Pierre Bellemare comme vous ne l’avez jamais entendu ! C’est la promesse de ce nouveau podcast imaginé à partir des archives exceptionnelles du Service Patrimoine Sonore d’Europe 1.
Affaires criminelles, true crime, crimes, enquêtes, crimes historiques ou plus récents, crimes crapuleux, crimes familiaux, crimes inexpliqués surtout : Pierre Bellemare est le pionnier des grands conteurs de récits radiophoniques. Dans les années 70, cette voix culte d’Europe 1 a tenu en haleine les auditeurs avec ses histoires extraordinaires. Des histoires vraies de crimes en tout genre qui mettent en scène des personnages effrayants, bizarres ou fous. Des phrases à couper le souffle, des silences lourds de suspense, un univers de polar saisissant et puissant.
Avec un son remasterisé et un habillage modernisé, plongez ou replongez dans les grands récits extraordinaires de Pierre Bellemare.
Retrouvez "Les Récits extraordinaires de Pierre Bellemare" sur : http://www.europe1.fr/emissions/les-recits-extraordinaires-de-pierre-bellemare
Affaires criminelles, true crime, crimes, enquêtes, crimes historiques ou plus récents, crimes crapuleux, crimes familiaux, crimes inexpliqués surtout : Pierre Bellemare est le pionnier des grands conteurs de récits radiophoniques. Dans les années 70, cette voix culte d’Europe 1 a tenu en haleine les auditeurs avec ses histoires extraordinaires. Des histoires vraies de crimes en tout genre qui mettent en scène des personnages effrayants, bizarres ou fous. Des phrases à couper le souffle, des silences lourds de suspense, un univers de polar saisissant et puissant.
Avec un son remasterisé et un habillage modernisé, plongez ou replongez dans les grands récits extraordinaires de Pierre Bellemare.
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00:00Bienvenue dans les récits extraordinaires de Pierre Bellemare, un podcast issu des archives d'Europe 1.
00:10Le 8 juillet 1972 dans une salle commune de l'hôpital de Grenoble, deux jeunes filles
00:17en peignoir décolorées se dévisagent. La pièce n'est pas grande, une dizaine de lits seulement
00:23et les femmes qui s'y trouvent n'ont pas cet air prostrait, lointain, mûret des grands malades.
00:29Elles souffrent seulement de fatigue nerveuse, de faiblesse ou de dépression. Leur âge s'échelonne
00:36d'une manière assez régulière, la plus vieille atteint à peine la soixantaine, les deux plus
00:41jeunes n'ont pas vingt ans. L'une de ces dernières est là depuis trois ou quatre jours, l'autre est
00:47arrivée la veille au soir assez tard. Elle vient seulement d'ouvrir l'œil, de se soulever sur son
00:53oreiller et de contempler la pièce autour d'elle d'un air un peu étonné. C'est alors qu'elle a
00:59croisé le regard de l'autre jeune fille. Elles se sont considérées pendant quelques secondes puis
01:04elles se sont souries d'un bout à l'autre de la salle. Certains regards peuvent se montrer plus
01:11éloquents que bien des discours. Les deux jeunes malades se sont tout de suite reconnues, elles ont
01:17deviné qu'elles appartiennent au même univers. Comme les animaux sauvages de Royer Kipling,
01:23elles auraient pu murmurer « nous sommes du même sang, toi et moi ». Un peu plus tard,
01:30elles se sont promenées ensemble dans le couloir de l'hôpital, elles se sont fait quelques confidences
01:35juste pour s'assurer qu'elles ne s'étaient pas trompées. L'aîné s'appelle Marcel Vincent,
01:41elle a dix-neuf ans, la plus jeune n'a que dix-sept ans. Il m'est donc interdit de vous
01:46donner son nom en toutes lettres, je l'appellerai Nadine C. C'est Nadine qui vient d'arriver,
01:53elle s'informe des usages et distractions et Marcel n'est guère encourageante. « Oh, des distractions,
02:00tu sais, dans un hôpital, tu n'en trouveras pas beaucoup. Ailleurs, dehors, en ville ? » « En
02:06ville peut-être, mais faudrait pouvoir sortir. » Des jeunes filles hospitalisées n'ont évidemment
02:14pas la permission de sortir d'un hôpital, mais elles peuvent essayer de le faire en fraude. Après
02:19tout, un hôpital n'est pas une prison. Mais sortir pour aller où ? Un journal qui traîne
02:25leur donne une idée. Demain, c'est dimanche, on danse à Voiron. Ce n'est pas très loin,
02:31Voiron, juste à une vingtaine de kilomètres dans la montagne, au-dessus de la vallée de l'Isère.
