Jean RAULT (1ère partie : L'Occident)

  • il y a 3 mois
Jean RAULT, artiste photographe, reçoit Evelyne ARTAUD, critique d'art, et présente sa démarche artistique.
Cette première partie porte sur l'oeuvre d'inspiration Occidentale.
La deuxième partie est relative à son inspiration Orientale.
Transcript
00:00 "Les écrans de la vie"
00:05 "Les écrans de la vie"
00:25 Peut-être que je peux commencer par le commencement de ce qui a été publié de manière sérieuse à Paris.
00:32 C'est-à-dire les jeunes femmes à la dérive justement.
00:36 Elles sont juste entre deux, puisqu'elles ont plus de 16 ans, donc elles ne sont plus soumises à l'obligation scolaire.
00:45 Mais elles n'ont pas encore 18 ans, donc elles sont mineures, parce qu'elles sont à la dérive sur le plan social, scolaire, familial, d'abord familial.
00:54 D'abord familial.
00:55 D'abord familial, ensuite scolaire, échecs scolaires, etc.
01:00 Elles fréquentent des petits loupards le samedi soir, violents.
01:06 Ça m'a vachement touchée.
01:08 Personnellement.
01:09 Personnellement, c'est-à-dire qu'une copine qui dirigeait un centre de réinsertion en alternance,
01:18 moitié entreprise, moitié école, m'a dit "Tiens, toi, tu es prof d'école d'art, tu vas les renarxiciser en leur donnant d'elles-mêmes une espèce d'image".
01:34 Alors j'aurais fait faire des tas d'exercices comme je faisais faire à mes étudiants, à l'école, au Beaux-Arts et à Rouen en fait.
01:45 Et puis, ces filles, je les voyais tous les lundis.
01:49 C'était donc la chambre de commerce de Rouen qui organisait ce cycle qui durait plusieurs années.
01:57 Et tous les lundis, il y avait une espèce de rituelle, je les faisais travailler sur des sujets d'art plastique.
02:04 Et après, on allait sur le parking et à tour de rôle, je faisais des portraits.
02:10 Et je leur disais, je leur parlais d'Auguste Sander, de Diane Arbus, qui étaient déjà mes deux grands maîtres en quelque sorte.
02:20 Et donc, elles se sont senties, je dirais, je ne sais pas, valorisées comme les traites en leur donnant des références qui étaient saines aussi bien du grand art,
02:35 mais aussi des pochettes de disques, puisque sur les pochettes de disques des années 70-80, les groupes de rock sont toujours dans le mur, dans une attitude comme ça de résistance frontale, etc.
02:54 Et donc, je leur faisais faire, en quelque sorte, de là, je les faisais poser.
03:03 Et comme ça, je les feuilletais comme un livre.
03:08 Que c'est d'ailleurs ?
03:10 C'est un livre.
03:12 Ce texte de la marche Vadel est excellent.
03:16 Et la marche est le seul qui défendait ce type de travail à l'époque, parce que, évidemment, ce travail-là n'était pas très bien vu.
03:28 Alors je vois, Jean Roux est infaillible.
03:33 Ça, c'est lui qui le dit.
03:35 Non, c'est-à-dire que la marche avait ce goût de la provocation et de la formule.
03:42 Et donc, quelquefois, l'art c'est d'exagérer, disait l'autre.
03:48 Alors il dit que je suis infaillible, mais il précise tout de suite, il a vu ce que nous refusons de saisir.
03:57 C'est-à-dire que c'est un courage un peu inconscient aussi de faire ce travail qui ne va intéresser que très peu de gens.
04:08 Elles sont magnifiques.
04:11 Voilà.
04:14 Elles ont donc entre 16 et 18 ans.
04:19 Et il y en a 12.
04:22 C'est toi qui tires les photos ?
04:24 Oui.
04:25 Tout est tiré, présenté, ph neutre.
04:31 Oui, tu ne les fais pas tirer.
04:34 Non, non, non.
04:36 Sauf maintenant où je n'ai plus de labo.
