• il y a 2 mois
Pierre Bellemare comme vous ne l’avez jamais entendu ! C’est la promesse de ce nouveau podcast imaginé à partir des archives exceptionnelles du Service Patrimoine Sonore d’Europe 1.
Affaires criminelles, true crime, crimes, enquêtes, crimes historiques ou plus récents, crimes crapuleux, crimes familiaux, crimes inexpliqués surtout : Pierre Bellemare est le pionnier des grands conteurs de récits radiophoniques. Dans les années 70, cette voix culte d’Europe 1 a tenu en haleine les auditeurs avec ses histoires extraordinaires. Des histoires vraies de crimes en tout genre qui mettent en scène des personnages effrayants, bizarres ou fous. Des phrases à couper le souffle, des silences lourds de suspense, un univers de polar saisissant et puissant.
Avec un son remasterisé et un habillage modernisé, plongez ou replongez dans les grands récits extraordinaires de Pierre Bellemare.


Retrouvez "Les Récits extraordinaires de Pierre Bellemare" sur : http://www.europe1.fr/emissions/les-recits-extraordinaires-de-pierre-bellemare

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00:00Bienvenue dans les récits extraordinaires de Pierre Belmar, un podcast issu des archives d'Europe 1.
00:10Le 18 décembre 1970, à 9 heures du matin, Jeanne, une petite blonde grassouillette et charmante,
00:17mère de trois enfants, dit à son mari « René, cet après-midi j'irai peut-être chez ma mère,
00:23est-ce que tu pourrais venir me chercher à Berliner Platz vers 6 heures ? » Réponse de
00:29René « Je ne suis pas sûr de pouvoir venir, téléphone-moi dans l'après-midi. » C'est avec
00:34ces mots sans importance que cet homme, René, et cette femme, Jeanne, prennent sans le savoir
00:40rendez-vous avec Jean-Pierre ce soir à 18h12. Jean-Pierre c'est le héros d'un dossier
00:47extraordinaire qui ne peut vous laisser indifférent car il illustre d'une façon claire et dramatique
00:52l'un des grands problèmes de notre temps. Il a été établi d'après une enquête spéciale de la
00:58police allemande publiée en juin 1970. Donc, sans le savoir, Jeanne et René ont rendez-vous
01:22avec Jean-Pierre. Mais qui est Jean-Pierre ? Et bien Jean-Pierre est un enfant illégitime né le 21
01:33octobre 1945. Jean-Pierre est élevé avec six demi-frères et demi-sœurs et se fait surtout
01:40remarquer à l'école primaire par sa paresse et son désordre. Il fait souvent l'école buissonnière
01:45et à la rentrée des classes de 1958 à 13 ans il vole une montre. Revenons si vous le voulez bien
01:53chers amis pendant quelques instants à la petite mère de famille Blond et Grassouillette qui demande
01:57à René son mari le 18 décembre 1970 à 9 heures du matin de venir la chercher chez sa mère. René
02:05est parti, elle fait son ménage et reçoit le coup de téléphone d'une amie Henriette. Cette Henriette
02:11est aussi mère de deux enfants. C'est une femme d'origine paysanne pleine de santé qui travaille
02:16comme vendeuse dans un grand magasin. C'est le jour de fermeture de ce magasin et les deux femmes
02:21décident d'aller prendre le thé ensemble à Berliner Platz l'après-midi. Toujours sans le
02:27savoir, elles sont donc trois personnes, Jeanne, Henriette et René, à avoir rendez-vous ce soir-là
02:33avec Jean-Pierre à 18h12. Revenons alors au cas de Jean-Pierre. En 1959, on a mis Jean-Pierre à
02:43l'orphelinat. Il y est resté un an avant de retourner chez sa mère qui le plaçait comme
02:48apprenti serrurier. Il changeait sans arrêt le patron et n'allait que très rarement aux cours
02:54professionnels. En 1962, il avait donc 17 ans, il volait des cartouches de cigarette dans un
03:00self-service. Le juge pour enfant le sermonnait gentiment et le condamnait à une amende de 20
03:06francs. Mais ne perdons pas de vue notre brave mère de famille, blonde et grassouillette qui,
03:12comme n'importe laquelle d'entre vous mesdames, le 18 décembre 1970 s'en va faire ses courses.