02:35Et c'est ainsi que le lendemain après-midi, Nadine et Marcel prennent le large. Elles
02:42ont emprunté dans une lingerie voisine de leur chambre des vêtements à peu près à leur taille.
02:46Parmi la foule des visiteurs du dimanche, il ne leur est pas difficile de passer inaperçu.
02:53L'aventure commence, une aventure qui va se terminer mal.
03:13En quittant l'hôpital de Grenoble en fraude, un dimanche après-midi pour aller danser à
03:23Voiron, Nadine et Marcel ont des tas de choses à se dire. Elles ont aussi le temps de le faire.
03:29Les automobiles sont pleines d'enfants, de vieilles tantes et de grands-mères, et leur
03:34chauffeur ne s'arrête pas pour prendre deux jeunes filles en stop. Nadine, la plus jeune,
03:40est issue d'une famille de nomades installée depuis une génération et demie dans la région
03:43grenobloise. Cette famille n'a pas une grande réputation d'honnêteté. Deux des oncles de
03:49Nadine ont été en prison à plusieurs reprises. Son père a toujours échappé à la justice,
03:54mais il doit cet avantage à sa ruse et à sa prudence, plus qu'à une conscience irréprochable.
04:01Sa femme et lui sont divorcés. D'ailleurs, Nadine vit avec sa mère. Il ne semble pas
04:07qu'elle ait jamais trouvé dans son milieu familial l'équilibre et le bonheur qu'elle
04:12pouvait légitimement espérer. Bien qu'elle n'ait que 17 ans, elle a déjà un petit ami. C'est un
04:19voyou tyrannique et borné qui appartient à une bande peu recommandable dont les minables exploits
04:24ont fait quelques bruits dans la région. Un beau matin, elle se croit enceinte. Comme il fallait
04:30s'y attendre, le père présumé accueille cette nouvelle avec fureur, mais aussi avec mépris.
04:34Au cours d'une scène difficile, la jeune fille est saisie d'une crise de nerfs qui se prolonge
04:39assez longtemps pour inquiéter sa mère. Alors, le 5 juillet 1972, on la conduit à l'hôpital.
04:44Marcel Vincent est un peu plus âgé que Nadine. Elle a 19 ans, je vous l'ai déjà dit. Elle n'est
04:50pas originaire du Dauphiné, mais d'Algérie. Après avoir quitté le pays natal en 1962,
04:55son père s'est retrouvé à Bourg-en-Bresse avec sa femme et ses 14 enfants. Oui, oui,
05:00vous avez bien entendu, 14 enfants. Quand on a 16 bouches à nourrir, il est évident que l'on ne
05:07peut pas accorder à chaque membre de la nichée toute l'attention dont il aurait besoin. Victor
05:13Hugo a eu beau s'écrier à propos de l'amour maternel, « chacun en a sa part et tous l'ont
05:18tout entier ». Peut-être, mais quelle part ? Un quatorzième, cela ne suffit peut-être pas
05:24tout à fait à un enfant avide d'affection. Marcel aussi trouve un petit ami, cela comble
05:30certainement le vide sentimental dont elle souffrait. Cela lui donne aussi des goûts
05:34d'indépendance. Et un beau matin, elle quitte le HLM familial et s'en va sur les routes, vivant
05:39de menus larcins, couchant dans les granges solitaires, se déplaçant à pied et en autostop.
