Le Nouveau Passé-Présent avec Pierre Le Vigan : Relire Clausewitz et penser la guerre

  • il y a 6 mois
La guerre est là. Tout près. En Ukraine, au Proche-Orient, en Arménie. Et demain ? La guerre fait partie des constantes de l’histoire. Des intérêts économiques, territoriaux et symboliques sont en jeu. Au sein desquels les montées aux extrêmes sont possibles. Pour la cohésion de la nation, la guerre est l’épreuve de vérité. Tout cela, Clausewitz l’a pensé. Officier, théoricien et historien de la guerre, Carl von Clausewitz a vécu les guerres de la Révolution et de l’Empire. Il a vu la collaboration des élites allemandes avec Napoléon. Si depuis, les moyens de destruction ont été multipliés, les constantes politiques liées à la guerre subsistent. Une analyse de Pierre Le Vigan, auteur de " Clausewitz, père de la théorie de la guerre moderne" paru aux éditions Perspectives libres.
Transcript
00:00 [Générique]
00:20 Bonjour à tous.
00:22 Ukraine, Proche-Orient, Haut-Karabakh, la guerre est encore proche de nous.
00:26 Elle fait même partie des constantes de l'histoire.
00:28 Car comme l'affirmait Klausowitz,
00:30 la guerre est une simple continuation de la politique par d'autres moyens.
00:35 Alors, cette formule, comme nombre d'autres observations de ce penseur,
00:39 de ce théoricien de la guerre, est-elle toujours d'actualité ?
00:42 C'est ce que nous allons voir avec notre invité, Pierre Le Vigan.
00:45 Pierre Le Vigan, bonjour.
00:46 Bonjour.
00:47 Merci d'avoir répondu à notre invitation.
00:49 Vous êtes essayiste, philosophe,
00:52 vous contribuez régulièrement au site de nos amis d'Elements
00:58 et vous avez publié "Le grand empêchement"
01:01 ou "Comment le libéralisme entrave les peuples"
01:04 chez Perspectives Libres.
01:06 Également "Nietzsche, un européen face au nihilisme",
01:10 "La barque d'or", ce sont des livres qui sont disponibles sur Amazon directement.
01:15 Et "Avez-vous compris les philosophes ?
01:17 Introduction à la pensée" chez 42 philosophes,
01:21 toujours à la barque d'or, disponible chez Amazon.
01:24 Alors maintenant, vous avez également publié,
01:27 et je vous reçois pour soi, chez Perspectives Libres,
01:30 "Klaus Witz, père de la théorie de la guerre moderne".
01:34 Alors Klaus Witz, d'abord, vous allez nous dire qui est ce Klaus Witz.
01:39 Oui, alors, Karl von Klaus Witz,
01:44 le "von" en l'occurrence, il est de noblesse récente
01:47 puisqu'il est annobli dans les années 1820.
01:50 C'est quelqu'un qui est né en 1780,
01:55 il est né à Magdebourg, mais en fait sa famille est d'origine silésienne,
02:00 cette province orientale de l'Allemagne de l'époque,
02:04 qui a assez longtemps appartenu à l'Empire d'Autriche,
02:08 à la maison d'Autriche, à l'Empire des Habsbourg,
02:11 et que Frédéric II a arraché à la maison d'Autriche
02:16 pour la rattacher à la Prusse.
02:17 Donc il est né en 1780, et il suit une école d'élèves d'officiers,
02:24 et il a très vite une expérience militaire,
02:29 puisqu'en 1793, il assiste au siège de Mayence,
02:34 où les Français se sont laissés enfermer en quelque sorte.
02:38 Alors vous me direz, oui mais il n'avait que 13 ans,
02:41 mais oui c'était assez fréquent à l'époque,
02:45 par exemple même plus tard, en 1870,
02:47 on sait que Napoléon III emmène son fils, le prince impérial,
02:50 qui n'a que 14 ans, sur la frontière de l'Est.
02:54 Donc il a cette expérience militaire,
02:58 et elle se poursuit bien entendu,
03:02 elle ne se résume pas au siège de Mayence en 1793,
03:08 il assiste, il participe à la campagne de Prusse,
03:13 qui oppose la Prusse et la France, l'Empire français en l'occurrence,
03:18 puisque Napoléon Ier est empereur depuis 1804 évidemment,
03:22 fameuse campagne de 1806, marquée par deux retentissantes défaites prussiennes,
03:29 ou si on le dit à l'envers, victoire impériale,
03:33 Iéna et le même jour, Ohlstatt,
03:36 sauf erreur, le 14 octobre 1806,
03:39 et il se trouve que notre Karl von Clausewitz est à Ohlstatt,
03:44 où il est fait prisonnier,
03:47 rappelons qu'Ohlstatt c'est une victoire
03:49 où les Prussiens sont trois fois plus nombreux que les Français,
03:53 les Français c'est le troisième corps du maréchal Davout,
03:55 qui avec 25 000 hommes réussit à repousser
03:58 et ensuite à battre très clairement les 75 000 hommes de l'armée prussienne,
04:04 et le même jour Napoléon, dans des conditions moins inégalitaires,
04:08 écrase les Prussiens, là c'est à peu près un contre un à Iéna.
04:13 Donc l'expérience de Clausewitz est douloureuse,
04:19 il a 26 ans donc à Ohlstatt, il est fait prisonnier,
04:24 il est humilié en tant que Prussien, c'est un patriote,
04:29 il y a déjà cette notion du patriotisme prussien
04:32 qui est déjà manifeste des Frédéric II,
04:36 et il est prisonnier sur parole,
04:37 à l'époque on met rarement les prisonniers dans des camps gardés,
04:42 voilà ils sont prisonniers sur parole, voilà.
04:45 – Il y a qu'ils promettent de ne pas refaire le combat.
04:46 – Ils promettent de ne pas reprendre le combat, en tout cas dans un certain délai.
04:50 Il rentre en Prusse et il enseigne à l'académie militaire,
04:55 et il publie son premier ouvrage en 1811,
05:01 et en 1812 il se produit un événement qui perturbe beaucoup Clausewitz,
05:07 il a 32 ans donc en 1812, la Prusse qui est occupée par les Français,
05:13 qui est soumise aussi à une énorme indemnité d'occupation,
05:19 s'allie, parce qu'elle n'a pas le choix,
05:21 est obligée de s'allier à Napoléon dans la guerre
05:24 que Napoléon entreprend contre la Russie,
05:27 contre le tsar Alexandre Ier de Russie.
05:29 Et la Prusse doit fournir un contingent, pas considérable, symbolique,
05:33 mais un contingent de 20 000 hommes.
05:34 Alors là c'en est trop si je puis dire pour Clausewitz
05:36 qui quitte la Prusse et va se mettre au service du tsar.
05:42 Un petit peu, je dirais, dans une démarche,
05:45 on pourrait presque comparer à De Gaulle en 1940.
05:51 Eh bien en l'occurrence, effectivement il reste dans l'armée russe,
05:56 côté hostile à Napoléon bien entendu,
05:59 jusqu'en 1814, ce n'est qu'en 1814 qu'il est réintégré dans l'armée prussienne proprement dite.
06:06 Bon on sait que le corps prussien est resté avec la grande armée en 1812,
06:12 jusqu'à la convention de Thorogen, le 30 décembre 1812,
06:17 où le général York, de manière unilatérale,
06:23 sans l'accord du roi de Prusse,
06:27 fait, comment dire, conclut une convention avec l'armée russe
06:32 et quitte le camp français pour non pas rejoindre tout de suite d'ailleurs l'armée russe,
06:38 mais tout simplement avoir une convention de neutralité
06:41 et pouvoir rejoindre la Prusse.
06:43 Donc Klaus Witt voit vraiment accompagner ce basculement de la collaboration,
06:50 voit ce basculement de la Prusse collaboratrice de Napoléon,
06:54 collaborationniste si je puis dire,
06:56 finissant en mars 1813 par changer d'alliance,
07:01 s'allier avec la Russie
07:03 et être le fer de lance de la coalition contre Napoléon
07:08 avant que la Russie et la Prusse soient enfin rejointes en août par l'Autriche.
