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Ségolène Perruchio, chef de service des soins palliatifs au Centre hospitalier de Rives de Seine et vice-présidente de la Société française d'accompagnement et de soins palliatifs, répond aux questions de Dimitri Pavlenko. Elle témoigne de ce qu'elle vit au quotidien au contact des personnes qui souffrent et qui demandent à mourir.
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Ségolène Perruchio, chef de service des soins palliatifs au Centre hospitalier de Rives de Seine et vice-présidente de la Société française d'accompagnement et de soins palliatifs, répond aux questions de Dimitri Pavlenko. Elle témoigne de ce qu'elle vit au quotidien au contact des personnes qui souffrent et qui demandent à mourir.
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NewsTranscription
00:00 - 12 sur Europe 1, Dimitri Pavlenko, vous recevez ce matin le docteur Ségolène Perruccio.
00:04 - Bonjour Ségolène Perruccio.
00:05 - Bonjour.
00:06 - Bienvenue sur Europe 1, vous êtes la chef du service de soins palliatifs du centre hospitalier Rive de Seine à Putot dans les Hauts-de-Seine.
00:12 Vous êtes aussi vice-présidente de la SFAP, c'est la Société Française d'Accompagnement et de Soins Palliatifs, société reconnue d'utilité publique.
00:21 Alors Emmanuel Macron a dévoilé dimanche, Ségolène Perruccio, les contours d'un projet de loi qui va donc ouvrir la possibilité de demander
00:28 une aide à mourir sous certaines conditions strictes.
00:31 Vous êtes opposée, Ségolène Perruccio, et la Société Française de Soins Palliatifs derrière vous à cette aide à mourir. Pourquoi ?
00:38 - Alors plus encore que d'être opposée à l'aide à mourir parce que les soignants n'ont pas vocation à légiférer à la place du législateur,
00:46 la Société Française de Soins Palliatifs et les soignants de soins palliatifs s'opposent à la participation des soignants à cette aide active à mourir.
00:55 Déjà avec le premier postulat, c'est que ce n'est pas de ça dont les Français ont besoin, ce n'est pas de ça dont nos patients ont besoin,
01:04 nous qui sommes au quotidien confrontés à la fin de vie. On sait qu'on est capable, on sait le faire d'accompagner les gens correctement,
01:11 pour peu qu'on nous en donne les moyens. Et ça c'est vraiment le premier scandale, c'est qu'un patient sur deux aujourd'hui en France
01:17 qui devrait bénéficier de soins palliatifs ne peut pas en bénéficier à port de la Cour des Comptes.
01:22 - Mais dans votre service, Ségolène Perreault-Cur, je vois que vous nous racontiez ce qui s'y passe, les soins palliatifs,
01:27 jamais il y a un malade qui vous dit "Docteur j'aimerais en finir, c'est trop dur, j'ai trop mal, aidez-moi à mourir" ?
01:33 Ça ne vous arrive jamais ?
01:34 - Bien sûr que ça nous arrive, mais ça nous arrive aussi que, et quasiment toujours, en je crois 12 ans que je suis dans ce service,
01:41 il y a eu peut-être 3 ou 4 patients qui ont réitéré leur demande et qui l'ont maintenue malgré la prise en charge.
01:46 Il y a encore très peu de temps, on a accueilli dans le service un patient atteint d'une maladie de charcot,
01:51 ce patient il arrivait d'un EHPAD, il avait 60 et quelques années, c'était pas du tout adapté pour lui d'être en EHPAD,
01:55 mais il n'y avait pas d'autre solution pour lui. Il est venu chez nous parce qu'il demandait à mourir,
01:59 parce que les soignants d'EHPAD pas formés et avec peu de moyens ne savaient pas comment gérer cette demande.
02:04 Le monsieur est arrivé chez nous, il a bien sûr réitéré cette demande. Au bout de quelques jours, elle a complètement cédé.
02:11 Quelques jours, on l'a pris en charge correctement, on l'a regardé différemment.
02:15 - C'est-à-dire cédé ? Qu'est-ce qui s'est passé ?
02:17 - Il a arrêté de le demander, il a tellement arrêté de demander...
02:21 - Et qu'est-ce qui s'est passé pour qu'il arrête de vous demander la mort ?
