Vivre à la campagne _ rêve ou cauchemar

  • il y a 3 mois
De plus en plus de citadins s’installent à la campagne. Un engouement qui touche aussi de nombreux artistes, certains revenant dans le village qui les a vus grandir. Là tout n’est-il que calme, nature et espace à profusion ? Est-on vraiment plus heureux à la campagne ?

Une fois leurs études achevées, Albert Münzberg et Pablo Himmelspach sont revenus dans leur village de Poméranie occidentale. Une localité que les jeunes tentent plutôt de fuir dès qu’ils le peuvent. Les deux rappeurs de 26 ans réunis au sein du duo Hinterlandgang ne l’entendent pas ainsi. Le tandem investit des arrêts de bus délaissés pour faire du hip-hop, oscillant entre la désolation et les espoirs que leur inspire ce coin perdu de l’ex-RDA. Qu’est-ce qui les retient sur ces terres ?

L’écrivaine slovène Nataša Kramberger avait à peine plus de 30 ans quand elle est retournée dans son village natal pour y reprendre la ferme de sa mère. Les préjugés des agriculteurs établis depuis des générations, le rude travail physique auquel elle n’était pas habituée, les effets inattendus du changement climatique constituent désormais son quotidien. Et sont autant de sujets qui alimentent ses livres. Elle a pourtant conservé un pied-à-terre à Berlin. Un paradoxe ?

Le photographe Daniel Etter fait lui aussi la navette entre deux mondes. Une petite finca en Catalogne lui a permis de réaliser son rêve de campagne. C’est là que le lauréat du prix Pulitzer se ressource après avoir arpenté les régions en guerre ou en crise du vaste monde. Mais les vagues de sécheresse à répétition l’inquiètent.

L’Engadine est au cœur des travaux de Flurina Badel et Jérémie Sarbach, un couple d’artistes suisses installé dans un village idyllique – lequel a bien changé, dominé désormais par les résidences secondaires et autres hébergements de luxe inoccupés la plus grande partie de l’année. Flurina Badel décrit dans son premier roman les funestes conséquences de cette évolution pour les habitants du cru.
Transcript
00:00J'ai toujours rêvé de vivre à la campagne, j'avais en tête cette idée classique et romantique du
00:11citadin qui se retire à la campagne et cultive son jardin. La vie au village, c'est comment en
00:17réalité ? A la campagne, beaucoup de choses ne sont pas faciles, il y en a qui peuvent parfois
00:25faire penser à un cauchemar. De plus en plus de gens sont attirés par les villages, y compris
00:30des artistes. Que cherche-t-il ? Qu'est-ce qui est différent ici ? En tout cas au village on tombe
00:39sur toutes sortes de gens très différents, impossible de se réfugier dans sa bulle.
00:43Entre la nostalgie et la réalité, qu'est-ce qui pousse des gens jeunes à rester à la campagne ?
00:50Ça a du sens pour moi d'être là, j'ai l'impression qu'on a bien plus besoin de gens comme moi ici
00:58qu'ailleurs. On n'a pas besoin de moi à Berlin par exemple. Vivre à la campagne, rêve ou cauchemar ?
01:10Dans le nord de la Slovénie, près de la frontière autrichienne, ce matin là,
01:16une surprise très spéciale attend notre paysanne. Oui, bien joué ! Berta,
01:27regarde comme elle est belle ! Elle vient juste de naître. On s'en est aperçu il y a dix minutes,
01:40Berta n'était pas comme d'habitude. Et on ne savait absolument pas qu'elle attendait un petit.
01:52Natasha Kramberger, écrivaine, journaliste et paysanne. Après plusieurs dizaines d'années
02:01passées dans une grande ville, Natasha a décidé à 30 ans de vivre à la campagne.
02:05Je me suis trouvée moi même ici, en quelque sorte. Je suis là en tant que paysanne mais
02:17aussi un peu en tant que conteuse, car c'est important que nous racontions ces histoires.