05:44Elle est récupérée un soir sur la route par deux braves gens de Grenoble qui s'émeuvent de son
05:49sort et décident de s'occuper d'elle. Ils l'hébergent, lui trouvent du travail à deux reprises. Et à
05:54deux reprises, il est clair que ce travail ne lui convient pas. Mais quel travail pourrait lui
05:59convenir ? Que sait-elle faire à 19 ans ? Que lui a-t-on appris ? Rien. Désespérée par ces deux
06:06échecs, inquiète d'un avenir que ses nouveaux amis ne pourront pas lui assurer éternellement,
06:10Marcel sombre dans la neurasthémie. Un jour, elle tombe en syncope. On l'a conduit à l'hôpital dans
06:17la même salle que Nadine. C'est le samedi 8 juillet 1972. Leurs regards se croisent,
06:25elles se comprennent au même instant. Une voiture pas trop pleine a fini par
06:32s'arrêter. Et les voici maintenant à Voiron. C'est une jolie petite ville mais dont les
06:38ressources le dimanche après-midi sont plutôt maigres. Les deux jeunes filles trouvent le bal
06:43qu'elles venaient chercher, elles dansent. Mais l'aventure ne semble pas se présenter très vite.
06:48Elles sont pourtant tout à fait mignonnes, Nadine et Marcel, et pas trop imbèches. Apparemment,
06:52les jeunes gens du pays manquent d'empressement. Les deux jeunes filles s'attardent, elles ont mis
06:57leur fortune en commun, quelques billets de 10 francs qui leur permettront de dîner de deux
07:01sandwichs et d'un Coca-Cola. Quand le bal s'achève, l'aventure n'est toujours pas arrivée. Les derniers
07:08danseurs s'en vont, les lumières s'éteignent. Elles hésitent, que vont-elles faire ? En vérité,
07:13elles n'ont pas le choix. Il leur faut évidemment retourner à Grenoble. Alors elles parviennent à
07:18monter dans une voiture qui les ramène en ville. Et une fois là, nouvelle perplexité. Bien entendu,
07:25elles n'éprouvent pas le moindre désir de réintégrer leur lit d'hôpital. Elles n'ont
07:28qu'ure des observations et des reproches. Elles sont bien assez grandes pour se diriger toutes
07:32seules. Soudain, Nadine propose « Et si on allait à Romand ? » À Romand ? Pour quoi faire ? Ben,
07:40c'est là qu'habite Patrick. Patrick, c'est son ami. Celui qu'il a vilainement quitté quand elle
07:46l'a prévenu qu'il allait être papa. Oui, mais il faut que je vous dise, entre-temps, elle s'est
07:51aperçue qu'elle s'était trompée. Alors, il n'a plus aucune raison d'être fâché. Il sera peut-être
07:58même content de la retrouver, Patrick. Marcel hausse les épaules. Aller à Romand ou ailleurs,
08:03ça lui est bien égal. Et puis Nadine a des copains là-bas. Les retrouver, c'est peut-être ce qu'elles
08:10ont de mieux à faire. Alors, les deux jeunes filles vont jusqu'à la gare. Il n'y a pas de train
08:16pour Romand avant cinq heures du matin. Il est 1h30. Le buffet de la gare est encore ouvert. Elles
08:22meurent de faim. Elles boivent un chocolat et grignotent des madeleines. Et puis, elles continuent
08:27à échanger des propos apparemment superficiels. « On ne pourra pas prendre le train. On n'a pas
08:32assez d'argent. » « Ben, ça fait rien. On ira en auto-stop. » « Ah, c'est embêtant de ne pas avoir
08:38d'argent. » « Où pourrait-on s'en procurer ? » « On ne peut pas cambrioler une banque tout de même.
08:42On n'y arriverait pas. » Marcel réfléchit intensément. Déride barre son front étroit.
