• il y a 11 mois
Pierre Bellemare comme vous ne l’avez jamais entendu ! C’est la promesse de ce nouveau podcast imaginé à partir des archives exceptionnelles du Service Patrimoine Sonore d’Europe 1.
Affaires criminelles, true crime, crimes, enquêtes, crimes historiques ou plus récents, crimes crapuleux, crimes familiaux, crimes inexpliqués surtout : Pierre Bellemare est le pionnier des grands conteurs de récits radiophoniques. Dans les années 70, cette voix culte d’Europe 1 a tenu en haleine les auditeurs avec ses histoires extraordinaires. Des histoires vraies de crimes en tout genre qui mettent en scène des personnages effrayants, bizarres ou fous. Des phrases à couper le souffle, des silences lourds de suspense, un univers de polar saisissant et puissant.
Avec un son remasterisé et un habillage modernisé, plongez ou replongez dans les grands récits extraordinaires de Pierre Bellemare.

[ARCHIVE EUROPE 1 - Les récits extraordinaires de Pierre Bellemare] Au pied de l’immeuble d’une capitale européenne, un corps, écrasé par le choc de la chute des dix étages. C’est le cadavre de Paul, un père de famille endetté. Près de lui, le rideau de son salon, arraché dans sa chute. Les enquêteurs s’empressent de monter à l’appartement. Dans le séjour, sa femme, Jocelyne, et leur fils sont également décédés tous les deux. Le responsable de ce carnage est un papier, retrouvé dans le placard d'entrée. 
Quelques années plus tôt, le couple s'était rencontré à Paris. Faute de moyens, ils s'installent dans une petite chambre de bonne d'à peine huit mètres carrés.. La famille s'agrandit. Avec leur bébé, Paul et Jocelyne obtiennent un petit appartement dans un HLM mais Jocelyne tombe souvent malade en raison de l'humidité. Son emploi ne lui permet guère de payer le loyer et son mari se met à jouer aux jeux d'argent. Mais un jour, Paul décroche le gros lot ! Jocelyne n’est pourtant pas plus heureuse, son mari se met à voyager énormément jusqu’au jour où la police l’arrête : l’homme a escroqué la société dans laquelle il travaille. Tout cet argent pendant que Jocelyne, de son côté, mène un train de vie modeste. Mais où est passée cette somme astronomique ? A cet instant, la “machine qui rend fou” est lancée. Jocelyne, croulant sous les dettes, doit rembourser le vol de son mari, chaque jour un peu plus encore ! Et le même matin du drame, la “machine qui rend fou” et qui ne s’arrête jamais, frappe encore avec ce papier que reçoit Jocelyne. Quelle est cette machine qui finit par broyer toute une famille ? Pierre Bellemare raconte cette incroyable histoire dans cet épisode du podcast "Les récits extraordinaires de Pierre Bellemare", issu des archives d’Europe 1 et produit par Europe 1 Studio.
Retrouvez "Les Récits extraordinaires de Pierre Bellemare" sur : http://www.europe1.fr/emissions/les-recits-extraordinaires-de-pierre-bellemare

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Transcription
00:00 Bienvenue dans les récits extraordinaires de Pierre Belmar.
00:07 Un podcast issu des archives d'Europe 1.
00:11 Dans une capitale européenne, vers 19h30, un jour de semaine, un commissariat de quartier.
00:18 La radio d'une voiture de police secours signale qu'un homme vient de s'écraser au pied d'un immeuble du quartier.
00:24 La présence du commissaire est souhaitée car il ne semble pas qu'il s'agisse d'un simple accident.
00:31 Quelques instants plus tard, le commissaire est donc au pied de l'immeuble, penché sur le cadavre qui ensanglante le trottoir.
00:40 C'est celui d'un homme de taille moyenne, brun, les yeux marron, vêtu d'un costume usé et quelque peu démodé.
00:49 Près de lui, il y a un rideau qui l'a entraîné dans sa chute, ce qui prouve qu'il a cherché à se raccrocher.