02:25 - On l'a regardé différemment, alors je sais que ça paraît compliqué à comprendre, on l'a regardé comme une personne,
02:30 on l'a écouté d'abord dans ses souffrances, dans ses difficultés, on l'a rassuré peut-être sur les conditions de sa mort,
02:36 qu'on serait à ses côtés, qu'on ne le laisserait pas s'étouffer ou ce genre de choses qui évidemment font très peur,
02:41 et on lui a discuté de tout et de rien, ce monsieur est connu colu, il était passionnant,
02:45 on adorait rentrer dans sa chambre, il adorait discuter avec nous...
02:49 - Vous lui avez prêté de l'intérêt, vous lui avez apporté de l'intérêt,
02:52 et ça l'a détourné de cette envie, de ce désir de mort qu'il avait ?
02:56 - Ça fait partie des choses, la définition des soins palliatifs de la FAP,
02:59 c'est que les soins palliatifs s'attachent à regarder le malade comme une personne, dans sa globalité.
03:05 - Mais c'est pas à la base, ça, des relations humaines, de considérer l'autre comme une personne,
03:09 ça paraît tellement basique !
03:11 - Ça paraît tellement basique, je suis complètement d'accord avec vous,
03:14 Claire Fourcade, la présidente de la FAP, dit souvent "on a commencé par la fin de vie,
03:17 parce que c'est là où il y avait l'urgence, c'est là que la médecine avait déserté,
03:20 mais probablement que les soins palliatifs peuvent être aussi la réhumanisation du soin".
03:24 La technique a pris beaucoup de place, et avec évidemment beaucoup de succès,
03:28 dont on est tous contents de profiter, mais il faudrait remettre plus d'humanité dans le soin.
03:32 - Alors, réduire la douleur, parce que c'est l'enjeu des soins palliatifs,
03:36 et finalement détourner les malades de cette envie d'en terminer avec la vie,
03:42 ça passe par là. Et alors, très intéressant, c'est que oui,
03:45 il y a les médicaments, les antidouleurs, etc., mais il y a aussi des choses toutes bêtes.
03:48 Par exemple, dans votre service, j'aimerais bien que vous nous racontiez ça,
03:51 quand on va faire la toilette aux malades, on y va à deux.
03:54 Pourquoi ? Parce que ça crée une ambiance, tout simplement,
03:57 et c'est beaucoup plus sympathique, tout simplement.
04:00 Et chanter aussi, chanter du Dalida, par exemple, ça met de l'ambiance,
04:03 et ça rend plus heureux, ça fait moins mal derrière.
04:06 - Les auditeurs vont nous prendre pour des fous, mais vous avez tout à fait raison.
04:09 C'est aussi ce regard-là, bien sûr, il y a tous les médicaments,
04:12 c'est notre compétence, c'est notre expertise, pour que les patients soient soulagés
04:16 pendant les deux heures, parfois jusqu'à les endormir,
04:18 voir les anesthésier complètement quand on ne fait pas autrement.
04:21 Mais il y a aussi tout le reste, les toilettes et les soins du corps sont un moment
04:24 extrêmement important pour les soignants, les infirmières, les aides-soignantes,
04:27 qui sont tellement dévouées, dans le bon sens du terme, à leurs patients.
04:32 Donc oui, elles leur parlent, et les gens sont aussi très contents
04:35 qu'on leur parle d'autres choses, de la maladie, qu'on parle de tout et de rien,
04:38 de la famille, de son métier, enfin, juste entre mains.
04:43 - Mais comment vous regardez, comment vous interprétez ce chiffre qui est quand même assez impressionnant ?
04:47 C'est qu'on a aujourd'hui 70 à 80% des Français,
04:50 quand on leur demande dans des sondages,
04:52 "Est-ce que vous êtes favorable à l'aide à mourir ? Est-ce que vous êtes favorable à l'euthanasie ?"
04:56 et répondre "Oui", près de 4 sur 5. Comment ça s'explique d'après vous, docteur Perruccio ?
05:03 - Pour moi, c'est assez normal. Les gens ont peur.
05:06 Moi, la première, je veux dire, la mort fait peur.
05:08 Les belles histoires dont nous sommes témoins ne doivent pas et ne peuvent pas
05:12 effacer le tragique de la mort et de la séparation à venir.
05:15 Ça reste, la finitude de l'homme reste quelque chose de complexe
05:17 sur lequel les philosophes se sont penchés depuis des millénaires.
05:20 Donc évidemment, ça fait peur.
