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Stephen Smith, professeur d’histoire africaine à l’université Duke et auteur du livre "Requiem pour la coloniale", répond aux questions de Dimitri Pavlenko.

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News
Transcription
00:00Bonjour Stephen Smith, bienvenue sur Europe 1, vous êtes professeur d'études africaines à l'Université de Duke aux Etats-Unis.
00:07C'est en Caroline du Nord, au sud de Washington.
00:11Absolument, Stephen Smith on vous connaît en France surtout pour votre livre La ruée vers l'Europe,
00:15livre sur l'immigration africaine.
00:18Ils ne sont pas encore partis, c'était un petit peu le message essentiel à retenir, les Africains ne sont pas encore partis
00:24dans ce vaste mouvement migratoire que vous analysiez dans ce livre il y a six ans qui a tant fait parler à l'époque.
00:29Vous êtes de passage en France, Stephen Smith, pour la sortie de votre nouvel ouvrage écrit avec Jean Delaguerrivière.
00:35Je le montre sur europe1.fr pour ceux qui nous regardent.
00:38Requiem pour la coloniale, la coloniale avec un grand C.
00:42Conquête et retraite de l'armée française en Afrique, c'est chez Grasset.
00:45On va parler de l'Afrique, Stephen Smith, mais l'actualité d'abord demain mardi puisque je l'ai dit, vous enseignez aux Etats-Unis.
00:53L'Amérique vote pour élire le 47e président des Etats-Unis, peut-être s'agira-t-il d'une femme ?
00:58Kamala Harris qui serait la première à occuper cette fonction, mais semble-t-il ce n'est pas le scénario le plus probable.
01:05Sans se lancer dans des prévisions un petit peu hasardeuses, Stephen Smith,
01:09on a tout de même sept modèles sur dix qui nous disent que Donald Trump va gagner cette élection.
01:15Ce qui serait une immense surprise quand on regarde ce qui s'est passé sur une échelle de 2-3 ans, Stephen Smith.
01:20Oui c'est vrai, il peut y avoir une majorité dans le corps électoral, vous savez, le système est compliqué.
01:24Je ne pense pas qu'il ait une majorité du vote populaire, mais finalement ça ne compte pas à l'arrivée.
01:29Je crois que l'essentiel, sans spéculer, l'essentiel c'est de comprendre qu'il peut gagner.
01:34Et deuxièmement que sa victoire aujourd'hui, qui serait autant une surprise qu'en 2016, sera une autre surprise.
01:40En 2016, c'était un iconoclaste, si vous me permettez la phrase, il venait pour casser la baraque.
01:46L'outsider par excellence.
01:47L'outsider et personne qui voulait assainir Washington, qui était le non-politicien.
01:54Aujourd'hui, il est le bélier de toute une faction du capital, je ne suis pas du tout marxiste,
02:01mais de toute une frange de politique qui a un programme très très précis,
02:06ça va de Elon Musk jusqu'à des gens qui ont des idées très précises sur l'immigration justement,
02:13pour accompagner, expulser 11 millions d'Américains qui sont des illégaux,
02:17et je suis tout à fait pour le respect du droit,
02:21mais qui, pour la moitié d'entre eux, ont vécu depuis une décennie aux États-Unis.
02:25Donc vous voyez l'ampleur, donc ce sera vraiment un séisme.
02:28Et Trump aujourd'hui n'est pas le Trump d'hier.
02:31Aujourd'hui, il est le paravent d'une politique très claire,
02:35alors qu'il était une dilettante il y a dix ans.
02:39Il y a une professionnalisation de Donald Trump finalement, Stephen Smith ?
02:43Non, pardonnez-moi de le dire comme on le dit à Abidjan,
02:46il est né avant la honte, il n'est que narcissisme,
02:49mais il est malléable et influençable,
02:52et derrière lui, il y a des gens qui pensent et qui aujourd'hui savent ce qu'il faut faire.
02:56A l'époque, il ne pouvait même pas nommer des ambassadeurs,
02:59il n'avait pas de candidats, il n'avait personne derrière lui.
03:01Aujourd'hui, tout ça est en formation.
03:03Il sera la tête visible, la figure de tête,
03:07mais derrière lui, il y a des gens qui savent faire,
03:10et c'est plutôt effrayant.
03:12Justement, les proches de Donald Trump,
03:15les gens qui l'entourent, qui travaillent avec lui à la campagne,
03:18j'ai beaucoup lu ce qu'il disait ces derniers temps de Donald Trump,
03:21il disait qu'il est déterminé à décider lui-même cette fois.
