Arrachée à ses racines pour repeupler les campagnes françaises
Découvrez l'histoire poignante et souvent méconnue des enfants réunionnais déplacés en métropole française dans les années 1960 et 1970. Aujourd'hui, Valérie, l'une de ces enfants qui a été arrachée à sa terre natale et transplantée dans un département rural français témoigne. À travers le récit de sa vie marquée par l'adoption, le racisme et la quête d'identité, nous explorons les conséquences profondes de cette politique controversée de la France. De la Creuse à La Réunion, elle nous raconte les défis d'intégration et les luttes personnelles face à une vérité longtemps cachée...
Merci à Valérie pour sa confiance et pour ce témoignage puissant.
Retrouvez-la sur son compte Instagram : https://www.instagram.com/valerieandanson/
Suivez O-Rigines le nouveau média qui s’intéresse à l’histoire des histoires.
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00:00Plus de 2000 enfants ont été transférés, transplantés, déportés de leur terre natale
00:06vers des départements ruraux de la métropole.
00:08Moi j'ai été exilé, je n'avais que trois ans.
00:11En 1963, Michel Debré est député de la Réunion du Midome, le bureau migratoire des
00:17Dômes.
00:18Les jeunes réunionnais adultes qui partent vers la France hexagonale pour un métier,
00:22pour une formation, mais il y a une démographie galopante sur l'île.
00:26Donc il a mis en place un système, c'est-à-dire élever le maximum d'enfants de la Réunion
00:33pour les emmener dans les départements ruraux de la métropole, dont la Creuse.
00:37Je n'ai juste que ces flashes dans l'avion, cet avion qui emmène plein d'enfants.
00:42Arrivé à Orly, nous avons pris un bus jusque dans la Creuse.
00:45Nous étions très très très nombreux.
00:47Nous avons été triés.
00:49Je ne comprenais vraiment pas ce qui m'arrivait.
00:51Je me suis retrouvée dans ce foyer avec des centaines d'enfants.
00:54Moi, je me suis retrouvée dans une famille d'accueil où j'ai été maltraitée pendant
00:58quatre ans.
00:59Cette période a été pour moi quelque chose de traumatisant et moi, je me suis retrouvée
01:03dans cette famille d'accueil et la première fois où je suis arrivée dans cette famille,
01:09j'ai ressenti beaucoup de peur.
01:11Mon cauchemar a commencé parce que j'étais dans cette famille où il y avait beaucoup
01:15d'enfants et ils étaient payés pour nous garder.
01:17Et en fin de compte, j'ai été la tête de turc de cette famille où le papa, le père,
01:22ils me battaient régulièrement, où pour moi, le seul endroit où je me sentais en
01:26sécurité, c'était sous la table.
01:28À ce moment-là, alors que je n'avais que trois ans, je n'ai pas compris que j'avais
01:32été déracinée.
01:33Je ne savais même pas que j'étais réunionnaise et tout ça, ça a duré jusqu'à l'âge
01:37de sept ans.
01:38Après, quand je suis partie de cette famille, je me suis retrouvée dans une famille d'adoption
01:43à l'âge de sept ans.
01:45Arrivée dans ce village et là, il y a deux personnes qui m'attendent et me disent « voilà,
01:51je suis ta maman et voilà ton papa ». Dans ce village où il n'y avait que des blancs
01:55et moi, la petite fille bien bronzée avec des cheveux très crépus à la Jackson Five,
02:00j'avais quand même ces questionnements de ma couleur de peau.
02:03Je ne ressemblais pas du tout à mes parents.
02:05Et ma maman qui me disait sans cesse, voilà, en me montrant une photo de mon papa, « regarde,
02:11il est bronzé ton papa, tu lui ressembles ». Et à force de m'artenir dans la tête
02:16d'une enfant, « je suis ton papa, je suis ta maman », à un moment donné, on y croit
02:22Ma vie dans ce village a débuté de façon assez compliquée.
02:27J'ai subi beaucoup le racisme à l'école.
02:31On me traitait de sale négresse, blanche neige, mal blanchie.
02:35Je devais sortir déjeuner à l'extérieur parce que je subissais un racisme qui était
02:42violent.
02:43Et ce qui est incroyable, c'est que dans ce village, j'étais la seule petite noire.
02:47Ce qui veut dire que tous les habitants du village savaient que j'étais adoptée,
02:53sauf moi, à l'âge de 16 ans.
