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Pascal Praud revient pendant deux heures, sans concession, sur tous les sujets qui font l'actualité. Aujourd'hui il reçoit, Bernard Thévenet, cycliste français et double vainqueur du Tour de France, à l'occasion de la sortie de son livre « Parcours de vie - Entretien avec un champion : du monde paysan aux Ors du Tour de France »

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Transcription
00:00 - Europain - Pascal Proé, vous.
00:02 De 11h à 13h sur Europain et avec notre invité Bernard Thévenet.
00:06 Bernard Thévenet, bonjour !
00:09 Bonjour !
00:09 Et merci, vous êtes une légende, évidemment,
00:13 puisque vous avez gagné le Tour de France, qui est une des épreuves les plus populaires de France,
00:17 et des gens qui ont gagné le Tour de France en les S1 1080 et 90,
00:22 des Français, il n'y en a pas 50, il y a vous, il y a Bernard Hinault, il y a Laurent Fignon et c'est tout.
00:27 Et il reste... Enfin, il y a trois Français qui sont encore vivants,
00:30 il y a aussi Lucien Aymar qui avait gagné en 65, je crois, 66.
00:35 Le cyclisme était évidemment un des sports rois en France,
00:40 et notre dernier Tour de France gagné, c'est Bernard Hinault, c'est en 85, je crois.
00:46 Donc ça fait 40 ans.
00:48 Bientôt 40 ans, oui.
00:49 Et pourquoi n'y a-t-il plus, la question la plus bête du monde qu'on doit vous poser matin, midi et soir,
00:55 pourquoi n'y a-t-il plus un champion cycliste aujourd'hui ?
00:58 C'est la question qu'on se pose tous, on aimerait bien pouvoir trouver ce coureur-là et l'amener à un très haut niveau.
01:05 Malheureusement, on n'a pas eu, depuis 40 ans,
01:11 on n'a pas eu vraiment de coureurs capables de lutter contre ceux qui étaient présents en ce moment-là.
01:18 On a eu des garçons comme, dans les années 80, des garçons comme Charlie Mottet ou Jean-François Bernard,
01:24 qui étaient à un beau niveau, mais à chaque fois, il y a toujours eu quelqu'un,
01:28 une fois c'était Fenn Roche, après c'était Miguel Indurain,
01:30 il y a toujours eu quelqu'un d'un petit peu plus costaud qu'eux pour pouvoir les empêcher de gagner le Tour de France.
01:35 Parfois il y a eu l'Alain Samstrong, il y avait quelques raisons aussi que les Français ne gagnaient pas.
01:39 L'Alain Samstrong, c'était différent.
01:40 Bon, vous évidemment, c'est 75, alors tout le monde se souvient, c'est le Tour mythique avec Merckx,
01:45 parce que Merckx est une légende à ce moment-là, et en 75, vous gagnez contre Merckx,
01:49 et surtout vous allez le doubler dans un col,
01:54 mais il n'y a pas d'image de ça, parce que la télévision ce jour-là, pendant deux ou trois minutes,
01:59 elle a manqué le passage où vous doublez, et dit Merckx, elle vous a récupéré après.
02:04 Oui, oui, en réalité, il y avait très peu de moyens à l'époque,
02:08 et la retransmission se faisait sur une heure, parce que c'était à peu près l'autonomie de l'hélicoptère.
02:15 Il y avait très peu de caméras, et il y a eu un accident dans la descente du col d'Alos,
02:22 et du coup, les services de sécurité ont demandé à l'hélicoptère de la télévision
02:26 d'aller au-dessus de la voiture, parce qu'elle avait plongé dans un ravin,
02:29 d'aller au-dessus de la voiture pour voir si les gens, c'était l'équipe Bianchi, avaient besoin d'être secourus.
02:37 Donc le temps que l'hélicoptère allait au-dessus de la voiture,
02:40 il a perdu la... parce qu'il faut qu'il soit en vision directe avec la moto,
02:44 il a perdu la vision directe avec la moto, donc il n'y a pas eu d'image, donc ils ont transmis d'autres images,
02:48 et quand l'hélicoptère est revenu, moi j'avais dépassé Eddy Merckx,
02:52 donc les journalistes étaient complètement... les reporters étaient complètement perdus,
02:56 parce que ça s'est fait en quelques minutes, la physionomie avait complètement changé.
