L'homme qui se faisait justice lui-même

  • il y a 3 heures
Pierre Bellemare comme vous ne l’avez jamais entendu ! C’est la promesse de ce nouveau podcast imaginé à partir des archives exceptionnelles du Service Patrimoine Sonore d’Europe 1.
Affaires criminelles, true crime, crimes, enquêtes, crimes historiques ou plus récents, crimes crapuleux, crimes familiaux, crimes inexpliqués surtout : Pierre Bellemare est le pionnier des grands conteurs de récits radiophoniques. Dans les années 70, cette voix culte d’Europe 1 a tenu en haleine les auditeurs avec ses histoires extraordinaires. Des histoires vraies de crimes en tout genre qui mettent en scène des personnages effrayants, bizarres ou fous. Des phrases à couper le souffle, des silences lourds de suspense, un univers de polar saisissant et puissant.
Avec un son remasterisé et un habillage modernisé, plongez ou replongez dans les grands récits extraordinaires de Pierre Bellemare.


Retrouvez "Les Récits extraordinaires de Pierre Bellemare" sur : http://www.europe1.fr/emissions/les-recits-extraordinaires-de-pierre-bellemare

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00:00Bienvenue dans les récits extraordinaires de Pierre Bellemare, un podcast issu des archives d'Europe 1.
00:11Ce 23 février, à 11h du soir, dans un domaine de Touraine, le jeune Arthur Barry, 17 ans, est réveillé en sursaut par son père.
00:19Agarres les yeux hors de la tête, M. Barry a deux fusils dans les bras. Il secoue son fils.
00:23« Vite Arthur, descends, prends ce fusil ! »
00:25Libère-lui, titubant de sommeil, le jeune garçon suit son père jusqu'au rez-de-chaussée de la grande maison.
00:31Dans le salon, une fenêtre ouvre sur le parc.
00:34« Tu restes là, » dit M. Barry. « Si tu vois quelqu'un se sauver par la fenêtre de la chambre de ta mère, tu tires à vue. »
00:40Quelques instants plus tard, il y a de grands coups frappés à une porte, des cris, le bruit terrible de la porte qui s'effondre,
00:47deux coups de fusil, une poursuite effrénée et soudain, dans le lointain, un troisième coup de feu.
00:53Le domaine de la houssée est plongé dans le drame.
01:13Dans la chambre du rez-de-chaussée, un homme, ses deux petites filles et ses deux garçons pleuvent.
01:21« Tâchez de vous souvenir, Arthur, » demande un policier.
01:24« C'est au moment où vous avez entendu enfoncer la porte que vous avez vu l'homme sauter par la fenêtre. »
01:30« Je ne sais plus d'où c'est passé si vite. »
01:33« Vous avez eu le temps de le reconnaître ? »
01:35« Oui, c'était M. Garraud. »
01:38« Le premier coup lui est passé au-dessus de la tête. Il courait, alors j'ai tiré une deuxième fois, mais je l'ai encore raté. »
01:45« Et que s'est-il passé ensuite ? »
01:48« Eh bien, j'ai entendu crier dans la chambre de ma mère, et puis une course dans la maison, dans le jardin, et puis enfin un coup de feu. »
01:59« Et où était votre père pendant ce temps ? »
02:02« Il est arrivé du jardin, tout essoufflé. Le bruit avait réveillé mon frère et les petites. »
02:07« Ils étaient descendus en pyjama. Papa nous a pris dans ses bras en pleurant et nous a dit, « Venez, mes enfants, venez prier pour votre mère. » »
02:18« Alors nous avons tous pleuré et on s'est mis à prier. »
02:24M. Barry vient en effet de tuer sa femme.
02:28Le drame, pour affreux qu'il soit, ne surprend pas tellement dans le pays.
02:32Il y a bien des années que les comérages font bon train sur le ménage Barry.
02:37Pratiquement depuis leur mariage, il y a dix-neuf ans.
