui a eu lieu. Donc à ce moment-là, quand je vis en Belgique.
11:10 En quoi est-ce qu'ils gênent ? C'est qu'ils gênent les Tutsis, si je reprends les dénominations avant 1994,
11:21 parce qu'ils rappellent l'humiliation absolue. Ils gênent les bourreaux parce qu'ils les renvoient à ce qu'ils ont fait.
11:29 Et ils gênent aussi les familles des uns et des autres, sans parler des États concernés, la Belgique et la France.
11:41 C'était le propos de ce texte-là. Tandis que dans le livre que vous avez cité, "Ainsi pleurent nos hommes",
11:48 qui a été publié chez Philippe Rey et qui est en poche depuis le mois de février, je m'intéresse à autre chose.
11:55 C'est un roman épistolaire et c'est un texte qui raconte la dérive d'une histoire d'amour entre deux personnages,
12:06 parce que les deux protagonistes sont hantés par l'extermination des leurs.
12:10 C'est la période contemporaine et c'est la question de la cohabitation.
12:13 On retrouve donc vos livres, Dominique Sélis, "Gêneurs de survivants" et "Ainsi pleurent nos hommes"
12:22 et votre ouvrage, Hélène Dumas, "Sans ciel ni terre, paroles orphelines du génocide des Tutsis", aux éditions La Découverte.
12:31 On se retrouve dans une vingtaine de minutes pour évoquer ces 30 ans après le génocide Tutsi au Rwanda.
12:42 "9h39, les matins de France Culture, Guillaume Erner"
12:45 Il y a bientôt 30 ans, le 7 avril 1994, commençait le génocide Tutsi au Rwanda,
12:51 qui causera la mort d'un million de personnes en moins de 3 mois.
12:56 Derrière ces chiffres, c'est tout un peuple encore marqué, traumatisé par l'horreur.
13:02 Après de tels événements, comment reconstruire un pays ?
13:06 Comment tenter de faire vivre une mémoire ?
13:09 Nous sommes en compagnie de Dominique Sélis, qui a notamment publié "Gêneurs de survivants" aux éditions Libertés,
13:20 "J'écris ton nom et ainsi pleurent nos hommes", qui est désormais en livre de poche, en duplex au Rwanda.
13:28 Hélène Dumas, historienne, on vous doit "Sans ciel ni terre, paroles orphelines du génocide des Tutsis",
13:34 c'est aux éditions de La Découverte, et nous accueillons Scholastik Mukasonga,
13:40 bonjour, vous êtes écrivaine franco-rwandaise, et on vous doit notamment Julienne aux éditions.
13:47 Galima, j'aimerais savoir, Scholastik Mukasonga, ce que signifie pour vous ces 30 ans ?
13:54 Je dois dire que vos parents furent victimes de ce génocide mené par les Hutus,
14:01 en 1994, ainsi que 37 membres de votre famille.
14:06 Oui, qu'est-ce que ça signifie pour moi ces 30 ans après le génocide ?
14:14 Le nombre d'années, est-ce que ça...
14:20 Oui, ça a un sens parce qu'on ne peut pas oublier, ça fait 300 ans, on n'oubliera jamais,
14:32 un génocide ça ne s'oublie jamais.
14:35 Mais, moi je vais répondre à des questions aussi, est-ce que pour autant on a pensé à les blesser ?
14:45 Bon, les blessures, chacun fait comme il peut,
14:52 mais je sais que nous avons tous, toutes et tous, essayé de recréer l'espoir.
15:02 Nous avons essayé depuis ces 30 ans de reconstruire, non seulement le pays,
15:13 et je pense que Dominique qui vit au quotidien au Rwanda, c'est visible.
15:22 Le pays vraiment, c'est... j'allais dire inimaginable,
15:29 mais ça montre bien la volonté de s'en sortir, sans pour autant faire...
15:41 de dire "c'est derrière nous", non, c'est toujours avec nous.
15:45 Ce sont nos gens, ce sont les nôtres, et la particularité, pourquoi on ne pourra jamais dire,
15:54 ça ne peut pas être derrière nous, et ils sont toujours avec nous,
15:58 parce que nous sommes dans le génocide, et la particularité du génocide,
16:02 c'est que vous avez des morts sans corps et sans spiritus, à partir de là,
16:07 ils sont toujours avec nous, et c'est ça le sens même de la commémoration
16:14 qui a lieu chaque année, pour justement prendre le temps.