00:57 Un policier en uniforme montre sur la poitrine du cadavre une large tache de sang qui imbibe la laine d'un pullover.
01:06 « Voyez, patron, on lui a tiré dessus. »
01:11 Comme un poisson blanc dans un bocal de verre, le gardien de l'immeuble parle et tremble en émotion.
01:16 Quelques secondes plus tard, regarde passer le commissaire.
01:19 Sa bouche s'ouvre et se ferme derrière la vitre.
01:23 N'oubliez pas ce personnage, bien qu'il ne joue aucun rôle actif dans cette histoire fantastique, il en est le symbole même, le symbole de l'indifférence stupide.
01:34 « Vous voulez me dire quelque chose ? » demande le commissaire.
01:36 « Oh non, non, non, non, non. Mais si, je vous ai vu parler. Bah, je disais... Décidément... »
01:44 « Décidément quoi ? »
01:46 Le monologue curfut du gardien.
01:49 « Décidément, ces gens-là, c'étaient pas des gens comme tout le monde. Décidément, ça ne l'étonne pas que ça se termine aussi mal. Décidément, c'est toujours les mêmes qui font des scandales. »
02:00 Le commissaire l'interrompt.
02:02 « Vous connaissez la victime ? »
02:04 « Bah oui, il connaît cet homme. Nous l'appellerons Paul. »
02:08 « Dixième étage, troisième porte à droite. »
02:12 Au dixième étage, un policier en uniforme veille sur la troisième porte à droite, restée grande ouverte par laquelle le commissaire entend parler le médecin et un inspecteur déjà sur les lieux.
02:22 Lorsqu'il entre, il croise le médecin dans le minuscule couloir qui lui dit simplement « Il y a une suite, commissaire. Une femme morte, c'est un suicide. Et un gosse qui s'est tiré une balle dans le palais. On va le faire transporter, mais c'est un gros calibre. Y a peu d'espoir. »
02:45 Le petit appartement de deux pièces est étrangement vide. Dans ce qu'on appelle le living room, une table, trois chaises, un matelas sur le sol et un sac de couchage.
02:57 Sur le mur, quelques photos encadraient celles d'un enfant à des âges différents. D'abord bébé, dodu, petit garçon en premier communion, adolescent maigre, souriant sur sa bicyclette.
03:09 L'adolescent maigre, il est là, allongé sur la moquette, le visage inondé de sang. Il tient encore à révolver à la main. Il a dû tomber en arrière en versant une chaise après s'être tiré une balle dans le palais.
03:23 La mère est dans la chambre, en pantalons et chemisiers pâles, rigides, sur le lit où elle s'est suicidée en absorbant sans doute une forte dose de barbiturique, comme en témoigne un verre et des tubes vides. C'est une blonde dont le visage disparaît dans le désordre des cheveux et des draps.
03:43 « Quel carnage ! » pense le commissaire.
03:47 Évidemment, la fenêtre est ouverte et il monte l'un des rideaux. Les rumeurs de la rue montent indifférentes. Le commissaire se penche. Tout en bas, les deux voitures de la police et l'ambulance qui vient d'arriver sont montées sur le trottoir pour ne pas trop gêner la circulation.
04:04 Le cadavre du malheureux est encore visible au milieu du cercle de badeaux maintenu par les policiers.
04:10 Quelques instants plus tard, tandis que deux brancardiers emmènent le jeune homme, le commissaire examine le revolver. C'est un vieux 7.65 qui doit dater de Matusalem. Le chargeur est vide. Toutes les balles ont été tirées.
04:23 Encore un coup d'œil sur la malheureuse allongée sur son lit. Et puis le regard du commissaire balaie la pièce. Dans un placard resté entre ouvert, quelques vêtements sur des cintres.
04:35 Et le coupable.
04:38 Eh oui. Pour un peu l'enquête serait finie avant d'avoir commencé car le responsable est là, dans le bas de ce placard, au milieu des chaussures, dans la serviette de similicuir où la malheureuse gardait ses documents d'état civil.