07:13 – Et donc la paix revenue, c'est à ce moment-là qu'ils se mettent à…
07:17 – Klaus Witt commence à écrire en 1805
07:19 mais il ne publie quasiment rien en fait,
07:22 c'est un début de travail intellectuel,
07:25 et il commence à publier à partir de 1815 jusqu'à sa mort en 1831.
07:33 Il meurt assez jeune, c'est assez simple, on voit qu'il a 51 ans,
07:38 il meurt quasiment au même âge d'ailleurs que Napoléon,
07:43 il meurt en 31 du choléra à Breslau,
07:46 il meurt la même année que Hegel qui avait 10 ans de plus que lui,
07:50 parce qu'Hegel était né en 1770, pour situer un petit peu sa génération.
07:57 Il est intéressant de noter aussi que Klaus Witt a eu un professeur de philosophie
08:01 qui était un kantien, Kant meurt en 1815,
08:05 c'est vraiment le grand philosophe de l'époque,
08:07 Hegel commence à être connu mais l'époque est encore très marquée par Kant,
08:12 philosophe des Lumières, ce qui nous amènera à expliquer un peu
08:18 les influences qui ont pesé sur Klaus Witt.
08:23 – Il est l'observateur d'un moment charnière.
08:27 – Absolument, d'un moment de basculement,
08:31 on emploie souvent le terme de bascule, mais effectivement d'un moment charnière.
08:35 – On est sur la fin du modèle de la guerre à la Frédérique II, à la guerre,
08:42 ce qu'on appelait la guerre en dentelle ?
08:43 – Voilà, alors ce qu'on appelait la guerre en dentelle,
08:45 il y a deux significations aux dentelles,
08:47 il y a les dentelles des uniformes des aristocrates,
08:50 mais en fait la vraie signification la plus profonde, la moins anecdotique,
08:54 c'est tout simplement que la guerre connaissait beaucoup de pauses,
08:57 beaucoup d'interruptions et que par ailleurs,
09:00 il y avait des négociations tout le temps pendant la guerre.
09:03 C'est typique de la guerre de 30 ans qui se termine par les traités de Westphalie,
09:09 1648, ça fait des années en fait qu'il y a des négociations
09:14 avant qu'il y ait le traité final conclu à Meinster et à Osnabrück,
09:19 à deux pas de Meinster,
09:21 et c'est caractéristique aussi de la guerre de 7 ans
09:25 que Frédéric II a beaucoup étudiée parce qu'elle est à peu près contemporaine,
09:29 même s'il est né un peu après,
09:31 mais enfin elle est à peu près contemporaine de son époque en tout cas.
09:35 Alors effectivement, ce qu'observe Claus Witt,
09:40 ce qu'il voit c'est quand même une grande mutation,
09:43 c'est la guerre de masse,
09:45 et surtout la guerre par la mobilisation des couches populaires,
09:49 et la révolution française évidemment est le premier mouvement de ça.
09:54 – Vous n'avez pas fini sur les dentelles ?
09:55 – Alors sur les dentelles, c'est précisément ce côté pause dans la guerre,
10:02 c'est ça l'aspect dentelle finalement,
10:04 c'est le fait qu'il y ait des pauses,
10:06 – Il y a des trous dans la guerre donc c'est une guerre en emploi.
10:08 – Il y a vraiment des trous, des moments où on ne se bat plus,
10:11 d'une part parce que les armées sont épuisées,
10:13 parce qu'on ne peut plus payer les soldats,
10:17 parce qu'ils sont en train de piller et qu'ils ne peuvent pas piller
10:20 et tirer sur l'ennemi en même temps,
10:22 parce que les souverains ont engagé des négociations diplomatiques
10:28 parce que le trésor est à sec, etc.
10:30 Parce qu'on tâte un peu l'opinion publique pour savoir
10:33 si en continuant la guerre on ne risque pas un soulèvement,
10:37 une défection, une guerre civile, etc.
10:42 Voilà, la guerre est un caméléon, on y reviendra,
10:45 puisque je me contente de reprendre cette expression de Clausewitz.
10:50 – On va terminer sur Clausewitz,
10:52 son ouvrage principal c'est "De la guerre", c'est combien de volumes ?
10:55 – C'est une dizaine de volumes, 8 livres principalement,
11:01 ça fait une dizaine de volumes,
11:03 c'est ce que Raymond Aron qualifie systématiquement par le terme "Le Traité".
11:08 C'est vraiment une œuvre majeure,
11:15 et peut-être faut-il dire que cette œuvre a été publiée de manière posthume en 1832
11:24 par la veuve de Clausewitz, Maria von Brühl,
11:28 qui était une femme cultivée,
11:30 qui partageait à la fois le patriotisme de son mari
11:35 et même l'intérêt intellectuel pour les questions de la stratégie.
11:39 Donc elle a joué un rôle très important,
11:42 sans elle une bonne partie de l'œuvre de Clausewitz serait restée certainement inédite.
11:47 – Alors vous dites dans votre introduction qu'il vous paraît très discutable
11:51 que la paix soit la normalité et la guerre l'accident.
11:55 Alors est-ce que la guerre est à ce point dans la nature humaine ?
11:58 – C'est en tout cas ce qu'observait Gaston Boutoul,
12:02 mais aussi Julien Freund, mais aussi Michel Maffesoli,
12:07 oui, et aussi un philosophe et politologue comme Thomas Hobbes.
12:13 Au fond, au début de l'humanité, la règle principale est la conflictualité.
12:19 Et cette tendance de fond ne disparaît pas.
12:23 Il se trouve simplement que l'homme met en place des gardes fous
12:26 pour que la guerre ne dure pas tout le temps,
12:30 pour qu'il y ait des modalités de paix qui soient conclues.
12:37 Sachant en plus que la conflictualité peut être aussi bien interne à une communauté,
12:43 la guerre civile, ce que les grecs appellent la "stasis",
12:45 ou extérieure, ce sont les guerres inter-étatiques,
12:51 mais c'était aussi les guerres inter-féodales au Moyen-Âge.
12:53 Il n'y a pas forcément besoin de l'État-nation pour avoir des conflits.
12:57 Il y a aussi les grandes invasions.
13:00 Si on parlait des guerres inter-étatiques, ce sont quand même des guerres.
13:04 Donc il y a toute forme de guerre.
13:07 Donc la guerre n'est pas un accident ?
13:10 La guerre n'est pas un accident.
13:12 La guerre, c'est quand l'échange des coûts, des coûts COUP,
13:17 succède à l'échange des marchandises.
13:21 Ce qui est une autre façon de dire que le commerce est une forme non-guerrière du conflit.
13:26 Parce que dans le commerce, il y a aussi des...
13:28 Non violente plutôt.
13:29 Non violente !
13:30 Il y a aussi des rapports de force dans l'économie.
13:34 Il n'y a même qu'à cela.
13:35 Et on le voit fort bien actuellement avec une énergie six fois plus chère
13:41 qui amène l'industrie allemande par exemple à s'effondrer.
13:45 Pour l'industrie française c'était déjà fait.
13:46 Donc le problème était déjà réglé si je puis dire.
13:50 Alors, Clausewitz affirme qu'il y a deux sortes de guerre.
13:53 Vous allez nous expliquer ça.
13:54 Deux sortes de formes de guerre.
13:57 La guerre comme un duel.
13:58 Ou la guerre, l'autre c'est la guerre de domination.
14:01 Mais est-ce que les deux sont assez imbriqués finalement ?
14:04 Oui, alors effectivement.
14:06 C'est surtout...
14:08 Clausewitz explique que le modèle de la guerre, c'est le duel.
14:13 Le duel, on pense évidemment à deux personnes.
