Budget 2025 : doit-on craindre l'austérité ?

  • il y a 4 minutes
Les débatteurs du jour sont : Anne-Laure Delatte, directrice de recherche au CNRS rattachée à l’Université Dauphine et Rémi Godeau, rédacteur en chef de l’Opinion.

Retrouvez le débat du 7/10 sur https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/le-debat-du-7-10

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00:00débat ce matin sur le budget 2025, fondé sur une équation ou un point d'interrogation
00:06où donc trouver les 60 milliards d'euros nécessaires pour le boucler. Sur la table
00:10une formule, 20 milliards de hausses impôts et 40 milliards de coupes budgétaires. Est-ce
00:16la bonne manière de procéder ? Est-ce techniquement possible ? Économiquement viable ? On va
00:21en débattre ce matin avec Anne-Laure Delatte, bonjour, et merci d'être au micro d'Inter,
00:26directrice de recherche au CNRS, rattachée à l'université Dauphine. Rémi Godot,
00:32bonjour, vous êtes le rédacteur en chef du quotidien L'Opinion. « La dette est
00:38colossale », a déclaré Michel Barnier lors du discours de Politique Générale. Quant
00:43au déficit, le gouvernement entend le ramener à 5% au lieu de 6% en 2025. Alors, 20 milliards
00:50de hausses d'impôts, 40 milliards de coupes budgétaires, ça s'appelle comment Anne-Laure
00:55Delatte ? Une cure d'austérité ? Un tour de vis inédit depuis les années 2010 ? Nommons
01:04les choses, selon vous c'est quoi ? « Tout ça, c'est une sacrée cure d'austérité
01:09puisque 40 milliards de coupes de dépenses publiques, on n'a pas vu ça dans les 30
01:14dernières années. Et en plus, au moment où on coupe les dépenses publiques, en plus
01:20on élève les prélèvements obligatoires. Ce qui est un peu étonnant, c'est que pour
01:26respecter les engagements européens, on aurait besoin de couper le déficit, de le réduire
01:32chaque année entre 15 et 20 milliards, ce qui correspond peu ou prou à 0,6% du PIB,
01:38peu importe. En fait, on a besoin de réduire le déficit de 15 à 20 milliards et là,
01:44le budget commence par quelque chose qui est extrêmement violent, extrêmement brutal.
01:49Alors, j'ai du mal à comprendre la justification économique, je vois bien le message politique
01:56qu'on veut envoyer, mais d'un point de vue économique, on prend le risque d'étouffer
02:00en fait l'activité, c'est-à-dire de ralentir trop la croissance. Si vous simulez dans un
02:08modèle macroéconomique les effets de ce choc budgétaire, il y a une réduction du
02:13PIB entre 0,6 et 1 point l'année prochaine. On tue le patient à vouloir le soigner.
02:20Et on le soigne trop fort la première année. C'est une saignée. Voilà, c'est une saignée,
02:24et donc ça risque, on doit faire ça pendant 7 ans, on doit réduire notre déficit de
02:2815 à 20 milliards par an pendant 7 ans. Donc si on commence trop fort, on risque de casser
02:33cette capacité à le faire. Rémi Godot, sur les mots choisis, puis admis, assumé,
02:40deux que Anne-Laure Delatte vient de rajouter, une saignée dangereuse.
02:44Je vous raconte une petite anecdote historique. Dans les années 30, la situation en Grande-Bretagne
02:50est catastrophique, la situation des finances publiques, et le Premier ministre demande
02:54à un grand économiste, qui est Keynes, que faire pour sortir du trou. Et Keynes lui répond
02:59que la première chose à faire c'est d'arrêter de le creuser. Nous sommes dans une situation
03:04où il faut que nous arrêtions de creuser le trou. Alors c'est vrai que ça fait 50
03:08ans que ça dure, c'est vrai que depuis 50 ans, gouvernement de droite comme gouvernement
03:13de gauche ont dit qu'il faut augmenter les dépenses, il faut augmenter la fiscalité,
03:18ok, et dès qu'on veut donner un coup de frein, ah mais non, c'est pas possible de
03:22diminuer les dépenses, ça va casser la croissance, ah mais non, c'est pas possible de jouer
03:27sur les impôts, attention, la justice fiscale, et on est dans une situation finalement inédite
03:34où à force de maintenir ce logiciel de pensée, on arrive à la quasi-catastrophe.