02:24Il se passe beaucoup de belles choses par ici, des choses qu'on ne peut plus voir dans les villes,
02:35ou dont on ne se souvient même plus. Il y a neuf ans, elle est retournée dans son village
02:44natal, Jourovski-Dol, pour développer la ferme de sa mère qui était très peu exploitée. En fait,
02:50je l'ai reprise sur le coup d'une intuition, c'est-à-dire sans trop réfléchir. Et c'était
02:56très bien comme ça. Je ne savais pas non plus ce que ça allait impliquer. Avant, c'est-à-dire au
03:03tout début, la première ou la deuxième année, je me demandais pourquoi, mais pourquoi j'ai fait
03:09ça ? Après ses études, elle s'est installée à Berlin où elle a encore son appartement.
03:18Elle a longtemps pensé que la vie à la campagne n'était pas faite pour elle.
03:21A 17 ans, quand je suis partie, j'étais persuadée que je n'y retournerai jamais.
03:30Aujourd'hui encore, dès les premières secondes où je mets les pieds à Berlin,
03:36je redeviens une citadine. Et je profite de tout ce qu'une ville comme Berlin peut offrir.
03:44La vitalité de la ville est tellement différente de celle de la campagne.
03:50Mais elle est plus attachée à la vie à la campagne qu'elle ne le supposait. Dès sa
03:58petite enfance, c'est à la ferme des grands-parents qu'elle se sent le mieux. Elle y passe des
04:03journées entières pendant que sa mère travaille. Elle est enseignante.
04:06Dès l'instant où j'ai vu le bâtiment du jardin d'enfants, je suis tombée malade. Et ça s'est
04:15produit une fois, deux fois, trois fois. À la fin, ma mère, mes parents ont dit ok, tu n'iras pas
04:22au jardin d'enfants, tu restes chez papi et mamie. Et ça s'est fait comme ça. Et donc jusqu'à l'âge
04:30de six ans, j'étais toujours chez mes grands-parents. J'étais toujours dehors, en contact avec la terre,
04:37avec d'autres créatures, avec des animaux. Aujourd'hui, Natacha exploite quatre hectares
04:45de terre répartie en vignobles, champs et forêts. Avec son compagnon et en harmonie avec la nature,
04:51elle écrit aussi sur les défis qu'elle doit relever. Les premières années sont tout simplement
04:57difficiles et nous devrions le dire beaucoup plus souvent haut et fort. Cette transition vers
05:03l'agroécologie n'est pas facile. Cela demande beaucoup de temps et de patience. Elle a commencé
05:12par perdre ses arbres fruitiers, puis son orge a jauni, ses vignes ont gelé, sans compter les
05:17courbatures. Elle le raconte dans ses livres drôles et poétiques, et elle n'oublie pas les
05:22voisins qui l'observent d'un air critique. Tous les jours, quelqu'un m'interpelait depuis la
05:29petite route qui longe la ferme, lentement, presque en marche arrière, puis s'arrête, au champ, au verger
05:35ou à l'étable, ou en baissant la vitre côté passager pour crier de derrière le volant. Allez,
05:40au boulot, au boulot ! Tu te crois en vacances ? Elle se heurte au scepticisme des paysans établis
05:47depuis plus longtemps. Dans le coin, les modèles de vie sont clairement définis. Il y a une maison
05:54et une famille, et c'est la vie, tu vas quelque part travailler à quelque chose, et c'est tout.
06:00On décide pour soi-même, les voisins n'ont pas leur mot à dire. D'autres possibilités existent,
06:08on peut tout simplement vivre libre. Et que signifie libre ? Que peut-être à 40 ans,
06:17après tout, on n'est pas obligé d'avoir des enfants. Et les infrastructures ne sont pas
06:23au rendez-vous. Pas de bus, pas de train, pas de bibliothèque. Ce n'est pas un rêve,
06:29j'en suis persuadée. Pour quoi que ce soit, tu dois aller quelque part, et c'est toujours
06:35compliqué. D'autant plus important sont les rapports avec les voisins, malgré toutes les
06:40différences. Peut-être qu'avant c'était plus facile, c'était plus normal de s'entraider
06:46comme ça dans un village. Aujourd'hui ce n'est plus pareil. L'individualisme domine ici aussi,
06:54et c'est pour ça qu'il faut s'engager consciemment pour une communauté comme celle-là. Il faut le
07:00vouloir. Nous ne pouvons vraiment nous parler que si nous sommes prêts à apprendre quelque chose
07:07les uns des autres. Là nous sommes au même niveau. Les gens des villes devraient apprendre
07:13à mieux écouter, quand la sécheresse tue les arbres ou que l'inondation du siècle détruit
07:18les récoltes. Elle est paysanne, elle a beaucoup appris, et en tant qu'écrivaine, elle veut
07:24offrir sa contribution à la campagne. Je sais que je sais raconter, et c'est ce que je fais.