14:15 On passe du duel homme, et en fait au bel homme,
14:18 quand ce sont pas seulement deux personnes mais deux communautés
14:21 qui sont dans les temps modernes des communautés nationales.
14:25 Mais ça peut être aussi des coalitions de différentes communautés nationales.
14:31 En 39-45, effectivement il y a une coalition
14:35 qui mêlait aussi bien le peuple américain que le peuple russe
14:38 contre la coalition germano-italienne.
14:43 Donc effectivement, le modèle c'est le duel.
14:47 Ça veut dire qu'il y a la notion d'honneur qui est en jeu.
14:52 Mais malgré tout, ça ne se présente pas de la même façon
14:56 quand c'est un duel entre deux personnes
14:58 ou quand c'est un duel entre deux communautés.
15:01 Parce qu'entre deux personnes, il n'y a pas la question de l'avant et de l'arrière.
15:06 Tout le corps, si j'ose dire, est en avant, est impliqué.
15:10 Alors que dans un peuple, il y a quand même un distinguo entre l'armée
15:16 et l'arrière, c'est-à-dire la population civile,
15:19 sachant que si l'arrière flanche, l'armée va se trouver en porte-à-faux
15:24 et va finir par s'effondrer.
15:26 Et si l'armée flanche, il y a deux solutions.
15:31 Soit l'arrière fournit une nouvelle armée
15:34 qui peut sauver les choses au dernier moment,
15:37 soit l'arrière s'effondre aussi et pour le coup la partie est perdue.
15:43 Mais c'est surtout Péguy, qui dans sa note conjointe sur M. Descartes,
15:49 distingue la guerre comme duel et la guerre comme domination.
15:54 Ce n'est pas totalement convaincant,
15:57 parce qu'il explique que la guerre comme duel
16:02 est essentiellement et uniquement une histoire d'honneur
16:06 et que la guerre de nomination peut inclure l'héroïsme mais pas l'honneur.
16:10 Le distinguo est moyennement convaincant
16:14 parce que la notion d'honneur dans une guerre de domination,
16:18 comme toutes les guerres du XXe siècle,
16:20 on peut considérer que ce sont des guerres de domination,
16:22 la notion d'honneur me paraît engagée.
16:25 Le fait que l'Allemagne se soit sentie humiliée,
16:30 donc il y a une notion de déshonneur en 1918,
16:33 a eu des conséquences historiques fortes
16:36 parce que ça a amené à un ressentiment politique,
16:39 à une certaine interprétation de la défaite
16:41 qui a contribué à un nationalisme de type particulier
16:46 qui a été le national-socialisme.
16:48 Donc on ne peut pas dire que les notions d'honneur
16:51 s'effacent complètement dans les guerres de domination.
16:56 Et puis dans le duel, même au Moyen-Âge,
16:58 il y avait toujours le souci d'une domination,
17:00 même entre deux seigneuries.
17:02 Donc c'est une typologie qui est intéressante
17:05 mais que je ne suis pas entièrement, que celle de Charles Pély.
17:08 – Alors je voudrais revenir sur la formule que j'ai énoncée
17:10 en introduction qui est la plus connue de Clausewitz,
17:14 donc sur la guerre, continuation de la politique.
17:17 – Par d'autres moyens.
17:18 – Par d'autres moyens.
17:19 Donc est-ce que cette formule, est-ce qu'elle recouvre plusieurs sens ?
17:23 – Oui, c'est une formule qui amène à envisager
17:28 les différentes définitions de la guerre
17:31 qui ont été celles de Karl von Clausewitz.
17:36 En fait, à la fin de sa vie, Clausewitz explique
17:42 dans des courriers d'ordre privé
17:45 qu'il n'est pas du tout content de son travail,
17:47 c'est un peu embêtant parce qu'il y a une dizaine de volumes,
17:51 il précise lui-même "je n'ai pas écrit que des bêtises",
17:55 c'est incontestable, mais il dit "la direction que j'ai donnée
17:59 à toutes ces choses n'est pas très satisfaisante,
18:01 il faudrait que je réécrive tout".
18:02 Bon, il écrit ça vers 1829, il meurt en 1831,
18:06 il n'a évidemment pas eu le temps de tout réécrire.
18:10 En fait, Clausewitz commence par définir la guerre
18:17 dans les premiers temps, vers 1814-1815,
18:21 quand il fait le bilan des guerres de la Révolution et de l'Empire,
18:25 parce qu'elles sont terminées,
18:27 et qu'il a un peu de recul là-dessus,
18:30 donc commence à définir la guerre comme la montée aux extrêmes.
18:34 Théorie de la rivalité qu'on trouve chez Hobbes,
18:37 théorie de ce que René Girard appellera le mimétisme,
18:40 effectivement la montée aux extrêmes,
18:42 c'est que l'on se surarme pour être sûr de gagner,
18:46 l'adversaire voit que vous vous surarmez,
18:48 il se dit "il faut que je monte un cran au-dessus,
18:50 parce qu'autrement je vais être dépassé, etc."
18:53 C'est un petit peu ce qui s'est passé dans la rivalité USA
18:57 à partir de la guerre des étoiles de 1983,
18:59 c'est cette course à l'armement de plus en plus sophistiquée
19:03 qui a épuisé les ressources financières de l'URSS.
19:05 On n'en dira pas plus sur ce sujet,
19:07 mais pour situer qu'effectivement,
19:09 ça peut mener à une suprématie sans même qu'il y ait conflit,
19:13 tout simplement par épuisement des ressources financières
19:15 de l'un des protagonistes.
19:17 Donc ça c'est la première définition de Clausewitz, la guerre,
19:21 par définition c'est une guerre absolue,
19:24 et le côté absolu consiste dans une montée à l'infini,
19:29 sans limite, c'est Lubriz,
19:32 des moyens de force et de ruse éventuellement,
19:37 mobilisés par chacun.
19:39 Bon, ensuite, il relativise cette théorie en expliquant que
19:48 c'est d'une tendance, ce qu'il avait dit n'était pas faux,
19:52 que toutefois, il faut tenir compte de ce qu'il appelle les frictions.
19:57 Alors les frictions, ce sont des choses qui ont en partie tendance à s'estomper,
20:02 les frictions ce sont les aléas météorologiques même, tout simplement.
20:07 Dans certaines conditions, il est difficile d'avancer dans la neige,
20:12 s'il y a quatre semaines d'orage consécutif, etc.
20:16 Si l'artillerie s'est embourbée,
20:18 évidemment on parle de l'époque de Clausewitz,
20:21 actuellement ça n'empêche pas de bombarder,
20:22 le mauvais temps n'empêche pas de…
20:23 Voilà, donc c'est en ce sens que je disais,
20:25 ce sont des choses qui se sont atténuées.
20:26 Les frictions c'est aussi le moral de l'armée,
20:30 ça peut être le hasard, des défections,
20:33 même si les défections ont défection d'un maréchal par exemple,
20:36 même si les défections en général sont significatives
20:39 de choses qui vont bien au-delà du hasard.
20:40 Ça peut être des trahisons, mais là aussi,
20:42 une trahison n'arrive pas par hasard,
20:45 mais ce sont quand même les impondérables.
20:47 Ça peut être aussi la mort d'un tsar et remplacé par un autre,
20:51 c'est ce qui a sauvé Frédéric II pendant la guerre de 7 ans,
20:54 quand tout d'un coup la Russie s'est retirée de la coalition contre la Prusse.
20:57 Voilà, donc nous avons la montée aux extrêmes,
21:00 nous avons le hasard, ou plus précisément,
21:03 je dirais le jeu des probabilités.
21:07 Si on parle de jeu des probabilités,
21:08 on est plus dans ce que veut dire Clausewitz
21:10 que si on garde ce terme un peu ambigu du hasard.
21:14 Et il y a la politique, je serais tenté de dire,
21:17 à la Julien Freud, le politique,
21:20 pour bien distinguer ça du jeu politicien.
21:24 Voilà, et donc en fait, en d'autres termes, il y a les passions.