03:41Ce qui est assez inquiétant dans cette situation, c'est qu'on a le sentiment que nos comptes
03:47publics sont hors de contrôle. C'est-à-dire qu'on nous a dit il y a un an que le budget,
03:52il y aurait un déficit de 4,5%, puis on a corrigé ce déficit, on a dit non, finalement
03:56ça serait 5,6%, puis là on vient de nous dire, ben non, ça sera 6,2%, et attention,
04:02si on ne fait rien, ça sera 7%, et ça, c'est un sentiment très fort, que ressentent
04:06d'ailleurs les Français, c'est l'idée qu'on ne maîtrise plus, on ne contrôle plus les
04:10choses.
04:11Mais je cite Michel Barnier encore, il parle d'un « freinage indispensable », sinon
04:16on va droit vers une crise financière, elle est devant nous, il faut la prévenir. Est-ce
04:21que ça c'est de la dramatisation politique pour préparer les esprits, ou est-ce un fait ?
04:28Alors, c'est de la dramatisation, bien évidemment, lui il fait de la politique, et c'est une
04:32nécessité.
04:33C'est une nécessité parce que si vous reportez systématiquement cet ajustement, vous allez
04:40droit dans le mur.
04:41Il faut reconnaître une chose, c'est qu'on ne le fait pas dans les meilleures situations.
04:45C'est parce que quand il y a de la croissance, on refuse de baisser les dépenses, c'est
04:49parce qu'on ne sait réagir que lorsqu'on est au pied du gouffre, qu'on va le faire,
04:54et on va le faire, une fois de plus, dans une très mauvaise situation.
04:57Peut-être d'ailleurs on va très mal le faire parce que, vous savez, on n'est pas
05:01les premiers quand même à ce qui arrive en Europe, il y a d'autres pays, avec beaucoup
05:05moins d'arrogance que la France, qui ont réussi à redresser leurs finances publiques.
05:09Mais qu'est-ce qu'on constate ? Qu'il faut d'abord un mandat très clair, je ne
05:13suis pas sûr que Michel Barnier ait un mandat très clair, il faut une majorité solide,
05:17ok, vous avez la réponse, il faut aussi qu'il y ait un minimum de consensus dans la population
05:23pour que ces choses marchent, et surtout, il faut du temps, vous ne pouvez pas faire
05:27en un an, et là c'est vrai que c'est dangereux, ce que d'autres ont fait en cinq
05:31ans ou dix ans.
05:32Adler Delatte, une perspective, la crise financière, elle est devant nous, il faut la prévenir,
05:38ça vous le prenez comment ? Et quand on parle crise financière, en général on pense
05:41crise grecque, on y est, on n'y est pas ?
05:43On n'y est pas du tout, en revanche, je suis d'accord avec vous qu'on ne peut pas
05:47laisser courir le déficit, et ce que je vous disais au départ, c'est qu'il faut réduire
05:50le déficit public entre 15 et 20 milliards par an.
05:53En revanche, est-ce qu'on est au niveau de la Grèce aujourd'hui ? Non, et vraiment
05:57de façon très objective, ce qu'on fait c'est que pour mesurer l'inquiétude des
06:02marchés financiers, des investisseurs, quand ils prêtent à un pays, on mesure l'écart
06:07entre le taux d'emprunt de l'Allemagne et le taux d'emprunt de ce pays-là.
06:11Si vous regardez cet écart, ce qui s'appelle spread, il a doublé depuis l'annonce de
06:17la dissolution en juin, donc en fait, c'est un fait politique qui a inquiété les marchés,
06:22il a doublé, il est aujourd'hui, j'ai regardé ce matin, il est à 80 points de
06:25base, ce qui veut dire qu'il y a 0,8% d'écart entre l'Allemagne et la France.
06:33Si l'Allemagne emprunte à 2, on emprunte à 2,8.
06:36Est-ce que c'est inquiétant ? La Grèce s'est montée jusqu'à 800, vous voyez,
06:43et là aujourd'hui on est à 80.
06:45Donc non, on n'est pas du tout dans la situation grecque.
06:48En fait, c'est comme si vous aviez pris 1 kg, Nicolas, depuis juin.
06:53Ce qui est sans doute probable.
06:54Oui, mais c'est comme si vous aviez pris 1 kg depuis juin et que vous vous compariez
06:59à quelqu'un qui en a perdu 50 depuis.
07:02Donc en fait, la Grèce aujourd'hui, elle va beaucoup mieux.
07:06On compare le taux d'emprunt de la Grèce et de la France aujourd'hui, on l'entend
07:10très souvent, mais en fait ça n'a rien à voir.
07:12Alors j'aimerais tout de même vous citer, vous demander de réagir à cette interview
07:16de Gérald Darmanin dans les échos aujourd'hui.