02:40Elle était merveilleusement belle, cette jeune fille de dix-sept ans, et lui était le fils d'un riche fermier des environs de Tours.
02:46Elle avait la beauté, il avait l'argent, elle était coquette, il était maladivement jaloux, et chacun avait ses partisans.
02:54Pauvre Barry, disaient les uns. Il devait la riser de tout le pays, avec une femme qui ne pense qu'à faire la roue.
03:01« Pauvre femme, disaient les autres, moins nombreux, il faut le dire.
03:04Pas étonnant qu'elle cherche à se distraire avec un mari qui la tient à l'aise de cette façon.
03:08Il se voit des rivaux partout, il la soupçonne sans arrêt.
03:11Tenez, l'autre jour, hein, il a forcé la porte d'un jeune Tourangeau fort honorablement connu,
03:16lui réclamant sa femme et menaçant de le tuer. Tout le pays en a parlé. On en aurait assez à moins. »
03:22Mais la société est ainsi faite, n'est-ce pas, chers amis, qu'un mari présumé coqueux est toujours plus à plaindre
03:28et suscite davantage de sympathie qu'une femme trompée.
03:32À l'ère de la femme émancipée, les réactions n'ont guère évolué sur ce point.
03:37« M. Barry, qu'est-ce qui vous a donné à penser qu'il y avait un homme dans la chambre de votre femme ?
03:43« J'avais passé la soirée dans la chambre de ma femme avec mes enfants, et puis, à neuf heures,
03:48tout le monde est allé se coucher. Vous faisiez chambre à part avec votre femme.
03:52Oui, depuis quelques années, nous avions des scènes de plus en plus fréquentes.
03:55Très bien, continuez. Vers dix heures, j'ai entendu un son de trompe. J'ai cru que c'était un incendie.
04:03C'est le signal habituel du feu. J'ai ouvert ma fenêtre, je n'ai rien vu. Mais la lumière était allumée chez ma femme.
04:12J'ai trouvé ça curieux. Je suis descendu écouter à la porte, j'ai entendu deux voix.
04:18Alors, je suis allé chercher les fusils et j'ai réveillé mon fils.
04:22Vous saviez que c'était M. Garraud ? Non.
04:26C'était un ami à vous ?
04:29Nous nous étions connus très jeunes au petit séminaire et nous sommes restés très liés.
04:33Sa femme venait chez la mienne, la mienne chez lui.
04:36Et depuis quelque temps, surtout depuis que Garraud est devenu greffier du Conseil des Prud'hommes,
04:41on les voyait tout le temps ensemble, ma femme et lui.
04:44Ils échangeaient souvent des signes de connivence.
04:47Un jour, d'ailleurs, j'ai rencontré Garraud dans les rues de Tours.
04:50Je lui ai dit « Vous êtes un misérable gredin, vous aurez à faire à moi ».
04:54Il m'a donné plusieurs coups avec sa canne, j'ai tiré mon canif et je l'ai poursuivi.
04:58Quand j'en ai parlé à ma femme, elle m'a injurié.
05:01Vous aviez des raisons de penser que M. Garraud était l'amant de votre femme ?
05:06Écoutez, j'avais chargé un voisin à Cordonnier de les épier, mais il ne m'a rien dit.
05:11Je savais seulement qu'il venait chez moi en absence, déguisé.
05:15J'étais sûr de rien d'autre.
05:18Les enfants l'ont déjà rencontré.
05:21Arthur intervient.
05:23Oh, c'est vrai qu'il était toujours sur notre chemin, M. Garraud.
05:26On n'arrivait pas à s'en débarrasser.
05:28Il venait à la maison déguisé, avec des lunettes, une barbe, une blouse, et puis, il portait des pistolets.