03:17Elle remplit sa poussette car avec deux garçons qui sont déjà presque des jeunes hommes, une
03:23fille qui fait du basket et un mari d'un mètre 80, il ne faut pas faire les choses à moitié. Tout
03:27se compte par litres ou par kilos. Pour les dépenses, elle compte tout de même au plus juste
03:32car, bien que son mari gagne normalement sa vie, il ne roule pas sur l'or. Il faut dire qu'ils ont
03:37payé les traites d'une maisonnette qu'ils viennent d'acheter à la campagne. Pourtant, ce jour-là,
03:42elle fait une petite folie en achetant du saumon, un énorme gigot et un gâteau à la noix de coco.
03:49Elle sourit en imaginant la joie de sa fille lorsque celle-ci va découvrir son dessert préféré,
03:55le gâteau à la noix de coco et les dix-sept bougies qu'elle y aura plantées car c'est son
03:59anniversaire. Évidemment, ce ne sera pas tout à fait une surprise car sa fille sait que c'est
04:04aujourd'hui son anniversaire. D'ailleurs, elle viendra peut-être retrouver sa mère en sortant
04:08du basket au salon de thé de Berliner Platz. Dans ce cas, elle aussi aura rendez-vous avec
04:16Jean-Pierre à 18h12. Mais quittons quelques instants cette femme pour nous préoccuper à
04:24nouveau de Jean-Pierre. Lorsqu'il a 18 ans, donc en 1963, il n'était pas un inconnu pour la police
04:31qui avait souvent affaire à lui. Il avait volé un vélo, il avait gardé plusieurs fois des objets
04:36trouvés, s'était fait arrêter alors qu'il traversait à grande vitesse un croisement dangereux sur un
04:40vélomoteur qu'il venait de dérober. Les policiers qui l'interrogeaient constataient qu'il n'avouait
04:44jamais sauf ce qu'on pouvait lui prouver avec certitude. Deux mois plus tard, il volait encore
04:50une petite moto et circulait sans permis. Le tribunal pour enfants le plaçait six mois sous
04:56surveillance dans un atelier où il travaillait comme manœuvre auxiliaire. Un mois plus tard,
05:01voici qu'il comparaissait à nouveau devant ce même tribunal. Cette fois, voici l'effet. Jean-Pierre
05:07serait resté jusqu'à minuit dans un café en compagnie d'un rentier handicapé âgé de 68 ans.
05:12Celui-ci déclarait que Jean-Pierre, en sortant du café, l'aurait frappé et terrassé pour lui voler
05:18son portefeuille contenant l'équivalent de 180 francs. Par contre, Jean-Pierre prétendait qu'en
05:23sortant du café, le vieillard l'aurait serré le près dans l'intention évidente d'avoir avec lui
05:28des rapports que la morale réprouve. Toujours d'après Jean-Pierre, comme le vieillard le menaçait
05:32de sa canne, il se serait défendu en lui portant des coups de poing au visage, ce qui l'aurait fait
05:36tomber par terre. Toujours d'après Jean-Pierre, il aurait ramassé le portefeuille alors qu'il était
05:41déjà tombé de la poche du vieillard. Quelle que soit la raison de cette altercation, le tribunal
05:47est choqué que Jean-Pierre ait volé le portefeuille d'un homme âgé, handicapé, blessé et étendu à
05:52terre. Jean-Pierre s'explique. « Dans le café, ce vieux salaud avait renversé un verre de cognac sur
05:58mon pantalon qui était tout haché. Alors furieux, sans compter, j'ai pris cet argent pour me
06:03dédommager. » Enfin et surtout, une belle sœur de Jean-Pierre vient déclarer sous serment qu'elle
06:09a surpris autrefois le vieillard faisant des propositions malhonnêtes à Jean-Pierre. Alors
06:14le tribunal, au bénéfice du doute, condamne Jean-Pierre à une peine légère et il est relâché
06:20pour une nouvelle période de liberté sous surveillance. Oublions Jean-Pierre quelques
06:25instants encore pour retourner auprès de notre petite mère de famille blonde et grassouillette.