04:54 Le responsable de ce carnage, c'est un papier imprimé. Un simple papier. Mais un papier comme le commissaire n'en a jamais vu. Un papier dingue, démesurément grotesque et en même temps parfaitement logique.
05:10 Il est à lui tout seul, la condamnation de tout raisonnement humain. Il est l'œuvre de la machine qui rend fou.
05:19 *Musique*
05:38 Disons-le tout de suite, la triste héroïne de cette affaire c'est la femme. Parce qu'elle a probablement souffert plus que les autres. Parce qu'elle a porté un poids plus lourd, peut-être aussi parce qu'elle était la plus fragile.
05:50 Inutile d'entrer dans des détails psychologiques, inutile de monter en épingle certains traits de caractère. Ce qui lui est arrivé aurait pu arriver à n'importe laquelle d'entre vous mesdames.
06:00 Pour peu que vous soyez la femme un peu trop modeste, un peu trop dévouée d'un mari que vous aimeriez, envers et contre tout.
06:07 Tous deux déjà mariés, déjà père et mère d'un bébé de 18 mois, sont venus d'ailleurs. Ils sont venus d'un pays des bords de la Méditerranée, où ils étaient nés, où ils avaient vécu, mais où ils ne pouvaient plus vivre.
06:19 Lui, que nous appelons Paul, bien qu'il soit sensible, actif et au fond pas mauvais bougre, en ressent une certaine amertume. Elle, que nous appellerons Jocelyne, ne rencontre à Paris aucune véritable compréhension.
06:31 Elle parle mal le français et malheureusement le parlera toujours non pas mal, mais avec un fort accent qui rend son audition pénible, d'où il résultera qu'elle sera toujours pour les autres une étrangère.
06:43 En novembre 1956, ils se logent dans une chambre de bonne humide et sans chauffage. La chambre fait à peu près 8 mètres carrés. Leur lit remplit toute la pièce et sert de siège durant les repas.
06:55 Pourtant, cette chambre, pour l'acheter, il a fallu emprunter auprès d'un hôtel. Conséquence beaucoup de soucis, car les salaires additionnés du ménage ne permettent pas toujours de rembourser cet emprunt.
07:06 A cela s'ajoute une sourde inquiétude au sujet de leurs parents restés au pays où, paraît-il, la police les tracasse sans cesse. Jocelyne et Paul et l'enfant vivent dans leur chambre de bonne environ deux ans, au bout desquels la santé de Jocelyne et celle de sa petite famille en a pris un coup sérieux.
07:23 On leur affecte alors un logement HLM qui les oblige à des frais, des frais d'ameublement. Ils y passent deux hivers d'une existence difficile. Le HLM est situé à trois kilomètres d'une gare.
07:35 Pour prendre le train, il faut guetter chaque matin par tous les temps et sans protection un autobus qui passe souvent complet. Elles travaillent au nord-est de Paris, lui au sud-est, et leur fils dans une école de la banlieue.
07:47 A ce régime affreux, pour une femme habituée au soleil et à la simplicité de la vie dans un pays méditerranéen, Jocelyne dépérit. La grippe et ses conséquences et sa fidèle campagne durant des années.
08:00 Pas question de profiter d'un arrêt de travail médical. Elle et son mari ont besoin de consolider leur situation professionnelle. Et la machine qui rend fou, allez-vous me dire.
08:09 Attendez, nous allons en parler de cette extraordinaire machine, mais la machine c'est le jour J et il faut d'abord passer avant le jour J à l'épisode suivant.
08:20 Deuxième épisode, le PMU. Oui, Paul se met à jouer au PMU. Il perd plusieurs fois et puis enfin gagne une somme assez coquette. À partir de ce jour, il va jouer régulièrement et de plus en plus.
08:33 Sa femme est convaincue qu'il joue sérieusement, scientifiquement, puisqu'il gagne et que leur situation s'améliore.
08:39 Oh, ce n'est pas la gloire, mais enfin ils parviennent à se loger dans un petit appartement de deux pièces où il y a un cabinet de toilettes de trois mètres carrés.
