"DESCENTE AUX ENFERS" / En 1995, Mireille Liberas a tué son fils Gilles de deux balles de revolver. Depuis douze ans, elle tentait de le sortir de l'enfer de la drogue, en vain. A bout de désespoir, elle a brusquement décidé de lui ôter la vie, elle voulait mettre fin à ses jours ensuite mais le pistolet s'est enrayé. Son procès doit se dérouler dans six mois, mais elle a décidé de rompre le silence pour mettre en garde toutes les mères de toxicomanes. A travers son récit, elle analyse toutes ses erreurs. Elle a attendu que Gilles ait 19 ans avant de lui avouer le nom de son père... Elle est persuadée que si elle avait parlé plus tôt, tout cela ne serait pas arrivé. Son propos est parfaitement illustré par Yan, un toxicomane qui n';a vu le bout du tunnel que le jour où ses parents ont accepté de reconnaître sa toxicomanie. Des mères désespérées ont créé à Marseille une association, "Les amies de l'Espoir”. Elles accueillent toutes celles qui ont besoin de conseils et de réconfort. Nous sommes allées chez la présidente de l'association qui ce jour-là accueillait une nouvelle venue... Encore faut-il s'apercevoir à temps du drame que vivent les enfants. France, elle, ne comprend toujours pas pourquoi ses trois fils se sont drogués.
Tous ces témoignages nous ramènent à Mireille Liberas et nous font mieux comprendre son drame.
Tous ces témoignages nous ramènent à Mireille Liberas et nous font mieux comprendre son drame.
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00:00Ils deviennent pourris par la fausse des choses, la fatalité.
00:04On a trop mal.
00:06Voyez, il a écrit on a trop mal.
00:08Il n'a pas écrit j'ai trop mal, on a trop mal.
00:15Il aimait la mer, il aimait le soleil.
00:17Alors je regarde pour lui.
00:19Des fois ce ne sont pas mes yeux, ce sont ses yeux qui regardent tout ce qu'il aime.
00:23Un beau jour, il me dit ça ne va pas, il faudrait que tu t'occupes de moi.
00:32Je ne suis pas bien, ma nourriture ne me convient pas, je voyais que la vie maigrit.
00:37Et puis après, je ne l'ai plus vu de quelques jours et puis j'ai eu un coup de fil.
00:41Voilà, j'ai eu un coup de fil.
00:43C'est son ami qui m'a téléphoné, qui m'a dit si vous ne vous occupez pas de Rémi, il va mourir.
00:48Moi j'aimerais bien mourir avant mes enfants.
00:51Mais pas après mes enfants, je ne veux pas enterrer mes enfants.
00:54Mais malheureusement, à cette époque-là, on est en train d'enterrer nos enfants.
00:58Ce n'est pas eux qui nous enterrent, c'est nous qui enterrons nos enfants.
01:01Ça c'est vraiment grave.
01:10A Aubagne, dans les Bouches du Rhône, une mère de famille a tué son fils de 29 ans, toxicomane, qui l'a terrorisé.
01:16Ce n'est malheureusement pas la première fois qu'un tel drame survient en France.
01:20Les parents, à bout de nerfs et pour se défendre du harcèlement de leur enfant drogué, en arrivent à tuer.
01:27Sur ces images de son arrestation, Mireille Libéras a 63 ans.
01:31Elle vient d'assassiner son fils Gilles de deux balles de revolver et de rater son suicide.
01:39L'enfer de Mireille Libéras a duré 12 ans. 12 ans de combat pour sortir Gilles de la drogue.
01:45Mireille est allée jusqu'au bout de ce qu'une mère peut supporter.
01:48Le samedi précédant le drame, son fils la menace d'une arme et exige qu'elle vende son appartement pour pouvoir refaire sa vie et échapper aux dealers.
01:57Le lundi matin, il est revenu pour chercher l'argent, pour savoir.
02:02Je lui ai expliqué que je n'en avais pas, que ça serait long ou long terme.
02:07Parce qu'on hypothèque pas une maison, on n'a pas un appartement du jour au lendemain.
02:14Alors là, tout a basculé.
02:20Je lui ai écrit arrête, arrête, et au mi-lendemain on s'est arrêtés.