04:38 Mais sinon, j'ai toujours tiré moi-même.
04:41 Et comme disait Lamarche-Vadel, ces idoles anonymes de la religion des grands ensembles.
04:48 Et on termine par la soquette blanche, le punctum de Barthes.
04:55 C'était l'époque où sortait le livre de Barthes.
04:59 Le livre de Barthes.
05:00 Qui a fait, voilà.
05:02 C'est un détail.
05:03 Ce détail.
05:09 Et donc ça a été strictement numéroquois.
05:12 Il y a 15 exemplaires.
05:14 15 exemplaires.
05:15 15 exemplaires.
05:16 Et c'est encore commerce.
05:18 J'ai fabriqué donc à la main.
05:22 C'est toi qui a cousu.
05:24 Cousu et réalisé entièrement en copie laser.
05:28 Donc c'est une encre qui est cuite.
05:33 Ce qui veut dire qu'elle est très solide dans le temps.
05:39 Voilà.
05:40 Faire les scans d'abord.
05:43 On trie.
05:44 On trie la sélection.
05:46 L'auteur c'est celui qui hôte.
05:49 Et donc jeter.
05:51 Jeter tout ce qui ne doit pas rester.
05:58 C'est très bien.
06:01 Voilà.
06:02 C'est des doubles pages.
06:04 Ici il y a la japonaise.
06:06 C'est pour éviter que la transparence nous gêne la lecture.
06:10 Oui.
06:11 Il y en a 271.
06:17 Il y a un travail sur la durée.
06:21 C'est 4 ans de ma vie.
06:23 4 ans de relations avec ces jeunes qui m'ont fait confiance.
06:28 Et des mecs se sont dit tiens il y a des filles.
06:32 Et donc les mecs se sont approchés.
06:35 Et puis je les ai mis dans la boucle.
06:39 Et puis ce qui est intéressant c'est que des couples se sont constitués.
06:44 Et donc c'est tiré à 7 exemplaires.
06:49 7 exemplaires seulement.
06:51 Puisque c'est fait main.
06:54 Et ça devient donc un livre d'artistes qui prend le relais du portfolio.
06:59 Il y a une réponse à une petite annonce.
07:02 Toujours une attention à l'autre.
07:05 L'autre quelquefois marginale.
07:12 Quelquefois rejetée.
07:15 Souvent rejetée, marginale.
07:18 Pas prise en compte par la société.
07:24 Donc par exemple des championnes.
07:28 Des championnes qui ont défendu la France à Pékin.
07:36 L'équipe de France de lutte.
07:38 Ce n'est pas les critères selon lesquels on juge les filles d'habitude.
07:47 Alors elles sont d'une certaine manière glorifiées.
07:51 Mais en même temps rejetées.
07:54 Et donc ça m'intéresse énormément.
07:58 Puisque c'est la culture, dans ce cas la culture physique,
08:02 qui transforme les corps.
08:05 De la même manière, mais souvent.
08:09 C'est pas très bien rangé.
08:13 C'est une vraie pratique presque spirituelle.
08:18 C'est complètement lié à la spiritualité.
08:21 Bien sûr.
08:23 Voilà.
08:25 Et en fait, globalement, ils ne sont pas gras, comme on pourrait croire.
08:31 Suivez un peu.
08:33 Globalement, ils n'ont qu'une couche superficielle de graisse.
08:38 Ils mangent beaucoup de protéines.
08:41 Du poulet par exemple.
08:43 Et des légumes.
08:45 Et donc c'est une pratique qui n'a pas grand chose à voir avec le sport.
08:51 Qui a beaucoup plus à voir avec la symbolique de la mort.
08:54 Puisque toucher le sol, c'est mourir, symboliquement.
08:58 Et c'est à la fois le duel.
09:01 Qui est placé sous les auspices d'un temple shinto.
09:05 Qui se trouve au-dessus de l'air de combat.
09:10 Celui-là, il est débutant.
09:13 C'est un débutant.
