Arrachée à ses racines pour repeupler les campagnes françaises

  • il y a 15 heures
Découvrez l'histoire poignante et souvent méconnue des enfants réunionnais déplacés en métropole française dans les années 1960 et 1970. Aujourd'hui, Valérie, l'une de ces enfants qui a été arrachée à sa terre natale et transplantée dans un département rural français témoigne. À travers le récit de sa vie marquée par l'adoption, le racisme et la quête d'identité, nous explorons les conséquences profondes de cette politique controversée de la France. De la Creuse à La Réunion, elle nous raconte les défis d'intégration et les luttes personnelles face à une vérité longtemps cachée...

Merci à Valérie pour sa confiance et pour ce témoignage puissant.
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Transcript
00:00Plus de 2000 enfants ont été transférés, transplantés, déportés de leur terre natale
00:06vers des départements ruraux de la métropole.
00:08Moi j'ai été exilé, je n'avais que trois ans.
00:11En 1963, Michel Debré est député de la Réunion du Midome, le bureau migratoire des
00:17Dômes.
00:18Les jeunes réunionnais adultes qui partent vers la France hexagonale pour un métier,
00:22pour une formation, mais il y a une démographie galopante sur l'île.
00:26Donc il a mis en place un système, c'est-à-dire élever le maximum d'enfants de la Réunion
00:33pour les emmener dans les départements ruraux de la métropole, dont la Creuse.
00:37Je n'ai juste que ces flashes dans l'avion, cet avion qui emmène plein d'enfants.
00:42Arrivé à Orly, nous avons pris un bus jusque dans la Creuse.
00:45Nous étions très très très nombreux.
00:47Nous avons été triés.
00:49Je ne comprenais vraiment pas ce qui m'arrivait.
00:51Je me suis retrouvée dans ce foyer avec des centaines d'enfants.
00:54Moi, je me suis retrouvée dans une famille d'accueil où j'ai été maltraitée pendant
00:58quatre ans.
00:59Cette période a été pour moi quelque chose de traumatisant et moi, je me suis retrouvée
01:03dans cette famille d'accueil et la première fois où je suis arrivée dans cette famille,
01:09j'ai ressenti beaucoup de peur.
01:11Mon cauchemar a commencé parce que j'étais dans cette famille où il y avait beaucoup
01:15d'enfants et ils étaient payés pour nous garder.
01:17Et en fin de compte, j'ai été la tête de turc de cette famille où le papa, le père,
01:22ils me battaient régulièrement, où pour moi, le seul endroit où je me sentais en
01:26sécurité, c'était sous la table.
01:28À ce moment-là, alors que je n'avais que trois ans, je n'ai pas compris que j'avais
01:32été déracinée.
01:33Je ne savais même pas que j'étais réunionnaise et tout ça, ça a duré jusqu'à l'âge
01:37de sept ans.
01:38Après, quand je suis partie de cette famille, je me suis retrouvée dans une famille d'adoption
01:43à l'âge de sept ans.
01:45Arrivée dans ce village et là, il y a deux personnes qui m'attendent et me disent « voilà,
01:51je suis ta maman et voilà ton papa ». Dans ce village où il n'y avait que des blancs
01:55et moi, la petite fille bien bronzée avec des cheveux très crépus à la Jackson Five,
02:00j'avais quand même ces questionnements de ma couleur de peau.
02:03Je ne ressemblais pas du tout à mes parents.
02:05Et ma maman qui me disait sans cesse, voilà, en me montrant une photo de mon papa, « regarde,
02:11il est bronzé ton papa, tu lui ressembles ». Et à force de m'artenir dans la tête
02:16d'une enfant, « je suis ton papa, je suis ta maman », à un moment donné, on y croit
02:22Ma vie dans ce village a débuté de façon assez compliquée.
02:27J'ai subi beaucoup le racisme à l'école.
02:31On me traitait de sale négresse, blanche neige, mal blanchie.
02:35Je devais sortir déjeuner à l'extérieur parce que je subissais un racisme qui était
02:42violent.
02:43Et ce qui est incroyable, c'est que dans ce village, j'étais la seule petite noire.
02:47Ce qui veut dire que tous les habitants du village savaient que j'étais adoptée,
02:53sauf moi, à l'âge de 16 ans.
02:55Par hasard, nous étions dans la cuisine, ma maman et moi, et elle me demande d'aller
02:59chercher quelque chose dans l'armoire et je ne trouve pas, donc je fouille.
