“Percée” ukrainienne ou “provocation de grande ampleur” : que se passe-t-il à Koursk ?

  • il y a 2 mois
Avec Bruno Clermont, Général de corps aérien (2S) et ancien directeur de la sécurité aéronautique d'État (DSAÉ)
Crédit photo : GAVRIIL GRIGOROV/POOL/AFP

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##C_EST_DANS_LACTU_2-2024-08-09##

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Transcription
00:00Sud Radio, les débats de l'été, 10h-13h, Maxime Liédo.
00:05L'actualité internationale est du côté de l'Ukraine. Fini les incursions limitées des quelques unités de soldats russes se battant pour l'Ukraine et contre Vladimir Poutine comme le corps des volontaires russes ou la Légion Liberté de la Russie.
00:16Cette fois, c'est l'armée régulière, ukrainienne, avec plusieurs unités mécanisées qui a été envoyée en territoire russe.
00:22On va en parler avec notre invité, le général Bruno Clermont. Bonjour Général.
00:26Bonjour.
00:27Général de corps aérien et ancien directeur de la Sécurité Aéronautique d'État, c'est une offensive visiblement un peu éclair.
00:35On a évoqué ça comme une surprise, une entrée dans le territoire russe sur visiblement plus de 25 km à l'intérieur de la Russie.
00:43C'est cet événement réellement qui attire le regard de tous les acteurs et les commentateurs de cette guerre ?
00:48Absolument, c'est à la fois ce qu'on peut appeler une surprise stratégique et puis le passage d'une nouvelle ligne rouge.
00:55Une surprise stratégique, c'est la vitesse à laquelle cette opération s'est déroulée.
00:59On voit que, vous l'avez dit, en 48 heures, bientôt 72 heures, c'est des forces d'une taille importante.
01:05On n'a pas le nombre exact, mais on est probablement dans l'ordre de 5000 hommes à pénétrer en territoire russe.
01:10Plus de 5000 hommes ? On parlait de seulement un millier il y a encore quelques heures.
01:13Alors ça, le millier, c'est les Russes qui annoncent un millier.
01:16Donc tout ce que disent les Russes, forcément, il ne faut pas le croire.
01:19Il n'y a pas de communication particulière sur le sujet, mais c'est probablement plus d'un millier.
01:23On est plutôt de l'ordre de 3000 ou de 2000, de deux brigades, plutôt que d'un millier.
01:27Et le deuxième élément, c'est cette ligne rouge, une espèce de ligne rouge non écrite,
01:31qui a fait, vous l'avez dit, que les deux fois précédentes où il y a eu des incursions dans la région de Belgorod,
01:36c'était des Russes, des légions internationales ukrainiennes.
01:39Ce n'étaient pas des Ukrainiens. Cette fois-ci, effectivement, ce sont des unités régulières de l'armée ukrainienne
01:44qui pénètrent en territoire russe, ce que la Russie n'a pas connu.
01:48Il faut remonter à la Deuxième Guerre mondiale.
01:50Et on parle d'une ville qui serait en train d'être attrapée, on va dire, par le camp ukrainien.
01:56C'est la ville de Sudja, une ville de près de 5000 habitants.
01:59Est-ce qu'on connaît, à travers cette percée surprise, la véritable intention des Ukrainiens ?
02:06Effectivement, c'est la question que tout le monde se pose et il est très difficile de répondre à cette question.
02:11Je pense qu'il faut attendre les prochaines heures, les prochains jours, pour voir quel est l'objectif des Ukrainiens.
02:15Il y a plusieurs possibilités.
02:17D'abord, il faut bien comprendre qu'ils sont rentrés assez facilement parce qu'ils sont très au nord de l'Ukraine.
02:22Ils ne sont pas très loin de la Biélorussie, ils sont dans une zone qui n'est pas une zone de combat,
02:27une zone dont la frontière était finalement faiblement protégée par des troupes pas du tout aguerries.
02:32Donc, même si l'opération est remarquablement montée, ils ont pénétré de manière assez simple.