08:46 Il paie un bail de 15 000 nouveaux francs et en dépense 15 000 autres pour le rendre habitable. Le loyer est de 200 francs par mois.
08:53 Cela leur donne droit à la contemplation quotidienne d'un poisson blanc dans un bocal, le gardien de l'immeuble dont nous reparlons.
09:01 Dire que Jocelyne est heureuse, ce serait beaucoup, car la situation de son mari oblige celui-ci à voyager énormément.
09:07 Elle s'aperçoit ensuite que ses voyages ne sont pas tous professionnels, qu'il a des aventures. Enfin, que sa vie devient quasiment double.
09:14 Une vie avec elle, une autre secrète en dehors d'elle. Bon, bien sûr, elle proteste, elle menace, mais elle reste parce qu'elle l'aime et puis que lui revient toujours, sans doute, parce qu'il l'aime aussi.
09:26 Et puis, il y a quand même quelques bons moments. Par exemple, Paul emmène deux fois l'an Jocelyne, qui n'avait jamais pris de vacances de toute sa vie, faire des séjours d'une ou deux semaines dans un hôtel de la Côte d'Azur.
09:37 Mais encore une fois, chers amis, et ce détail est très important, la vie de Jocelyne reste très modeste et Jocelyne reste très lucide.
09:46 Elle pense que la chance ne durera pas et chaque fois que son mari gagne une somme au PMU, elle conserve soigneusement le justificatif pour être en règle avec le percepteur.
09:56 Maintenant, voici le troisième épisode avant l'entrée en scène de La Machine qui rend fou.
10:09 Le troisième épisode, c'est le drame. En pleine journée, Paul lui téléphone à son travail, mais il n'est pas à son bureau. Il lui explique qu'il est venu chez eux prendre quelques effets car il doit s'absenter.
10:19 Il l'aime, il lui demande de continuer à vivre aussi normalement que possible, à veiller sur leur fils et à lui garder sa confiance. Il est obligé de partir car il a des ennuis sérieux dans son travail.
10:30 Il n'a rendu personne malheureux, mais il a commis des actes interdits par la loi. Des actes dont personne n'a souffert, mais comme ils sont interdits, la police va le rechercher.
10:40 Pendant trois mois, elle reste sans nouvelles de lui, mais par contre, la police la saille. La vie de Jocelyne, qui n'avait connu que ces quelques années d'un bonheur raisonnable, redevient un enfer sur lequel veille comme un garde chourme indifférent et muet le poisson blanc dans son bocal, le gardien.
10:58 Figurez-vous, chers amis, que le mari de Jocelyne aurait escroqué la société qu'il employait de sommes énormes. Aussi, les enquêteurs sont-ils stupéfaits de découvrir la modestie du train de vie de Jocelyne.
11:10 Alors, ils fouillent, cherchent, creusent, épluchent, tripotent, mijotent jusqu'à ce qu'ils soient obligés de se rendre à l'évidence. Jocelyne ignorait totalement les détournements de son mari.
11:21 Elle n'a pas de compte en banque secret, de cachette. Elle n'a jamais été en Suisse. Elle n'a ni bijoux, ni fourrure, ni tableau de maître, ni objet d'art. Elle n'a qu'un petit appartement de deux pièces, des meubles modestes, et maintenant que son mari a disparu, elle vit avec son unique salaire de secrétaire.
11:37 Enfin, Paul, dénoncé, est arrêté là où il se cachait. Il n'a plus d'argent, il était, paraît-il, au bout du rouleau. Il dit au policier, « Ma femme ne sait rien, elle ne sait absolument rien. » Et il dit à la malheureuse Jocelyne en larmes, « Je te demande pardon. »
11:56 Le temps passe. Tout un nouvel hiver, Jocelyne se débat seule comme elle peut. Ce n'est pas drôle d'avoir son mari en prison pour escroquerie. Elle a l'impression que le monde s'est divisé en deux clans, celui de l'indifférence et celui du soupçon.