07:31Justement avec le changement climatique, il se passe énormément de choses, des choses horribles,
07:38et si nous ne regardons que les statistiques, ça devient difficile, vraiment difficile,
07:44de garder courage. C'est pour cela qu'elle écrit ses histoires, qui parlent de la nature,
07:49du village, de tout ce qui constitue pour elle la vie à la campagne. J'ai l'impression de faire
07:56partie, en quelque sorte, d'une plus grande communauté, et cela m'apporte une nouvelle
08:03sécurité. J'y ai ma place. Des études montrent que les gens qui vivent dans des villages sont
08:17plus heureux que ceux qui vivent dans les villes. Mais chaque village est différent. Mille kilomètres
08:23plus au nord, en Pomeranie occidentale, quels sont les défis ? C'est parfois très calme ici,
08:31et parfois c'est un véritable paradis. Mais il y a aussi des sujets qui m'accablent et qui nous
08:36accablent totalement.
08:47Nous avions l'habitude de descendre là avec nos skateboards. On s'allongeait dessus,
08:57on prenait de l'élan, puis on dévalait. Albert Munzberg et Pablo Himmelsbach vivent dans un
09:05village, dans une région d'où les jeunes partent en masse pour la ville. Ensemble,
09:12ils forment le duo de rap Hinterland Gang. À la fin de leurs études, les deux rappeurs ont pris
09:19la décision consciente de retourner dans leur pays d'origine, une province de l'ancienne
09:24Allemagne de l'Est, malgré tous les préjugés. Je me rends bien compte qu'il s'agit, de la part
09:31des gens de certaines régions, d'un regard très stéréotypé sur l'Est. Pour eux, ce sont des
09:38chômeurs, des extrémistes de droite, des frustrés et autres. Les gens n'ont qu'à regarder la région
09:45d'où nous venons. Ils peuvent nous regarder. Ils verront que dans l'arrière-pays de l'Est de
09:48l'Allemagne, il y a beaucoup, vraiment beaucoup de jeunes gens cools qui sont tout à fait prêts
09:52à construire quelque chose. C'est exactement ce qu'ils essayent de faire avec leur chanson,
09:58Contrer les clichés. Elle raconte comment on grandit dans les provinces de l'Est de l'Allemagne,
10:03entre absence de perspective et espoir.
10:06Nous sommes les seuls à écrire des textes où beaucoup de jeunes du coin se reconnaissent.
10:21Ce sont des chansons qui nous ont donné une identité et la compréhension du genre de région
10:28dans laquelle nous grandissons. On comprend pourquoi toute cette morosité qui nous entoure
10:32est quelque chose de particulier et aussi de très cool.
10:35Ils ont 26 ans et ont grandi dans un petit village de Poméranie.
10:40Une photo de ton petit frère en patron de ferme. C'est vraiment génial.
10:50Quoi qu'il en soit, je crois que grandir à la campagne peut donner une grande liberté à un
10:56enfant pour faire de multiples expériences en une seule journée et pour développer son
11:01imagination. Nous avons donc beaucoup vagabondé, nous avons découvert des choses, de nouveaux
11:09endroits, de petites choses. Nous avons inventé des histoires à leur sujet.
11:15On a aussi fait de la musique ensemble très tôt, c'est une grande chance.
11:18Je pense que c'était en CP et en CE1, c'est à ce moment là que nous avons enregistré notre toute première chanson, Tante Erna.