02:38Donc, c'est difficile d'en tirer des conclusions, mais on peut imaginer en tout cas qu'au minimum,
02:43ils mettent en difficulté l'armée russe et ils montrent à Poutine qu'eux aussi sont capables de faire des dégâts russes
02:49à un moment où, effectivement, ils souffrent quand même beaucoup sur la ligne de front.
02:53Donc, c'est une manière quand même de rappeler que l'armée ukrainienne a encore des réserves et des capacités.
02:57Et on parle des différentes options qui sont sur la table.
03:00Dans cette ville au sud de la Russie se trouve une station de transit du gaz russe vers l'Europe appartenant au groupe Gazprom.
03:06Est-ce que ça pourrait être le véritable objectif de l'armée régulière ukrainienne ?
03:11Ça me paraît difficile. Ce n'est quand même pas un objectif tactique de la plus haute importance.
03:16Peut-être que par opportunité, mais on ne lance pas une opération de ce type-là pour faire le contrôle de ce type d'installation.
03:22Je pense qu'il y a une vraie volonté de montrer à Poutine et au monde entier que l'Ukraine a des ressources.
03:28Je pense que c'est aussi un message envoyé aux occidentaux qui, à ce moment,
03:33regardent plutôt tourner vers Israël, les Jeux olympiques, les élections aux Etats-Unis,
03:37que les Ukrainiens ont des capacités, ne sont pas encore battus, ont besoin du soutien des occidentaux.
03:43Voyez, à la fois ils affaiblissent psychologiquement les Russes, avec une opération qui, je le rappelle,
03:50ça fait 80 ans qu'il n'y avait pas eu de troupes étrangères qui allaient envahir le territoire de la Russie.
03:55Et puis également, ils rappellent qu'ils ont besoin du soutien des occidentaux et qu'ils ont des capacités.
03:59Deux choses dans ce que vous venez de dire.
04:01Est-ce qu'on peut donc considérer que depuis le début de cette guerre,
04:04c'est la première grosse défaite pour les troupes de Vladimir Poutine et même pour lui politiquement ?
04:10C'est difficile de dire ça, parce que la guerre est compliquée.
04:14Il s'est passé tellement de choses dans cette guerre.
04:16Mais celle-ci est particulière.
04:18En plus, la région de Koursk, ça parle aux gens, ça parle aux Russes.
04:22Vous vous souvenez, c'est là qu'il y a eu cette très grande bataille pendant la Deuxième Guerre mondiale.
04:25Koursk, c'est aussi le nom de ce sous-marin, un fameux sous-marin nucléaire lanceur d'engin russe
04:30qui a eu un problème, un incident au fond des mers et dans lequel tous les marins sont tués.
04:36Donc Koursk, psychologiquement, ça frappe les esprits, aussi bien du côté russe que du côté ukrainien.
04:42On est quand même, je pense, au-delà de l'opération militaire proprement dite,
04:45et de la démonstration de force que fait l'ukrainienne,
04:48de force coordonnée dans différents domaines d'action de la guerre psychologique,
04:52à la fois pour appuyer sur Poutine et également pour envoyer un signal aux occidentaux.
04:59Justement, vous parliez de la pression sur Vladimir Poutine,
05:02on est déjà en train de parler sur beaucoup de boucles télégrammes russes
05:06de la faiblesse des défenses qui étaient à ce niveau-là de la frontière.
05:10Est-ce que c'est plausible que les Russes aient eu un moment de faiblesse
05:13ou ne croyaient pas les différentes informations des services secrets ?
05:16En fait, vous avez effectivement, la ligne de front est à l'intérieur de l'Ukraine.
05:21Il n'y a pas de ligne de front aux frontières avec la Russie.
05:23Les frontières avec la Russie sont protégées à l'intérieur de la frontière.
05:27La ligne qu'ont passée les Ukrainiens était à 10 kilomètres de la frontière.
05:30Effectivement, ce passage, cette brèche faite dans les défenses russes
05:36peut amener les Russes à enlever une partie de leurs hommes qui sont sur la frontière au Donbass
05:42et la zone de contact avec les Ukrainiens pour protéger mieux leurs frontières.