08:49Elle susse une gorgée de chocolat tiède. « On pourrait attaquer un automobiliste. » « Tu es
08:55folle. On ne saura pas s'y prendre. » « Et moi, je sais. » « Je l'ai déjà fait. » « Tu l'as déjà
09:02fait ? » « Où ça ? » Non, non, Marcel Vincent n'a jamais agressé personne. L'histoire qu'elle
09:09raconte est parfaitement imaginaire. Si Nadine avait le moindre bon sens, elle s'en apercevrait
09:15tout de suite. Mais Nadine a une cervelle d'oiseau. Elle avale l'histoire de Marcel sans
09:20respirer. « T'as compris, c'est pas compliqué. On n'a pas assez d'argent pour se payer un pistolet.
09:25Alors, on va acheter un couteau, hein. On se fait prendre en stop. On n'aura pas de mal. On est
09:31assez jolies filles pour ça. On trouve un prétexte pour faire arrêter le type. On aura juste besoin
09:36de montrer le couteau, tu verras. Il fera pas d'histoire. Il nous donnera son pognon et puis
09:40voilà tout. » Ainsi décrite l'opération illumineuse de simplicité. Nadine n'a aucune objection à faire.
09:48Elle est immédiatement séduite. Au fond, ce n'est pas bien difficile de gagner de l'argent. Il suffit
09:52d'avoir un peu de cran. Les deux jeunes filles s'allongent sur une banquette et somnolent jusqu'au
09:57petit matin. À leur réveil, elles boivent un café, vont se donner un coup de peigne dans les toilettes et
10:02se dirigent vers le centre de la ville. Et c'est alors que le destin, d'une manière incompréhensible,
10:07donne son accord à l'extravagant projet de Marcel. Car, tout de même, en règle générale, le lundi
10:14matin, toutes les boutiques sont fermées. Eh bien, pas du tout. Les deux jeunes filles trouvent vers
10:189h15 une quincaillerie ouverte. Elles entrent et achètent un couteau de cuisine. Puis, comme il
10:24leur reste un peu d'argent, elles en achètent un second, un pour chacune. Elles en vérifient la
10:30pointe et le tranchant. Et puis, elles vont se placer à la sortie de la ville et attendent un
10:35automobiliste de bonne volonté. C'est alors que commence une incroyable loterie. Qui va décrocher
10:45la timbale? Le premier automobiliste qui se présente ne va pas jusqu'à Romand. Il abandonne
10:51les jeunes filles à Saint-Marcelin. Elles ont renoncé à le menacer. Il avait l'air d'un si
10:57brave homme. Le deuxième les conduit à Romand. Sur la banquette arrière de la voiture se trouve
11:03fixé un siège de bébé. Attendris, les deux gamines le laissent partir sans l'inquiéter. À Romand,
11:11elles attendent assez longtemps. C'est le milieu de l'après-midi. Elles ont peu dormi la nuit
11:16précédente et presque rien mangé depuis la veille. Elles renoncent momentanément à chercher la mine
11:21Nadine. Trouver de l'argent leur semble plus urgent. La troisième voiture qui s'arrête contient deux
11:27jeunes gens qui les déposent à Valence. Bien entendu, malgré leurs deux couteaux, elles n'ont
11:32pas osé attaquer les deux garçons. À Valence, nouvelle attente. Enfin, vers 20h30, une 204
11:40s'arrête. Un homme assez jeune les fait monter. Nadine s'assoit près de lui. Marcel s'installe
11:47derrière. L'automobiliste s'appelle Raymond. Il a 33 ans. Il est représentant de commerce. Il est
11:55marié. Il a un petit garçon. Assez rapidement, le chauffeur se montre empressé, presque galant. Il
12:01parle beaucoup. Il fait de l'esprit. Il plaisante. Il dévore sa voisine des yeux. Les deux jeunes
12:08filles échangent un regard. « Excusez-moi, mais je voudrais bien m'arrêter une minute », murmure
12:14Nadine d'un air contrit. « Mais qu'à cela ne tienne ! » s'écrit le conducteur. « Je suis à vos
12:18ordres. » Il oblique dans un chemin de terre, traverse des prairies, des champs labourés, un
12:23petit bois, trouve une sorte de clairière. « Est-ce que ça vous va comme ça ? » demande-t-il. « Parfait. »
12:28Il ne sait pas à quel point c'est parfait, le pauvre garçon. Nadine s'éloigne, revient au
12:37bout de deux ou trois minutes, remonte. « Oh ! » dit-elle, « je crois que j'ai laissé tomber ma
12:41montre. » La nuit est venue. Raymond allume le plafonnier et se baisse. Marcel, derrière lui, lève
12:47son bras et lui porte un coup de couteau dans le dos. L'homme se redresse. « Salope ! » hurle-t-il. Le
12:54couteau a glissé sur sa colonne vertébrale. Il se retourne et empoigne le bras de Marcel. Alors
13:00Nadine frappe à son tour, un peu au hasard, folle de peur. Elle atteint la cuisse, coupe l'artère
13:05fémorale. Le sang gicle furieusement. Raymond ouvre la portière, parvient à sortir, fait
13:11quelques pas et s'effondre près d'un huissant. Les deux jeunes filles se précipitent derrière lui.