16:19 J'ai beaucoup aimé l'omen que les Nations Unies ont imaginé pour justement parler de commémoration,
16:31 un moment de réflexion, où vraiment, on est toujours à réflexion, on est toujours avec eux,
16:37 mais là, c'est les trois mois où en effet, on est concentré, et c'est normal, on est le doigt de sang.
16:44 Hélène Dumas, qu'est-ce qui est prévu aujourd'hui au Rwanda pour commémorer ses 30 ans ?
16:52 Qu'est-ce que cette cérémonie va contenir comme tentative de perpétuation de la mémoire ?
17:02 Oui, il va y avoir plusieurs niveaux de commémoration, plusieurs échelles de commémoration.
17:07 D'abord, une grande cérémonie nationale le 7 avril, avec les délégations étrangères qui vont être présentes,
17:17 et auxquelles le président Paul Kagame va s'adresser, ainsi qu'à la Nation.
17:22 Et puis ensuite, vont se décliner toute une série de cérémonies de commémoration à l'échelle locale,
17:29 et parfois à l'échelle familiale.
17:33 Et personnellement, je pense qu'il est intéressant d'assister à l'ensemble des cérémonies
17:39 pour voir les différentes déclinaisons de la mémoire du génocide aujourd'hui.
17:45 Personnellement, j'irais dans une commémoration très loin de Kigali,
17:52 où ce lieu de massacre terrible qui s'appelle Kadwa,
17:56 où plusieurs dizaines de milliers de personnes ont été assassinées le 21 avril 1994,
18:01 eh bien ce lieu est devenu pour les rescapés un seul lieu de mémoire.
18:06 Ils n'y vivent plus, ils ne peuvent plus y vivre, parce que ce lieu est le lieu de la mort et du massacre.
18:13 Et ils s'y retrouvent simplement, enfin simplement si je puis dire, en tout cas ils s'y retrouvent pour commémorer.
18:20 Ce qui veut dire aussi qu'une forme de commémoration, c'est l'écriture Dominique Sely,
18:26 c'est la plume que vous avez prise par exemple pour "Ainsi pleurent nos hommes".
18:31 Racontez-nous justement comment vous est venue l'envie, le désir d'écrire pour faire vivre cette mémoire,
18:39 parce que ça paraît dérisoire, parce que pour les survivants la mémoire est toujours présente,
18:45 pour ceux qui en revanche n'étaient pas là ou qui sont peut-être très éloignés du Rwanda,
18:51 c'est essentiel de faire ce travail ?
18:54 Oui, ça fait 11 ans que je me suis retournée vivre au Rwanda, que je me suis installée au Rwanda.
19:01 Et ce qui a déclenché l'écriture de ce texte "Ainsi pleurent nos hommes" en 2018,
19:08 c'est qu'à ce moment-là, ça fait 5 ans que je vis au pays.
19:12 Et je finis par me poser une question qui est la suivante,
19:17 c'est un peu à l'image de celle de Teddia Adorno à propos de la Shoah,
19:22 qui se demandait si c'était encore possible d'écrire de la poésie.
19:25 Et moi, après 5 ans, je me demande, est-ce qu'il est encore possible d'aimer
19:30 et/ou de s'aimer après le génocide des Tutsis ?
19:35 Et cette question, je vais me la poser pour deux raisons.
19:38 La première raison, c'est ce que moi j'appelle la transaction collective individuelle,
19:45 c'est d'observer dans le quotidien l'onde de choc de la violence collective génocidaire sur l'individu,
19:52 d'autant plus que nous sommes dans une société de l'inclusion, c'est-à-dire le primat du nom.
19:56 Et d'autre part, il y a un discours général sur l'amour qui est violent et qui est terriblement désenchanté.
20:09 Et je vais me demander s'il y a un lien entre la déshumanisation,
20:14 c'est-à-dire la réduction de l'être à l'objet, la chodification,
20:18 est-ce qu'il y a un lien entre cette déshumanisation et ce discours si amer sur l'amour ?
20:23 Et en partant de ces éléments, je vais questionner ma question
20:30 et je vais imaginer un dispositif littéraire qui est celui d'une relation amoureuse entre un couple.
20:41 Et je vais passer par la relation amoureuse pour poser la question de l'intime,
20:46 c'est-à-dire l'intime au sens de la vulnérabilité, au sens de comment dans la société rwandaise aujourd'hui,
20:55 nous dîlons avec nos insécurités et c'est aussi la question de la sexualité.
21:02 Voilà le texte que j'ai voulu proposer.
21:06 - Scholastique Muka Songa, c'est le génocide qui a fait de vous une écrivaine. Comment cela s'est déroulé ?