03:26Il avait confié les clés de sa présidence en 2016 à des adultes,
03:30des gens comme par exemple John Bolton sur les questions de politique étrangère, etc.
03:34Aujourd'hui, non.
03:35Aujourd'hui, il a des gens qui sont à sa main,
03:37et c'est lui qui décidera Stephen Smith.
03:39Non, ça c'est un rideau de mots.
03:41Stephen Miller, par exemple, qui est un ancien dedoc,
03:43qui était le responsable de la politique migratoire,
03:45il était déjà avec Trump.
03:47Ce qu'ils veulent dire, ça c'est des gens qui s'expriment
03:49parce qu'ils ont l'oreille du président.
03:51Et donc, ils vont lui souffler ce qu'il faut faire,
03:53il va décider tout seul ce qu'ils ont prémâché en quelque sorte pour lui.
03:57C'est de la flatterie.
03:58C'est de la flatterie, oui, tout à fait.
04:00Et de l'autre côté, Kamala Harris,
04:02qui a surgi dans cette campagne tel un boulet de canon,
04:04on se rappelle avec ce twist gigantesque dans la campagne,
04:08le moment où Joe Biden a dû rendre les clés de la campagne,
04:11jugée trop vieux par ceux qui le soutenaient,
04:13et elle arrive donc,
04:15et je vous lis cette formule de Lormondeville
04:17du journal Le Figaro,
04:19ou plutôt non, elle citait un sondeur américain
04:21qui disait, à propos de Kamala Harris cette semaine,
04:23elle était la candidate de la joie,
04:25elle est devenue la candidate de la peur, Stephen Smith.
04:27Je trouve ça exagéré.
04:29Elle n'a commis aucune erreur,
04:31aucune faute de parcours,
04:33elle était la vice-présidente la moins populaire
04:35de toute l'histoire d'Amérique,
04:37donc elle partait de loin, tout le monde était soulagé
04:39que Biden finalement rende le tablier,
04:41mais le pays aspire à une rupture,
04:44sans avoir des idées claires,
04:46rupture sur quoi ?
04:48Et elle ne peut pas incarner cette rupture,
04:50donc elle n'a commis aucune faute de parcours,
04:52mais elle n'offre rien
04:54qui donne un sentiment au pays
04:56que les choses vont changer au lendemain du vote.
04:59Aujourd'hui, elle est à la tête
05:01une coalition du refus,
05:03je peux dire que j'en fais partie de cette majorité,
05:05tout sauf Trump,
05:07mais est-ce que c'est assez pour s'hisser
05:09au-dessus des 50 %,
05:11ça c'est la question qui est ouverte.
05:13Racontez-nous un petit peu
05:15la campagne vue des Etats-Unis,
05:17j'ai dit, vous enseignez à Duke,
05:19qui est une prestigieuse université de la côte Est des Etats-Unis,
05:21on a de France cette image
05:23ahurissante, des campus américains
05:25totalement possédés par le virus Woke,
05:27avec des manifestations pro-palestiniennes
05:29envahissantes, ça se passe comme ça
05:31sur votre campus ?
05:33Comme d'habitude, c'est un peu comme lorsque vous avez
05:35un reportage sur une émeute,
05:37à côté il y a un quartier qui est tout à fait tranquille,
05:39chez nous ça n'a pas fait de vagues,
05:41chez nous,
05:43pour faire cliché,
05:45le lobby juif est beaucoup plus fort,
05:47les étudiants qui étaient plutôt favorables aux palestiniens
05:49ne s'exprimaient pas trop,
05:51mais ils ont fait un walk-out, donc ils ont quitté
05:53la cérémonie de la graduation, de la diplomation,
05:55donc ça se passe
05:57très bien, on peut discuter en classe,
05:59c'est tout à fait possible, on peut créer un climat,
06:01le wokisme existe,
06:03je ne veux absolument pas le nier,
06:05mais une conversation contradictoire est tout à fait
06:07possible, et vu de près,
06:09c'est beaucoup plus nuancé que ça.
06:11Ce qui est vrai à la veille de cette
06:13élection cruciale, c'est que j'ai
06:15jamais vu mon pays aussi nerveux,
06:17aussi, évidemment, polarisé,
06:19mais les gens ont peur
06:21que, puisque ce sera une
06:23victoire courte, qu'il y aura
06:25des lendemains, soit des lendemains assez
06:27longues sous Trump, ou
06:29il y aura des lendemains d'affrontements,
06:31parce qu'il ne va pas reconnaître l'élection,
06:33et tout le monde est prêt à ça, cette fois-ci,
06:35et ça ne se jouera pas cette fois-ci
06:37à Washington, mais plutôt dans les capitales des
06:39différents États, donc ça sera une rébellion
06:41décentralisée.