11:23Ils n'édulcorent rien. Une de leurs chansons évoque un drame provincial typique,
11:36la jeunesse sur une route de campagne.
11:38Plus tard, il est quand même arrivé à un moment que ça devienne faire n'importe quoi par ennui,
11:59même pour moi. C'était en partie destructeur. On se faisait du mal à soi-même d'une certaine
12:08manière, avec plus tard aussi les drogues et l'alcool. À 18 ans, ils publient leurs premières
12:19chansons sur YouTube. Grandir dans un village comme thème de hip hop, c'est plutôt inhabituel.
12:25Avant ça, on écoutait du rap. Je pense que tous les deux ont regardé ça comme ça sur
12:30internet. La ville, la grande ville, on la voyait, mais on n'avait pas vraiment de rapport. On trouvait
12:35ça cool, mais on n'avait aucun rapport avec ça. Et puis, tout d'un coup, on a compris pour la
12:40première fois que ces thèmes qui nous concernent vraiment ici et qui concernent surtout beaucoup,
12:44beaucoup de jeunes, on pouvait les traiter aussi bien. Et il touche une corde sensible,
12:49pas seulement chez les fans du village, mais aussi en ville. Ici, lors du premier concert
12:54de la tournée à Berlin.
13:05Hinterland Gang rappe sur le passé est allemand des parents et prend position contre la FD. Dans
13:16leur village, ils doivent faire face à des gens d'extrême droite.
13:18Bien sûr, au village, on rencontre toutes sortes de personnes différentes. On ne peut pas se réfugier
13:33dans une bulle. Cela signifie que tu es confronté à des gens que tu aimes beaucoup, mais qui peuvent
13:38avoir une pensée de droite, qui votent pour la FD. C'est aussi lié à l'évolution de la situation
13:45économique ici. Beaucoup de gens se sentent pour le moins abandonnés, perdus. C'est une chose que je
13:57ressentais parfaitement, surtout dans ma jeunesse. On se retrouve parfois avec un sentiment dont on
14:05ne sait pas quoi faire, un sentiment de frustration, de colère et le besoin de se défouler dans
14:09quelque chose. Pour nous, ça a été la musique et c'est une grande chance. Le gang de l'arrière
14:16pays, un amour compliqué pour leur village natal. Qu'est-ce qui les y retient ? Nous y reviendrons
14:22plus tard. Une petite finca à la périphérie d'un village de Catalogne. C'est ici que le
14:36photographe de guerre Daniel Heter s'est installé une retraite. Je travaille toujours beaucoup dans
14:43des régions en crise. C'est épuisant sur le plan psychologique et physique. Puis ça fait juste du
14:49bien de revenir dans un endroit où on n'a plus tout ça, où surtout on ne croise pratiquement
14:54personne. Et ici, je retrouve le calme. Ici, Daniel Heter veut refaire le plein d'énergie, digérer ce
15:05qu'il a vécu et vu au cours de ses reportages. Zahra Zarouari, une petite réfugiée de 4 ans sur
15:14la plage de Lesbos. Un combattant yéménite. Azrat Ali, réfugié d'Afghanistan. Je voulais
15:26devenir correspondant de guerre parce que je voulais travailler sur les guerres, parce que
15:30j'étais animé par cet idéal romantique d'aller sur place, de prendre des photos, de les montrer,
15:35de communiquer sur ce sujet et grâce à ça de susciter des changements positifs. Daniel Heter
15:42voyage pour le compte des médias internationaux dans les zones de guerre et de crise du monde
15:46entier. À l'été 2015, il se rend à Kos pour le New York Times et prend ce cliché d'une famille
15:56de réfugiés irakiens pour lequel il reçoit le prix Pulitzer. La même année, il achète une
16:04ferme en ruine en Catalogne, puis la rénove, en fait le centre de sa vie et quitte Berlin.
16:12J'ai grandi dans une ville moyenne. Heureusement, nous avions un jardin et ça m'a toujours fasciné.