21:28 Les passions, c'est la montée aux extrêmes.
21:30 Il y a les aléas, c'est le jeu des probabilités.
21:33 Et il y a le politique, et le politique est de l'ordre de la raison.
21:37 Donc, Clausewitz nous explique que la montée aux extrêmes,
21:41 c'est-à-dire les passions, sont ensuite prises en compte par l'âme,
21:47 entrent dans l'âme de l'homme, dans l'âme humaine.
21:49 Et cette âme humaine, l'âme du monde, disait Hegel,
21:53 cette âme humaine fait intervenir le facteur de la rationalité politique,
21:57 de la raison.
21:58 Et il dit, cette rationalité politique va contrecarrer la montée aux extrêmes.
22:02 Parce qu'à un moment donné, on va se dire,
22:04 "Non mais attention, si je gagne la guerre
22:07 en ayant perdu 35% par exemple de ma population,
22:11 je serai finalement moi aussi perdant.
22:13 Donc, sachons être raisonnables."
22:17 Tout ça est assez corroboré par la guerre telle que l'avie Clausewitz.
22:23 Par exemple, en 1814, la France est battue.
22:27 Les alliés ne dépaissent pas la France,
22:29 ils la ramènent simplement aux frontières de 1792.
22:32 En 1815, deuxième défaite, la France ne perd que la Savoie
22:37 et quelques minuscules bouts de territoire sur sa frontière du Nord-Est.
22:41 Donc effectivement, il n'y a pas de montée aux extrêmes,
22:46 il n'y a pas de mise en esclavage de la France en 1815,
22:49 il y a simplement une indemnité de guerre assez lourde.
22:52 On n'est pas du tout dans des logiques exterminationnistes.
22:58 Donc ça c'est vraiment...
23:02 Passion, jeu des probabilités, politique,
23:06 ces trois éléments sont ce que Clausewitz appelle l'étonnante trinité
23:10 et qu'il appelle aussi parfois la merveilleuse...
23:12 Pourquoi merveilleuse ? C'est un peu ambigu.
23:15 La merveilleuse trinité.
23:17 La merveilleuse trinité c'est le peuple, le commandement et le gouvernement.
23:21 Voilà, alors la version sociologique de ce qui est psychique.
23:27 Passion, intégration dans l'âme des passions
23:33 et modération par la raison politique, ça c'est le versant psychique,
23:37 a une contrepartie sociologique en quelque sorte.
23:43 Et cette contrepartie sociologique c'est en quelque sorte
23:47 l'armée, le commandement, le chef.
23:48 Alors comment ces trois éléments, le peuple, le commandement et le gouvernement,
23:51 s'articulent-ils ?
23:52 Alors le peuple serait plutôt du côté de la passion.
23:55 Si le peuple ne croit pas à la guerre avec un minimum de passion,
23:59 les choses sont mal engagées.
24:01 Il y a ensuite le chef, son équilibre intérieur, sa détermination personnelle.
24:06 Alors le chef est généralement un chef individuel,
24:09 c'est manifeste avec Napoléon, c'est manifeste avec Hitler,
24:13 à partir du moment où au début 1942 il prend à la fois tous les commandements militaires
24:17 qui s'ajoutent à tous les commandements politiques.
24:20 Et il y a le commandement.
24:21 Alors le commandement c'est quelque chose de très large
24:24 qui fait le lien en quelque sorte entre le chef et le peuple.
24:28 Et aussi entre le chef et l'armée,
24:31 sachant que l'armée à partir de la Révolution française
24:33 est quand même en bonne part issue du peuple.
24:36 On quitte en partie le modèle de l'armée de métier.
24:39 Mais on est dans le citoyen-soldat.
24:41 Voilà, pour avoir le modèle jaurécien,
24:44 puisque Jaurès écrira un livre là-dessus, du citoyen-soldat.
24:48 Modèle annoncé par le comte de Guybert en 1772 dans son essai de tactique.
24:52 Et donc en l'occurrence, le commandement intermédiaire a un rôle très important.
24:57 Le commandement, c'est deux choses.
24:59 C'est le commandement de l'armée.
25:01 Par exemple, en 1814, exemple très simple,
25:03 ce sont les maréchaux qui lâchent Napoléon.
25:06 L'armée serait prête, après la capitulation de Paris,
25:09 à suivre Napoléon pour essayer de reprendre Paris.
25:11 Les maréchaux ne volent pas.
25:15 Et le commandement c'est aussi finalement
25:18 toute l'infrastructure qui est au sein même de la société.
25:21 Alors en l'occurrence, le peuple français,
25:24 et surtout le peuple des grandes villes,
25:26 notamment précisément le peuple parisien,
25:29 qui est le premier concerné par la prise de Paris fin mars 1814,
25:34 serait certainement prêt à se soulever pour aider l'armée de Napoléon
25:38 qui essaierait de libérer Paris.
25:40 Mais les élites, c'est-à-dire le commandement civil,
25:44 si je puis dire, de la société française,
25:46 alors en l'occurrence c'est représenté par le Sénat napoléonien,
25:50 non, dit non, on ne veut plus de cette guerre,
25:52 on ne veut plus de l'empereur,
25:53 et on veut bien éventuellement des Bourbons,
25:55 enfin en tout cas on veut tout sauf la poursuite du règne de Napoléon
26:00 qui veut dire la poursuite de la guerre.
26:02 Donc le commandement c'est ce qui fait le lien entre le chef et le peuple,
26:06 et même le lien entre le chef et l'armée,
26:08 quand je dis l'armée c'est le soldat de base.
26:10 – Qu'est-ce qu'il en est par exemple aujourd'hui
26:12 avec les guerres asymétriques ou les guerres contre le terrorisme,
26:14 il y a la notion de peuple qui saute à ce moment-là ?
26:18 – Alors le problème c'est que tout dépend…
26:20 – Le peuple n'est pas engagé sauf par les militaires de carrière.
26:23 – Tout dépend de ce qu'on appelle terrorisme,
26:24 parce que finalement le terrorisme, on est toujours le terroriste de l'autre,
26:29 de 1808 à 1813 la France envahit l'Espagne…
26:33 – Là je pensais plutôt au terrorisme qu'on va combattre,
26:34 en plus dans des opérations extérieures.
26:37 – Oui absolument, mais alors pour Napoléon, pour les français,
26:41 les indépendantistes espagnols de 1808 à 1813 sont des terroristes,
26:47 pour les espagnols ce sont des partisans, des guerrilleros,
26:49 c'est ce que Clausewitz appelle la petite guerre, la guerre de guerrilla.
26:53 Or la guerre de guerrilla est par définition territorialisée,
26:56 c'est une guerre défensive,
26:59 et une bonne partie de ce qu'on appelle le terrorisme,
27:02 alors il faudrait mettre à côté le terrorisme qui peut être manipulé,
27:06 il peut y avoir des attentats sous faux drapeaux,
27:08 ça a toujours existé à l'époque de la Russie tsariste etc.
27:11 bon c'était une des grandes spécialités de la politique du tsar,
27:14 d'infiltrer les groupes révolutionnaires
27:17 et d'assassiner des ministres dans le cadre d'un jeu politique interne.
27:22 Mais le terrorisme c'est souvent une extension de la guerre de partisans,
27:32 c'est souvent un peu de cet ordre,
27:34 quand on parle de terrorisme au Mali c'est plutôt une forme de guerre civile.
27:38 – Est-ce que l'étonnante Trinité tient toujours
27:40 dans le cadre d'une guerre contre le terrorisme ?
27:43 – Alors, elle tient à certains égards parce que le domaine des passions,
27:47 ou plus largement des affects, des ressentis,
27:50 reste extrêmement important,
27:52 comment la population va réagir à une attaque terroriste,
27:59 la France en a malheureusement connu,
28:01 et c'est une caractéristique de l'époque contemporaine.