05:33Ma mère m'interdisait d'en parler, elle disait « Si tu le dis à ton père et que Garraud l'apprenne,
05:37il serait capable de me tuer et de se tuer après, alors que je n'ai rien à me reprocher. »
05:42Ah, c'est difficile, quelques heures après, d'apprendre à me pareil,
05:45d'interroger un homme prostré qui, plus ou moins avec la complicité de son fils,
05:49vient de tuer sa femme d'un coup de fusil.
05:52Difficile aussi de demander à des enfants qui pleurent leur mère
05:55s'ils étaient ou non au courant d'une aventure éventuelle.
05:59Voyez-vous, les nouvelles vont vite, surtout en province.
06:02L'expression « La rumeur publique dit bien ce qu'elle veut dire ».
06:06Cor, le lendemain, M. Garraud se rend à la convocation de la police.
06:10Il est très bouleversé par la mort de Mme Barry.
06:13« Ils étaient très liés, oui, c'est vrai, à bord de famille à famille.
06:17Et puis, à la suite d'une lettre anonyme reçue par M. Barry, il y a eu rupture.
06:23Ma femme et moi, nous ne comprenions pas.
06:25Barry ne nous avait donné aucune explication.
06:28C'est sa femme qui m'a mis au courant de cette lettre.
06:31Elle avait grande confiance en moi, elle avait besoin d'un conseiller, d'un ami.
06:35Elle me faisait souvent venir pour me consulter.
06:38Son mari avait compromis sa fortune par de mauvaises spéculations.
06:42Elle se faisait beaucoup de soucis.
06:44Mais quelle était la nature exacte de vos relations avec Mme Barry, M. Garraud ?
06:49« Je viens de vous le dire, M. l'Inspecteur. J'étais son ami. »
06:55« Un ami qu'elle recevait dans sa chambre, porte fermée à clé comme hier soir, n'est-ce pas ? »
07:02« M. l'Inspecteur, je ne suis pas allé à la O.C. hier soir. »
07:08Le policier est stupéfait.
07:10L'identité de l'homme qui s'était enfui cette nuit par la fenêtre ne paraissait pourtant faire de doute pour personne.
07:16Mais enfin le jeune Barry vous a reconnu quand vous avez pris la fuite.
07:20Mais Arthur s'est forcément trompé. Je ne l'ai pas bougé de chez moi.
07:24Ma femme pourra vous le confirmer.
07:26Si M. Garraud était en proie à une grande émotion quand il est arrivé,
07:30son assurance est maintenant totale et quelque peu déconcertante.
07:35« Alors pourriez-vous m'expliquer pourquoi vous vous déguisiez quand vous alliez rendre visite à Mme Barry ? »
07:40« Je me suis déguisé deux ou trois fois, c'est vrai, à cause des domestiques. »
07:45« Mme Barry m'avait dit « déguisez-vous, je suis surveillé ». »
07:48« Alors il m'est arrivé en effet d'aller à la O.C. avec une blouse bleue et des lunettes. »
07:53« Barry faisait espionner sa femme par tous ses domestiques. Elle était traquée, malheureuse. »
07:57« Et je voulais l'aider. J'ai essayé de l'aider. »
08:02« C'est tout ce que j'ai à dire. »
08:05« Toute cette histoire est navante. »
08:09Quand le procès s'ouvre en juin de la même année devant la cour d'assises d'Indre et Loire,
08:14la question posée reste celle-ci.
08:17S'il est interdit par la loi de se faire justice soi-même,
08:20peut-on au moins considérer que M. Barry, assassin de sa femme, a agi en état de légitime défense ?
08:26Si effectivement Mme Barry recevait cette nuit-là un homme dans sa chambre,
08:30toute porte close, et que cet homme était armé de pistolets.
08:34La légitime défense est plaidable.
08:38Il vient le temps que les deux accusés, le père et le fils, prennent place dans le box qu'il aurait réservé.
08:44Au procès Barry, les témoins se succèdent à la barre.
08:47Le jardinier du domaine, d'abord.