02:24Et puis la vie elle s'est arrêtée dans ma maison.
02:30Mère célibataire à 16 ans, Mireille a longtemps caché à Gilles l'existence de son père, parti vivre au Canada.
02:36Un secret que son fils a mal vécu.
02:38Quand elle lui en parle pour la première fois, Gilles a 19 ans et se drogue déjà.
02:45J'étais longue depuis deux ans à regarder à nouveau la mer parce que ça me faisait mal au début.
02:50Mais maintenant j'ai ce besoin parce que je regarde la mer, je regarde le ciel.
02:56Et puis d'être avec moi, je me raconte des histoires.
03:03Le rêve c'est gratuit.
03:07Et puis surtout, si moi j'ai mal, lui il n'a pas mal aujourd'hui.
03:15Il a la paix.
03:18Et il est surtout libre de ces chaînes qui lui ont gâché sa jeunesse.
03:31Je ne veux pas toujours culpabiliser.
03:34Mais si j'en reviens encore, si peut-être il était né dans d'autres circonstances,
03:39si peut-être j'avais su aller au-devant de lui, avec moi il regarderait la mer aussi maintenant.
03:49C'est un petit qui était heureux de vivre, qui ne posait pas de questions.
03:53Jamais, vous m'entendez, jamais, surtout quand il a commencé à aller à la maternelle,
03:59jamais il est venu me dire, maman, lis-moi, mon père, il est mort, il est vivant, tu es veuve, tu es divorcée.
04:08Jamais de questions. Dans ma tête j'y pensais.
04:11Je me disais, il est heureux mon petit, qu'est-ce que je vais lui dire, quelque chose.
04:17Il ne pensait pas.
04:19Mais pour moi, pas une seconde dans ma tête, je pouvais penser qu'il pouvait souffrir.
04:24Alors qu'avec le recul, quelques années après, j'ai compris qu'un petit qui ne pose pas de questions, qui est heureux,
04:34et qui est intelligent en même temps, automatiquement, lui il s'en posait des questions.
04:41Et c'est là, s'il y a des personnes qui m'entendent, qui m'écoutent, s'il y a des mamans qui sont dans cette situation,
04:48que l'enfant ne pose pas de questions.
04:50Pourtant, on sait très bien qu'on a une père, qu'on n'est pas nés par l'opération du Saint-Esprit.
04:55Et bien c'est là qu'il faut aller au-devant de l'enfant.
04:59Il faut prendre, si on peut appeler ça un courage, si même pas un courage, il faut parler à son enfant.
05:05Parce qu'un enfant, et ça je l'ai compris trop tard malheureusement, mais il faut aller au-devant de lui.
05:12Parce qu'un enfant, la vérité, il doit la savoir.
05:17Les non-dits, les conflits, la violence verbale ou physique avec les parents, tous les toxicomanes en parlent.
05:23En dix ans de drogue, Yann aussi est passé par là.
05:26Pendant longtemps, mes parents n'ont pas su ou n'ont pas voulu reconnaître que j'étais un toxicomane.
05:31Est-ce que vous parliez quand même beaucoup avec eux ?
05:34Beaucoup de complicité avec ma mère, donc très protrectrice, puisque je suis fils unique, donc une mère très protrectrice.
05:43On dit souvent dans le milieu des spécialistes en toxicomanie que le rôle de la mère par rapport au toxicomane est très important.
05:49Et très très peu de contact avec mon père, qui était pour des questions professionnelles ou personnelles un peu éloigné de mes problèmes.
06:00Yann a décroché de l'héroïne il y a un mois.
06:05Suivi par des médecins, il entame aujourd'hui une cure de désintoxication.
06:10Sans la main tendue par son père, Yann n'aurait sans doute jamais quitté ses dealers.
06:15Ma mère aurait peut-être eu tendance à cacher ma toxicomanie à mon père pour me protéger.
06:20J'aurais souhaité avoir un dialogue particulièrement avec mon père, comme je l'ai eu ces dernières années.
06:25Ça fait un peu plus d'un an, deux ans, quoi, disons.
06:27Deux ans que mon père a fait la démarche qui m'a le plus marqué, c'est lorsque je me suis mis au Subutex, donc il y a un an de ça.