05:46C'est peut-être aussi une manière finalement d'aider les Ukrainiens
05:50à équilibrer le rapport de force sur la zone de contact
05:56qui, elle, est de 1000 kilomètres et qui, pour l'instant, est défavorable aux Ukrainiens.
05:59Donc il y a plusieurs interprétations possibles de cette manœuvre et celle-ci en est une.
06:05En tout cas, c'est évident, vous voyez, on en parle beaucoup, tout le monde en parle.
06:08Je pense que c'est un effet psychologique.
06:10Il est majeur et il est majeur à la fois en Russie, à la fois en Ukraine et à la fois dans le monde occidental.
06:15Général Bruno Clermont, je rappelle que vous êtes général de corps aérien,
06:19ancien directeur de la sécurité aéronautique d'État.
06:21Vous parliez tout à l'heure de la réaction occidentale et de la volonté,
06:24certainement des troupes ukrainiennes, de remettre le projecteur sur ce qui se passe là-bas.
06:30Est-ce que, d'un côté, ce qui vient de se passer, ce à quoi nous insistons,
06:33et une opération, visiblement, sur laquelle on en apprend un peu plus à chaque heure,
06:37n'est pas aussi une manière, pour ceux qui craignaient l'escalade permanente,
06:42on va dire, d'avoir de l'eau à ce moulin-là ?
06:45Ah oui, évidemment, vous savez que la grande priorité des Américains, c'est éviter l'escalade.
06:50Mais c'est également la priorité de tous les pays occidentaux et même de l'OTAN.
06:53Mais les Américains en particulier, parce que l'escalade, c'est eux qui auraient à la gérer.
06:56Alors c'est pour ça qu'il y a un certain nombre de lignes rouges.
06:58Et c'est vrai qu'une des tactiques, une des méthodes de Zelensky, c'est de les repousser petit à petit,
07:03et puis de montrer que ces lignes rouges ne sont pas des vraies lignes rouges,
07:05qu'il y a de la marge de manœuvre.
07:07Vous savez, c'est la fameuse ambiguïté stratégique qu'avait évoquée le président de la République.
07:11Moi, je pense que tout ça s'est justifié.
07:13Maintenant, il n'empêche qu'on va attendre voir quelle va être la réaction russe à cette attaque,
07:18parce que pour l'instant, les Russes ne sont pas organisés pour répondre à cette offensive des Ukrainiens.
07:24Mais effectivement, cette question des lignes rouges est importante.
07:27La demande actuelle, la prochaine demande de Zelensky, c'est de dire
07:30écoutez, nous, on vient de passer la frontière, on est en Russie,
07:33ils nous attaquent, donc on aura envie de les attaquer,
07:35on veut utiliser les matériaux américains.
07:37Et ils ont déjà, par exemple, fait cette offensive avec des véhicules blindés allemands et américains.
07:43Mais pour l'instant, peut-être qu'il y a des armements qu'ils aimeraient utiliser,
07:45et que les Occidentaux et les Américains en particulier ne leur permettent pas d'utiliser dans ce contexte-là.
07:49L'Union Européenne a dit que l'Ukraine avait le droit légitime de frapper des cibles en Russie,
07:55vous venez de le dire, on a cessé, on va dire, de repousser les lignes rouges.
07:59Est-ce qu'il y a un moment où on s'arrêtera ?
08:01Les F-16 ont été livrés en début de semaine, l'UE commence à autoriser,
08:06on voit qu'il y a des incursions.
08:07Est-ce que c'est aussi une manière pour le camp ukrainien, pour le président Volodymyr Zelensky,
08:12de dire, ça y est, on commence à arriver dans le territoire, il faut qu'on se mette autour de la table pour négocier ?
08:17Je crois que vous avez tout à fait raison.
08:19Le contexte de l'évocation de négociations à laquelle vont participer les Russes
08:25est fondamental pour analyser ce qui se passe.