02:55Par hasard, nous étions dans la cuisine, ma maman et moi, et elle me demande d'aller
02:59chercher quelque chose dans l'armoire et je ne trouve pas, donc je fouille.
03:02Je fouille, je fouille et là je tombe sur un document.
03:05Un document qui va me dire que je suis Marie-Germaine Périgonne, née à Bois-de-Neige, Saint-Paul.
03:12Ça a été un choc.
03:16Ça a été un véritable tsunami.
03:17J'ai ressenti de la colère, de la souffrance.
03:23Je me suis assise sur le lit et j'ai pleuré toutes les larmes de mon corps.
03:27Et là, je vais voir ma maman et je lui dis « mais c'est quoi ça ? »
03:31Et là, elle me dit que j'ai des frères et des sœurs qui habitent pas très loin
03:41de chez moi.
03:42C'est-à-dire que je croisais mes frères et mes sœurs d'Angueret sans savoir qu'ils
03:47étaient mes frères et mes sœurs.
03:49Pendant toutes ces années, je ne savais pas que mes frères et mes sœurs étaient là
03:53à mes côtés.
03:54Toutes ces années de mensonges, à 16 ans, découvrir toute cette histoire, se dire que
04:03tous ces questionnements en fin de compte étaient vrais, que pendant toutes ces années
04:07on a menti.
04:08Et c'est là, à ce moment-là, que j'ai décidé de retrouver toute ma fratrie.
04:11Nous étions six en tout.
04:13Ce qui est excellent, c'est le souvenir de mon frère qui est arrivé un jour chez mes
04:18parents adoptifs.
04:19Et là, quand j'ai vu son visage, quand j'ai vu la ressemblance, enfin, j'ai retrouvé
04:25un bout de mes origines, un frère qui était là, un frère qui me ressemblait.
04:29Je dirais que ça a été un moment fort, mais fort en émotion, intense.
04:34À partir de là, j'ai retrouvé un autre frère, j'ai retrouvé mes trois autres sœurs.
04:41Nous avons commencé une nouvelle histoire.
04:43Le sujet de ce déracinement était tabou.
04:46On n'en parlait très peu.
04:48Sur les six enfants, les trois premiers sont restés à la dash jusqu'à leur majorité.
04:55Les trois dernières ont été adoptées par une famille.
04:59Moi, je suis l'avant-dernière.
05:01Que ce soit mes grands frères, ma grande sœur, me dire « nous avons essayé de vous
05:07retrouver, mais les services sociaux ont refusé ».
05:11Ce n'est pas évident du tout, du tout de se retrouver après tant d'années sans
05:15avoir vécu ces jeux d'enfance, sans avoir vécu ces relations entre frères et sœurs.
05:21Donc, on a commencé à nous connaître, on a commencé à se comprendre un petit peu,
05:28mais ça a été un peu compliqué quand même.
05:31Un jour, j'apprends que mon frère Joseph s'est pendu parce qu'il ne supportait pas
05:43ce qui se passait.
05:44Il n'a pas supporté cet exil, il n'a pas supporté d'être broyé, d'être fracassé
05:52comme ça.
05:53Tant et si bien que ce frère-là, je l'ai très peu connu, très très peu.
05:59En 2002, Jean-Jacques Martial porte plainte contre l'État pour vol, viol, séquestration,
06:05et on entend dans tous les médias ce Réunionnais dit de la Creuse qui veut faire connaître
06:12son histoire.
06:13Et là, je me dis qu'il y a quelque chose de plus grave pour moi.
06:17Nous n'étions qu'un tout petit groupe dans la Creuse, mais quand j'entends Jean-Jacques
06:25Martial porter plainte contre l'État pour un milliard d'euros pour vol, viol, séquestration,
06:33je me suis dit là, il y a quelque chose vraiment de plus grave.
06:36C'est à ce moment-là où je décide d'aller sur mon île natale et d'essayer de comprendre
06:42cette histoire.
06:43Mes premiers voyages à la Réunion, lorsque je mets les pieds sur mon île, ça a été
06:53pour moi un véritable déni.
06:55Pourquoi ? Parce que je laissais des parents adoptifs dans la Creuse qui ne voulaient pas
07:00que je retrouve mes origines, qui ne voulaient pas que je retrouve mes racines.
07:05Et là, à la Réunion, j'ai vu la misère, la misère.
07:09Donc, quand je suis revenue dans la Creuse, je me suis dit, je le suis, Creusoise.
07:13Et quand je suis revenue de l'île de la Réunion, voilà, j'ai continué ma vie dans la Creuse.