03:01 Donc il cherchait Eddy Merckx, il croyait que je courais après Eddy Merckx,
03:05 alors que c'était l'inverse, Eddy Merckx qui me courait après.
03:08 - Bon, Eddy Merckx ça reste le plus grand champion pour vous, cycliste de tous les temps ?
03:12 - Pour moi oui, parce que c'est celui qui a le plus grand palmarès, toujours,
03:18 oui oui, toujours, et ça sera difficile de le battre,
03:21 parce que maintenant les coureurs sont devenus beaucoup plus... comment dire... spécifiques,
03:26 c'est-à-dire ceux qui font les courses à étapes restent dans les courses à étapes,
03:29 ceux qui font les courses d'un jour restent beaucoup plus dans les courses d'un jour,
03:33 sont beaucoup plus préparés pour les courses d'un jour,
03:36 donc ça devient de plus en plus difficile d'être polyvalent.
03:40 - Et lui effectivement, il était capable de gagner Paris-Roubaix, de gagner le Tour...
03:44 - Oui, Liege-Bastogne, Tour de France, Tour d'Italie, Tour d'Espagne...
03:47 - Alors ce livre, j'ai malheureusement un souvenir d'enfance très douloureux qui m'affecte encore...
03:51 - Qui m'affecte encore ?
03:52 - Dites-vous, le décès de mon petit frère Lucien qui n'a vécu que huit jours.
03:56 J'avais quatre ans, mais je me souviens parfaitement du désespoir de ma maman
04:00 qui refaisait la mise au cercueil de son enfant et dont les pleurs s'apparentaient à des hurlements.
04:04 - C'est un peu bizarre, parce que j'ai l'impression que sur le coup ça ne m'avait pas vraiment marqué,
04:13 j'avais perdu mon frère, mais par la suite j'ai toujours regretté de ne pas avoir de frère,
04:20 et puis je ne sais pas, cette image de ma mère pleurant, enfin refusant de mettre son enfant dans le cercueil,
04:26 ça me reste... c'est une image que je n'arrive pas à effacer.
04:32 - Et vous aviez quatre ans ?
04:34 - Oui.
04:35 - Mon grand-père était un homme sévère mais juste, il était résolument tourné vers l'avenir,
04:40 il était né en 1888, vous vous rendez compte ?
04:43 C'est extraordinaire ce temps qui s'étire de cette manière-là,
04:49 et a été témoin de grandes avancées du siècle comme le développement du chemin de fer,
04:53 quand il est venu au monde le moteur à essence n'existait pas, il a été l'un des premiers de son village
04:58 et peut-être même du canton à posséder un tracteur, un superbe Ferguson F30.
05:04 Mais évidemment en 1977 ou 1975, votre grand-père il n'est plus de ce monde ?
05:09 - Non, non, non, malheureusement il a été décédé en 1960, donc il n'est plus de ce monde.
05:14 Par contre, je n'avais plus mes grands-mères non plus,
05:20 je pense qu'elles auraient été heureuses parce qu'elles avaient, sans se concerter,
05:28 elles avaient toutes les deux, on a découvert ça par la suite,
05:30 toutes les deux ouvraient un cahier comme un cahier d'écoliers,
05:34 elles marquaient même les courses, la date, la course, et puis éventuellement si j'avais un pépin,
05:38 s'il y avait une crevaison, il y avait un petit commentaire en face chaque course.
05:42 - Non mais quand je dis le temps s'étire, quand je dis votre grand-père est né en 1888,
05:46 et puis c'est même étonnant que vous ayez un grand-père aussi âgé avec l'âge que vous pouvez avoir aujourd'hui,
05:52 mais en fait ces gens-là arrivent d'une France qui n'existe plus, qui est morte,
05:58 et un autre siècle est bien au-delà.
06:01 Alors que les gens qui sont nés par exemple dans les années 60, 70, 80 ont plus de points communs
06:07 parce que les choses ont finalement moins bougé qu'on ne le pense,
06:10 qu'entre effectivement 1900 et 1940 ou 1950, où là c'est une révolution dans tous les domaines,
06:18 révolution de mœurs, révolution de vie, révolution de... vous dites il n'y a pas de...