08:50Oh, il l'a souvent vu rentrer de mauvaise humeur, son maître.
08:53Et tout le monde savait bien pourquoi.
08:55C'est que M. Garraud suivait toujours sa femme.
08:58Il venait deux ou trois fois par semaine à la houssée, et toujours en l'absence de M. Barry.
09:04Vous étiez dans la maison quand le drame a eu lieu ?
09:07Ah non, M. le président, à minuit. Un jardinier est chez lui.
09:10Mais quand on est venu m'apprendre la nouvelle, j'ai tout de suite pensé que M. avait trouvé M. Garraud dans la chambre de sa femme.
09:16Je suis parti pour la houssée, bien sûr. Les autres serviteurs étaient déjà là.
09:20M. Barry m'a dit...
09:22Je suis un homme perdu.
09:24Il nous serrait la main comme à des amis.
09:27Vous avez quelque chose à ajouter qui pourrait aider l'enquête ?
09:32Oh non, M. le président.
09:34Or, simplement, tout le monde savait dans le pays que ce pauvre monsieur était...
09:40Enfin, vous voyez ce que je veux dire.
09:43Je vous remercie.
09:56Un cultivateur voisin succède au jardinier.
09:58Il est formel.
10:00Il a aperçu, ce 23 février à 9 heures du soir, rôdant dans les environs de la houssée, un individu qui portait une barbiche blonde.
10:08Quand il a été confronté avec M. Garraud dans le bureau du juge d'instruction, il n'a pas hésité.
10:13C'était bien lui, le même homme.
10:15Avec un postiche en plus.
10:17Et c'est le tour des femmes de la région.
10:19Oh, visiblement.
10:21Aucune d'elles ne portait une grande estime à la chatelaine trop jeune, trop belle, trop riche, trop coquette.
10:28« J'ai souvent vu passer M. Garraud du temps où les Barrys habitaient encore à Tour-des-Lunes.
10:32Il sifflait sous la fenêtre de Mme Barry pour qu'elle vienne lui parler.
10:36Bien souvent, je lui ai jeté de la terre à la tête pour l'envoyer rôder plus loin. »
10:41Le président du tribunal s'étonne.
10:43« Enfin, ce n'est pas l'attitude de gens qui se cachent. »
10:46Oh, qui se cachent, qui se cachent.
10:48Tout le monde était au courant.
10:51Dans le box des accusés, le père et le fils baissent la tête.
10:55« Avant qu'ils achètent là où c'est.
10:57J'ai habité dix ans la même rue que les Barrys à Tour, vient dire une autre femme.
11:01Mme Barry et M. Garraud étaient si intimes qu'un jour, j'ai demandé à une voisine.
11:06« Quel est donc le mari de Mme Barry ? »
11:09Elle m'a répondu.
11:10« C'est celui-ci.
11:11L'autre, c'est son amant. »
11:13Plus tard, ils ont eu chez eux une domestique qui restait peu de temps.
11:16Elle me disait.
11:17« Je ne vais pas faire de vieux os dans cette maison.
11:19Dès que M. Barry s'en va, M. Garraud arrive.
11:22Je passe mon temps à refaire le lit. »
11:24« Qu'est devenue cette domestique ? »
11:27« Oh, je ne sais pas.
11:29Il y a longtemps qu'elle est partie. »
11:31Sur le banc des témoins, M. Garraud, greffier du Conseil des prud'hommes,
11:37est impassible de temps en temps, un haussement d'épaule agacé et c'est tout.
11:41À ses côtés, sa femme très pâle ne laisse rien paraître des pensées qu'il agite.
11:46Toutes les dépositions se terminent par la même phrase.
11:50« C'était forcément lui.
11:52Tout le monde était au courant. »
11:56On sous-estime toujours la puissance de la rumeur publique.