16:18Cette idée d'une liberté, d'un épanouissement dont on jouit à la campagne, j'ai toujours trouvé
16:27que c'était une belle idée. Un bel idéal pour moi. Dans le silence de Saint-Agnol de Finestre,
16:38il veut réaliser son rêve de vie à la campagne. Il commence à cultiver ses propres terres. Mais au
16:44début, ses tentatives échouent. Des plants sont ravagés par les sangliers et mangés par
16:49les chevreuils. Une leçon d'humilité. Nous avons, je pense, oublié à quel point nous sommes soumis
16:56aux forces de la nature. En tant que citadins, on va au supermarché pour acheter ses légumes,
17:01on ouvre le robinet pour avoir de l'eau et nous ne comprenons ni les systèmes ou les processus
17:06qui se déroulent en amont, ni à quel point ils dépendent tous de la nature, du climat surtout.
17:11Il commence à faire des recherches pour un livre sur l'agriculture durable. Il visite de petites
17:20et de grandes fermes dans toute l'Europe, rencontre d'autres novices et des paysans établis de longue
17:25date, des pionniers et des visionnaires. Il s'en inspire pour développer l'agriculture d'un monde
17:31qui se réchauffe. Pendant l'été 2022, Daniel Etter constate le changement climatique de façon
17:37très concrète. Son jardin se dessèche, les tomates cuisent à même le plant et dans la
17:42vallée, la rivière s'est asséchée et ne s'en est pas remise depuis. Je crois que pour beaucoup de
17:48gens, la crise climatique est encore quelque chose d'abstrait. D'accord, il fait un peu plus chaud
17:52en été, c'est un petit peu désagréable et puis ça passe et c'est tout. Le coeur de notre
17:57agriculture, le fonctionnement de nos systèmes de production alimentaire repose sur une stabilité
18:02de la météo. Le problème du changement climatique, c'est qu'on ne peut plus du tout prévoir quand la
18:07saison des pluies va arriver, quand il va faire froid, quand il va faire chaud, quand ce sera la
18:11sécheresse, etc. Il y a à peine deux mois, la Catalogne a dû déclarer l'état d'urgence en
18:19matière d'approvisionnement en eau. Les barrages ne sont remplis qu'à 16% de leur capacité. C'est
18:25la pire sécheresse depuis le début des relevés, il y a un siècle. Daniel Etter plante ses oliviers
18:33en suivant les courbes de niveau afin de récupérer la moindre goutte d'eau de pluie. Il a appris à
18:40observer la terre pour voir ce qu'elle peut donner. Je ne regarde pas le temps qu'il fait
18:48de la même façon qu'il y a cinq ou six ans, car la pluie est essentielle ici. Chaque jour sans
18:54pluie me rend nerveux et chaque jour où il pleut me rend très joyeux. Daniel Etter vit dans ce village
19:05depuis maintenant six ans. Dès le début, il a été bien accueilli par les voisins. Ici, c'est un
19:15petit village, tout le monde me connaît, même si je ne connais pas tout le monde. Quand nous avons
19:20emménagé ici, le voisin est venu nous voir. C'était en octobre, il faisait déjà assez froid.
19:25La bâtisse était très mal isolée et il n'y avait aucun chauffage. Le voisin est arrivé avec une
19:31brouette pleine de bois pour que nous puissions au moins chauffer un peu une des pièces pour la
19:35nuit. Ici, culturellement parlant, il ne se passe presque rien. Quand de nouveaux films sortent ou
19:41quelque chose comme ça, je peux difficilement les voir. Je ne sors pas manger dehors et cette
19:47diversité gastronomique me manque évidemment. Quand je suis seul, sans les amis, sans la famille,
19:55je suis quand même bien isolé. Même si Daniel Etter ressent certains manques, c'est surtout
20:05la rareté des jours de pluie qui lui pose un problème. Mais c'est lui qui a choisi de vivre
20:10à la campagne. Oui, je passerais à côté de beaucoup de choses si je ne vivais pas à la campagne.
20:24La chance de récolter devant ma porte et des choses comme ça,
20:31ce sont bien sûr des privilèges dont on ne peut jouir qu'ici.