06:36Il est allé avec moi à la pharmacie, donc demander l'ordonnance pour mon Subutex, etc.
06:44Ça, ça m'a beaucoup touché, parce que ça voulait dire qu'il s'était tenté de me concerner.
06:48C'est là qu'il m'a avoué que la toxicomanie lui faisait très peur, et que c'était pour ça que jusqu'à ce moment-là, il avait refusé de vouloir reconnaître que j'étais un toxicomane.
06:56Et depuis, il a adopté une attitude très très positive à mon égard, et mes parents me soutiennent beaucoup.
07:06Après Paris, Marseille est la ville de France où la drogue fait le plus de ravages.
07:10On parle ici de 5000 toxicomanes accros aux drogues dures.
07:14Les coups de filet succèdent au rafle, mais la drogue est toujours là, et pas seulement dans la rue.
07:19À Marseille, des familles entières subissent la violence d'un grand frère prêt à tout lorsqu'il est en manque et qu'il lui faut trouver quelques centaines de francs pour sa dose.
07:29Il y a dix ans, à bout de souffrance, d'isolement, d'incompréhension, des mères de toxicomanes ont fondé l'Association des Amis de l'Espoir.
07:37Avant tout un lieu de parole où l'on vient trouver un soutien moral, parfois des conseils.
07:44C'est la première fois que Mme Saint-Martin se rend à l'association.
07:47Sa fille est encore lycéenne, mais déjà, toxicomane est violente.
07:51Vraiment, je ne sais pas ce qu'on va devenir.
07:54C'est une catastrophe.
07:56Moi, ma fille, elle refuse tout ce que je dis systématiquement.
08:05Je donne des conseils. Je vais dire blanc, elle va faire noir.
08:09Mais le plus grave, c'est quand elle arrive et qu'elle est dans un état de...
08:12Elle est arrivée, de prendre ma fille, habillée, à la chambre.
08:17Alors là, elle a eu des réactions très, très mauvaises, jusqu'à lever la main.
08:23Faut pas se laisser faire.
08:25C'est une autre personne. C'est effrayant.
08:29Un petit peu forte. Parce que vous, laissez faire, ça y est.
08:32Elle vous crase. Elle vous crase.
08:35Elle dit ça y est, j'ai pris le dessus, qu'est-ce que je veux.
08:37Et elle est violente avec vous ?
08:39Très violente.
08:45Menaces, violences verbales.
08:47Et puis en tout cas, c'est dans la chambre.
08:50Quand ils font comme ça, ils sentent un manque.
08:53Ils manquent quelque chose.
08:55Quand ils cassent...
08:59Mais vous avez réagi, donc.
09:01Et depuis, elle rentre en colère.
09:03Là, c'est des grandes crises.
09:05Il y a ses objets et tout, mais plus sur vous.
09:08Non, plus physiquement sur vous.
09:10Yamina, je sais pas si je pourrais encore le supporter.
09:14Comme j'ai dit, je t'enlève la vie, je vais en prison, mais...
09:18Ça me lève la main dessus.
09:20Elle m'a pas frappée.
09:22Jamais, jamais. Je me laisserai pas faire.
09:24S'il me frappe, moi je vous ai dit, là, porte des bonnettes, je l'ouvre.
09:27Je le tue.
09:29Ah non, je le tue.
09:31Mais il y a des moments, quand vraiment je suis énervée,
09:34je le vois dans un état débrayé, je lui souhaite la mort.
09:37Puisqu'une femme, une mère, elle arrive à souhaiter la mort à son fils,
09:40c'est grave.
09:42C'est vraiment grave.
09:45Pour France, l'enfer de la drogue a trois visages.
09:49Celui de ses trois fils, tout trois toxicomanes.
09:52Rémy, l'aîné, est décédé du sida en 1995.
09:56Il a passé ses derniers mois de vie derrière les murs de cette prison,
10:00à Salon de Provence.
10:02Son deuxième fils est au baumette pour braquage.
10:05Le troisième est en liberté,
10:08mais il donne rarement de ses nouvelles à sa mère.
10:11France avoue avoir eu du mal à s'occuper de ses fils,
10:14qu'elle a eu très jeune.