06:22 la voiture, il y a 50 ans il y avait déjà la voiture,
06:25 quelqu'un qui nait aujourd'hui est plus proche sans doute de son père ou de son grand-père
06:30 que dans cette période-là, c'est ça que je veux dire.
06:33 - Oui, oui, oui, enfin ma grand-mère me racontait,
06:37 elle avait vécu, parce qu'il y avait une ligne de chemin de fer qui passait à combien,
06:43 à un kilomètre de sa maison, et elle avait vu la construction de la ligne de chemin de fer.
06:47 C'est vrai qu'on se dit mais quand elle était petite le chemin de fer n'existait pas,
06:53 il n'y avait pas de chemin de fer, on se déplaçait en voiture à cheval,
06:56 on se déplaçait en diligence, et puis elle a vu beaucoup de choses,
07:01 l'électricité n'existait pas, moi je me souviens encore de ma grand-mère,
07:05 elle leur avait fait mettre l'électricité, mais ça coûtait cher l'électricité à l'époque,
07:08 on dit maintenant l'électricité coûte cher,
07:10 mais dans les années 30 ça coûtait beaucoup plus cher,
07:12 et je me souviens de ma grand-mère, elle allumait jamais la lampe chez elle,
07:16 on allait des fois le soir c'est gel, il faisait presque nuit,
07:20 elle avait une lampe électrique, elle servait de la lampe électrique,
07:23 elle allumait pas la lumière parce que ça coûtait cher.
07:25 - Alors c'est cette France-là que vous racontez et qui peut toucher les uns et les autres,
07:29 c'est ma grand-mère maternelle, vous dites, Eugénie Raveau,
07:32 furieuse parce que je n'avais pas été sélectionnée aux Jeux de Mexico,
07:35 qui avouait sans embâche aux journalistes d'un célèbre quotidien national
07:38 qu'elle avait l'intention de s'en plaindre au général de Gaulle.
07:42 Donc tout ça est évidemment très émouvant, il est 12h28,
07:44 on va en parler ensemble, vous parlez de l'école, vous parlez du travaux des champs,
07:47 vous parlez de votre timidité aussi,
07:50 vous dites aussi loin que je me souvienne, le petit garçon que j'étais,
07:52 était d'une timidité maladive, je n'osais jamais m'adresser aux gens,
07:56 j'étais très réservé, je n'osais pas m'exprimer parce que je craignais toujours
08:00 que l'on me reprenne, que l'on me juge,
08:02 j'ai commencé à vaincre ma timidité à l'âge de 40 ans.
08:05 - Aujourd'hui vous n'êtes plus du tout timide ! - Encore un peu, si !
08:08 - Non, vous n'avez pas l'air timide quand même !
08:11 - Encore un petit peu, si, si !
08:12 - Mais il ne faut pas être timide quand on est un champion !
08:15 - Non, mais quand on est timide, c'est un trait de caractère,
08:21 il faut se forcer pour éliminer ça,
08:24 mais ça ne s'en va pas comme ça par enchantement.
08:26 - Vous êtes délicat, et vous êtes un peu réservé, bien élevé aussi,
08:30 donc ça vous venait d'un autre siècle, il est 12h29, à tout de suite !
08:34 - Et pour poser vos questions à notre invité Bernard Thévenet,
08:38 vous le composez dès maintenant, le 01 80 20 39 21, le numéro,
08:42 et non sur Taxi.
08:43 Vous écoutez Pascal Pro et vous de 11h à 13h sur Europe 1.
08:46 Europe 1, Pascal Pro.
08:48 - Salut les copains ! - Salut les copains, je ne vous oublierai jamais !
08:53 - Oui ! - Bididoua, bididoua, bididoua, bididoua, bididoua !
08:57 - Je suis là parce que Bernard Thévenet, que nous recevons pour son livre "Parcours de vie, du monde paysan aux heures du Tour de France",
09:04 vous parlez beaucoup de chansons, Johnny Hallyday a été l'idole de ma jeunesse, tout comme Richard Anthony, Sheila, Sylvie Vartan et tant d'autres,
09:10 et j'imagine que tous ces gens, vous les avez rencontrés quand vous étiez aux Fêtes de votre gloire ?
09:15 - Quelques-uns, oui, mais non pas tous, parce que la chanson et le sport sont quand même deux milieux qui sont très différents.
09:21 - Non mais parfois on peut être invité à des soirées, en tant que personnalité...