12:11 Dans le clan du soupçon, elle pourrait ranger par exemple sa voisine, qui refuse désormais de la fréquenter, ou les parents des camarades de son fils. Dans le clan de l'indifférence, son patron ou le gardien de l'immeuble, le poisson blanc dans son bocal.
12:28 Oh certes, ils ne posent pas de questions, mais ils n'ont pas un geste, pas un sourire, pas une parole de soutien. Elle peut même imaginer dans sa saditude le genre de réflexion que l'on fait dès qu'elle a le dos tourné.
12:40 « Les étrangers qu'on accepte chez nous, pour qu'ils nous volent, on devrait les renvoyer chez eux. » D'accord, c'est son mari le coupable, mais elle avait qu'à pas l'épouser. Après tout, elle en a bien profité, hein. Est-ce que vraiment elle ne savait rien ? « Oh, il n'y a pas de fumée sans feu, hein. Qui se ressemble s'assemble. » etc. etc.
13:01 Jocelyne avait une amie, mais le mari de celle-ci ne veut pas entendre parler de cette femme d'escroc.
13:07 Finalement, l'enquête établit que le détournement de son mari s'élève à la somme énorme de 1,190,000,000 d'anciens francs.
13:16 Mais qu'est-ce que cet argent est devenu ?
13:19 « J'en ai dépensé une petite partie, j'en ai joué une grosse partie, et j'ai distribué le reste à ceux qui en avaient besoin. » Telle est la réponse du mari de Jocelyne.
13:33 Comme on ne découvre aucune dissimulation, aucun investissement, les policiers sont tout prêts de le croire et lui demandent des noms.
13:42 « Je ne peux pas vous donner le nom de ceux qui ont reçu de l'argent. Pour eux, ce serait une catastrophe qu'ils n'ont pas mérité. Ils devraient le rendre, et ils l'ont sans doute déjà dépensé. »
13:54 « Ah oui, mais cela permettrait d'édommager en partie vos victimes. »
13:58 Paul a une curieuse réponse. « Mes victimes ? Mes victimes ? Mais qui sont mes victimes ? Qui a souffert de mes détournements ? »
14:09 Mes détournements ont duré des années. Pendant des années, la société que j'ai scroquée a fait des bénéfices que tout le monde trouvait satisfaisants.
14:16 Par deux fois, des sociétés fiduciaires sont venues examiner les comptes. Elles ont trouvé la situation normale.
14:22 Je n'ai donc fait que ponctionner des super bénéfices, des profits inutiles exagérés, pour les redistribuer à ceux qui en avaient besoin.
14:31 Bon, bien sûr, on peut approuver ou désapprouver cette façon très personnelle d'envisager les choses.
14:36 Vous pouvez croire ou ne pas croire que Paul a distribué une partie de cet argent, mais il y a une chose qu'il faut admettre. C'est que Jocelyne n'est pour rien dans toute cette affaire.
14:46 Elle continue à n'être qu'une femme en mauvaise santé, une secrétaire joignant difficilement les deux bouts, cachée dans un petit appartement dans un quartier devenu trop cher pour elle.
14:55 Elle assume la tâche difficile de maintenir une image objective du père dans l'esprit de son fils, en qui a disparu toute gaîté, et de le convaincre de poursuivre tant bien que mal ses études.
15:06 Quand le procès a lieu, elle va devoir y assister, témoigner, être retournée sur le grill par l'accusation de la défense, photographiée comme une vedette douteuse pour se retrouver seule le soir avec un fils malheureux devant une boîte de sardines.
15:21 Après avoir entrevue dans le hall de l'immeuble le poisson blanc dans son bocal, le gardien qui ne se posera jamais la moindre question au sujet de cette femme seule et malheureuse, et qui ne la salue même pas.
15:34 Plusieurs fois elle craque, et subit des dépressions nerveuses, on la comprend.
15:41 Ces incidents deviennent de plus en plus fréquents, alors qu'approche le jour où la machine qui rend fou va rentrer en action.
15:49 Quatrième épisode, le procès de Paul a lieu. La partie civile s'exclame.