10:16La drogue, les dealers, la descente aux enfers de Rémy,
10:19elle ne s'en est aperçue que trop tard.
10:22Il avait été arrêté parce qu'il faisait des hold-up.
10:25Et pourquoi il faisait des hold-up ?
10:27Parce qu'au départ, il s'est drogué.
10:29Et pour avoir les sous de la drogue, on vole.
10:35Au début, je ne m'en percevais pas de trop.
10:38Au début, c'était...
10:40Parfois, il était bizarre, mais je ne comprenais pas.
10:43Je ne comprenais pas ce qu'il avait.
10:46Qu'est-ce que vous entendez par bizarre ?
10:49Il était toujours pressé, il venait, il partait.
10:52Je ne comprenais pas.
10:54Il était très gentil, mais il était toujours pressé de partir.
10:58Quand il arrivait, il allait aux toilettes.
11:01Moi, je croyais qu'il...
11:03Je croyais qu'il avait des arrêts ou des trucs comme ça.
11:06Finalement, il se droguait dans les toilettes, dans les WC.
11:09Il se piquait à ce moment-là.
11:11Il avait quel âge ?
11:1319 ans, 20 ans.
11:25Difficile d'expliquer l'inexplicable.
11:28Rémy, comme ses frères, vivait dans une famille unie,
11:31dans un milieu aisé.
11:33Mais son indifférence ne les prédisposait à tomber dans la drogue.
11:36Aujourd'hui, malgré la présence de Jacques, son mari,
11:39et l'affection de Laurent, son dernier fils,
11:42France a du mal à reconstruire une vie que la drogue a bouleversée.
11:48Rémy m'a fait souffrir. Pourquoi ?
11:51La seule souffrance que j'ai eue de Rémy, c'était d'avoir touché la drogue.
11:56C'était lui qui souffrait.
11:58Moi aussi, je souffrais, mais c'était lui.
12:01En prison.
12:03En prison, privée de liberté, quand je pense à ça.
12:06Vous avez eu trois enfants qui étaient en même temps en prison ?
12:09Oui, pendant une certaine période, oui.
12:11Il a toujours pris sur son dos de dire que s'il avait commencé,
12:15s'il l'avait pas fait, du moins, ses frères peut-être l'auraient pas fait non plus.
12:18Quel état d'esprit vous étiez quand ils étaient tous les trois en prison ?
12:22Oh ben, j'étais...
12:25C'est comme si on me disait, quand un cyclone passe,
12:27comment vous passez, vous savez plus où vous en êtes.
12:30Je sais pas, je sais plus où j'en étais.
12:32J'aurais pas pu vous le répondre à ce temps-là.
12:34J'aurais pas pu vous répondre à comment j'étais à ce temps-là.
12:37Je sais que j'étais très très mal.
12:39Pourquoi est-ce que vous pensez qu'ils se sont drogués tous les trois ?
12:41On peut pas savoir pourquoi.
12:43En fait, un enfant, c'est...
12:45C'est quoi ? C'est un biais de loterie.
12:47C'est-à-dire que, bon...
12:49Dans des familles où les gens sont peut-être modestes,
12:53ou même les gens qui sont imbéciles peuvent faire des génies,
12:56limite je dirais que dans des familles honnêtes,
12:58il peut y avoir des assassins.
13:00Alors donc, ça n'a rien à voir.
13:02Ils se sont drogués parce que sur ce chemin, ça s'est trouvé comme ça.
13:05Vous regardez souvent les photos de Rémi et vous ?
13:08Ah ben, c'est-à-dire que maintenant, je...
13:10Il est toujours avec moi et il est là avec moi aussi.
13:13C'est sûr.
13:16Alors...
13:18C'est pas un problème, c'est sûr, je regarde les photos.
13:20Pas tous les jours, de temps en temps.
13:23Le soir, surtout. Plutôt le soir.
13:26J'écris ou je regarde, mais...
13:29Ben, ça dépend. Si c'est l'été, je sortais celle-là.
13:33Parce que je le voyais à la mer.
13:35Si c'est l'hiver, je prends mon ski, mais je le fais vivre les saisons.
13:38Si c'est... Si ça sera la fin de l'année, je prendrai...
13:42Je prendrai celui-là.
13:44Bonne fête, heureuse année.