28:08 Il y a le domaine de la rationalité,
28:11 puisque les terroristes ne frappent jamais complètement par hasard,
28:15 il y a toujours une recherche du symbolique,
28:17 il y a une recherche évidente de symbolique dans les actes terroristes,
28:21 que ce soit le Stade de France, le Bataclan etc.
28:24 Ce n'est pas tout à fait par hasard,
28:26 ce n'est pas par hasard qu'on attaque le Bataclan
28:30 plutôt qu'un camping au fin fond de l'Ardèche.
28:33 Il y a la volonté de marquer les esprits,
28:36 d'un lieu parisien etc.
28:39 d'un lieu fréquenté aussi par une certaine population.
28:44 Et il y a aussi la dimension parfois de négociation,
28:52 quand le Hamas a pris des otages,
28:55 bien entendu c'est pour négocier quelque chose,
28:56 c'est évident, toute prise d'otages,
28:59 depuis le début de l'histoire des guerres,
29:03 a pour objectif de négocier,
29:06 que ce soit les guerres de Vendée etc.
29:08 Il y a les deux côtés bien entendu.
29:10 Donc effectivement, je pense que cette trinité reste totalement valide.
29:14 Nous avons abordé rapidement la notion de guerre absolue,
29:18 il y en a une autre, c'est la guerre totale.
29:20 Est-ce que vous pouvez nous expliquer la différence entre les deux ?
29:23 Absolue, totale ?
29:24 Oui, en fait c'est très différent.
29:26 La notion de guerre absolue est un concept de Clausewitz,
29:30 et Clausewitz explique que c'est un concept limite.
29:33 C'est-à-dire que la guerre aussi entre la quasi-guerre,
29:37 qui est une quasi-non-guerre,
29:39 qui peut être l'observation armée,
29:41 c'est-à-dire qu'on envoie des troupes à la frontière,
29:46 on installe des missiles, pour les temps modernes bien entendu,
29:49 pour ceux de Clausewitz, à 10 km de la frontière,
29:52 bon voilà, on se fait menaçant,
29:54 on fait comprendre qu'en quelques minutes
29:57 on peut couler un bateau à tel endroit,
30:00 bon voilà, ça c'est l'observation armée.
30:02 C'est ce qui s'est passé il n'y a pas très longtemps,
30:06 entre la France et la Turquie, il y a eu un incident, etc.
30:09 C'est ce que Poutine a fait comprendre aux Américains
30:13 dans la mer Noire, en leur expliquant que
30:15 telle de leur vaisseau était à 4 minutes de tir
30:18 d'une arme qui ferait couler le bateau.
30:20 Voilà, donc ça c'est ce que explique Clausewitz,
30:25 l'observation armée comme point bas,
30:28 et le point de référence haut,
30:32 ce que Clausewitz appelle le point de référence ultime,
30:35 c'est la guerre illimitée.
30:37 – Et la guerre totale là-dedans ?
30:39 – Alors la guerre totale,
30:40 – La question c'était guerre absolue, guerre totale ?
30:42 – La guerre totale, c'est la guerre qui mobilise toutes les ressources.
30:45 – D'accord.
30:45 – Alors en fait Clausewitz…
30:46 – Je vois la différence vraiment entre
30:47 guerre absolue et guerre totale.
30:48 – Alors Clausewitz ne croyait pas réellement
30:51 finalement à ce concept de guerre totale,
30:57 puisqu'il pensait que le politique finirait toujours
31:00 par modérer cette montée aux extrêmes.
31:02 Donc la guerre totale, c'est quand rien ne modère
31:05 la montée aux extrêmes.
31:06 – D'accord, et la guerre absolue ?
31:07 – La guerre absolue, en fait c'est un concept
31:09 dont Clausewitz dit qu'on ne l'atteint jamais.
31:11 – Ok.
31:12 – C'est un point de référence théorique.
31:13 – Bien.
31:13 – C'est un point de référence théorique.
31:14 C'est un peu comme si sous prétexte que l'âge de la vie s'allonge,
31:20 on vous disait que vous allez finir par être immortel.
31:22 Non, ce n'est pas possible.
31:23 Donc finalement la guerre, Clausewitz,
31:26 surtout à la fin de sa vie, explique que grâce
31:29 à la raison politique, la guerre ne sera jamais illimitée,
31:32 en termes modernes, on dirait la guerre ne sera jamais totale.
31:35 Ce que dit René Girard, il dit non, il faut achever
31:39 la lecture de Clausewitz, reprendre l'intuition initiale
31:43 de Clausewitz, que Clausewitz lui-même a barré
31:45 à la fin de sa vie, qui est la montée aux extrêmes,
31:48 qui est que la montée aux extrêmes n'a aucune limite,
31:50 elle n'a pas comme limite le politique,
31:52 et que donc on va arriver à la guerre totale.
31:54 – Donc là on va y venir, donc la guerre totale,
31:56 je résume, elle engage toutes les ressources
31:59 morales, économiques, de l'avant et de l'arrière,
32:04 et sans respect évidemment du droit des gens,
32:09 que Grotius, qu'un certain nombre de politologues,
32:13 de politistes ont élaboré au XVIIe et au XVIIIe siècle.
32:16 – Et alors maintenant les notions de guerre limitée
32:17 et de guerre illimitée ?
32:20 – Alors la guerre illimitée, en gros c'est la guerre totale,
32:23 c'est celle qui est un modèle théorique
32:26 que nous n'atteindrons pas, disait Clausewitz,
32:28 mais en fait on l'a atteint.
32:29 – Parce que la guerre illimitée, c'est-à-dire qu'il n'y a plus de politique ?
32:32 – Alors la guerre illimitée, c'est une affaire complexe,
32:37 parce qu'il peut y avoir encore de la politique
32:44 si l'objectif est l'écrasement total de l'adversaire,
32:47 le principe c'est la guerre illimitée,
32:49 et effectivement la guerre, le politique,
32:53 c'est entièrement engouffré dans l'objectif
32:56 de guerre totale et de victoire illimitée,
32:59 de guerre illimitée et donc de victoire illimitée.
33:01 En fait, il y a de la politique quand l'objectif est limité,
33:04 par exemple, dans la guerre Russie-Ukraine,
33:09 il y a encore à l'évidence du politique, en tout cas d'un côté.
33:13 Pourquoi ? Parce que c'est une guerre à objectif limité.
33:16 Alors, quelle est cette limite ?
33:19 Quel est le cadre de cette limite ?
33:20 On ne le saura jamais, que voulait Poutine ?
33:23 Ce qui est sûr, c'est qu'il ne veut pas la destruction totale
33:27 du peuple ukrainien, et même certainement pas de l'État ukrainien.
33:33 Veut-il seulement lui enlever le Donbass ?
33:35 Veut-il lui enlever un peu plus ?
33:36 Est-ce que ses objectifs ont varié ?
33:38 Il est probable que oui, il est possible que ça aille jusqu'à Odessa.
33:42 Mais ce que nous savons, c'est que ce n'est pas une guerre illimitée,
33:47 dans la mesure où elle n'a pas comme objectif
33:50 l'écrasement intégral de l'Ukraine.
33:53 Par contre, en 1941, la guerre d'Hitler contre la Russie
33:56 est une guerre illimitée.
33:57 Elle a comme objectif, très clairement,
33:59 l'écrasement intégral de la Russie et la mise en esclavage des Slaves,
34:05 devenus, conforme à l'étymologie, esclaves.
34:08 Donc là, c'est une guerre illimitée.
34:10 Il y a du politique qui reste, par exemple, dans la guerre Ukraine-Russie.
34:16 Il y a certainement du politique, c'est même à coup sûr,
34:19 dans la guerre Arabie Saoudite-Yemen.
34:23 Parce que ce n'est pas une guerre à mort.
34:25 Parce qu'il est évident que l'Arabie Saoudite ne réussira pas
34:29 et ne souhaite pas forcément l'extermination totale des Yémenites.
34:35 Donc, ce sont des guerres où il y a une marge de négociation possible,
34:37 c'est-à-dire de politique qui subsiste.