15:55 « Vous avez devant vous un fripon astucieux qui est certainement passé en Suisse pour y déposer en lieu sûr un énorme bar de laine. »
16:04 Le substitut croit plutôt avoir affaire à un joueur entre les mains duquel l'argent a flambé.
16:09 Les défenseurs s'efforcent de prouver que Paul personnalise la bonté, la ménégation, le dévouement aux déshérités.
16:15 « Si l'acte est grave, déclare-t-il, nobles sont les mobiles. »
16:20 Paul bénéficie de l'indulgence du tribunal. Condamné à cinq ans, il quitte la salle d'audience pour la prison, et Jocelyne, toujours seule, rentre chez elle.
16:30 Elle passe devant le poisson blanc dans son bocal, qui ne sait rien, ne veut rien savoir, ne veut rien entendre, ne rien dire.
16:38 Elle se couche, seule, et pleure. Elle a raison de pleurer, elle pleure d'avance.
16:45 Elle n'aura pas le temps de pleurer pour tout le mal qu'on va lui faire, car la machine qui rend fou va entrer en action.
16:54 « Oh, c'est peut-être un beau matin, un joli et frais matin. »
16:59 Du fond de son bureau poussiéreux, un fonctionnaire des finances actifs et vigilants s'empare du dossier de Jocelyne.
17:08 Il y a toutes sortes de jouissances, sexuelles, gastronomiques, artistiques et professionnelles.
17:14 « Ah, comme c'est bon de faire du beau travail, comme c'est jouissif de trouver ce que cet honorable fonctionnaire découvre ce jour-là dans le dossier de Jocelyne ! »
17:24 D'un geste large, à moins qu'il soit automatique, il saisit un imprimé et écrit.
17:31 Est-ce qu'il écrit avec une joie sadique ou machinalement ? Le résultat est rigoureusement le même.
17:40 Il fait savoir à Jocelyne que les sommes détournées par son mari sont considérées par la Direction générale des impôts comme bénéfices.
17:49 Son mari étant dans l'impossibilité de payer, elle est priée, puisqu'il pose sous le régime de la communauté, d'avoir à verser la somme de 9 464 955 nouveaux francs.
18:05 Bref, Jocelyne, qui gagne un petit salaire de secrétaire, doit un milliard d'anciens au fisc.
18:12 Inutile de vous dire, chers amis, qu'autour d'elle tout le monde rigole. C'est idiot, c'est absurde, mais après tout.
18:20 Et là le monstre laisse voir le bout de son oreille. Tout compte fait, c'est assez logique.
18:25 Et que voulez-vous, ma pauvre Jocelyne ? Il y a des lois, et bien évidemment ces lois ne peuvent pas tout prévoir, mais rassurez-vous, ça va s'arranger.
18:34 Mais ça s'arrangera comment ? On ne sait pas, mais ça s'arrangera !
18:38 Cette fois ça y est, l'indifférence s'installe, le monstre s'est démasqué.
18:43 Et en attendant que ça s'arrange, le monstre, selon le processus habituel, agit.
18:48 Avertissement, rappel, commandement, discours sans parti, discours sans parlant, etc. etc.
18:54 Le monstre met en branle la machine qui rend fou.
18:58 Il faut dire que pour tout le monde, cela reste une blague de l'administration.
19:02 Mais 10% sur un milliard, cela fait tout de même 100 millions.
19:09 La première fois où Jocelyne a reçu un papier ainsi rédigé, total général de la somme restandue pour l'année, 9 464 955 francs, elle a haussé les épaules.
19:19 Mais quand elle a reçu l'imprimé qui la prévenait qu'elle devait 100 millions de plus, elle a commencé à avoir peur.
19:26 Peur de quoi ? Mon Dieu, peur ! Peur d'être condamnée toute sa vie au désespoir, à la misère, à la prison peut-être.
19:33 Le visage de son advocat lui apparaît quelques instants entre deux piles de dossiers pour lui dire qu'il va s'en occuper.