09:26 - Oui, oui, c'est arrivé, oui, oui.
09:28 - Donc vous avez eu l'occasion d'échanger avec eux. - Oui, j'ai rencontré...
09:30 - C'est vrai que, d'abord je trouve que c'est un très joli livre, et à l'image de la couverture d'ailleurs, on vous voit manifestement en campagne,
09:37 je ne sais pas si c'est devant... - C'est à Saint-Julien-de-Sivry, oui.
09:41 - C'est un territoire qui vous appartient ou pas, parce que vous êtes un enfant de la campagne, votre grand-mère par exemple,
09:47 c'est elle qui tient la ferme lorsqu'en... son mari, en 1914, est parti combattre, meurt au combat, et c'est elle qui va tenir la ferme.
09:57 - Oui, oui, beaucoup, beaucoup de femmes de cette époque-là ont tenu les fermes pendant que les maris ou les parents,
10:08 enfin pendant que les hommes étaient partis à la guerre.
10:10 - Ils ont fait un travail extraordinaire, parce que la France a réussi à manger quand même, bien que la plupart des paysans sont partis à la guerre.
10:18 - Les cyclistes venaient souvent de la ruralité ?
10:21 - Oui, oui, oui, souvent. Moi quand j'ai commencé à courir en début des années 60,
10:27 je pense qu'il y avait 9 coureurs sur 10 qui venaient ou de la terre, ou qui étaient fils de paysans ou fils d'ouvriers.
10:32 Malheureusement, des paysans, des ouvriers, il y en a de moins en moins, donc...
10:35 - C'est pour ça qu'on a moins de champions !
10:37 - C'est vrai qu'on fait moins de cyclisme dans les cités ou dans les villes que dans la campagne.
10:43 - Évidemment, c'est moins pratique d'apprendre à faire du vélo dans une grande ville qu'en pleine campagne.
10:50 - Lorsque vous voyez d'ailleurs aujourd'hui les cyclistes, et on a vu les accidents récents,
10:54 et moi j'ai été... vraiment j'ai peur, et même les coureurs professionnels tirent peut-être la sonnette d'alarme,
11:00 parce qu'ils vont sans doute de plus en plus vite, et ils prennent peut-être de plus en plus de risques.
11:04 - Peut-être, oui, ils vont de plus en plus vite, ça c'est sûr, parce que les routes se sont améliorées,
11:11 le matériel s'est amélioré, mais justement, malheureusement, enfin, on peut dire malheureusement,
11:17 les routes se sont améliorées, du coup les coureurs ont beaucoup plus confiance dans la route,
11:22 et peut-être qu'ils font un petit peu moins attention qu'avant, parce qu'ils savent qu'ils sont sur un billard,
11:27 et au moindre petit accro, ça peut être la catastrophe.
11:30 - Il y a eu une grosse chute sur le Tour du Pays Basque...
11:35 - Oui, et on a craint pour celui qui a gagné le Tour de France l'année dernière.
11:39 - Oui, pour Wittgenstein, Edwin Poole aussi, Van Aert, enfin il y a trois des meilleurs coureurs du monde pratiquement,
11:45 qui ont été blessés, qui sont arrêtés pour le moment, et tout ça, parce qu'apparemment,
11:51 un coureur est passé sur... il y avait une racine qui a poussé sous le goudron,
11:56 t'as fait un petit obstacle et un coureur est passé là-dessus, il a peut-être pas bien fait attention,
12:01 et quand son vélo, il est sauté par-dessus, quand sa roue avant est retombée, elle a glissé,
12:05 et c'est ce qui a provoqué la chute.
12:07 Peut-être qu'il faudrait légiférer, c'est pas facile, mais peut-être qu'il faudrait réviser un peu pour le matériel,
12:15 parce qu'on a profité, évidemment, tout le monde cherche à profiter du progrès,
12:20 on a profité de ce qu'apportait le carbone, c'est-à-dire la rigidité, le rendement,
12:25 donc les cadres maintenant ont un rendement bien meilleur que ceux que nous avions,
12:28 mais peut-être qu'ils tiennent moins bien la route aussi, justement parce qu'ils sont trop rigides,
12:32 donc où trouver le compromis entre la rigidité et la tenue de route, c'est un gros problème.