11:59« Oh, personne n'avait jamais vu, mais tout le monde savait. »
12:04« M. Barry, demande le Président,
12:08aviez-vous reconnu la voix de M. Garraud en écoutant à la porte de votre femme ? »
12:13« Non, M. le Président.
12:16Je n'ai pas cherché à savoir qui c'était.
12:19J'étais fou de douleur.
12:22Arthur Barry, êtes-vous toujours aussi formel ?
12:25La silhouette que vous avez vue sauter par la fenêtre dans la nuit et sur laquelle vous avez tiré,
12:29c'était bien M. Garraud ?
12:33Je crois bien, M. le Président.
12:36Qui cela aurait-il pu être ? »
12:41C'est le moment des plaidoiries.
12:43Celle du Procureur, d'abord.
12:47Cette femme, messieurs les jurés, cette très jeune femme,
12:51attendait tout du mariage.
12:53Elle avait dix-sept ans, il en avait vingt-et-un.
12:56Ordé le lendemain du mariage de fiancé attentif et amoureux,
13:00il est devenu mari possessif, jaloux, soupçonneux, défiant.
13:03Oui, messieurs, défiant.
13:05Alors que cette jeune femme, épousée pour sa grâce, son charme, sa beauté,
13:09n'a qu'une seule pensée, plaire à son mari, l'aimer, se donner à lui,
13:13il lui impose brutalement sa volonté, de son propre aveu,
13:15il lui est même arrivé de la frapper.
13:18Marie a été l'artisan de sa propre infortune.
13:23Mme Barry, atteinte dans son amour propre, n'ayant rien à se reprocher,
13:28s'est trouvée placée par la volonté de son mari,
13:31devant la tentation de céder au premier intrigant venu.
13:35Cet intrigant, c'était peut-être Garraud.
13:39Pourquoi Barry n'a-t-il pas réagi plus tôt,
13:41alors qu'il connaissait les fréquentes visites de son ami de séminaire ?
13:46A-t-on le droit de se faire justice soi-même ?
13:49Oh, je reconnais bien tout ce que cette situation a d'anormal.
13:53Une femme, jusqu'alors chaste et fidèle, tombe peut-être dans les bras d'un misérable.
13:57Le mari tue sa femme.
13:59Et l'amant, lui, qui s'est enfui et qui a échappé à la mort,
14:02va sortir d'ici à l'abri de toute poursuite.
14:05C'est injuste, certes.
14:07Mais la loi n'est pas parfaite, nous le savons.
14:10Nous appartient-il d'aggraver ces imperfections ?
14:16Pour terminer, messieurs, il me faut porter à votre connaissance
14:19la déposition de M. Jean Mott, grandonnier.
14:23Chargé par M. Barry de surveiller sa femme, vous le savez,
14:27il a acquis, lui, toutes les certitudes recherchées.
14:31Il a d'abord hésité à en faire part à M. Barry.
14:34Et puis il s'y est décidé, scandalisé par l'audace de Garraud.
14:39La certitude de son déshonneur.
14:42Barry l'avait depuis bien longtemps.
14:44Par les rapports précis du cordonnier.
14:47Par les avertissements charitables des voisins.
14:51Par sa petite-fille.
14:53Emmenée un jour par Mme Barry dans un hôtel meublé,
14:56laissée derrière un paravent, et qui le soir raconta à son père
14:59qu'elle avait vu un monsieur avec un chapeau très haut, une grande barbe,
15:03et qui embrassait maman.
15:05Alors, messieurs,
15:07je prétends que Barry a tué sa femme avec préméditation,
15:10une longue préméditation.
15:13Il n'a pas agi comme il le prétend, sous le coup d'une émotion vive,
15:17à la perception soudaine de son malheur.
15:20Il a commis ce meurtre de sang-froid,
15:23après des années de réflexion.
15:28Un grand silence ému suit la plaidoirie du procureur.
15:33On sent qu'il vient de se passer quelque chose,
15:36sans trop bien savoir quoi.
15:41Dans le box des accusés, M. Barry est accablé.