07:22Mais j'avais quelque chose en moi qui me manquait.
07:25Donc, à 40 ans, je décide de partir m'installer à la Réunion.
07:30J'ai trois enfants à ce moment-là.
07:31Je prends mes enfants sur les bras, je fais mes valises et je pars sur mon île natale.
07:37J'avais envie de comprendre cette adoption.
07:40Je reste à la Réunion pendant neuf ans.
07:42Je frappe à toutes les portes des administrations.
07:45J'essaie d'aller récupérer mon acte de naissance originale.
07:51À l'agent de la mairie qui me reçoit, je lui dis, j'aimerais avoir mon acte de naissance originale.
07:57Voilà mon identité.
07:58Et là, elle me répond, mais je ne peux pas vous le donner parce que vous êtes née Valérie,
08:04à la Brionne, dans la Creuse.
08:06Prouvez-moi que vous êtes bien née à la Réunion.
08:09Donc, là commence une quête, une quête de mes origines, une quête où j'ai besoin
08:14de savoir qui je suis.
08:16Donc, je vais au conseil départemental de la Réunion et là, je récupère mon dossier.
08:20Mon dossier de l'aide sociale à l'enfance, mon dossier où il y a cette carte d'identité.
08:25Là, j'ai trois ans.
08:26Je m'appelle Marie-Germaine Périgonne, née à Bois-de-Neuf, le Saint-Paul.
08:31Donc, avec cette carte d'identité, je me suis dit, je vais retourner à la mairie de Bois-de-Neuf.
08:36Je vais demander mon acte de naissance originale.
08:39Et l'agent de mairie me dit, non, je ne peux pas vous le donner parce que la carte d'identité,
08:44elle est prescrite.
08:45Il a fallu que je me rende des dizaines de fois à la mairie de Bois-de-Neuf.
08:48Il a fallu que je me présente un jour avec des médias, avec une télévision pour que
08:55je puisse enfin obtenir un acte de naissance où je suis née à Bois-de-Neuf, Saint-Paul.
09:01Celui que j'ai pu récupérer, c'est Valérie Laveau, née à Bois-de-Neuf, Saint-Paul.
09:05Peut-être que si j'étais restée à la Réunion, certes, j'aurais vécu dans la
09:10pauvreté, oui, mais j'aurais vécu ma vie avec mes frères, avec mes sœurs sur
09:16ma terre natale.
09:17À un moment donné, oui, j'ai ressenti la colère parce que l'État français nous
09:22a volé notre enfance.
09:23Mais aujourd'hui, je suis plus dans la réconciliation et l'apaisement.
09:27Nous avons subi des traumatismes et je pense que ce n'est pas facile aussi pour ceux
09:32qui nous entourent et en particulier nos enfants.
09:35Cette histoire, c'est une histoire transgénérationnelle, c'est une histoire qui nous concerne et
09:38qui concerne aussi nos enfants.
09:40Nous avons subi des traumatismes, nous le sommes encore traumatisés aujourd'hui,
09:44mais ce n'est pas facile aussi pour nos enfants.
09:46Parce que malgré tout, la Réunion, c'est aussi leur terre, c'est aussi leurs origines.
09:52Je crois qu'il est important que nos enfants connaissent aussi cette terre si chère à
10:00mon cœur.
10:01Je dirais que je suis réunionnaise avant tout.
10:03Je suis réunionnaise dans mon cœur, dans mon sang, dans mon âme.
10:07Je suis creusoise d'adoption.
10:09Mais on n'a pas le droit de m'arracher mon identité, on n'a pas le droit de m'arracher
10:14ma vie réunionnaise.
10:15C'est un mensonge d'État, c'est une affaire politique, c'est une affaire d'État.
10:19C'est une page sombre de l'histoire de France.
10:22De quel droit peut-on décider de l'avenir d'un enfant comme ça ?
10:26Il a fallu qu'en 2014, il y ait une résolution votée à la majorité à l'Assemblée nationale.
10:32L'État français reconnaît enfin sa faute morale.
10:36Il a fallu mettre en place une commission nationale historique et sociologique pour
10:42faire toute la lumière sur cette histoire.
10:44Et c'est là qu'on apprend qu'il y a plus de 2000 enfants.
10:48C'est un travail quotidien des associations.
10:51Moi, je suis secrétaire et chargée de communication de la FED.
10:54Je milite pour cette histoire, je milite pour que tous mes compatriotes puissent comprendre
11:02ce qui leur est arrivé.