06:28Après avoir déchargé sa poussette, rempli le réfrigérateur, elle téléphone à sa belle sœur
06:33Micheline tout en mangeant un morceau de gruyère. En prévision du thé et du dîner d'anniversaire,
06:38elle a en effet décidé de ne pas déjeuner. Sa belle sœur Micheline est une amie d'enfance. Elles
06:43se sont connues à l'école et elles ont épousé la même année les deux frais. Sa belle sœur est
06:47peintre. Elle commence seulement à gagner sa vie avec sa peinture. Elle est toute heureuse
06:51d'annoncer « ma chérie, j'ai encore vendu deux toiliers ». On la sent au téléphone rayonnante
06:56de bonheur. Il faut dire qu'il était temps qu'il rentre un peu d'argent à la maison. Son mari,
07:01employé dans un bureau d'études, a démissionné pour exploiter lui-même ses brevets, convaincu
07:05qu'il allait faire fortune. Or s'il fera fortune un jour, en attendant, il a fallu se serrer la
07:10ceinture. Il leur est arrivé de travailler la nuit, elle comme concierge dans un petit hôtel
07:15plus ou moins borgne et lui dans une imprimerie. Mais la journée, il travaillait sur ses brevets
07:20et elle peignait, et cela en faisant bonne figure à leurs quatre enfants. Mais tout est oublié.
07:27Aujourd'hui, Micheline est toute heureuse, elle a vendu deux toiles. Elle propose de se joindre à
07:32Jeanne et à Henriette à l'heure du thé. C'est d'accord ? Les trois copines pourront papoter et
07:37se rappeler de vieux souvenirs. Elles sont donc trois femmes et un homme qui ont maintenant
07:44rendez-vous sans le savoir avec Jean-Pierre à 18h12. Cinq ans plus tôt, le 2 février 1965,
07:55un policier faisant une ronde avait trouvé Jean-Pierre ivre mort, cuivrant sa cuite dans
08:01une voiture qu'il venait de fouiller. Le taux d'alcool dans son sang à trois heures du matin
08:05était de 1,28%. Au tribunal, il promettait de se tenir correctement à l'avenir, de ne plus boire
08:12et de ne plus s'intéresser aux voitures qui ne lui appartenaient pas. Le tribunal prenait
08:18cette promesse pour argent comptant et le relâchait immédiatement. Le 15 août de la même année,
08:24il provoquait un accident à une voiture de louage. L'analyse sanguine révélait un taux
08:30d'alcoolémie élevé, 1,49%. Les autorités suspendaient le permis de conduire que Jean-Pierre
08:37venait d'obtenir quelques jours auparavant. Malheureusement, on ne pouvait lui confisquer
08:41matériellement ce permis de conduire qu'il avait soi-disant perdu. Jean-Pierre en profitait pour
08:46louer une voiture dans laquelle il se promenait pendant plusieurs jours, jusqu'à ce que le loueur,
08:51qui n'avait pas été payé, en exige la restitution. Il est à noter que les six demi-frères et sœurs
08:57de Jean-Pierre, devenus adultes, avaient une vie tout à fait normale. Par contre,
09:02Jean-Pierre ne travaillait qu'occasionnellement et changeait constamment d'employeur. Jean-Pierre
09:07vivait chez sa mère et ne lui versait aucune pension. Le 17 septembre, Jean-Pierre, qui était
09:15fiancé depuis six mois, devenait père d'un petit garçon. Cela ne l'empêchait pas de sortir des
09:20nuits entières. D'ailleurs, quelques jours après la naissance de cet enfant, une jeune fille de 16
09:26ans se présentait à la maison pour demander de ses nouvelles, car elle avait une liaison avec lui
09:30depuis deux années. La mère et la famille hésitaient avant d'aborder le sujet, car elles
09:36avaient peur de lui. Quand la mère se décidait enfin à lui demander des explications, Jean-Pierre
09:42lui répondait que ceux-là ne la regardaient pas sortir et revenaient, deux ans plus tard,
09:46ivres et la menaçant avec un couteau. Sa belle-mère est veuve, elle n'osait pas intervenir. Ni ses
09:54belles-sœurs. Il leur avait volé de l'argent à plusieurs reprises, mais il l'avait toujours nié
09:59contre toute évidence en les menaçant. Alors elle n'osait le dénoncer, car elles aussi avaient peur
10:05de lui. Bien entendu, le tribunal avait désigné un éducateur pour surveiller et diriger Jean-Pierre,
10:11un homme jeune, honnête, dynamique et, de ce fait, surchargé de travail. Il essayait de discuter avec
10:18le garçon, l'observer à travers ses lunettes d'acier et ne savait pas par quel bout le prendre.