13:46Toutes les années, même si c'est 95, 96, 97, je continuerai.
13:54Certaines mères, quand elles ont des problèmes comme ça,
13:57de drogue chez leurs enfants,
13:59on arrive à tuer leur fils.
14:01Est-ce que vous auriez pu imaginer ça ?
14:05Je pense que...
14:08Que j'aurais pu le faire, parce que...
14:11Déjà, moi, au niveau du temps,
14:14et de la drogue, ça a été quand même assez court.
14:16Je veux dire, en fait, ça a été vraiment très court.
14:19Mais...
14:21Mais si j'avais dû me battre pendant des années, des années, des années,
14:25en le voyant malheureux, en me voyant malheureuse,
14:28en fait, dans un moment pas possible,
14:30je crois que j'aurais pensé plus à lui
14:32et que je lui aurais enlevé la vie, parce que c'était trop de souffrance.
14:35C'est trop de souffrance, la drogue.
14:39J'ai plus envie d'écrire.
14:41J'en ai rien à foutre qu'on dise que je suis fort ou pas.
14:44La flatterie, c'est pour les autres, bien ou pas.
14:47Pour moi, c'est toujours mal.
14:49C'est pourri autour de moi.
14:51Même les gens braves deviennent méchants.
14:53Ils sont forcés.
14:55Ils deviennent pourris par la fausse des choses, la fatalité.
14:59On a trop mal.
15:01Voyez, il a écrit, on a trop mal.
15:03Il n'a pas écrit, j'ai trop mal.
15:05On a trop mal.
15:10Gilles a connu la drogue au lycée.
15:13Parce que son fils était sportif, gai, brillant,
15:16et qu'il avait des projets plein la tête,
15:18Mireille, sa mère, ne s'est rendue compte de rien.
15:22Le jour où elle comprend, il est déjà trop tard.
15:25Son fils a déjà un pied en enfer.
15:30Gilles raquette sa mère pour acheter ses doses,
15:33il la menace, et chaque fois, elle paye.
15:40Les premières années, j'ai subi sa violence,
15:43sa colère, son manque,
15:46étant donné que, je ne sais pas si c'était de la peur,
15:52et c'est surtout parce que je voulais lui éviter de faire des conneries à l'extérieur,
15:56tant que je pouvais, je lui ai donné de l'argent.
15:58En me disant, parce qu'il me disait,
16:01tiens, je vais partir 2-3 jours, on me mettra ouvert,
16:04alors j'ai donné un peu plus d'argent.
16:06C'était pour son voyage, pour se nourrir, tout ça.
16:09Et puis le lendemain, il revenait.
16:11Et chaque fois, on veut y croire.
16:16Et un jour, d'abord, j'étais malade, j'en pouvais plus,
16:20parce que là, il y avait des menaces,
16:22il me réveillait la nuit, il me prenait ma carte bancaire,
16:25il m'obligeait le matin à me lever à 6h du matin,
16:29avant de partir travailler,
16:31à me dire, va me retirer 200 francs, va me retirer 600 francs,
16:34et puis j'ai dit, maman, mais il n'y en a plus.
16:36Et le jour, j'ai dit, non, ce n'est pas possible.
16:39Et il me dit, tu ne vas pas revenir.
16:42Il m'a fait mon sac, j'ai donné mon sac,
16:44les papiers de ma voiture.
16:45Il m'a dit, tu ne vas pas revenir.
16:46Je lui ai dit, non, mais il y a ton frère qui est couché,
16:48tu ne crois pas que je vais le laisser ?
16:49Je vais revenir.
16:50Et là, je suis allée téléphoner à la police.
16:53Parce que je savais que je ne pouvais plus aller chercher 600 francs.
16:56Je savais.
16:58La police est venue, je leur ai expliqué,
17:00ils ont raisonné, ils voulaient faire entre personnes,
17:02il était menaçant,
17:04il faisait des trucs, la couture à la main,
17:07il faisait signe que c'est qu'il allait se tuer.
17:10Les flics sont arrivés,
17:11il y en a un qui est arrivé plus à le raisonner,
17:13et comme il était en manque complètement,
17:16ils lui ont dit, t'amènes à l'hôpital,
17:17ils l'ont amené à l'hôpital,
17:18et une heure après, il est ressorti.