34:40 Et sur le dernier conflit mondial,
34:43 on est dans le cadre d'une guerre illimitée,
34:45 c'est-à-dire, écrasement total du régime, mais pas...
34:47 Écrasement total, puisque janvier 1943, déclaration de Casablanca,
34:51 la fin de la guerre, c'est la capitulation sans condition de l'Allemagne.
34:55 Donc à partir de là, il n'y a plus de place pour le politique.
34:57 Donc ça, c'est très caractéristique.
35:01 Chose qu'on n'a jamais dit, Staline, du reste.
35:04 Puisque dès 1945, il dit "le nazisme n'a qu'un temps, mais l'Allemagne reste".
35:11 Donc on n'est pas dans un discours aussi extrémiste
35:15 que du côté des Anglo-Saxons.
35:17 – Le fait de diaboliser son adversaire fait qu'on ne peut plus parler avec lui.
35:21 – Alors ça, c'est la guerre idéologique.
35:23 Effectivement, si l'adversaire est un diable,
35:29 Joe Biden a eu des mots terribles vis-à-vis de Poutine,
35:33 je ne sais plus en tête le terme, enfin des mots vraiment...
35:36 "t'es un monstre", etc.
35:38 Ou quand on parle de l'axe du mal, etc.
35:40 Effectivement, après, on imagine mal que l'on se mette
35:43 autour d'une table avec le diable incarné.
35:46 Donc le narratif, le discours, n'est pas seulement un effet de propagande,
35:52 il a un effet retour sur la marge de manœuvre
35:55 que l'on se donne à soi-même.
35:57 C'est important de savoir que les choses que l'on dit
36:00 nous interdisent ensuite, en partie, à moins de passer pour un charlot,
36:06 certains retours en arrière.
36:09 On observe que Poutine n'a jamais eu des termes infamants
36:18 ou à proprement parler injurieux vis-à-vis des présidents américains.
36:23 Polémique, oui bien entendu, mais pas injurieux.
36:25 Ce n'est pas totalement anecdotique.
36:27 Je ne sais pas si Poutine a lu Klaus Witz,
36:30 mais je pense qu'en tout cas, il est entouré de gens
36:32 qui ont réfléchi à ce qu'est la politique sérieuse.
36:35 Même chose pour Erdogan, par exemple, qui n'est pas un tendre
36:40 et qui n'est pas non plus un imbécile, loin de là.
36:43 – Alors, vous concluez votre ouvrage par un chapitre au titre étonnant
36:46 dans lequel vous affirmez que la leçon de Klaus Witz
36:49 est aussi anthropologique.
36:52 Est-ce que vous pouvez nous prédire ça ?
36:54 – Oui, tout à fait.
36:55 – Klaus Witz est anthropologue également, quand il parle de la guerre ?
36:58 – Quand Klaus Witz explique que la rationalité doit l'emporter,
37:05 et la politique, c'est la même chose,
37:09 puisque la politique, c'est quand même la prise en compte de la raison.
37:12 C'est d'ailleurs l'interprétation de Klaus Witz
37:15 que souhaite retenir Raymond Haron,
37:18 à la fois parce que c'est l'interprétation ultime
37:21 que retient Klaus Witz lui-même,
37:24 et aussi parce que Raymond Haron fait un pari,
37:29 un pari pascalien, sur quand même une certaine rationalité.
37:33 Donc effectivement, ce que explique Klaus Witz,
37:36 c'est que la guerre est une école d'endurcissement,
37:40 le comte de Guybert avait aussi expliqué ça,
37:44 et qu'en même temps c'est une école de maîtrise des passions.
37:47 Donc il y a vraiment une leçon anthropologique à recevoir,
37:51 et il explique aussi que,
37:53 quels que soient les entraînements, à un moment donné,
37:56 c'est l'épreuve du combat qui sera décisive.
37:58 On ne fera pas l'économie d'entraînement à balles réelles,
38:04 en d'autres termes.
38:05 Alors Klaus Witz était un peu frustré,
38:08 puisqu'il n'a pas exercé de commandement important,
38:12 et il n'a exercé qu'un commandement par intérim en 1815,
38:15 après Waterloo, face au maréchal Grouchy,
38:19 et comme Klaus Witz était en infériorité numérique,
38:22 et que le fait d'accepter la bataille n'aurait servi à rien,
38:27 il a préféré reculer, non pas par pussilanimité,
38:32 mais tout simplement parce que tactiquement c'était plus raisonnable,
38:35 et que ça ne servait à rien de sacrifier ses soldats,
38:37 alors que de toute façon Wellington avait remporté une victoire écrasante.
38:40 Donc, mais effectivement c'est une école d'endurcissement,
38:44 de virilité, de maîtrise de soi,
38:47 mais aussi de maîtrise de ses passions,
38:49 et de cohésion entre le peuple, le chef,
38:53 et les échelons intermédiaires que sont le commandement.
38:55 Donc il y a une véritable leçon anthropologique
39:00 qui me fait un peu penser à un très beau poème de Roger Bernard,
39:04 un résistant qui a fusillé quelques semaines après avoir écrit ce poème,
39:09 et qui disait "ne passe pas sous l'arbre,
39:11 il pleure une douceur trop lourde à supporter".
39:15 Ça veut dire que quand on fait la guerre,
39:18 quand on prend des risques,
39:20 il faut résister à la tentation de la douceur
39:24 qui est en chacun d'entre nous,
39:27 mais qu'effectivement il faut toujours,
39:31 face à la tentation de la douceur de vivre,
39:33 avoir l'esprit de virilité qui la contrecarre.
39:37 Voilà, c'est l'opposition entre l'esprit de douceur méditerranéenne apollinien
39:43 et l'esprit de virilité dionysiaque que l'on trouve chez Nietzsche.
39:46 – Alors pour, on va terminer là,
39:49 est-ce que les leçons de Clausewitz sont toujours valables
39:53 pour les conflits d'aujourd'hui ?
39:55 Parce que tout a changé, les techniques ont changé principalement,
39:58 donc ça a impliqué des changements de stratégie, de tactique,
40:01 mais on sait bien que ce n'est pas un manuel pour gagner la guerre,
40:05 sinon tout le monde lirait Clausewitz et puis on gagnerait la guerre.
40:07 Mais est-ce que sur les conflits d'aujourd'hui,
40:09 on peut encore appliquer du Clausewitz ?
40:11 – Alors effectivement, ce n'est pas du tout un manuel pour gagner la guerre,
40:14 Jomini prétendait donner des recettes pour gagner la guerre,
40:17 Jomini qui est mort lui en 1869,
40:20 bien après Clausewitz, qui a été né un peu avant,
40:23 mais non, effectivement, Clausewitz c'est de l'auto-pédagogie,
40:28 il dit "je vais vous aider à réfléchir",
40:30 je ne vais pas vous aider à gagner une bataille,
40:31 je vais vous aider à réfléchir comment mener une guerre,
40:34 voilà à quoi j'aspire, simplement à cela et pas à autre chose.