12:39 - Vous êtes tombé vous-même plusieurs fois ? - Oui, oui, oui.
12:41 - Et vous avez des souvenirs cuisants de chutes ?
12:44 - Oui, une fois, dans la descente du Col du Soulor,
12:49 je suis tombé, j'ai glissé sur... j'ai loupé un virage, j'ai glissé sur l'herbe,
12:54 j'ai viré trop large, j'ai tapé la tête contre un mur, donc je me suis assommé.
12:59 Et on m'a pris, on m'a relevé sur le vélo et on m'a relancé,
13:03 alors que j'étais complètement dans les vagues, je ne savais pas où j'étais,
13:07 je ne savais pas d'où j'étais parti, je ne savais pas où j'allais, c'est un mauvais moment.
13:11 - Parcours de vie, et c'est vrai que c'est étonnant de vous lire,
13:15 parce que quand j'étais enfant, l'écosse maternelle n'existait pas encore dans mon village,
13:18 donc j'avais donc 6 ans quand je suis allé à l'école la première fois,
13:22 ça nous paraît un autre monde évidemment. - Ça n'existait pas ?
13:26 - Bien sûr. - Les écoles maternelles dans les villes, oui, mais pas dans la campagne.
13:30 - Vous étiez dans quel village ? - À Saint-Juliet-de-Sivri, c'est un petit village de 550 habitants,
13:36 et il y avait 3 écoles, parce qu'il y avait beaucoup d'enfants,
13:41 mais il n'y avait pas de structure prévue pour les enfants de moins de 6 ans.
13:46 - Et ce petit village aujourd'hui, il existe toujours ? - Oui, oui.
13:48 - Il y a combien d'habitants ? - Toujours à peu près 500.
13:51 - Et vous y allez régulièrement ? - Oui, oui.
13:55 - La ferme dans laquelle vous avez grandi, elle existe toujours ? - Oui, oui.
13:58 - Et qui est dans cette ferme aujourd'hui ? - C'est une famille de Saint-Juliet-de-Sivri également.
14:06 Par contre, quand on va dans le village, il reste une boulangerie,
14:13 parce que la commune a fait les travaux nécessaires pour qu'il y ait une boulangerie,
14:18 mais avant il y avait 5 cafés, 2 épiceries, 2 boulangeries,
14:23 il y avait une boucherie, il y a même eu 2 boucheries pendant un moment,
14:25 il y avait 2 tailleurs pour un village de 500 habitants,
14:29 je ne sais pas comment ils gagnaient leur vie,
14:32 mais il y avait 2 tailleurs, j'en connaissais un,
14:35 il était tailleur et en même temps il avait des vaches,
14:38 donc il vendait son lait le matin et le soir.
14:41 - Tailleurs de vêtements ? - Tailleurs de vêtements, oui.
14:43 - Vous savez pourquoi il y avait des tailleurs de vêtements, M. Boubouk ?
14:46 - Pourquoi ? Parce que le prêt-à-porter n'existait pas,
14:49 c'est-à-dire qu'on fabriquait tout,
14:52 on fabriquait les chemises, on fabriquait les costumes, on fabriquait tout.
14:55 Le prêt-à-porter date de quand ? - Après-guerre.
14:59 - Mais avant, tu faisais un pantalon, tu le faisais !
15:06 - Ça veut dire que tu faisais un pantalon à couture ?
15:08 - Tu allais chez le tailleur, il prenait tes mesures et puis...
15:10 - Ah d'accord ! - Il prenait la mesure et il faisait...
15:14 - Ça y est ! - Le prêt-à-porter n'existait pas,
15:17 le polo que vous avez aujourd'hui, ça n'existait pas !
15:19 - Ah bah ça oui, j'en doute pas !
15:21 - Vous parlez de l'école, une récitation,
15:23 celle dont je me souviens avec le plus d'émotion est de Victor Hugo,
15:26 et c'est vrai qu'on l'a tous appris, il neigeait,
15:28 on était vaincus par la conquête,
15:30 pour la première fois l'aigle baissait la tête.
15:33 - Ouais, c'était...