03:02Je fouille, je fouille et là je tombe sur un document.
03:05Un document qui va me dire que je suis Marie-Germaine Périgonne, née à Bois-de-Neige, Saint-Paul.
03:12Ça a été un choc.
03:16Ça a été un véritable tsunami.
03:17J'ai ressenti de la colère, de la souffrance.
03:23Je me suis assise sur le lit et j'ai pleuré toutes les larmes de mon corps.
03:27Et là, je vais voir ma maman et je lui dis « mais c'est quoi ça ? »
03:31Et là, elle me dit que j'ai des frères et des sœurs qui habitent pas très loin
03:41de chez moi.
03:42C'est-à-dire que je croisais mes frères et mes sœurs d'Angueret sans savoir qu'ils
03:47étaient mes frères et mes sœurs.
03:49Pendant toutes ces années, je ne savais pas que mes frères et mes sœurs étaient là
03:53à mes côtés.
03:54Toutes ces années de mensonges, à 16 ans, découvrir toute cette histoire, se dire que
04:03tous ces questionnements en fin de compte étaient vrais, que pendant toutes ces années
04:07on a menti.
04:08Et c'est là, à ce moment-là, que j'ai décidé de retrouver toute ma fratrie.
04:11Nous étions six en tout.
04:13Ce qui est excellent, c'est le souvenir de mon frère qui est arrivé un jour chez mes
04:18parents adoptifs.
04:19Et là, quand j'ai vu son visage, quand j'ai vu la ressemblance, enfin, j'ai retrouvé
04:25un bout de mes origines, un frère qui était là, un frère qui me ressemblait.
04:29Je dirais que ça a été un moment fort, mais fort en émotion, intense.
04:34À partir de là, j'ai retrouvé un autre frère, j'ai retrouvé mes trois autres sœurs.
04:41Nous avons commencé une nouvelle histoire.
04:43Le sujet de ce déracinement était tabou.
04:46On n'en parlait très peu.
04:48Sur les six enfants, les trois premiers sont restés à la dash jusqu'à leur majorité.
04:55Les trois dernières ont été adoptées par une famille.
04:59Moi, je suis l'avant-dernière.
05:01Que ce soit mes grands frères, ma grande sœur, me dire « nous avons essayé de vous
05:07retrouver, mais les services sociaux ont refusé ».
05:11Ce n'est pas évident du tout, du tout de se retrouver après tant d'années sans
05:15avoir vécu ces jeux d'enfance, sans avoir vécu ces relations entre frères et sœurs.
05:21Donc, on a commencé à nous connaître, on a commencé à se comprendre un petit peu,
05:28mais ça a été un peu compliqué quand même.
05:31Un jour, j'apprends que mon frère Joseph s'est pendu parce qu'il ne supportait pas
05:43ce qui se passait.
05:44Il n'a pas supporté cet exil, il n'a pas supporté d'être broyé, d'être fracassé
05:52comme ça.
05:53Tant et si bien que ce frère-là, je l'ai très peu connu, très très peu.
05:59En 2002, Jean-Jacques Martial porte plainte contre l'État pour vol, viol, séquestration,
06:05et on entend dans tous les médias ce Réunionnais dit de la Creuse qui veut faire connaître
06:12son histoire.
06:13Et là, je me dis qu'il y a quelque chose de plus grave pour moi.
06:17Nous n'étions qu'un tout petit groupe dans la Creuse, mais quand j'entends Jean-Jacques
06:25Martial porter plainte contre l'État pour un milliard d'euros pour vol, viol, séquestration,
06:33je me suis dit là, il y a quelque chose vraiment de plus grave.
06:36C'est à ce moment-là où je décide d'aller sur mon île natale et d'essayer de comprendre
06:42cette histoire.
06:43Mes premiers voyages à la Réunion, lorsque je mets les pieds sur mon île, ça a été
06:53pour moi un véritable déni.
06:55Pourquoi ? Parce que je laissais des parents adoptifs dans la Creuse qui ne voulaient pas
07:00que je retrouve mes origines, qui ne voulaient pas que je retrouve mes racines.
07:05Et là, à la Réunion, j'ai vu la misère, la misère.
07:09Donc, quand je suis revenue dans la Creuse, je me suis dit, je le suis, Creusoise.
07:13Et quand je suis revenue de l'île de la Réunion, voilà, j'ai continué ma vie dans la Creuse.
07:22Mais j'avais quelque chose en moi qui me manquait.
