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Anne Jouan, journaliste indépendante et co auteur du livre "Le Charnier de la République" aux éditions Robert Laffont, répond aux questions de Dimitri Pavlenko. Elle témoigne dans son ouvrage du scandale autour du traitement des corps dans le plus grand centre d’anatomie d’Europe, situé dans l’une des plus prestigieuses facultés de médecine.
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Anne Jouan, journaliste indépendante et co auteur du livre "Le Charnier de la République" aux éditions Robert Laffont, répond aux questions de Dimitri Pavlenko. Elle témoigne dans son ouvrage du scandale autour du traitement des corps dans le plus grand centre d’anatomie d’Europe, situé dans l’une des plus prestigieuses facultés de médecine.
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NewsTranscription
00:00 Il est 7h12 sur Europe, Dimitri Pavlenko, vous recevez ce matin la journaliste Anne Jouan.
00:05 - Bonjour Anne Jouan. - Bonjour.
00:06 - Des cadavres... alors juste, je prends 30 secondes pour dire aux auditeurs, je suis...
00:10 par avance je m'excuse si c'est les propos que nous allons tenir en choc certains,
00:14 mais c'est nécessaire, on va parler d'une affaire qui avait choqué la France il y a 4 ans.
00:18 Rappelez-vous, ces cadavres entassés les uns sur les autres, sans réfrigération,
00:23 grignotés par les rongeurs dans des pièces sales, non sécurisées ou tout pourris.
00:27 Des squelettes humains retrouvées entassées dans des sacs poubelles.
00:30 Bienvenue au centre des dons des Saint-Père de l'Université Paris-Descartes,
00:34 le soi-disant Saint-Desaint de l'anatomie en France.
00:37 Cette affaire du charnier de l'Université Paris-Descartes,
00:40 c'est vous Anne Jouan qui l'aviez révélée en 2019,
00:43 et vous en avez fait un livre qui paraît ces jours-ci,
00:45 "Le charnier de la République", j'en montre la couverture à ceux qui nous regardent sur europe1.fr.
00:50 Livre que vous co-signez avec le professeur Richard Douard et Dominique Ordé,
00:54 deux anciens dirigeants du centre.
00:56 C'est votre premier entretien radio sur ce livre, Anne Jouan, je vous remercie d'avoir choisi Europe 1.
01:01 Alors peut-être pour commencer, est-ce que vous pouvez nous rappeler les faits ?
01:04 Qu'est-ce que vous découvrez il y a quatre ans ?
01:06 - Il y a quatre ans, je découvre que le temple de l'anatomie française,
01:11 l'un des plus grands centres d'anatomie en Europe,
01:14 abrite en réalité depuis plusieurs années un charnier.
01:19 Mais quand l'article sort fin novembre 2019 dans l'Express,
01:23 je suis en fait à dix mille lieux de tout ce qui se trouve dans ce livre aujourd'hui,
01:29 puisque nous avons découvert beaucoup d'autres éléments,
01:33 grâce au témoignage courageux du professeur Richard Douard,
01:37 qui a été directeur du centre de 2014 à 2017, quand il donne sa démission,
01:43 et à la secrétaire générale Dominique Ordé de 2014 à 2016.
01:48 Grâce à eux, on découvre les limbes de ce centre,
01:52 et que l'inimaginable est possible.
01:54 - Ce centre, c'est là où, quand on donne son corps à la science,
01:57 après son décès, c'est là que votre corps arrive.
02:01 Et alors, ce qui se passe, c'est que vous perdez ce corps,
02:04 qui est le vôtre père, son identité,
02:06 une fois passé les portes de ce centre,
02:07 vous devenez ce qu'on appelle un sujet, avec un matricule,
02:11 et donc il est mis à la disposition de la science.
02:13 Mais il faut rappeler, Anne Jouan, et vous le faites,
02:15 que dans ce livre, la loi oblige au respect du corps même après la mort.
02:20 Et là, visiblement, on va franchir toutes les limites,
02:23 on va aller au-delà de tout ce que l'on peut imaginer.
02:26 Qu'est-ce que vous avez découvert de nouveau, Anne Jouan,
02:28 par rapport aux révélations que vous faisiez en 2019 ?
02:30 - Ce que je découvre, c'est d'abord l'ampleur sur la durée.
02:35 On a un témoignage qui nous permet de faire remonter ce charnier
02:39 au début des années 70, mais tous les trois,
02:43 aussi bien Richard Doir que Dominique Ordé et moi-même,
02:46 nous avons la conviction qu'il existe depuis bien avant.
02:49 Et puis, à la fin du livre, nous avons choisi de publier les photos
02:53 dans un cahier scellé, c'est-à-dire que les lecteurs
02:56 peuvent les voir s'ils en ont envie, en les découpant
02:59 et ne pas les regarder s'ils ne le souhaitent pas.
03:01 - Elles sont difficiles, ces images.
03:03 - Elles sont difficiles, mais elles sont nécessaires.
03:05 Elles sont nécessaires parce que
03:08 quand on décrit quelque chose qui est incroyable,
03:11 c'est important de le prouver.