15:37 On apprenait l'histoire de France,
15:38 on connaissait certainement l'histoire de France
15:40 mieux que les élèves de cet âge-là ne le connaissent maintenant,
15:44 parce que c'était dans l'ADN,
15:47 il fallait connaître l'histoire de la France,
15:49 il fallait connaître l'histoire de son pays,
15:52 on apprenait aussi l'histoire et la géographie de son département,
15:58 on était peut-être plus terre à terre que maintenant,
16:03 on était plus proche de la réalité que maintenant je pense.
16:05 - Et on regardait moins les écrans peut-être à l'époque !
16:08 - Il y en avait pas !
16:10 - Je pense que si vous n'aviez pas fait cycliste,
16:15 coureur cycliste,
16:16 vous auriez été, vous pensez, paysan ?
16:18 - J'avais pas envie du tout,
16:20 j'avais pas beaucoup d'eau de débouché,
16:22 moi j'aurais voulu être mécanicien,
16:24 mais mon père avait besoin de mes bras à la ferme,
16:27 donc la question se posait pas, c'était comme ça.
16:29 - Mes parents travaillaient 12h par jour,
16:31 voire plus en été, pour gagner une misère.
16:33 Chaque année un représentant du crédit agricole
16:35 venait contrôler qu'il y avait à la ferme assez de biens
16:37 pour rembourser les crédits qu'ils avaient dû
16:39 contracter pour effectuer
16:41 les achats matériels dont ils avaient absolument besoin.
16:43 Je sentais bien que mon père
16:45 et ma mère étaient très anxieux,
16:47 je ne tenais pas à me retrouver dans une situation
16:49 semblable.
16:51 - L'autre jour j'ai vu sur un réseau social
16:55 quelqu'un qui disait "ah, les paysans
16:57 ils manifestent,
16:59 pourtant on les voit avec un tracteur à 300 000 euros".
17:01 Mais le tracteur il appartient au crédit agricole
17:03 la plupart du temps.
17:05 - Les gens ils achètent pas,
17:07 ils ont pas l'argent pour acheter ça.
17:09 Les gens ils empruntent
17:11 et puis après ils essayent d'arriver à rembourser.
17:13 C'est ça,
17:15 le monde paysan pratiquement
17:17 dans sa fonction, ça a beaucoup changé
17:19 parce qu'il faut beaucoup plus de terres maintenant,
17:21 mais dans le fond c'est resté comme il y a 50 ans.
17:25 - Vos parents évidemment ont assisté
17:27 à votre...
17:29 ils en ont été très fiers j'imagine,
17:31 de votre succès, vous même étiez fier
17:33 pour eux,
17:35 et content pour eux.
17:37 - Oui, j'étais fier pour eux, oui.
17:39 Oui, ils étaient fiers,
17:41 oui, oui, certainement.
17:43 - C'est important, surtout après,
17:45 j'imagine que le traumatisme
17:47 de votre mère, de ce petit garçon
17:49 qui s'appelait Lucien,
17:51 il y avait peut-être quelque chose qui réparait
17:53 cette immense injustice.
17:55 Tant qu'on puisse réparer,
17:57 je suis pas sûr que ce soit le bon mot.
17:59 - Oui, mais je pense que le traumatisme d'une mère
18:01 d'un enfant, il peut
18:03 jamais disparaître.
18:05 - Lors de la victoire du Tour de France
18:07 75, le curé
18:09 de Saint-Julien, Pierre-Marie
18:11 Pallot, se trouvait être au nombre de mes plus
18:13 grands supporters. Le matin, lors de la messe,
18:15 il n'a pas hésité à recommander fermement
18:17 à ses oailles de prier
18:19 avec ferveur pour tout ce qui se passe,
18:21 pour que tout se passe
18:23 le mieux pour moi. "Priez mes frères,
18:25 pour que le bon Dieu envoie ses grâces à notre frère
18:27 Bernard, pour lui éviter chute
18:29 et crevaison. Quand la nouvelle de ma victoire
18:31 s'est répandue, il a fait sonner les claches de l'église
18:33 et pour fêter l'événement, elles ont
18:35 sonné durant deux heures. Je trouve
18:37 que c'est une autre France que vous racontez.
18:39 Je vous jure, je suis ému en lisant ça
18:41 parce que t'as l'impression d'être dans un film de Pagnol.