10:23Jean-Pierre n'est pas très intelligent et il était d'autant plus difficile d'avoir avec lui
10:28une conversation sérieuse qu'il ne se faisait aucun souci à propos de sa situation présente et
10:32à venir. Sa fiancée était trop superficielle pour avoir sur lui une quelconque influence.
10:37L'éducateur estimait que Jean-Pierre était victime de sa naissance, de son éducation,
10:43de son milieu, qu'il n'avait aucune maturité et que, n'étant pas psychologiquement adulte,
10:48il y avait lieu de le traiter comme un enfant. Donc, à chaque nouvelle rechute, vol de chèque,
10:53recel, etc., le tribunal devant lequel il comparaissait ne lui infligeait que des
10:58peines légères réservées aux mineurs. Au maximum, deux mois dans une maison de détention pour jeunes.
11:03Les récits extraordinaires de Pierre Belmar, un podcast européen.
11:14Revenons à ce 18 décembre 1970, lorsque Jeanne, la petite blonde mère de famille Grasouillette,
11:21arrive chez sa mère. Il est 15 heures. Elle lui amène dans un énorme ballot tout le linge de la
11:27famille. C'est une tradition. C'est sa mère qui lave le linge avec une machine à laver. Évidemment,
11:32Jeanne aurait pu s'acheter une machine à laver et laver son linge elle-même, mais sa mère est
11:36encore très valide malgré ses 70 ans et cela lui donne l'illusion de se rendre utile. Pour la même
11:41raison, c'est elle qui fait les travaux de couture importants et tricote les pulvers. Jeanne propose
11:46à sa mère de venir prendre le thé avec ses amis, mais la mère refuse. Elle veut d'abord s'occuper
11:51de laver le linge. Elle les rejoindra au salon de thé, qui est tout à côté, si elle a le temps.
11:56Sinon, elle viendra ce soir au dîner anniversaire de sa petite fille, directement et par l'autobus.
12:01Donc, si elle a le temps, la grand-mère sera la cinquième personne qui aura rendez-vous,
12:09sans le savoir, avec Jean-Pierre, ce 18 décembre 1970, à 18h12. Fin 1966, alors que Jean-Pierre
12:22venait d'être condamné quinze jours plus tôt à deux mois de prison, l'éducateur s'efforçait de
12:28le faire relâcher pour Noël. Il déclarait « Jean-Pierre est un bon garçon. Il ne sait pas
12:33pourquoi il commet de tels délits. Il les regrette et voudrait qu'un médecin le soigne. Il désire
12:38être rapidement libéré, par exemple pour Noël, car il a des dettes et il doit travailler pour sa
12:43fiancée et son enfant. Il a sérieusement l'intention de se conduire comme il faut. » Jean-Pierre était
12:50donc libéré pour Noël. Quinze jours plus tard, le 31 août 1967, Jean-Pierre se rendait avec trois
12:58camarades dans une ville voisine. Là, il s'enivrait et l'argent venait à manquer. Vers une heure du
13:04matin, en voiture, il chargeait un autostopper. Il roulait jusqu'à un endroit isolé, assommait le
13:10malheureux de plusieurs coups de poing avant de le sortir de la voiture et de le tirer au pied
13:15d'un talus. L'homme reprenait ses esprits, suppliait les quatre voyous de ne plus le frapper. D'ailleurs,
13:22il affirmait ne pas savoir d'argent sur lui. Mais les quatre jeunes gens n'ont été que plus furieux
13:26et le frappaient de plus belle, allant jusqu'à lui décocher les coups de pied dans la figure.