13:17Il n'y a plus rien à faire. Il est en train de mourir. Je vais vous quitter quelques instants
13:26avant de poursuivre cette histoire absurde. Les récits extraordinaires de Pierre Delmar, un podcast
13:40européen. Après avoir connu une vie difficile, mal aimée, sans attache réelle avec le monde,
13:45Marcel Vincent, 19 ans, et Nadine, c'est 17 ans, se sont rencontrés à l'hôpital de Grenoble où
13:51les avaient conduits des états dépressifs à ses voisins. Elles n'y sont pas restées longtemps. Le
13:56goût de l'aventure est plus fort chez elles que le besoin de sécurité. Comme elles n'ont pas
14:00d'argent, elles ont résolu d'attaquer un automobiliste afin de le dépouiller. Elles
14:05achètent deux couteaux de cuisine et vont faire du stop à la sortie de la ville. Elles renoncent
14:09trois fois à leur entreprise. Le quatrième automobiliste, qui s'appelle Raymond, les charge
14:14à valance. En cours de route, Nadine prétexte un besoin pressant et le galant chauffeur s'engage
14:19dans un chemin campagnard. Arrivé dans un petit bois, il est percé de deux coups de couteau dont
14:24l'un lui sectionne l'artère fémorale. Il parvient tout de même à sortir de sa voiture et meurt à
14:30trois pas de là dans l'herbe. Les deux meurtrières sont affolées. Nadine, qui occupait le siège du
14:35passager, est couverte de sang. Il n'est plus question de dépouiller le pauvre garçon. Elles
14:39partent en courant vers une maison isolée. Il est 9h30 du soir. Le propriétaire de la
14:45maison est un ancien douanier. En voyant surgir deux jeunes filles échevelées et couvertes de sang,
14:50il garde son sang-froid. « Vous êtes blessé ? » « Oui, » bradouille Marcel. « Une seconde, je sors
14:56ma voiture et je vous emmène à l'hôpital. » En route, il a tout de même un doute. Les deux
15:01jeunes filles ne portent apparemment aucune blessure, ne semblent souffrir de rien. Pourtant,
15:06une telle quantité de sang doit bien venir de quelque part. C'est la même réflexion que se fait
15:11dix minutes plus tard l'interne qui les examine et qui les aide à se nettoyer. Il est tellement
15:16surpris qu'il téléphone à la gendarmerie. On vient chercher les jeunes filles. On les conduit devant
15:22un adjudant, M. Roger Tizzy. « D'où vient ce sang ? demande-t-il. Vous n'êtes pas blessé ? » « Pas nous,
15:30non. C'est une amie qui était avec nous. Elle a été renversée par une voiture. » « Où ça ? » « Sur la
15:36route vers Romand, à sept ou huit kilomètres. » « Mais vous l'avez laissée là-bas ? » « Ben oui,
15:42on ne savait pas. » « Vite, vous allez nous conduire. » Le chef Roger sort les stafettes de la brigade,
15:49il s'installe au volant, fait monter les deux jeunes filles. « Si je vous accompagnais,
15:53murmure l'adjudant-chef. Roger hausse les épaules. Je m'en tirerai bien tout seul. » Ils s'éloignent.