17:21Il est ressorti.
17:22Et puis la situation s'est tellement, tellement aggravée,
17:25il commençait à tout casser dans la maison,
17:27les bousculades, les cris,
17:29ça devenait l'horreur.
17:32L'horreur pour lui, sa souffrance.
17:35Pour moi, je ne me compte pas.
17:39Mais pour son frère,
17:41c'était vraiment la catastrophe.
17:45Son frère, il avait 12 ans,
17:48il passait des nuits blanches,
17:51il allait le réveiller la nuit,
17:53il lui prenait son poste,
17:55le lendemain de ses cadeaux de Noël,
17:58il lui vendait ses jeux qu'il avait eus,
18:00enfin tous les vêtements.
18:02Moi, je cherchais des affaires,
18:04une veste en fourgon que j'avais,
18:06elle n'y était plus,
18:07parce qu'on m'en a pris la journée quand je n'y étais pas,
18:09tout ce qu'il pouvait prendre,
18:11on me le prenait au fur et à mesure.
18:16À bout de force,
18:17Mya y quitte la maison avec son plus jeune fils.
18:20Gilles, en manque,
18:21fait venir un brocanteur
18:23et vend pour le prix de quelques doses
18:25tout l'immobilier de l'appartement que sa mère vient de quitter.
18:28Malgré cette nouvelle épreuve,
18:30Mireille espère toujours.
18:32Entre deux défonces,
18:34Gilles a des périodes de rémission.
18:36Il passe de la drogue à l'alcool,
18:38au médicament,
18:39et se remet à travailler.
18:41Il veut devenir journaliste sportif
18:43et collabore même à la rédaction d'un journal local.
18:46Mireille y croit.
18:48Mais ces périodes de lucidité ne durent jamais plus de six mois.
18:51Et chaque fois,
18:52Gilles replonge un peu plus bas.
18:55Pourquoi je me suis battue
18:57pendant tant d'années,
18:59pendant douze ans,
19:01à l'aimer,
19:02à essayer de le préserver ?
19:05Je me rappelle que quelques mois avant,
19:09un drame insemblable qui s'était passé
19:12dans notre région,
19:14et que j'avais...
19:16Il était à la maison quand le journal Odine Veng
19:19avait eu le jugement.
19:21Je me rappelle qu'il s'était tourné vers moi
19:23et qu'il m'a dit,
19:24« Maman, mais tu ne me ferais pas ça. »
19:26Et je me rappelle,
19:27je me souviens que je m'étais approchée de lui.
19:29Je l'avais pris dans mes bras,
19:31et je lui avais dit,
19:32« Fous de penser ça, Gilles, mais tu te rends compte
19:34qu'il y a des années que je me bats,
19:36que j'essaie de t'aider,
19:37mais tu vas gagner, on va s'en sortir. »
19:40Et je lui ai dit ça trois mois avant.
19:44C'est fou, c'est fou, c'est fou.
19:48Et là,
19:50de voir qu'il était tellement mal, mal emploié,
19:55il ne se supportait plus.
19:56Il était arrivé à un tournant de sa vie
19:59où il me disait sans arrêt,
20:01« Maman, où je change ?
20:03Il faut que je change, il faut que je m'en sorte.
20:05Mais maintenant, je ne peux plus continuer comme ça.
20:08J'ai 29 ans, je ne peux plus vivre comme ça.
20:10Je suis trop mal, j'en ai marre. »
20:12Alors là, il passait de la dépression à la révolte.
20:23Dans sa révolte, Rémi essaye tout.
20:26Il va jusqu'à déclarer la guerre à ses propres dealers,
20:29mais chaque fois, le manque est plus fort,
20:31et Rémi replonge.
20:38D'overdose en overdose,
20:40il devient alors un habitué des services d'urgence,
20:43un abonné du SAMU.
20:48Combien de fois j'ai appelé des médecins
20:51pour leur dire « mais aidez-le, faites quelque chose,
20:53ça ne peut rien faire. »
20:54Combien de fois on l'a amené à l'hôpital,
20:56il sortait une heure après.
20:57Il y en a un, une fois,
20:59il était en folie, en manque.