07:25Donc, à 40 ans, je décide de partir m'installer à la Réunion.
07:30J'ai trois enfants à ce moment-là.
07:31Je prends mes enfants sur les bras, je fais mes valises et je pars sur mon île natale.
07:37J'avais envie de comprendre cette adoption.
07:40Je reste à la Réunion pendant neuf ans.
07:42Je frappe à toutes les portes des administrations.
07:45J'essaie d'aller récupérer mon acte de naissance originale.
07:51À l'agent de la mairie qui me reçoit, je lui dis, j'aimerais avoir mon acte de naissance originale.
07:57Voilà mon identité.
07:58Et là, elle me répond, mais je ne peux pas vous le donner parce que vous êtes née Valérie,
08:04à la Brionne, dans la Creuse.
08:06Prouvez-moi que vous êtes bien née à la Réunion.
08:09Donc, là commence une quête, une quête de mes origines, une quête où j'ai besoin
08:14de savoir qui je suis.
08:16Donc, je vais au conseil départemental de la Réunion et là, je récupère mon dossier.
08:20Mon dossier de l'aide sociale à l'enfance, mon dossier où il y a cette carte d'identité.
08:25Là, j'ai trois ans.
08:26Je m'appelle Marie-Germaine Périgonne, née à Bois-de-Neuf, le Saint-Paul.
08:31Donc, avec cette carte d'identité, je me suis dit, je vais retourner à la mairie de Bois-de-Neuf.
08:36Je vais demander mon acte de naissance originale.
08:39Et l'agent de mairie me dit, non, je ne peux pas vous le donner parce que la carte d'identité,
08:44elle est prescrite.
08:45Il a fallu que je me rende des dizaines de fois à la mairie de Bois-de-Neuf.
08:48Il a fallu que je me présente un jour avec des médias, avec une télévision pour que
08:55je puisse enfin obtenir un acte de naissance où je suis née à Bois-de-Neuf, Saint-Paul.
09:01Celui que j'ai pu récupérer, c'est Valérie Laveau, née à Bois-de-Neuf, Saint-Paul.
09:05Peut-être que si j'étais restée à la Réunion, certes, j'aurais vécu dans la
09:10pauvreté, oui, mais j'aurais vécu ma vie avec mes frères, avec mes sœurs sur
09:16ma terre natale.
09:17À un moment donné, oui, j'ai ressenti la colère parce que l'État français nous
09:22a volé notre enfance.
09:23Mais aujourd'hui, je suis plus dans la réconciliation et l'apaisement.
09:27Nous avons subi des traumatismes et je pense que ce n'est pas facile aussi pour ceux
09:32qui nous entourent et en particulier nos enfants.
09:35Cette histoire, c'est une histoire transgénérationnelle, c'est une histoire qui nous concerne et
09:38qui concerne aussi nos enfants.
09:40Nous avons subi des traumatismes, nous le sommes encore traumatisés aujourd'hui,
09:44mais ce n'est pas facile aussi pour nos enfants.
09:46Parce que malgré tout, la Réunion, c'est aussi leur terre, c'est aussi leurs origines.
09:52Je crois qu'il est important que nos enfants connaissent aussi cette terre si chère à
10:00mon cœur.
10:01Je dirais que je suis réunionnaise avant tout.
10:03Je suis réunionnaise dans mon cœur, dans mon sang, dans mon âme.
10:07Je suis creusoise d'adoption.
10:09Mais on n'a pas le droit de m'arracher mon identité, on n'a pas le droit de m'arracher
10:14ma vie réunionnaise.
10:15C'est un mensonge d'État, c'est une affaire politique, c'est une affaire d'État.
10:19C'est une page sombre de l'histoire de France.
10:22De quel droit peut-on décider de l'avenir d'un enfant comme ça ?
10:26Il a fallu qu'en 2014, il y ait une résolution votée à la majorité à l'Assemblée nationale.
10:32L'État français reconnaît enfin sa faute morale.
10:36Il a fallu mettre en place une commission nationale historique et sociologique pour
10:42faire toute la lumière sur cette histoire.
10:44Et c'est là qu'on apprend qu'il y a plus de 2000 enfants.
10:48C'est un travail quotidien des associations.
10:51Moi, je suis secrétaire et chargée de communication de la FED.
10:54Je milite pour cette histoire, je milite pour que tous mes compatriotes puissent comprendre
11:02ce qui leur est arrivé.

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