19:39 Qu'est-ce qu'il fait ? Son boulot, en l'occurrence, pas grand-chose. Le patron de Jocelyne aussi promet de s'en occuper.
19:46 Il a des relations, paraît-il. Peut-être va-t-il téléphoner, mais à qui ? Pour demander quoi ? Et en échange de quoi ?
19:53 En fait, quelques jours plus tard, le patron, désolé, lui met sous les yeux la lettre que lui a adressée le trésor public,
19:58 l'informant qu'il devra retenir 500 francs par mois sur le salaire de Jocelyne jusqu'à concurrence de 1 milliard 190 millions d'anciens francs.
20:06 Et la lettre est signée d'une belle écriture nette et ferme, bien qu'inlésible, évidemment.
20:12 Jocelyne a depuis longtemps cessé d'être amusée. Pour elle, ce n'est plus un gueille.
20:18 Sans rire, elle a fait le calcul. Sans les intérêts, il lui faudrait 1700 ans pour payer.
20:25 Avec les intérêts, elle ne pourrait jamais payer. Elle devrait au contraire un peu plus chaque année.
20:32 Quand on suit l'affaire de loin, quelques années plus tard, on a envie de crier « Mais attention ! Attention ! Vous allez la rendre folle, cette malheureuse !
20:39 Ce n'est qu'une femme qui n'est déjà pas très solide et qui vient de vivre des moments affreux. Arrêtez cette plaisanterie, vous jouez avec le feu ! »
20:46 Mais la machine qui rend fou n'est pas sensible à ces détails. On ne lui a pas appris à tenir compte de ces détails.
20:54 En 1974, Paul sort de prison. Il a 55 ans et bien entendu, en raison de son passé, il ne trouve pas de travail.
21:02 Il faut croire que la thèse de la partie civile qu'il accusait d'avoir constitué un badlaine en Suisse est fausse puisqu'il n'a pas un sou.
21:09 Et où va-t-il ? Chez sa femme, bien sûr.
21:12 Sa femme l'aime encore, c'est évident. Mais la situation devient vite intenable.
21:18 Ils ne peuvent pas vivre à trois sur le salaire d'une femme en mauvaise santé.
21:22 D'ailleurs, Jocelyne est vite épuisée à bout de fatigue et de nerfs entre son mari et son fils, qui s'est mis à le haïr.
21:29 Jocelyne, toujours poursuivie par la machine qui rend fou, tente d'intervenir auprès du monstre.
21:34 Elle rencontre des employés apitoyés. « Évidemment, c'est idiot ! » disent-ils.
21:38 « Évidemment, c'est cruel ! Mais que fait-il ? Qu'ils se mettent à leur place ! C'est la loi, c'est la règle !
21:44 Ils ne peuvent pas faire autrement que de l'appliquer. Ils sont là pour ça, c'est leur devoir ! »
21:49 D'ailleurs, ils ne sont qu'un rouage. Ce n'est pas eux qui commandent.
21:54 Mais qui commande ?
21:56 « Eh bien, il faudrait voir le ministre, ou le président de la République, ou bien encore alerter la presse, ou le tribunal administratif, peut-être le médiateur, ou le pape ! »
22:04 « Oh, le pape ! » Il a sans doute d'autres chats à fouetter le pape. D'ailleurs, il n'y pourrait rien.
22:11 « Au fait, c'est un psychiatre qu'il faudrait, un psychiatre pour soigner Jocelyne, parce que Jocelyne devient folle. C'est normal, on fait tout pour ça.
22:19 Ce qui serait anormal, c'est que tout cela ne lui fasse ni chaud ni froid, car elle a raison, Jocelyne.
22:25 Si on lui dit qu'elle doit un milliard de son million, c'est qu'elle les doit.
22:28 Si elle ne les doit pas, ce n'est pas la peine de les lui demander. Et si elle les doit, sa vie est définitivement foutue, et elle devient définitivement folle. C'est ça qui est logique.
22:38 Donc si la machine lui réclame un milliard de son million, sachant pertinemment qu'elle ne pourra jamais les verser, c'est qu'elle veut bel et bien la rendre folle.