21:02J'ai appelé à ce médecin, en me disant
21:04« ce n'est pas un toxicomane ».
21:05Automatiquement, il a pris les devants.
21:07Il est arrivé, mais il a prévenu la police.
21:10Ils sont arrivés en même temps.
21:12Le SAMU d'Aubagne, parce que j'ai dit
21:14« il a pris aussi des médicaments,
21:15je ne sais pas, ils ont craint l'endévidance. »
21:16Ils sont tous arrivés.
21:17À une heure du matin, ils m'ont dit
21:19« mon fils, il était excité, déchaîné, en manque. »
21:22La folie !
21:24Vous ne pouvez pas vous imaginer
21:26ce que c'est qu'un toxicomane profond,
21:29mais en manque.
21:30Ils ne sont pas tous pareils,
21:32parce que chacun a sa personnalité.
21:34Mais le manque, c'est quelque chose de...
21:36La douleur la plus atroce,
21:37c'est quand vous voyez votre petit
21:39qui hurle, qui est plié en deux,
21:41qui hurle la mort.
21:43Ce n'est pas du cinéma.
21:44C'est des souffrances atroces, atroces, atroces.
21:47Et moi, à trois heures du matin,
21:49je n'en pouvais plus de voir sur mon fils.
21:51Et comme je l'ai fait X et X fois,
21:53moi, et même certains de ma famille,
21:56j'ai pris ma voiture à trois heures du matin.
21:58Mon petit sœur ne m'a pas entendu dormir.
22:00Il avait quand même déjà 15 ans.
22:02Oui, 15 ans.
22:03J'ai pris ma voiture à trois heures du matin.
22:05J'ai dit « Gilles, où tu veux que je t'emmène ? »
22:07On est partis dans un certain quartier.
22:09J'ai donné l'argent.
22:11Il m'a dit « maman, ne bouge pas,
22:12il n'est pas à côté de ma compagne,
22:14il a peur que je découvre la tête des vendeurs. »
22:17J'ai donné l'argent.
22:18Il me disait « maman,
22:20alors des fois, il était plus conscient,
22:22c'était raisonnable une dose,
22:23je lui disais que 200 francs. »
22:24Des fois, il me disait « maman, pour que j'en aie,
22:26je me réglerai, je me ferai des petites doses,
22:28des cotons imbibés, ça durera deux, trois jours. »
22:30J'ai donné des fois 600 francs.
22:32J'attendais une quart d'heure à trois heures du matin
22:34à l'angle d'un immeuble.
22:36Et je le revoyais.
22:38Et pour vous montrer combien c'est psychologique,
22:41au moment même où on partait acheter la dose,
22:45il ne pensait plus à sa douleur.
22:48Parce qu'il savait qu'il allait avoir son calmant.
22:51Vous vous rendez compte un petit peu,
22:53si c'est fort dans la tête ?
22:55Et là, alors, ça a été la descente aux enfers.
23:04Je ne crois pas que Gilles,
23:06si je l'avais raté, il serait encore en vie,
23:09mais peut-être dans quel état physique.
23:14Et même si on était arrivé à le sauver,
23:17j'avais perdu quand même mon fils,
23:19parce que jamais il n'aurait pardonné à sa mère
23:22d'avoir fait un pareil geste.
23:24Moi, je me suis peut-être raté,
23:26mais malheureusement, lui, je ne l'ai pas raté.
23:29Je pense, j'essaie d'analyser le pourquoi
23:33et comment j'ai pu en arriver là.
23:36Pour le moment, le désespoir.
23:41Maintenant, bien sûr que je souffre plus peut-être
23:45mais lui, il ne souffre plus.
23:47Parce que sa souffrance, elle n'est pas mesurée,
23:50avec la souffrance même que je ressentais,
23:52avec la souffrance de personne.
23:54C'était sa souffrance et elle a été multipliée,
23:56je vous l'ai déjà dit, je crois,
23:58pour lui, dans son corps, dans sa tête,
24:00et de savoir qu'en plus de ça,
24:02il faisait souffrir tout ce qu'il aimait autour de lui.
24:07J'espère que je rêve encore,
24:09qu'il m'entende,
24:11qu'il puisse me pardonner quand même.
24:13C'est tout ce que je demande.