03:12 Et mon métier de journaliste, c'est de prouver ce que j'avance.
03:15 Ensuite, elles sont nécessaires parce que pendant des années,
03:18 si ce centre a existé, c'est parce que de nombreux dirigeants,
03:21 je pense aux présidents successifs de l'université Paris-Descartes,
03:24 ont refusé de les voir.
03:26 Quand Richard Doir a l'idée très subversive
03:29 de demander à Dominique Ordé de faire les photos
03:32 de l'intérieur des chambres froides pour montrer
03:34 au président de l'époque, Frédéric Dardel,
03:38 ce qui se passe dans les chambres froides,
03:41 le président les regarde du bout des doigts.
03:44 Il n'a pas envie de les voir. Et finalement, le fait de ne pas vouloir
03:47 voir, de ne pas vouloir entendre, est l'une des raisons du non-Merta.
03:51 Pour répondre à votre question sur les nouveautés,
03:53 j'ai appris quoi en écrivant ce livre ?
03:56 J'ai appris qu'on peut avoir 90 ans,
03:59 être un très grand anatomiste et venir toujours disséquer au Saint-Père,
04:03 sans convention aucune, c'est-à-dire hors tout cadre légal,
04:07 dans une pièce dédiée, disséquer des corps porteurs du VIH
04:11 et de l'hépatite, c'est-à-dire que les préparateurs qui voulaient
04:15 mettre à disposition sont soumis au VIH
04:19 et à l'hépatite, que ce vieil anatomiste, parce qu'il est très respecté,
04:23 choisit de disséquer. J'ai appris qu'on peut être un photographe
04:27 pendant 30 ans, à demeure, à temps plein,
04:31 au Saint-Père, à 5 mètres des cadavres, et faire des photographies
04:35 des frigos. Je ne sais pas si le juge d'instruction a auditionné
04:38 ce photographe. J'ai appris qu'on peut faire des thèses universitaires,
04:42 c'est-à-dire Bac +8, à partir de bassins volés à l'université Paris-Descartes.
04:47 - Vous vous attardez notamment sur un personnage qui a gagné beaucoup d'argent
04:50 en trafiquant les corps des donneurs, parce que ça se vendait sous le manteau
04:54 à des boutiques spécialisées, à des industriels pour des crash-test
04:58 dans l'automobile, par exemple. C'est le chef d'équipe, c'est un certain Momo,
05:02 qui volait aussi des bijoux qui arrivaient sur les corps
05:07 des gens qui avaient fait don de leurs corps à la science à Njouan.
05:10 Comment c'est possible ça ? - Ce qu'il faut comprendre, c'est que les préparateurs
05:14 sont des gens, Richard Doir les appelle "les intouchables",
05:18 c'est une caste de gens extrêmement mal payés, de gens qui n'ont pas fait d'études,
05:22 et être salarié de l'université, pour eux, représente un honneur.
05:26 Ils côtoient des grands professeurs de médecine, ils leur parlent, ce qui ne serait jamais
05:30 arrivé dans une vie normale, et finalement,
05:34 quand ils voient le grand anatomiste dont je vous parlais tout à l'heure
05:38 disséquer des corps positifs au VIH et à l'hépatite,
05:42 les frontières entre ce qui est possible et impossible, le bien et le mal
05:46 sont complètement abolies pour eux, alors qu'il faudrait au contraire les encadrer
05:50 de manière extrêmement rigoureuse. - Vous racontez une scène où ils se donnent une gifle
05:54 avec le bras, justement, d'un des corps qui sont là, on joue avec les cadavres.
05:58 - On joue avec les cadavres, je l'écris à un moment,
06:02 s'ils avaient travaillé dans un garage, ils auraient revendu des pièces détachées sous le manteau,
06:06 car il ne s'agissait pas de garage ni de voiture, mais de cadavres.
06:10 Et ces préparateurs mal aimés de l'université, qui par provocation
06:14 descendaient avec leur tablier blanc, taché de sang, fumaient leur cigarette
06:18 dans la cour des Saint-Père, revendaient des morceaux de cadavres
06:22 pour gagner de l'argent, et mettaient un peu
06:26 beurre dans les épinards de cette façon. - Ça vous armuait ? - Mais ils sont à la fois bourreaux
06:30 et victimes, les préparateurs. - Ça vous armuait, ce livre, ces découvertes,
06:34 on le sent ? - Non, mais ma petite personne, c'est pas le sujet.
06:38 Je pense qu'on efface, même si le terme est malheureusement trop souvent galvaudé, un scandale d'État.
06:42 Et c'est important de voir ce qu'on fait aux morts.
06:46 Et je pense que se plonger dans cette tâche indélébile
06:50 de la médecine, l'université, l'anatomie française, est effectivement important.
06:54 - Le charnier de la République, votre dernier ouvrage qui sort
06:58 ces jours-ci, Anne Jouan, écrit avec, on donne leur nom, le professeur Richard Douard et Dominique Ordé.
07:02 Dominique Ordé. Merci d'être venue nous en parler ce matin sur Europe.
07:06 Bonne journée à vous, Anne Jouan.