22:47 Vous croyez que j'exagère ? Non. En voici la preuve.
22:51 Le matin même du drame, le poisson blanc du rez-de-chaussée de l'immeuble voit passer un homme comme vous, comme moi, sévèrement vêtu, indifférent et poli.
23:00 On ne saura jamais si devant Jocelyne, il conserve son maintien officiel ou s'il s'habitue.
23:05 Ce que l'on sait, c'est que la machine qui rend fou, qui ne s'arrête jamais avant la mort de ceux dont elle s'occupe, l'envoie pour tenter d'achever sa victime.
23:13 C'est le papier que le commissaire dont nous parlions au début de cette émission a trouvé en bas du placard dans la serviette en 6 milles et cuir qui nous rend compte de cet ultime épisode.
23:24 C'est un procès verbal de saisie-exécution où tous les termes deviennent tragiques.
23:29 Il y est expliqué que Maître Machin, huissier, s'étant présenté et n'ayant pas reçu le milliard escompté des mains de Jocelyne, a saisi,
23:38 dans un logement en location au 10e étage droite, un téléviseur Machin avec sa table, un buffet bois en chaîne, trois portes, trois tiroirs, un secrétaire d'audan, trois tiroirs.
23:48 Le poisson blanc dans son bocal voit passer les meubles qu'emmène de costauds hillards.
23:53 Evidemment, il ne lui viendrait pas à l'idée d'aller voir ce que devient la femme qui reste seule là-haut dans son appartement vide.
24:00 On veut bien admettre qu'il y a dans la démarche du monstre une certaine logique, mais alors il faut admettre que la suite est tout aussi logique.
24:10 Le matin même, Jocelyne se suicide. Au soir, son fils la trouve morte. Il prend un vieux revolver et attend le père.
24:20 Le père, voyant sa femme morte, ouvre la fenêtre pour s'y jeter. Le fils ne lui laisse pas cette ultime décision et lui tire cinq balles.
24:29 Et garde la dernière pour lui.
24:33 Voilà pourquoi cet après-midi-là, le commissaire seul dans son bureau fait le point.
24:39 La société victime des escroqueries s'est toujours très bien portée avant, pendant et après. Pourtant, les sommes détournées dépassaient le montant des bénéfices.
24:47 De son côté, le monstre n'a rien perdu. Au contraire, il a été prouvé que neuf millions de nouveaux francs au moins ont été joués au PMU.
24:55 Et chacun sait, l'énorme part qui revient au monstre sur les enjeux. Même les frais de justice ont été payés. Bref, tout pourrait encore s'arranger pour tout le monde.
25:07 Hélas, le monstre est trop malhonnête. Au dernier moment, il a voulu se rendre complice de l'escroquerie en prétendant toucher encore une part.
25:18 Faites le compte, chers amis. L'escroquerie était d'un milliard cent et quelques millions. Et après en avoir touché plus de cinq cents millions, il en voulait encore plus de neuf cents.
25:30 Au total, plus que le montant de l'escroquerie. Bien sûr, c'était impossible, puisque Jocelyne ne fabrique pas les billets elle-même.
25:39 C'était pour le monstre une partie perdue d'avance. Alors il n'a pas hésité à utiliser l'arme suprême, la machine qui rend fou, pour le plaisir, pour le sport. Rien que pour le sport.
25:55 Vous venez d'écouter les récits extraordinaires de Pierre Belmar, un podcast issu des archives d'Europe 1 et produit par Europe 1 Studio.
26:22 Réalisation et composition musicale, Julien Taro. Production, Sébastien Guyot. Direction artistique, Xavier Joly. Patrimoine sonore, Sylvaine Denis, Laetitia Casanova, Antoine Reclus. Remerciements à Jocelyne Belmar.
26:39 Les récits extraordinaires sont disponibles sur le site et l'appli Europe 1. Écoutez aussi le prochain épisode en vous abonnant gratuitement sur votre plateforme d'écoute préférée.