05:22 Et aujourd'hui, la mort a disparu de nos sociétés,
05:24 et on a cette image que la mort est forcément souffrance,
05:28 que la mort est forcément difficulté, que la perte d'autonomie est indigne,
05:31 parce que c'est beaucoup de ça qu'il s'agit.
05:33 Effectivement, c'est dur. C'est même extrêmement dur.
05:37 Personne n'a envie de perdre son autonomie.
05:38 Mais l'indignité, c'est le regard que la société pose sur ces gens.
05:42 - Alors, dans les reproches qu'adresse la société française de soins palliatifs à Emmanuel Macron,
05:48 ou plutôt les remarques qu'elle fait sur son projet d'aide à mourir,
05:51 il y a, pointé du doigt, la méconnaissance du président de l'ambivalence du désir de mort.
05:57 Est-ce que vous pouvez nous expliquer ce que ça veut dire ?
05:59 - Ça veut dire qu'on change d'avis ?
06:02 - Ça veut dire qu'il y a quelques jours, on a eu dans le service
06:04 une patiente qui avait une tumeur de la trachée, très gênante.
06:09 Elle était essoufflée, elle n'était pas bien, et elle demandait à mourir.
06:13 Elle se dégradait, elle demandait à mourir.
06:16 À un autre moment, une de mes collègues, pour que ça sente bon dans le service,
06:20 il a fait brûler du papier d'Arménie.
06:22 Toutes portes ouvertes, et là j'entends cette dame qui marmonne quelque chose,
06:26 je ne la connaissais pas.
06:27 Je rentre dans sa chambre, je savais qu'elle était en train de mourir,
06:29 que c'est des choses qui s'aggravaient très vite.
06:31 Et elle me dit "c'est cancérigène le papier d'Arménie".
06:34 Alors je lui dis "excusez-moi, c'est pas très prouvé".
06:37 Elle me dit "oui, mais moi j'ai quand même pas envie d'attraper un cancer,
06:39 j'en ai déjà un, ça suffit".
06:41 Vous voyez, voilà, l'ambivalence c'est ça.
06:43 C'est que cette dame qui savait qu'elle allait mourir,
06:45 qui disait que c'était trop long et qu'elle n'en pouvait plus,
06:47 on a fini d'ailleurs par endormir parce qu'elle souffrait,
06:50 par ailleurs, une autre partie d'elle-même disait
06:53 "je vais quand même pas attraper un cancer à cause de votre papier d'Arménie".
06:55 Voilà l'ambivalence.
06:57 - On en est où aujourd'hui, Ségolène Perruccio,
06:59 du développement des soins palliatifs en France ?
07:01 Parce que c'est une promesse du Président de la République,
07:03 il y a plus d'un milliard et demi d'euros qui est consacré annuellement,
07:06 et dans le projet de loi, il se trouve que la première partie du texte
07:09 doit ancrer dans le marbre législatif
07:12 cette idée de la nécessité de développer les soins palliatifs.
07:15 On en est où là aujourd'hui ?
07:17 - Au milieu du gué, je dirais.
07:19 La Cour des comptes nous dit qu'un patient sur deux
07:21 qui devrait en bénéficier ne peut pas en bénéficier actuellement.
07:24 Le Président nous annonce une grande révolution des soins palliatifs,
07:28 avec derrière un budget de 1 milliard sur 10 ans.
07:31 Il faut se rendre compte que 1 milliard sur 10 ans,
07:33 mis en balance par rapport au 1,5 milliard consacré par an,
07:36 c'est 6% d'augmentation.
07:38 C'est à peu près l'inflation.
07:39 Je pense que ça ne suffira pas pour la grande révolution des soins palliatifs.
07:43 Et accessoirement, personne n'ignore que nous sommes actuellement
07:47 dans une grande crise du recrutement,
07:49 une grande crise des vocations soignantes,
07:51 et qu'on se demande bien avec quels bras il imagine faire ça.
07:54 Donc il y a une vraie problématique.
07:56 - Merci beaucoup Docteur Ségolène Perruccio d'être venue ce matin au micro d'Europe.
08:00 Je rappelle que vous êtes la chef du service de soins palliatifs
08:02 de Centre Hospitalier Rive-de-Seine à Putot,
08:05 et vice-présidente de la Société Française de Soins Palliatifs.
08:08 Merci d'être venue au micro d'Europe. Bonne journée à vous.
08:10 Merci, bonne journée.