07:18Il n'y va pas avec le dos de la cuillère.
07:21Un choc fiscal comme celui qui se profile ne fait pas une politique économique et cette
07:29voie risque de tuer la croissance et de créer du chômage de masse.
07:34Voilà pour l'analyse de la politique budgétaire.
07:39Il a raison ou pas ?
07:40Alors il va fort parce que lui aussi il fait de la politique, mais il y a un fond de réalité.
07:45Ce qui est assez absurde dans tout ce débat, c'est qu'on a l'impression que de jouer
07:49sur les impôts, on est quand même déjà, il faut le rappeler, c'est la base, on est
07:52le pays parmi les pays riches qui a le taux de prélèvement obligatoire le plus élevé.
07:57Et là, on a l'impression que parce que ce n'est qu'une petite communauté que les
08:02très riches ou les très grandes entreprises, rajouter à ce niveau d'impôt très élevé
08:08de nouvelles hausses fiscales, ça ne va pas avoir d'impact.
08:11Ben oui, ça va bien évidemment avoir un impact sur l'emploi, sur l'investissement, sur l'attractivité
08:17du pays.
08:18Il dit que c'est démagogique en plus ?
08:19Il dit que c'est démagogique, il n'a pas tort.
08:21C'est-à-dire que je pense que là où il y a de la démagogie, c'est que bien évidemment
08:26les riches et les entreprises les plus riches doivent prendre part au redressement.
08:32Et comme ils sont plus riches peut-être dans une proportion supérieure à la moyenne.
08:36Mais un argument que je récuse, ça consiste à dire qu'il suffit de taxer les riches et
08:41les entreprises et les grandes entreprises pour régler tous les problèmes.
08:45Vous voyez d'ailleurs dans le débat politique le problème des retraites, il suffit de taxer
08:50les riches.
08:51Le problème du réchauffement climatique, il suffit de taxer les riches.
08:53Le problème du déficit, il suffit de taxer les riches.
08:56Le problème, c'est que un, ce n'est pas suffisant.
08:59Vous savez, Terra Nova, qui n'est quand même pas un think-tank ultra-libéral, a dit qu'en
09:05respectant le cadre institutionnel, en tenant compte de la concurrence européenne, grosso
09:10modo, on peut taxer les riches de 10 à 15 milliards et encore, ça posera des problèmes.
09:15Nous, notre équation, c'est qu'il faut qu'on trouve dans les années à venir 100 milliards.
09:20Et les contribuables, ils ne sont pas bêtes.
09:22Vous regardez dans les sondages, les classes moyennes, elles se disent « oulala, on a
09:25compris quand on dit qu'on taxe les riches, on sait que nous aussi on va y passer ». Parce
09:29que pour des raisons d'efficacité, il va falloir taxer beaucoup plus largement.
09:34C'est intéressant ce que vous dites, parce que je suis complètement en ligne avec le
09:39chiffrage de Terra Nova, qui vous dit que sur les 1200 milliards de patrimoine des
09:44500 plus grandes fortunes en France, on pourrait avoir la capacité de taxer entre 10-15 milliards
09:51par an.
09:52Et je viens de vous dire qu'on a besoin de 15 à 20 milliards par an pour réduire le
09:56déficit.
09:57Alors je suis d'accord avec vous que ça ne suffira pas.
09:58En revanche, moi ce que je vois aujourd'hui, c'est que vous avez, en tout cas la proposition
10:03qui circule aujourd'hui, c'est 20 milliards de recettes en plus et 40 milliards de dépenses
10:07en moins.
10:08Dans les 20 milliards de recettes en plus, je ne vois rien sur le patrimoine.
10:11Alors peut-être qu'on aura une bonne nouvelle jeudi, mais pour l'instant, on a 2 milliards
10:16sur les ultra-riches qui sont tirés sur leurs revenus.
10:192 milliards.
10:21Or, vous venez de citer un chiffrage qui aujourd'hui fait vraiment consensus.
10:26Si on arrivait à mettre un impôt sur les patrimoines, sur cette accumulation, qui n'a
10:31pas d'explication économique, en 10 ans, les patrimoines des 500 plus grandes fortunes
10:36de France sont passés de 200 à 1200 milliards.
10:40Alors, je suis d'accord avec vous qu'on n'arrivera pas à tout, et qu'en plus de réduire le
10:48déficit, on a en réalité un défi beaucoup plus important devant nous, qui est la crise
10:54écologique.
10:55Il faut se préparer à ça.