15:58Les deux filles ne semblent pas très bien se souvenir. Elles vont trop loin, font faire
16:04demi-tour au gendarme. Celui-ci finit par s'étonner. Alors elle lui désigne le chemin de terre. « Si on
16:12lui disait, murmure Marcel à l'oreille de Nadine. » « Si on lui disait quoi ? » demande Roger. « Ben vous
16:20savez, c'est pas facile à dire. » « On a tué un homme. » « Qu'est-ce que vous dites ? » « Ah oui. On a
16:33tué un type à coup de couteau. Au bout du chemin, là, un peu plus loin. » Le chef Roger a déjà décroché
16:40le téléphone qui le relie directement à la gendarmerie. Il murmure quelques phrases brèves.
16:44Malgré son courage personnel et son entraînement professionnel, il n'est pas très rassuré. Se
16:49trouver en pleine campagne, en compagnie de deux tueuses. S'il en échappe, il aura des souvenirs à
16:54raconter à ses petits-enfants. Mais son inquiétude ne dure pas longtemps. Ses collègues surgissent
16:59quelques minutes seulement après son appel. On découvre le corps de Raymond. Personne n'est
17:05encore passé par là. Personne ne touchait à rien. L'aventure se lit sans difficulté dans la voiture
17:12restée porte ouverte, dans les couteaux jetés sur les sièges, dans l'herbe foulée, dans l'homme
17:17frappé, tombé près d'un buisson vidé de son sang. Oh, l'enquête ne sera ni longue ni difficile. La
17:24tragique histoire des deux jeunes filles ou buteaux, leurs deux histoires si voisines, si parallèles,
17:29si semblables, ne présentent aucune zone d'ombre, aucune énigme. On les a élevées pendant presque
17:35vingt ans comme des chats sauvages. C'est comme des chats sauvages qu'elles ont réagi quand les
17:41difficultés de la vie se sont faites insupportables. Elles ont frappé toutes les deux, Raymond, au
17:46sang méchanceté particulière, sans haine, mais aussi sans émotion. Tant malheur, elles ne possédaient
17:55pas des nerfs de chats sauvages. Dès que le sang a giclé, elles ont failli s'évanouir. J'ai dit par
18:03malheur. Vous avez compris, je suppose, que ce malheur me rassure. Il est le gage à peu près
18:11certain que Nadine et Marcel ne recommenceront pas. Plus jamais. Leur procès s'est tenu dans les
18:20premiers jours de juin 1973, devant la cour d'assises du Rhône. Le jury leur a infligé quinze
18:28ans de prison, peine qui fut ramenée à la moitié pour Nadine, ce qui est toujours le cas pour les
18:33mineurs. Elles se trouvent sans doute aujourd'hui à la centrale de Rennes, seule prison de France
18:39qui accueille les femmes condamnées à de longues peines. Mais leur véritable problème, vous le
18:45savez, n'est pas du ressort des tribunaux. Ils ne connaîtra une amorce de solution que le jour
18:52où notre société s'inquiétera enfin de ces enfants perdus.
19:16Vous venez d'écouter les récits extraordinaires de Pierre Bellemare. Un podcast issu des archives
19:22d'Europe 1 et produit par Europe 1 Studio. Réalisation et composition musicale, Julien
19:28Tarot. Production, Raphaël Mariat. Patrimoine sonore, Sylvaine Denis, Laetitia Casanova,
19:36Antoine Reclus. Remerciements à Roselyne Bellemare. Les récits extraordinaires sont disponibles sur le
19:43site et l'appli Europe 1. Écoutez aussi le prochain épisode en vous abonnant gratuitement sur votre
19:49plateforme d'écoute préférée.