21:17 - Oui, moi j'avais un devoir de mémoire.
21:27 C'est vrai qu'on est dans les 30 ans, mais 30 ans, il y a eu 34 ans avant.
21:41 Moi je pars, et d'ailleurs je n'écris pas sur le génocide, donc en tant que génocide de 94,
21:51 je n'écris pas à partir d'avril 94, j'écris à partir de "Qu'a éclaté la discrimination tutsi" en 1959.
22:02 Et je suis une petite fille qui a 3 ans, et je vais absolument, je ne connaîtrais que ça en fait.
22:11 Je n'ai pas connu autre chose que la brutalité et le projet d'exterminer les tutsis.
22:17 Nous sommes dans un génocide, un génocide ce n'est pas quelque chose qui éclate comme ça, comme un éclair dans le ciel.
22:24 C'est quelque chose qui prend le temps d'améliorer, d'être préparé longuement.
22:29 Et c'est cette préparation, moi j'écris, c'est vraiment la naissance, comment on planifie le génocide.
22:40 Donc de 1960 jusqu'à avril 94.
22:45 Donc, tout ce, comment je ne pouvais, j'ai eu de la chance justement, que la littérature s'est présentée à moi, pour me sauver.
22:57 Quel sens je pouvais donner à ma vie, pourquoi j'étais, moi je ne suis pas rescapée, je ne pouvais pas être rescapée à Nyamata.
23:08 Nyamata c'était l'orier de déportation des tutsis, on nous avait parqué dans ce désert, alors que le Rwanda c'est un pays magnifique, vert, où il pleut tout le temps.
23:19 Nyamata, le budget cela, il ne pleut pas.
23:22 Donc normalement quand on nous a jeté là, en 1960, on croyait que la nature allait faire le travail, que nous allions mourir de faim,
23:30 que nous allions mourir dévorés par les animaux, parce que c'était habité que par les animaux.
23:34 Que nous allions mourir de la maladie du sommeil, parce que c'était infesté de la moucheteté.
23:40 Nous avons survécu parce que nous avons créé des solidarités.
23:43 Et c'est ce qui nous a permis d'en tenir pendant 34 ans.
23:48 Je ne pouvais pas être rescapée à Nyamata.
23:53 À Nyamata c'était facile d'exterminer.
23:57 À Nyamata il n'y avait que des toutis, on n'avait pas besoin de perdre le temps en passant par la carte d'identité ethnique qui déterminera qui est touti et donc bon à Tiwé.
24:07 À Nyamata on a rasé, c'était le travail.
24:09 On appelait Tiwé, on appelait ça le travail.
24:11 Et il y a des villages entièrement décimés, où il n'y a plus rien, où il n'y a même pas une trace de l'existence et de vie.
24:19 Et mon village Gita Gata fait partie de ces villages, c'est le lier de la mort.
24:24 Le Rwanda est un petit pays adorable, d'une beauté extraordinaire, mais en même temps c'est un pays strippé.
24:35 Pourtant c'est un pays où on ne connaît pas la polygamie, on est monogame traditionnellement, c'est pas la religion catholique qui est venue imposer ça.
24:44 Mais il y a tout habité, d'ailleurs on vit de ce qu'on produit dans les champs.
24:51 Mais à Gita Gata on ne peut pas habiter, c'est le pays de la mort.
24:55 Donc pour justifier pourquoi je suis vivée, pourquoi je suis vécue, il fallait écrire, il fallait être la gardienne de la mémoire.
25:04 Hélène Dumas, le travail des historiens, de l'historienne que vous êtes, aujourd'hui il pose notamment la question des responsabilités
25:14 et notamment la question de la responsabilité de la France dans ce génocide.
25:20 Je crois que quelques mots sont nécessaires pour exposer les problèmes que cela pose aux historiens et aussi aux hommes.
25:31 Oui, alors moi je n'ai pas directement travaillé sur les responsabilités françaises dans le génocide,
25:36 mais dans le travail que je mène sur l'histoire du génocide, à partir des archives rwandaises, à partir des témoignages des rescapés,
25:44 à partir des archives judiciaires, eh bien on croise toujours l'histoire de ces opérations militaires françaises entre 1990 et 1994.
25:57 Donc l'histoire du génocide et de sa préparation est tissée de ces interventions militaires françaises.
26:04 Le président Mitterrand à l'époque a pris fait et cause, militairement, politiquement, diplomatiquement,
26:14 pour le régime extrémiste qui préparait le génocide.