10:56Alors, une question tout de même, 20 milliards de hausse d'impôt, 40 milliards de réduction
11:02de dépenses.
11:03Les coupes budgétaires vont se faire où ? Selon vous, à l'hôpital, dans la police,
11:08l'armée, l'école ? Où ?
11:10Ça c'est très clair.
11:11Parce qu'on entend très souvent dans le discours politique qu'il faut faire des économies,
11:14des coupes.
11:15Mais quand la deuxième question est « Où voulez-vous faire ces coupes ? », en général
11:19on n'a plus la réponse.
11:20Pour l'instant, ça va être précisé jeudi lors du dépôt du budget à l'Assemblée,
11:29mais pour l'instant, ce qu'on nous dit, c'est 40 milliards, 20 milliards dans le fonctionnement
11:32de l'État.
11:33Donc, qu'est-ce que c'est le fonctionnement de l'État ?
11:35C'est en fait les services publics.
11:37Donc, on avait annoncé dans un tiré à part 15 milliards, finalement on va faire 5 milliards
11:42en plus d'économies.
11:44Donc, sur les services publics, ça veut dire qu'on coupe partout.
11:48On rase gratis, sauf sur les fonctions régaliennes.
11:53Donc, pas la police, pas la justice.
11:54Mais quand on dit « pas la police, pas la justice », ça veut dire « oui pour l'éducation
11:57nationale, oui pour les universités, oui pour l'hôpital, etc. ». Et après, dans le reste
12:01des 20 milliards, ce qu'on comprend pour l'instant, il y a 14 milliards sur la sécurité
12:06sociale.
12:07Concrètement, c'est un remboursement moins important des soins de ville, par exemple.
12:11C'est 5 euros de moins sur un remboursement de généralistes.
12:16En fait, ça touche tout le monde et pas les plus riches.
12:18C'est là que non seulement ça ne touche pas les plus riches, mais ça va avoir un
12:21effet récessif important.
12:22Là aussi, la base, on a le niveau de dépenses publiques le plus élevé en Europe.
12:28Plus de 56 ou 58% de la richesse nationale.
12:321600 milliards d'euros de dépenses publiques.
12:35Et on pense qu'on ne peut pas s'attaquer à cette masse.
12:39On a tous les jours des reportages pour nous montrer que les services publics sont dans
12:45une grande difficulté, qu'ils se dégradent, ce qui est vrai.
12:48Et c'est très important, les services publics, parce que j'adore cette expression, c'est
12:51vrai que c'est le patrimoine des plus démunis.
12:54Comment expliquer qu'il suffit de faire toujours plus, alors qu'avec un niveau de dépenses
12:59jamais atteint, on a des services publics qui se dégradent ?
13:02Alors, bien évidemment, ce qui compte, ce n'est pas la quantité, c'est la qualité
13:07de la dépense.
13:08Alors, je vais vous dire où tailler.
13:09Là aussi, il y a beaucoup de démagogie.
13:11Quand vous entendez certains partis nous dire « je vais vous faire des promesses qui
13:15vont coûter très cher, mais ne vous inquiétez pas, j'ai trouvé l'argent, je vais m'attaquer
13:19à la fraude sociale ». Alors, pourquoi pas ? Il faut s'attaquer, bien sûr, à la fraude
13:23sociale.
13:24Elle a été évaluée à 16 milliards.
13:25Donc, si on s'attaquait à la fraude fiscale, au bout d'un moment, il n'y aurait plus de
13:28fraude fiscale.
13:29D'ailleurs, on n'aurait plus d'économie à faire.
13:33Et nous, on cherche plusieurs milliards.
13:35Il ne faut pas toucher aux retraites, on entend.
13:37Pourquoi faut-il toucher aux retraites, au contraire ?
13:40Parce que les retraites, c'est 25% de la dépense publique.
13:45Donc, bien évidemment, il faut que vous regardiez les postes les plus importants.
13:49Parce que c'est là qu'il y a quelque chose à faire.
13:52Et en particulier, il faut demander aux Français de travailler plus.
13:55Là, Gérald Darmanin a raison.
13:57On peut dire que notre problème de finances publiques, c'est un problème de déficit
14:02de travail.
14:03On va regarder ce budget de très très près.
14:06Merci à tous les deux.
14:08Jimmy Godot, Red Chef du quotidien, l'opinion, Anne-Laure Delatte, directrice de recherche
14:13au CNRS rattachée à l'université de Dauphine, à suivre l'invité de Léa aujourd'hui,
14:20Marin Karmitz, juste après The Clash.

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