08:27On sait, chaque fois qu'une négociation se prépare,
08:31et on sait que dans cette négociation, il y aura une question de savoir qui garde quoi,
08:35où passera la ligne de cesser le feu, etc.
08:38Il y a une intensification des combats.
08:40C'est aussi dans ce contexte-là que les Ukrainiens veulent montrer
08:44qu'ils ont des atouts à faire valoir,
08:46que dans la négociation, ils pourraient avoir des choses à échanger.
08:50Et effectivement, ce contexte d'une négociation qui se profile,
08:53et dont probablement les premières discussions se passent en sous-main,
08:56est important pour décoder ce qui se passe.
08:58Général Bruno Clermont, une dernière question
09:01pour essayer de finir le tour de cette percée ukrainienne totalement inattendue.
09:06Pour vous, quels sont les différents scénarios auxquels on va pouvoir assister
09:10potentiellement dans les prochaines semaines et d'ici l'hiver ?
09:15Sur le terrain, j'entends.
09:17Alors, par rapport à cette offensive, c'est-à-dire que c'est de le savoir,
09:20mais on va le savoir assez vite.
09:21Est-ce qu'elle se poursuit ou est-ce qu'elle va s'arrêter ?
09:24Est-ce que les Russes la repoussent ?
09:25Est-ce que ça crée un nouveau front ? On va le savoir.
09:27Sur l'ensemble du front, je pense qu'aujourd'hui,
09:30le front, on comprend qu'il va être à peu près figé.
09:32C'est-à-dire que les lignes de front ne vont pas tellement avancer.
09:35Les Russes vont essayer de grignoter les derniers kilomètres carrés
09:38qu'ils leur mettent pour avoir un accès à la totalité des quatre oblastes.
09:41Vous savez qu'ils avaient un accès par référendum.
09:43Les Ukrainiens vont continuer à faire de la frappe au cas par cas dans la profondeur
09:47et d'essayer d'affaiblir la Russie pour avoir des éléments de négociation.
09:50Mais grosso modo, on va rester dans ce schéma-là dans les jours qui viennent.
09:53Les F-16 ne peuvent pas changer la donne parce qu'ils arrivent trop tard et ils sont trop peu.
09:57Une dizaine de F-16 ne peut pas faire la différence.
10:01Et les F-16, on doit ajouter la formation des mécaniciens, des pilotes, etc.
10:06Donc il y a toute la logistique qui n'a pas que les appareils.
10:08Vous voyez, les F-16, finalement, ils sont arrivés.
10:09Il y a une dizaine de F-16 qui sont arrivés en un an.
10:11C'est quand même un exploit d'avoir été capable de mettre en place
10:14une dizaine de F-16 en un an, en formant pilotes et mécaniciens, l'armement et tout ça.
10:18Oui, c'est un exploit.
10:19Maintenant, 10, ce n'est pas beaucoup. Ils en ont besoin de beaucoup plus.
10:22Là, pour l'instant, on se rend compte qu'on rentre dans une phase de négociation.
10:26Puis un élément aussi qui est important, c'est qu'il y a une lassitude du côté occidental, certainement.
10:31Mais il y a aussi une lassitude du côté ukrainien.
10:33Et il y a de plus en plus d'Ukrainiens qui évoquent la question de la négociation
10:37et deviennent de plus en plus difficiles de mobiliser en Ukraine également.
10:40Merci beaucoup, Général Bruno Clermont, Général du Corps aérien,
10:43ancien directeur de la Sécurité Aéronautique d'État d'avoir été avec nous sur Sud Radio
10:47pour essayer de comprendre ce qui se passait sur le front ukrainien et russe.
10:52Et vous le dites, soyons très prudents parce que tout peut arriver ces derniers mois.
10:55Ces derniers mois nous ont montré que tout était possible.
10:57On se retrouve dans quelques instants sur Sud Radio.
10:59Vos réactions, évidemment, aux standards, aux 0, 826, 300, 300.
11:03Pourquoi ? Parce que ce sont les grands débats de l'été, bien sûr.
11:06A tout de suite.

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