26:19 Ce sont des responsabilités qui sont établies, qui ont pris du temps à être établies,
26:25 mais qui sont établies depuis 2021 et la publication du rapport de la commission dirigée par l'historien Vincent Duclerc.
26:34 Donc ces responsabilités ont été rappelées, reconnues par le président Macron.
26:41 Et il faut ajouter aussi que le Rwanda a produit de son côté un rapport qui revient aussi pour éclairer le spectre des responsabilités françaises pendant cette période.
26:53 Un mot de conclusion, Dominique Selyse, justement à propos de ces responsabilités, de ce que vous évoquez aussi dans vos ouvrages,
27:04 c'est-à-dire la manière dont les rescapés, c'est terrible à dire, mais parfois ont la sensation d'être de trop.
27:11 Oui, merci. Avant de vous répondre, je voudrais réagir à ce que l'artiste Mukasonga a dit en disant que la littérature l'avait sauvée.
27:20 Moi, je voulais vous dire que vos textes aussi nous ont aidés. Merci.
27:24 Merci, Dominique.
27:26 Alors, pour répondre, j'ai appris hier que votre président Emmanuel Macron ne se rendrait pas à Kigali dimanche pour les commémorations.
27:38 Comme je vous ai dit, moi, je m'exprime en tant que romancière et citoyenne rwandaise.
27:43 Et bien qu'en n'étant pas politologue, c'est quand même une décision politique importante.
27:51 En 2021, Emmanuel Macron est venu au Rwanda en mai 2021 pour reconnaître la responsabilité lourde et accablante de la France suite au rapport du Claire dont a parlé Hélène Dumas.
28:07 Et donc, je me dis, après tout cet effort qui a été fait, après ces vérités qui ont été dites et qui nous ont permis à nous, les Français et à nous, les Rwandais, de pouvoir nous asseoir ensemble, de travailler.
28:23 Et notamment, par exemple, au Rwanda, de pouvoir travailler avec la France au niveau de la culture.
28:31 Et c'est très précieux parce que nous avons des choses à apprendre.
28:33 Et bien, malgré tout ça, Emmanuel Macron a décidé de ne pas venir nous soutenir.
28:39 Ça me touche beaucoup.
28:41 Et je me dis, voilà, la route par Kigali, je ne sais pas, c'est 8-10 heures.
28:50 Je me dis que puisqu'il ne fera pas le trajet, peut-être Emmanuel Macron peut prendre ces quelques heures pour ajouter ce qui n'est pas dans la commission du Claire, à savoir toute la responsabilité affreuse de l'armée française.
29:08 Pour moi, l'idée n'est pas de se fouetter les seins, mais il est temps qu'on avance.
29:13 Il serait peut-être temps de dire ce que l'armée française a fait.
29:20 Je comprends que pour un Etat, reconnaître la complicité, ça implique des réparations, notamment, donc c'est compliqué.
29:27 Donc voilà, 8 à 10 heures de vol peuvent servir à ça.
29:30 Ça peut aussi servir à s'occuper de tous les négationnistes et présumés génocidaires qui vivent ici en France et aussi dans mon pays, la Belgique.
29:40 Est-ce que la STIC, Muka Songa, un dernier mot là-dessus ?
29:44 Je vais rebondir sur ce que dit Dominique.
29:48 Nous avions déjà regardé en critique de la sagesse, comme toute critique.
29:57 Nous avons appris, j'allais dire, même un mot comme ça, à ne pas être gourmand, en fait, à apprécier ce qui se fait.
30:06 Alors je dirais tout simplement, Dominique, si ça peut t'apaiser, c'est normal, vraiment ce que tu poses est très important.
30:16 J'ai dîné avec, c'était mardi soir, le 2, avec Hervé Berville, qui est le ministre bien sûr d'Emmanuel Macron,
30:28 qui parle comme moi, au Rwanda, le 7 avril. D'ailleurs il parle un peu avant moi. Il parle le 5 avril, demain, et moi je parle le 7 avril.
30:40 Le 7 avril, donc dimanche, pour les commémorations, je pense que justement, contentons-nous peut-être de Berville, d'arriver à Berville, qui est là.
30:50 Ce n'est pas suffisant, mais c'est toujours ça.
30:53 Merci à toutes les trois, Hélène Dumas, Sanciel Nitter aux éditions de La Découverte, Géneur de survivants et ainsi pleurent nos hommes.
31:03 Ce dernier roman est en poche de Dominique Sélis et Scholastique Mukasonga, Julienne aux éditions Gallimard.