40:39 Oui, les leçons sont toujours valables,
40:41 parce que la passion reste fondamentale,
40:43 la passion c'est la montée aux extrêmes,
40:45 qu'il importe néanmoins de mettre de la raison politique
40:48 et que le lien entre le chef et le peuple
40:51 reste une question fondamentale,
40:53 c'est-à-dire que si le chef est hors-sol,
40:55 si le discours du chef, si le narratif tenu par le chef
40:58 n'a aucune résonance dans le peuple,
41:01 les choses vont s'effondrer,
41:03 Poutine a compris cela avec son narratif,
41:06 la question n'est pas de savoir si le narratif est vrai,
41:08 mais quand il a parlé, puisqu'il en parle beaucoup moins,
41:11 de dénazifier l'Ukraine,
41:13 c'est aussi parce qu'il comprend que pour les Russes,
41:16 faire souvenir de la grande guerre patriotique,
41:20 pour reprendre l'expression des Russes
41:22 pour la guerre de 1941-1945,
41:24 ça parle aux gens qui ont tous eu un grand-père
41:27 qui a connu cela, 20 millions de morts,
41:30 donc c'est important,
41:31 il sait que ce discours va avoir un écho,
41:36 et le discours civilisationnel aussi,
41:39 comme quoi la Russie ne veut pas devenir comme l'Occident,
41:42 la question n'est pas de savoir si c'est vérifié,
41:46 si la Russie, effectivement, la société russe
41:49 n'a aucun rapport avec la société occidentale,
41:50 si c'est vrai ou si c'est faux, la question n'est pas là,
41:53 mais ce discours est entendable,
41:55 et en bonne part entendu par la majorité des gens,
41:58 donc le lien entre le chef et le peuple,
42:01 qui passe par toute une série de relais,
42:03 que Clausewitz appelle le commandement,
42:06 le commandement de la société militaire,
42:07 mais aussi les commandements divers dans la société civile,
42:10 reste d'actualité,
42:11 donc fondamentalement les leçons de Clausewitz restent exactes,
42:15 ce qui a diminué un peu,
42:16 c'est ce que Clausewitz appelle le brouillard de la guerre,
42:19 les impondérables, bon maintenant,
42:20 avec les satellites, on a des photos de tout,
42:23 on connaît le terrain,
42:24 on ne risque pas de confondre une ferme avec une autre,
42:26 comme Napoléon l'a peut-être fait le 18 juin 1815,
42:29 le jour de Waterloo.
42:32 – Ce sera le mot de la fin, donc je rappelle votre ouvrage
42:34 "Clausewitz, père de la théorie de la guerre moderne",
42:37 c'est paru aux éditions Perspectives Libres.
42:40 Pierre Le Vigan, merci infiniment,
42:43 et puis à une prochaine fois j'espère sur un autre sujet,
42:46 d'autres projets actuellement ?
42:49 – C'est secret ?
42:49 – Pour l'instant, oui, non, voilà, ce n'est pas encore officiel.
42:55 – Merci très vite.
42:56 [Musique]
43:02 Avant de nous quitter, quelques informations culturelles.
43:06 La mode est aux expositions ou aux spectacles immersifs,
43:09 avec plus ou moins de réussite, il faut bien le dire.
43:12 Celui qui vous est présenté actuellement en l'église de Sainte-Eustache à Paris
43:16 est lui une vraie splendeur.
43:18 Il est présenté à l'occasion du 800e anniversaire de cette paroisse.
43:22 Voulu par François Ier comme l'équivalent de Notre-Dame sur la rive droite,
43:25 la construction de l'église de Sainte-Eustache s'étale sur plus de 100 ans
43:29 avant de connaître des remaniements au fil des siècles
43:32 par Jean Ardoin Mansart ou encore par Victor Baltard.
43:35 Sainte-Eustache a été fréquentée à la fois par le peuple des Halles
43:38 et par des personnalités de l'histoire de France,
43:40 Molière et Richelieu y ont été baptisés,
43:43 Louis XIV y a fait sa première communion,
43:45 Sully et Lully s'y sont mariés, pas ensemble,
43:48 tandis qu'on y organisera les funérailles de la mère de Mozart,
43:52 de La Fontaine et que Colbert y repose encore.
43:55 Des projections vidéo à 360° dans ce spectacle
43:58 font ressortir de façon très vivante les qualités architecturales
44:02 et les vitraux de l'église depuis son emprise majestueuse au sol
44:05 jusqu'à l'élancement de ses voûtes à plus de 30 mètres de hauteur.
44:08 Le spectacle révèle la richesse du patrimoine bâti de l'édifice
44:11 entre gothique flamboyant et style Renaissance
44:13 et une bande sonore spatialisée en 3D,
44:15 c'est-à-dire que le son tourne autour de vous
44:17 fait ressortir l'acoustique exceptionnelle de l'édifice.
44:20 Voilà, vous avez jusqu'au 25 mai pour découvrir ou redécouvrir Sainte-Eustache.
44:25 Et enfin, un conseil de lecture pour ceux qui s'intéressent à la guerre du Pacifique.
44:29 Okinawa de Ivan Kado, paru aux éditions Perrin.
44:33 Avec ce livre, nous disposons d'un ouvrage de référence
44:36 sur la dernière bataille de la Seconde Guerre mondiale
44:39 qui se déroula du 1er avril au 23 juin 1945.
44:43 La seule qui se déroule véritablement sur le sol japonais.
44:46 Quand l'île représentait pour les Japonais
44:48 le dernier espoir d'empêcher l'occupation de l'archipel,
44:50 c'était pour les Américains l'obstacle à détruire
44:53 et la base à conquérir pour réduire l'Empire du Soleil Levant.
44:57 Durant 80 jours, les deux armées s'affrontent.
45:00 Saisie dans la bataille, la population d'Okinawa,
45:03 tenue pour exogène par l'armée japonaise,
45:05 est cependant mobilisée, pressurée, emmurée dans les grottes
45:08 et dans plusieurs cas contrainte au suicide collectif.
45:11 L'exposé de cette bataille immense et complexe reste clair.
45:15 L'écriture est précise dans le détail des opérations,
45:17 le mot toujours juste pour évoquer l'horreur et l'irrationnel sans pathos.
45:22 Les taillages critiques a été allégés, ce qui est parfois frustrant,
45:25 mais sans doute beaucoup plus lisible pour beaucoup de lecteurs.
45:29 Voilà, c'était Passer présent, l'émission historique de TVL
45:33 présentée en partenariat avec la revue d'Histoire européenne.
45:37 Et maintenant, vous allez retrouver la petite histoire de Christopher Lanne.
45:41 Mais avant, vous n'oubliez pas bien sûr de cliquer sur le pouce levé sous la vidéo
45:45 et de vous abonner à notre chaîne YouTube.
45:48 Merci et à bientôt !
45:49 Bienvenue dans cette nouvelle thématique de la petite histoire.
45:58 Et après les grands ministres,
46:00 on va parler d'un sujet qu'on n'aborde quasiment jamais,
46:02 du coup ça va faire du bien, les grandes victoires maritimes françaises.
46:06 Et oui, ça existe, monsieur !
46:07 Non, parce qu'en général, quand on parle du passé maritime de la France,
46:10 bon, on sait qu'on a été plus ou moins dans le coup,
46:12 qu'on a eu des explorateurs, des comptoirs, des colonies, tout ça,
46:16 mais quand on parle de bataille, là c'est chaud.
46:18 La plupart du temps, on cite Trafalgar ou Lahou.
46:20 Sauf que des victoires, des grandes victoires, on en a eu.
46:23 Alors j'ai essayé d'en choisir quatre, c'était pas simple,
46:26 parce qu'il y en a beaucoup, en particulier sous le règne de Louis XIV.
46:29 Du coup, j'en ai pris deux pendant le grand siècle,
46:32 car c'était vraiment une grande époque pour la marine française,
46:35 une sous Louis XVI, là aussi très grande époque de notre marine,
46:39 et pour finir, une bataille bien plus récente et plus méconnue.
46:42 Mais aujourd'hui donc, pour démarrer, on va parler de la bataille de Palerme,
46:46 où la jeune marine du roi Soleil remporte une victoire décisive et éclatante
46:51 sur la terrible marine hollandaise et ses alliés espagnols,
46:55 lui assurant le contrôle de la Méditerranée.
46:58 [Générique]
47:14 Nous sommes en 1676, en pleine guerre de Hollande,
47:18 qui oppose la France aux provinces unies rejointes depuis l'année précédente par les Spahis.
47:23 Les combats sont terrestres, dans les Flandres notamment, mais aussi maritimes.
47:27 Et comme je l'ai dit à cette époque, c'est la marine hollandaise qui domine les mers,
47:32 qui est crainte et respectée de tous.