06:43Il y a cette idée d'une multiplication de petits 6 janvier.
06:45Des foyers, en quelque sorte, des focos.
06:47Et ça, tout le monde en a peur,
06:49c'est-à-dire que c'est une fausse échéance,
06:51on ne tranche pas avec l'élection.
06:53L'élection sera suivie de quelque chose
06:55qui va continuer, un feuilleton présidentiel,
06:57ou un affrontement dans la rue.
06:59Je pense qu'aussi,
07:01les institutions sont prêtes. Je n'ai pas peur
07:03de ça, puisque je pense que les institutions
07:05américaines sont solides. Il n'y a pas d'appui
07:07pour Trump au sein de l'armée,
07:09au sein de l'appareil sécuritaire,
07:11et tout le monde est prêt, mais bien sûr,
07:13une grande démocratie,
07:15où le sort de la démocratie se décide
07:17sur le fil du rasoir, voire
07:19dans la rue, c'est quelque chose de très inattendu.
07:21Alors, il faut dire aussi, à propos
07:23de Donald Trump, j'insiste un peu, parce que
07:25c'est vrai qu'il a un style de campagne très
07:27particulier, et là, on assiste
07:29à des mouvements étonnants. Par exemple,
07:31cette séquence avec ce camion
07:33poubelle, il arrive en meeting
07:35à bord de ce camion pour réagir
07:37au faux pas de Joe Biden, accusant les électeurs
07:39de Donald Trump de garbage, il les traite d'ordure.
07:41Et bien voilà, nous sommes des ordures,
07:43et nous en sommes fiers, quelque part, lui rétorque Donald Trump
07:45dans ce geste de campagne.
07:47Il est aussi l'expression d'une révolte politique,
07:49Donald Trump, Stephen Smith.
07:51Qu'est-ce qu'on fait avec ça ?
07:53C'est-à-dire, il est le pôle ralliement de tous
07:55ceux qui se sentent blessés,
07:57soit économiquement, ou...
07:59Les déplorables, comme les avait appelés Hillary Clinton.
08:01Et d'ailleurs, cet incident et la répétition
08:03de ça, déplorables, ça avait beaucoup
08:05desservi Hillary Clinton, donc on
08:07rejoue l'épisode. Mais si vous êtes,
08:09par exemple, la masculinité
08:11toxique blesse beaucoup de gens,
08:13il n'y a plus de façon d'être
08:15homme positivement, donc vous pouvez
08:17vous retrouver dans ces diatribes,
08:19dans cette logorée de Trump, vous vous
08:21retrouvez en situation de révolte.
08:23Vous passez sur tous les excès
08:25parce que vous dites, au moins, il est
08:27caché, toutes ces expressions qui sont
08:29un peu clichés. Et là, il peut
08:31rallier une assez
08:33grande majorité, ou en tout cas
08:35une part importante de l'opinion
08:37nationale, qui
08:39n'a très peu de dénominateurs communs,
08:41mais chacun a son single issue,
08:43la chose qui lui importe
08:45beaucoup, et il se reconnaît dans cet homme
08:47qui est quand même aussi d'une plasticité
08:49assez ordurière,
08:51si vous me permettez.
08:53Alors, quels ont été les thèmes majeurs de cette
08:55campagne, Stephen Smith, parce que
08:57on voit, par exemple, sur la question de l'économie,
08:59on est ébahis, vu d'Europe, sur
09:01les niveaux de la croissance américaine,
09:03et pourtant, l'économie a constitué un
09:05enjeu de campagne assez lourd.
09:07Mais vous voyez, là, il est assez habile, vous avez raison,
09:09mais l'inflation a quand même
09:11marginalisé beaucoup de gens, et quand
09:13elle diminue, elle ne disparaît pas,
09:15les prix sont toujours très élevés,
09:17l'Amérique est très, très
09:19économiquement polarisée,
09:21d'une très grande richesse, mais dès qu'en
09:23Caroline-le-Nord, dès que je sors des villes,
09:25je vois des gens qui vivent dans des hangars,
09:27ils ont le drapeau américain devant eux,
09:29devant leur maison, mais c'est
09:31assez pauvre, et je pense que beaucoup de Français
09:33seraient impressionnés, et Trump a eu
09:35l'habileté de dire aussi que
09:37cette bonne économie s'accompagne
09:39d'un niveau de vie
09:41très difficile, et qu'un pays d'immigration
09:43est constamment en train de faire
09:45du tamping social, donc même
09:47des emplois qui sont occupés par
09:49des migrants qui sont dans le
09:51pays depuis un certain temps, sont aujourd'hui
09:53menacés parce que d'autres viennent
09:55s'offrir comme jardiniers, etc.,
09:57toujours à un prix moins élevé, et ça,
09:59ça fait très, très peur, et donc il a finalement
10:01gagné, y compris dans les démographies,
10:03comme on dit, dans les cohortes, qui
10:05normalement devaient être anti-Trump.