20:41Vivre en autarcie, aménager, faire pousser des choses, c'est aussi ce qui a conduit un jeune
20:48couple d'artistes en Angadine. Ils veulent faire revivre un village. Il faut dire que c'est un
20:55véritable miracle que nous ayons pu acheter cette maison. Nous sommes cinq, deux familles,
21:01des artistes et des travailleurs culturels et ce sera le centre de notre vie et aussi de notre travail.
21:11Une ancienne colonie de vacances à Ftan, en basse Angadine. La nouvelle
21:17maison de ce couple d'artistes, Florina Badel et Jérémy Sarbar.
21:25Ils s'étonnent tous les deux des prix effarants de l'immobilier dans la vallée.
21:28D'autres gens ont fait des offres, parfois ils ont proposé presque le double. Si la maison était
21:35allée au plus offrant, ce ne serait pas une prime aux résidences principales avec une surface
21:39habitable abordable aujourd'hui. Il y a encore des avalanches. Ce serait sans doute devenu grand
21:47luxe. On aurait pu transformer la maison en trois appartements de vacances. De grands et
21:55beaux appartements. De très grands appartements de vacances, très chers, avec une vue panoramique.
22:00Certains spéculateurs ont essayé. Les artistes ont toujours été attirés par l'Angadine.
22:10Aujourd'hui, certains disent même que c'est un lieu central dans les Alpes pour l'art
22:14contemporain. Et ils rendent la scène artistique chic et les galeries d'art responsables de la
22:20désertification des villages. Je ne dirais pas que c'est la faute de ces quelques nouvelles galeries
22:27si l'immobilier flambe. C'est plutôt dû au fait que beaucoup d'amoureux de la montagne ont l'argent
22:35nécessaire et achètent toutes les maisons ici. Et les municipalités ne régulent pas cela. Maintenant
22:46le problème, vraiment, c'est que nous avons plus de 70% d'appartements et de maisons de vacances.
22:50Et les villages deviennent lentement, au moins pendant la basse saison, des villages morts.
22:58Je ne pensais pas revenir, vraiment. Je voulais partir déjà quand j'étais enfant. Et aujourd'hui
23:07encore ça me plaît de partir. Je pense que ça a du sens pour moi d'être là parce que j'ai l'impression
23:14qu'on a bien plus besoin de gens comme moi ici qu'ailleurs. J'ai pas l'impression qu'on ait
23:20besoin de moi à Berlin. Voilà.
23:30La nature est sur le pas de leurs portes et ils s'y intéressent aussi d'un point de vue artistique.
23:35Que ressent-on en tant que poisson, par exemple, lorsque la nature est en déséquilibre ? C'est le
23:42sujet de cette oeuvre vidéo commune car le changement climatique ne s'arrête pas à Langadine.
23:49Les artistes relâchent l'air.
23:59Nous, nous sommes revenus au pays. C'est autre chose. Nous avons déjà le groove du village en nous.
24:05En tout cas, j'ai toujours pu m'entendre avec tout le monde, des gens très différents.
24:10Et c'est aussi pour ça que je suis revenue. Je ne veux pas vivre dans une bulle où tout le monde
24:15pense de la même manière. Je veux avoir des échanges tous les jours, même avec des personnes
24:20dont les idées et les valeurs me sont tout à fait étrangères.
24:27Ici, la tempête a fait tomber des arbres un peu partout. Pour moi, c'est plus agréable d'être
24:33intégré dans une communauté qu'une ville où tout le monde est anonyme et où l'on voit des gens
24:37nouveaux tous les soirs.
24:38J'ai ressenti cela encore plus fortement en Amérique. J'avais l'impression que c'était complètement
24:48superficiel. Tout le monde pense, de toute façon je ne te verrai qu'une fois dans ma vie et demain
24:53ce sera quelqu'un d'autre. Je n'aimais pas ce manque d'engagement. Je ne cherchais pas l'anonymat.
24:59Je ne voyais pas ce que ça peut apporter d'être anonyme dans le monde.