13:30Lorsqu'ils abandonnaient le pauvre garçon après l'avoir fouillé, ils emmenaient en tout et pour
13:35tout l'équivalent de six francs. Jean-Pierre était arrêté le lendemain et comparaissait quelques
13:42semaines plus tard devant le tribunal. Une fois encore, bien qu'il ait 21 ans, le tribunal le
13:50considère comme un enfant. Oh certes, il est condamné à cinq ans de détention, mais dans
13:54une maison pour jeunes délinquants. Dans cet établissement, Jean-Pierre travaillait à l'équipe
14:00d'entretien et se conduisait correctement. En réalité, Jean-Pierre n'était pas si tôt interné
14:05qu'il comptait déjà repartir et il savait qu'il repartirait. Ses séjours en maison de délinquance
14:10lui paraissaient des intermèdes sans importance, une sorte de formalité stupide dont il convient
14:16de hâter la conclusion. Et Jean-Pierre ne cessait dès les premiers jours de son internement de
14:21demander sa libération. Les arguments pour cela sont nombreux. D'abord, il doit subvenir aux
14:26besoins de sa famille. Sa belle-mère, qui veut se remarier, ne peut pas garder chez elle, faute de
14:31place, sa jeune femme et son enfant, etc., etc. 18 décembre 1970. Dans un modeste salon de thé,
14:41les trois copines, mère de famille, Jeanne, Henriette et Micheline, papotent, papotent,
14:46papotent, se racontent des histoires de copines, des histoires de femmes, des histoires de mères
14:50de famille. La mère de Jeanne, qui les a finalement rejointes, les écoute avec indulgence. Soudain,
14:55Jeanne se lève. « Il faut que j'appelle René. » Elle traverse le salon de thé, entre dans la
15:01cabine téléphonique, compose le numéro. « Allô, mon chéri, est-ce que tu peux venir nous chercher
15:05à Berliner Platz ? Je suis avec Henriette et Micheline. On pourrait les déposer en passant.
15:09Maman préfère remonter chez elle. Elle viendra plus tard par l'autobus. » L'homme hésite au bout du
15:16fil. « Je n'ai pas fini, dit-il. Je ne peux pas être là avant une demi-heure ou même une heure. »
15:21« Ça ne fait rien, dit Jeanne. Ne t'aie pas de soucis. Nous t'attendrons jusque vers six heures et
15:26quart. Et si tu n'es pas là, nous prenons l'autobus. » Voici le genre de lettres que Jean-Pierre
15:34envoyait au procureur depuis la prison en 1967. C'est une traduction de l'allemand. « Combien de
15:41temps devrais-je rester ici à pleurer ? Croyez-moi, je désespère à force de penser et de pleurer. Ma
15:47chère mère a élevé neuf enfants. Elle n'a pas mérité les malheurs que je lui cause. Aucun de ses
15:52enfants ne lui a fait autant de misère que moi. Mais c'est un soulagement pour moi de savoir en
15:58bonne conscience que c'est absolument la dernière fois. Je me fais vraiment de gros soucis à la
16:04pensée que ma mère pleure et rumine sans arrêt. » Finalement, après avoir adressé au procureur et
16:12à l'éducateur maintes lettres aussi touchantes, Jean-Pierre est libéré, après seulement deux
16:17années de détention, soit le 1er janvier 1970. Le 18 décembre 1970, à 18 heures, les trois copines
16:29mères de famille, Jeanne, Henriette et Micheline, regardent la Berliner Platz à travers la vitre du
16:34salon de thé, y étant la venue problématique de René. Oh, ce n'est point qu'elle n'ait plus rien
16:39à se dire, mais chacune des trois doit rentrer préparer le dîner de la maisonnée. Les minutes
16:45passent. La mère de Jeanne remonte chez elle. Henriette dit « Bon, je crois qu'on est bonne
16:52pour l'autobus. Attendons encore dix minutes, dit Jeanne. Il n'est que 18 heures. » Dès qu'il a été
17:00libéré, Jean-Pierre, qui déclarait se sentir une moitié d'homme sans permis de conduire, demandait
17:05qu'il lui soit restitué. Évidemment, vu les antécédents et l'occasion judiciaire de Jean-Pierre,
17:10le tribunal hésitait, mais l'éducateur appuyait sa demande. « Je connais bien Jean-Pierre, disait-il.
17:16Il a payé sa dette et il considère cette restitution de son permis comme une preuve
17:20de confiance. J'insiste pour qu'on lui donne cette nouvelle chance. » 18 décembre 1970, dans le salon
17:31de thé vers 18h06, Jeanne sursaute. « Ah, voilà René, dit-elle. En effet, une Volkswagen bleue a
17:38entrepris de tourner autour de la Berliner Platz. René, le conducteur, fait un signe du bras par la
17:43portière en direction du salon de thé. » Le 3 septembre 1970, Jean-Pierre était soumis à un
17:51examen médico-psychologique, à la suite de quoi les autorités lui accordaient, après quelques
17:55hésitations, un permis de conduire spécial de troisième classe, c'est-à-dire un permis qui limite
18:00sa vitesse sur autoroute à 100 km heure et sur les autres routes à 80 km heure. Si Jean-Pierre
18:06contrevenait aux règles de la circulation, l'administration spécialisée devait être
18:11immédiatement informée. 18 décembre 1970, 18h08, Berliner Platz. La petite Volkswagen bleue s'est
18:23arrêtée devant le salon de thé. René, un grand bonhomme mince et sympathique, en est sorti. Debout
18:29sur le trottoir, il salue les trois copines à travers la vitre. René est chauve et porte des
18:34lunettes d'écaille. Henriette, Jeanne et Micheline, qui ont enfilé leur manteau, s'apprêtent à sortir.