47:33 Durant cette période, en Sicile, la ville de Messines va se soulever contre les Espagnols,
47:39 appelant la France à son secours, ce à quoi le roi Soleil va répondre favorablement.
47:44 Les Espagnols font le blocus de la ville de Messines,
47:47 attaquent les convois français venus la ravitailler.
47:50 C'est alors qu'une flotte française, commandée par le duc de Vivonne,
47:54 est envoyée pour régler cette situation.
47:57 Avec 29 navires de ligne et 8 brûlots,
48:00 de Vivonne s'empare tout d'abord de la base espagnole d'Agosta en Sicile,
48:04 ce qui pousse les Hollandais à venir en aide à leurs alliés.
48:07 Le 22 avril 1676, la flotte française, commandée par Duquesne,
48:12 rencontre au large d'Agosta la flotte anglo-espagnole,
48:16 et une violente bataille s'engage.
48:18 C'est la bataille d'Agosta qui est une grande victoire pour la marine royale.
48:23 Au cours de cette bataille, l'amiral hollandais Ruyter,
48:26 je ne sais pas si ça se prononce comme ça,
48:28 est blessé à mort, et Ruyter n'est pas n'importe qui,
48:31 puisqu'il était considéré comme le meilleur amiral au monde à cette époque.
48:35 Louis XIV le qualifiera, je cite,
48:37 "d'homme qui faisait honneur à l'humanité",
48:40 et Colbert ordonnera qu'on rende les honneurs au bateau rapportant sa dépouille
48:44 lorsqu'il longera la côte française.
48:46 Pas un petit monsieur !
48:47 Après cette grande victoire d'Agosta,
48:49 les forces espagnoles et hollandaises mettent les voiles sur Palerme
48:54 pour s'y réfugier et pour réparer leur navire.
48:57 Mais les français n'en ont pas encore fini avec elle.
48:59 Donc, forte de sa victoire, et de toutes les autres d'ailleurs,
49:02 car elle était sur une belle série,
49:04 la marine royale se lance à la poursuite de l'ennemi jusqu'à Palerme.
49:08 On arrive donc à notre histoire principale.
49:10 Parce que certes, je l'ai dit, la flotte française a enchaîné les succès,
49:14 mais la force hispano-hollandaise en Méditerranée n'est toujours pas anéantie.
49:19 Elle constitue donc toujours une menace.
49:21 C'est pourquoi il faut en finir,
49:23 et c'est ainsi que les français appareillent de Messines
49:26 et mettent le cap sur Palerme.
49:27 Ils y arrivent le 31 mai,
49:29 on est toujours en 1676,
49:31 et alignent 29 vaisseaux de ligne,
49:34 25 galères et 9 brûlots.
49:36 Les hispano-hollandais, quant à eux,
49:38 ont 27 vaisseaux de ligne, majoritairement hollandais,
49:41 19 galères et 4 brûlots,
49:43 et ils n'ont toujours pas fini leur réparation dans la rade.
49:46 Alors bon, je ne suis pas un expert de la guerre maritime et de la marine,
49:50 mais pour vous expliquer rapidement,
49:52 un vaisseau de ligne, c'est un navire de guerre classique,
49:54 disposant d'une puissante artillerie selon le nombre de ponts et de canons,
49:58 une galère, c'est un plus petit navire, à voile et à rame,
50:02 plus rapide et plus maniable,
50:04 et enfin un brûlot, c'est un navire chargé de munitions explosives ou incendiaires
50:09 qu'on envoyait contre les navires ennemis.
50:12 Voilà pour le petit cours.
50:13 Donc la flotte française, commandée par le duc de Vivonne,
50:15 secondée par Duquesne, arrive devant Palerme,
50:18 et le vent était favorable,
50:21 Vivonne décide d'attaquer la flotte ennemie qui est au mouillage dans la rade.
50:25 Et profitant du vent, justement,
50:27 Vivonne ordonne qu'on lance les brûlots vers les navires ennemis,
50:32 qui, pris de panique, coupent leurs encres
50:34 et se laissent dériver vers le fond du port.
50:37 D'autres brûlots sont alors lancés et parviennent cette fois au contact
50:41 des navires hispano-hollandais qui s'embrasent les uns après les autres.
50:45 La panique est totale chez les alliés,
50:47 même si certains de leurs vaisseaux parviennent à se dégager et à riposter,
50:51 ce qui fait qu'un combat s'engage.
50:52 Mais globalement, c'est une catastrophe pour les Espagnols et les Hollandais.
50:57 Ils perdent de nombreux navires,
50:59 le vaisseau amiral d'Espagne explose,
51:01 l'amiral espagnol Diego de Ibarra se noie,
51:04 l'amiral hollandais Van Aen est tué.
51:07 Les Espagnols perdent quelque 2500 hommes,
51:10 les Hollandais 250,
51:12 mais surtout 12 vaisseaux, 4 brûlots et 6 galères.
51:16 Bref, c'est une véritable hécatombe,
51:18 car ça représente pas moins de la moitié de leur flotte.
51:21 Côté français en revanche, aucun navire n'a été perdu ou endommagé
51:25 et on ne déplore que 200 morts.
51:27 La victoire est totale pour la flotte royale.
51:29 Je l'ai dit à cette époque, la marine de Louis XIV est une jeune marine
51:33 qui lorsqu'elle s'est engagée en Méditerranée
51:35 ne s'attendait absolument pas à tenir tête
51:38 et encore moins à tenir en échec
51:40 l'indétrônable, l'imbattable, la redoutable marine hollandaise
51:45 qui plus est, accompagnée par les Espagnols.
51:47 Alors autant vous dire qu'au terme de cette campagne de 1676
51:50 qui se termine donc avec la victoire de Palerme,
51:53 le monde n'en croit pas ses yeux.
51:56 Non seulement les Hollandais ont été battus,
51:58 anéantis en Méditerranée,
52:00 mais les Espagnols eux aussi sont également écartés du jeu.
52:03 À Versailles, lorsque la nouvelle arrive,
52:05 c'est une explosion de joie, Colbert déclare, je cite,
52:08 "c'est la plus glorieuse action qui ait jamais été exécutée
52:11 par aucune armée navale".
52:12 Bon, il s'enflamme un peu, mais c'est pour dire quoi.
52:14 À partir de cette date, c'est la marine française
52:17 qui est désormais maîtresse de la Méditerranée
52:19 et elle le restera jusqu'à la guerre de succession d'Espagne,
52:22 soit des décennies plus tard.
52:24 Là où c'est marrant,
52:25 enfin, non c'est pas marrant, mais c'est tellement prévisible,
52:28 c'est que ça va faire aussitôt paniquer les Anglais,
52:30 qui n'étaient pas en guerre contre nous,
52:32 mais qui, voyant la France devenir une puissance maritime,
52:35 vont aussitôt nouer une alliance avec la Hollande.
52:38 Tiens, tiens.
52:39 C'est une grande constante dans l'histoire pour l'Angleterre,
52:41 il est hors de question que la France
52:43 soit à la fois une puissance continentale,
52:45 déjà là, c'est trop,
52:46 mais si en plus elle est maîtresse des mers,
52:48 alors là, c'est laver ses hains,
52:49 puis vite, vite, on allonge la thune,
52:51 histoire que la guerre reprenne,
52:52 et idéalement, il faudrait que ce soit les autres qui la fassent,
52:55 bah oui, sinon ce serait trop simple.
52:56 D'ailleurs, à l'issue de la guerre de succession d'Espagne,
52:59 des années plus tard,
52:59 eh bien c'est la Royal Navy qui reprendra le contrôle
53:02 de Gibraltar et donc de la Méditerranée,
53:05 et par la même occasion, la suprématie des mers,
53:08 qu'elle conservera bien longtemps.
53:10 Merci à tous, on se retrouve la semaine prochaine
53:12 pour une nouvelle grande victoire navale française,
53:16 et on va rester sur le thème du Grand siècle.
53:19 À mardi prochain !
53:19 (Générique)
53:37 (Générique)

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