09:16 Celui que nous pourrions prendre d'un point de vue occidental,
09:20 pour l'arbitre, si c'était du sport,
09:23 c'est en fait un maître de cérémonie.
09:30 Quand j'ai photographié des militaires à la base aérienne d'Evreux,
09:37 là aussi on pourrait dire que la culture transforme les corps.
09:43 Parce que, un pilote par exemple, dans son avion,
09:49 c'est un pilote dans son avion,
09:52 on voit bien que c'est quelqu'un qui prend des décisions,
09:56 qui engage sa vie et puis celle des autres.
10:01 On en a même Top Gun.
10:05 Il y a un petit côté Top Gun, je pense que ça...
10:09 Il y a eu des porosités.
10:12 Même une jeune femme devient comme ça,
10:18 quand elle accède à certains grades,
10:22 un capitaine ou un commandant.
10:26 La fonction transforme le corps.
10:29 La fonction, la culture de l'institution.
10:34 Évidemment, une, dans son titre même,
10:43 contenit "lu", puisque c'est les mêmes lettres.
10:47 C'est-à-dire que l'anagramme du titre
10:52 est contenu dans le premier travail,
10:55 puisque les unes, pour photographier toutes ces jeunes femmes,
11:02 Elles avaient à livrer quelque chose.
11:05 Elles avaient à livrer quelque chose,
11:07 et c'est bien là que je prends conscience
11:09 que c'est le dispositif qui est nu.
11:12 C'est-à-dire que le dispositif est d'une sobriété maximale,
11:16 un modèle, un photographe, un échange de regard,
11:21 et un boîtier photographique.
11:23 Alors après, j'ai été amené à perfectionner
11:26 avec un peu d'éclairage quand il n'y en avait pas assez,
11:29 avec quelques petits aménagements.
11:33 Mais le dispositif théâtral a toujours été d'une sobriété maximale.
11:40 La seule et unique condition que je fixais,
11:45 c'était plus de 18 ans.
11:47 Et alors, c'était indiqué, photographe professionnel,
11:50 cherche modèle amateur, pour poser nu.
11:57 C'était dans la rubrique offre d'emploi,
12:01 puisqu'il s'agissait bien d'un travail,
12:04 et ce n'était pas dans la rubrique rencontre.
12:07 Et il était indiqué que toutes les mensurations
12:12 et toutes les qualités physiques étaient les bienvenues.
12:17 Donc il y a eu toutes sortes de morphologies.
12:20 Et surtout, la seule et unique condition,
12:25 c'était d'avoir plus de 18 ans.
12:28 Et à partir de là, j'ai donc proposé une rémunération,
12:35 soit sous forme d'argent, avec un tarif horaire
12:39 sur lequel on se mettait d'accord,
12:41 ou bien de l'argent, soit de l'argent, soit de l'argentique,
12:46 puisque c'était des tirages, qui étaient la monnaie d'échange.
12:50 Avec certaines, il y a eu un contact extrêmement fort,
12:54 et une espèce de volonté naturelle, avec Mme L, presque 20 ans.
13:00 Presque 20 ans.
13:02 Et on s'est arrêté quand elle a commencé à être un peu malade,
13:09 et qu'elle disait "j'ai envie de quitter ce monde,
13:13 ce monde, il ne plaît plus comme il est, je me casse de partout".
13:17 Donc on a arrêté Mme L, avec qui j'ai travaillé pendant presque 20 ans.
13:21 Ça c'est les 4 premières années de notre collaboration.
13:23 C'est ce qui a été montré.
13:25 Et vous avez eu une exposition au Beaux-Arts.
13:27 À l'École des Beaux-Arts de Paris.
13:29 Où tu étais prof.
13:30 Prof. invité.
13:31 Pendant 4 ans, j'ai photographié le potager du roi.
13:41 Donc, ça donne des photographies,
13:46 dans lesquelles tous ceux qui connaissent mon travail de portrait
13:51 ne sont pas très dépaysés,
13:54 puisque, évidemment, il y a un tronc commun, c'est le cas de le dire.