18:43 - Vous avez raison, tout à l'heure
18:49 quand vous disiez qu'il n'y avait pas
18:51 de changement pendant je ne sais combien d'années,
18:53 c'est vrai que ce petit village de
18:55 Saint-Julien-de-Sivry, il était resté
18:57 en campagne, à part peut-être
18:59 la venue de l'électricité
19:01 et puis de ce que ça pouvait apporter,
19:03 c'est-à-dire, la plupart des gens
19:05 avaient quand même un frigo,
19:07 ils avaient la radio, la majorité
19:09 avait la télé, mais pas tous dans les années
19:11 75. Donc,
19:13 c'était resté
19:15 proche de la...
19:17 les gens étaient proches de la terre, proches
19:19 de la réalité.
19:21 - Et un portrait chinois à la fin,
19:23 vous aimeriez bien avoir la voix
19:25 de Serge Lama qu'on a reçue ici
19:27 et on peut peut-être... c'est vrai que
19:29 je vous comprends parce que Lama
19:31 et on a fait une émission d'ailleurs formidable,
19:33 un film, vous citez "Au nom de la terre" réalisé par
19:35 Édouard Bergeon, tourné en 2019
19:37 avec Guillaume Canet,
19:39 un acteur de cinéma, Jean Gabin,
19:41 un livre, une encyclopédie
19:43 pour tout connaître, un journaliste Jacques Godet,
19:45 un homme politique le plus grand de tous,
19:47 le général de Gaulle, parce qu'évidemment,
19:49 le de Gaulle, vous l'avez
19:51 rencontré ?
19:53 - Non, je ne l'ai jamais rencontré
19:55 parce qu'il était venu
19:57 sur le Tour de France mais
19:59 j'étais pas encore en âge de disputer le Tour de France
20:01 à ce moment-là. - C'est la fameuse étape
20:03 lorsque le Tour passe
20:05 par Colombais et il est
20:07 dans la foule et il s'arrête et le peloton s'arrête,
20:09 le peloton s'arrête pour saluer
20:11 le général de Gaulle. Un col de montagne,
20:13 l'Izoard, une viande, une entrecôte
20:15 charolaise, un vin, un pouilli
20:17 fuissé,
20:19 un pays, la France. Et est-ce que
20:21 vos enfants ont été tentés de faire du
20:23 cyclisme ? - Non, j'ai eu
20:25 un fils mais il a essayé, mais il a trouvé que c'était
20:27 difficile et puis en plus... - Avoir
20:29 un père champion, c'est compliqué peut-être ?
20:31 - C'est compliqué parce qu'on veut toujours comparer le
20:33 fils par rapport au père et puis
20:35 il faisait les
20:37 mêmes courses que moi même si c'était
20:39 25 ans après.
20:41 Les gens disent "ah mais là-bas ton père il a fait ci,
20:43 ton père il a fait ça" alors au bout d'un moment...
20:45 - C'est la comparaison là-bas !
20:47 - C'est un plaisir de vous voir et de voir
20:49 cette simplicité qui appartient parfois à ce monde
20:51 du cyclisme et puis à votre génération
20:53 et on a le sentiment en vous écoutant
20:55 que vous êtes à la fois heureux
20:57 et satisfait de cette trajectoire.
20:59 - Oui, de toute façon
21:01 quand j'avais
21:03 15 ans
21:05 j'aurais jamais pensé
21:07 même en rêve, arriver
21:09 à ce niveau-là, arriver
21:11 à gagner le Tour de France un jour, j'espérais.
21:13 Enfin j'espérais, c'était
21:15 plus un rêve
21:17 qu'un but.
21:19 J'osais espérer qu'un jour je serais dans le peloton
21:23 du Tour de France mais
21:25 ça me paraissait tellement loin, tellement difficile.
21:27 - Et vous l'avez gagné en 75 et 77. Il est 12h47,
21:29 on marque une pause, Bernard Thévenet
21:31 était avec nous, on le remercie grandement
21:33 et on rappelle vraiment ce livre qui est
21:35 formidablement émouvant, "Parcours
21:37 de vie du monde paysan
21:39 aux heures du Tour de France", si vous aimez la France,
21:41 si vous aimez ce qu'elle a été, lisez ça !
21:43 - Vous écoutez Pascal Prodans,
21:45 à 13h sur Europe 1, dans un instant, le grand débrief
21:47 de Laurent Tessier, à tout de suite sur Europe 1.
21:49 Appelez Pascal Pro au 01 80 20 39 21.

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