15:44Mais son avocat, lui, est très souriant.
15:47Son adversaire vient de lui faire la moitié de sa plaidoirie.
15:50C'est le procureur qui, pour charger le meurtrier,
15:53a apporté des preuves de l'infidélité de la victime,
15:56ces preuves qui jusqu'ici manquaient.
15:58Si Barry est accablé, c'est davantage par la honte
16:01et le ridicule qui s'attachent au mari complaisant
16:04que le châtiment réclamé contre lui.
16:07Dès lors, son avocat s'attache à tourner en sa faveur
16:10les arguments du procureur.
16:12On ne peut certes accuser Barry, plaide-t-il,
16:15d'avoir fait de son mariage une spéculation.
16:18Il a épousé par amour une jeune fille sans dot,
16:21s'appliquant à satisfaire ses goûts de luxe,
16:24sa vanité sociale.
16:26Il a accueilli chez lui, bras ouverts,
16:29un ancien compagnon de collège dont il pensait que la femme
16:32avait une compagnie pour la sienne.
16:34Comment l'en a-t-elle récompensé en le ridiculisant
16:38au point justement de ne même pas chercher à cacher sa liaison,
16:41de l'étaler avec impudence devant tout le pays ?
16:44Si vous le voyez effondrer devant vous, messieurs,
16:47c'est parce qu'à la révélation de l'infamie de sa femme,
16:50il vient aussi de voir s'effondrer sa respectabilité.
16:54Oui, il a connaissé son infortune,
16:56monsieur le procureur vient de vous la dire,
16:58et pendant des années, il a essayé de sauver son bonheur
17:01et d'éviter le scandale.
17:04Va-t-on lui faire griève de cela ?
17:07Va-t-on lui faire griève de ces années de combats désespérés
17:09aux termes desquelles il a succombé ?
17:12Va-t-on lui reprocher enfin d'avoir été soulevé de colère,
17:14de douleur, d'indignation,
17:16en surprenant sous son toit un homme dans la chambre de sa femme,
17:19la mère de ses enfants ?
17:22Allons, messieurs, un peu de respect pour la dignité humaine.
17:25Êtes-vous en présence d'un assassin ou d'un malheureux ?
17:28Et cet enfant ?
17:30Réveillé en sursaut et étiré à moitié endormi
17:33lorsqu'on lui a ordonné de tirer sur le criminel qui passera dans le jardin ?
17:37Dites-moi aussi s'il est un meurtrier !
17:42Non, messieurs, je vous demande l'acquittement.
17:46Si cet homme a commis une faute,
17:49il l'a déjà expié par dix ans de souffrance,
17:52par des mois de détention préventive,
17:54par cette curiosité qui s'attache à son nom
17:57et qui le supplicie.
18:00Rendez, s'il vous plaît, cet honnête homme à la société,
18:03ce père, à ses enfants.
18:09Ah, l'émotion est vive dans le prétoire.
18:12Le jury se retire pour délibérer.
18:16L'homme et l'enfant vont être acquittés.
18:21Personne n'aurait supporté de les condamner
18:24et de laisser l'impudent Garot sortir Gognard de la salle du tribunal,
18:29ni les jurés, ni la cour,
18:33ni la rumeur publique.
18:54Vous venez d'écouter Les Récits Extraordinaires de Pierre Bellemare,
18:58un podcast issu des archives d'Europe 1 et produit par Europe 1 Studio.
19:03Réalisation et composition musicale, Julien Tarot.
19:07Production, Raphaël Mariat.
19:10Patrimoine sonore, Sylvaine Denis, Laetitia Casanova, Antoine Reclus.
19:15Remerciements à Roselyne Bellemare.
19:18Les Récits Extraordinaires sont disponibles sur le site et l'appli Europe 1.
19:23Écoutez aussi le prochain épisode en vous abonnant gratuitement sur votre plateforme d'écoute préférée.