18:39Le 11 septembre 1970, Jean-Pierre est entré en possession de son permis de conduire. Pendant trois
18:46mois, on n'entend pas parler de lui, mais chaque fois qu'il en a les moyens, il loue une voiture.
18:5218 décembre 1970, 18h10. Sur le trottoir de la Berliner Platz, les trois copines ont embrassé
19:03René. Maintenant, elles montent dans la voiture, d'abord Jeanne, puis Henriette, puis Micheline, et René se met au volant.
19:14Ce matin, 18 décembre 1970, Jean-Pierre a loué une nouvelle voiture, une BMW.
19:2318 décembre 1970, 18h11. René tourne la clé de contact. Le moteur tourne. Il passe en première et
19:35quitte le trottoir de la Berliner Platz. 18 décembre 1970, Jean-Pierre, avec deux copains, a passé l'après-midi à
19:44traîner le café en café. Vers 18h10, il décidait de rentrer chez lui. Ses camarades, qui le voyaient
19:51partir, étaient ivres, et lui aussi, car sa voiture zigzaguait. René fronce les sourcils. En quittant à vive allure la
20:01Berliner Platz, il voit venir en face de lui une voiture BMW qui zigzague. Il n'a pas le temps de s'arrêter car la BMW, qui
20:08freine brusquement, dérape et glisse, glisse, glisse vers la petite Volkswagen à une vitesse folle. Les trois copines, Jeanne,
20:14Henriette et Micheline, hurlent. Le choc est tellement violent que les moteurs des deux voitures explosent. Une troisième voiture,
20:22où se trouvent deux personnes, et dont le conducteur cramponné à son volant freine de toutes ses forces, vient se jeter sur les deux
20:28véhicules en feu. Il est 18h12. Le 18 décembre 1970. Les passants depuis le trottoir, les gens depuis leurs fenêtres,
20:44voient brûler vivante cinq personnes. Sans qu'on puisse rien pour elles. Jeanne, Henriette, Micheline, René et Jean-Pierre. Dans l'autre voiture,
21:01deux autres personnes, quoique grièvement blessées, seront sauvées.
21:08Cet affreux accident de la circulation est authentique. C'est justement parce qu'il a des conséquences particulièrement graves, inhabituelles, bien
21:16supérieures à la moyenne, que la police allemande décide de faire une enquête et d'étudier le curriculum vitae du conducteur responsable.
21:25Après de très vives critiques à l'égard de la justice, des éducateurs, des administrations, l'auteur du rapport conclut. Est-ce un accident ?
21:35Peut-on appeler accident un événement que n'importe quelle personne douée de bon sens pouvait prévoir ? Peut-on appeler accident un événement que cent fois la société a eu l'occasion d'empêcher ?
21:50Non. Cet événement est le fruit de l'incompétence, de la négligence, d'une coupable indulgence, mais ce n'est pas un accident.
22:02En laissant entre les mains de ce jeune homme une voiture, les fonctionnaires se sont montrés aussi monstrueusement indifférents que s'ils avaient laissé un enfant de trois ans jouer avec une bombe.
22:13C'est eux qui ont tué Jeanne, Henriette, Micheline, René et finalement Jean-Pierre.
22:32Vous venez d'écouter les récits extraordinaires de Pierre Belmar, un podcast issu des archives d'Europe 1 et produit par Europe 1 Studio.
22:50Réalisation et composition musicale, Julien Taro.
22:53Production, Raphaël Mariat.
22:56Patrimoine sonore, Sylvaine Denis, Laetitia Casanova, Antoine Reclus.
23:02Remerciements à Roselyne Belmar.
23:04Les récits extraordinaires sont disponibles sur le site et l'appli Europe 1.
23:09Écoutez aussi le prochain épisode en vous abonnant gratuitement sur votre plateforme d'écoute préférée.