25:04Ici, je me sens plus dépendante de l'aide du voisinage, encore et toujours. Et je suis aussi
25:13très disposée à la fournir. C'est quelque chose qui m'a façonnée. J'ai grandi avec cette interaction
25:22sociale et c'est vraiment quelque chose d'effrayant quand tout d'un coup il n'y a plus de voisins.
25:28Elle aborde cette question dans son premier roman, Chiera Nebel. Il sera bientôt publié en rétoroman,
25:38une langue que peu de gens parlent encore. Un livre sur la beauté de son village et la peur de ce
25:44qu'il deviendra. Il est peut-être trop beau. Peut-être qu'un peu de saleté ne serait pas de trop
25:50ou des choses qui traînent. C'est très soigné ici.
25:58C'est une gambe ? C'est fâche ?
26:04Ce qui m'intéresse, et cela existe aussi dans beaucoup d'autres endroits, c'est ce que cela fait
26:10aux gens d'ici que leur village soit vendu. Les traumatismes s'accumulent et en même temps c'est
26:16un tabou. Les gens ne parlent pas de cette perte. Ils ne parlent pas de ce qui est arrivé à cette
26:21communauté. La plupart partent et ne reviennent jamais. Ils ne supportent pas de retourner là où
26:27autrefois leur maison familiale. Ils ont dû vendre, s'éloigner du village et ils développent une
26:34attitude hostile pour se protéger de leurs peines.
26:39Il n'y a pas de café à l'hôtel Aitina, ou plutôt au lodge. C'est comme ça que les hôteliers appellent
26:44leurs hôtels maintenant. Ce qui était un restaurant est devenu un bistro pour gourmets.
26:49Tout le village est devenu un resort. Ce qui me met en colère, c'est que cela a des conséquences
26:55fatales pour la langue rhétoromane. Je pense que si plus aucun enfant ne va à l'école rhétoromane,
27:01les conséquences seront importantes et rapides. Ce sera la disparition de la langue.
27:10Il ne faut pas que cet endroit, comme beaucoup d'autres endroits, ne soit plus accessible qu'aux
27:15gens qui ont de l'argent et que tous les autres en soient exclus.
27:21Pour moi, il ne s'agit pas de préserver quelque chose, mais de faire en sorte que ces villages
27:27continuent à se développer. Simplement suivant l'idée que je me fais de ces villages.
27:33Si je vis ici, j'ai intérêt à ce que d'autres gens puissent y vivre aussi.
27:40La vie à la campagne. Rêve ou cauchemar. Partir ou rester.
27:46Une question qui taraude surtout les jeunes de province.
27:50Le duo de rap Hinterland Gang est délibérément retourné dans sa région natale. Qu'est-ce qui les y retient ?
27:58Je pense que cette région, c'est mon ancrage. Je connais bien les lieux. Je me sens bien, je me sens en sécurité aussi.
28:06Je peux très bien m'imaginer dans une ville comme Berlin. J'y aurais peut-être plus de possibilités pour ce qui est de la musique.
28:14Mais j'ai remarqué que ça m'apportait moins. Que les gens qui me soutiennent vraiment dans la réalité sont ici.
28:29Ils agissent eux-mêmes en organisant chaque année un festival en plein air dans la petite ville voisine de Demin.
28:35100 jours d'été. Ils veulent faire bouger les choses.
28:41La province n'est pas un espace sans culture. Il s'y passe beaucoup de choses.
28:46Si nous faisons ces 100 jours d'été, c'est parce que nous trouvons cette rencontre très belle.
28:52Surtout qu'elle est lieu là, là où nous avons notre ancrage.
29:00Et aussi parce que nous ne voulons pas nous résigner à la pensée qu'il ne se passe rien ici.
29:06Il faut simplement que les jeunes qui veulent vraiment s'impliquer s'installent en province.
29:10Qu'ils aient vraiment envie de déchirer ici et que les personnes plus âgées aussi aient le sentiment qu'il se passe quelque chose ici.
29:15Et pas que nous sommes en train de mourir ou que le village n'existe plus.
29:35Merci d'avoir regardé cette vidéo !
30:05Sous-titres réalisés par la communauté d'Amara.org

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