13:58 Il y a un tronc commun, et il y a un intérêt pour la figure et le décor.
14:08 C'est-à-dire que, très clairement, on a une figure dans un décor, pour aller vite.
14:17 Ce travail, évidemment, il est complètement lié
14:21 au cube perspective de la Renaissance italienne,
14:27 parce que ça me permettait de faire le lien, dans mon propre travail,
14:34 entre le corps dans un décor,
14:38 à la manière des portraits, princiers, royaumes, et bourgeois, ensuite.
14:44 Et ça me permettait également d'évacuer le corps,
14:48 tout en gardant le décor.
14:50 C'est comme quand, en musique, l'ornement devient le motif.
14:56 J'ai d'ailleurs appelé ce travail "Sans vue du potéger du roi",
15:02 parce que mon désir de Japon était déjà extrêmement fort.
15:07 C'est-à-dire que j'avais un désir de Japon depuis l'adolescence,
15:10 depuis même le début de l'adolescence,
15:13 et je lisais beaucoup de textes, de littérature japonaise,
15:18 je m'intéressais beaucoup au cinéma japonais,
15:21 je m'intéressais beaucoup à toute l'espiritualité
15:25 de déjà, de toute façon.
15:27 Et j'ai appelé ce livre "Sans vue du potéger du roi",
15:31 en demandant en plus à Markkala Wäcklin,
15:34 qui est à la fois rabbin, kabbaliste et philosophe,
15:37 disciple de Lévinas et en même temps kabbaliste,
15:42 d'écrire un texte qu'il a écrit.
15:45 Il a écrit un texte de 18 pages,
15:47 comme un grand poème magnifique, en hommage à Paul Sélin.
15:52 Et la culture hébraïque m'est apparue comme une espèce d'entre-deux,
15:58 entre l'Occident et l'Extrême-Orient.
16:07 Et voilà quelques beaux tirages...
16:10 Avec la perspective.
16:12 Avec la perspective, c'est-à-dire qu'on est à la fois dans...
16:16 C'est un espace classique.
16:18 J'ai inventé de l'espace classique,
16:22 dans le format carré,
16:24 qui rappelle le cube perspective de la Renaissance,
16:27 parce que je ne travaille dans le format carré
16:29 que depuis les années 90.
16:34 Au Mozart, j'étais en section peinture.
16:38 La photographie n'existait pas, à vrai dire.
16:41 La photographie, elle existait à peine.
16:44 Il y avait bien déjà des grands photographes.
16:49 Ça, par exemple, c'est le chemin qu'empruntait Louis XIV
16:53 pour aller à l'église Saint-Louis.
16:56 C'est-à-dire qu'il venait du château le dimanche matin,
16:59 jour du Seigneur, jour du Seigneur et jour du soleil.
17:03 Et il goûtait les fruits que la nature,
17:09 très cultivée, avait mis sur son chemin.
17:14 Et donc, ce qui est intéressant, c'est qu'il y a une ligne de fruits
17:19 qui est exactement à la hauteur de la main du roi
17:23 quand il est debout,
17:24 pour qu'il n'ait pas à courber les chines
17:27 si tel est son bon plaisir de cueillir un fruit.
17:31 Quand je donnais ce titre "Sans vue du potager du roi,
17:36 je manifestais mon désir de Japon"
17:39 en faisant un clin d'œil à Hokusai, bien sûr,
17:43 "Sans vue du mont Fuji".
17:46 Et je faisais aussi un clin d'œil à Dazai Osamu,
17:51 qui est un écrivain que j'adore, un écrivain japonais,
17:55 qui a donné "Sans vue du mont Fuji"
18:00 comme titre à une de ses nouvelles
18:04 qui donne le titre à un recueil.
18:06 C'est-à-dire que c'est une sorte de cascade d'hommages,
18:11 Dazai rendant hommage à Hokusai
18:15 et à qui je rends hommage moi-même
18:18 en me mettant au travail dans les jardins japonais.
18:21 Merci.
18:22 [SILENCE]