10:07– Les Latinos, les Noirs américains,
10:09etc. – Notamment. – Voilà ce qu'on
10:11pouvait dire à ce stade des opérations, on va
10:13suivre donc évidemment demain la journée
10:15électorale américaine, qui ne sera pas le point
10:17final, on le redit, de cette élection, ça va
10:19sans doute s'éterniser pendant plusieurs jours, peut-être
10:21même plusieurs semaines. Venons-en à votre
10:23livre, Stephen Smith, La raison pour
10:25laquelle vous êtes là initialement sur Europe 1,
10:27Requiem pour la coloniale.
10:29Alors, c'est un petit ouvrage, vous êtes d'ailleurs
10:31un auteur qui écrit resserré, Stephen
10:33Smith, vous écrivez ses cours dans l'ensemble,
10:35mais c'est toujours très dense.
10:37Alors, la coloniale, on va rappeler ce que c'est.
10:39C'est ainsi qu'on surnommait
10:41l'armée française qui colonisa
10:43toute une partie de l'Afrique au XIXe siècle,
10:45qui l'occupa, et la conserva
10:47en protectorat pendant la guerre froide.
10:49– Oui, tout à fait, c'est-à-dire là, c'est un livre
10:51sur un siècle et demi,
10:53et nous disons que nous vivons
10:55une césure historique. Un siècle
10:57et demi de présence française touche à sa fin.
10:59– Je vous interromps, vous dites nous, parce que vous l'avez écrit avec
11:01Jean Delaguerrivière, je me permets de rajouter.
11:03Un ami et confrère du monde,
11:05et donc nous l'avons fait, c'est d'ailleurs son idée,
11:07il me disait que les départs successifs
11:09de l'armée française, c'était l'actualité,
11:11mais que le vrai sujet, c'était cette
11:13fin d'époque, un siècle et demi,
11:15une certaine présence de la France en Afrique
11:17touche à sa fin. Et le deuxième
11:19message, c'est qu'au cœur de cette présence,
11:21depuis le début, est l'armée française.
11:2390 interventions
11:25militaires françaises, opérations extérieures,
11:27depuis les indépendances,
11:29témoignent de cet interventionnisme,
11:31et aussi, quand vous regardez
11:33l'Afrique de l'Ouest, elle était administrée
11:35par les militaires jusqu'au lendemain
11:37de la Deuxième Guerre mondiale,
11:39ce qui veut dire que finalement, l'administration
11:41civile n'a été là
11:43que pour décoloniser. Donc, au cœur
11:45de la présence française
11:47en Afrique, depuis le début, depuis la
11:49Troisième République, est la force
11:51militaire. C'est pas l'inverse, c'est pas
11:53la mission civilisatrice,
11:55une certaine départ de marché qui font qu'on a
11:57aussi l'armée pour, par exemple,
11:59rapatrier les expatriés, c'est l'inverse.
12:01C'est la position de force, le
12:03vecteur militaire, qui permet
12:05d'être là d'une certaine façon, d'avoir
12:07départ de marché. Et avec le rapatriement
12:09de l'armée, se termine
12:11une position de force
12:13de la France en Afrique francophone.
12:15Ça, ça a des conséquences gigantesques, on le voit par exemple
12:17dans les orientations prises par l'armée française
12:19qui regarde ce qui se passe en Ukraine,
12:21qui se dit que c'est le retour de la guerre de haute intensité,
12:23il va peut-être falloir changer notre
12:25façon de faire la guerre, changer aussi notre
12:27équipement, parce que la coloniale,
12:29elle a donné sa forme à l'armée française
12:31aussi, Stéphane Smith, vous racontez ça de manière
12:33très intéressante. Tout à fait, parce qu'il y a les deux impératifs,
12:35c'est la mobilité, la projection de force.
12:37Donc, vous êtes très bien sur les terrains
12:39du tiers-monde, mais en Ukraine,
12:41évidemment, il faut des... Les petits chars légers
12:43de l'armée française en Ukraine ne seraient pas
12:45très efficaces. Et il faudra jusqu'en
12:472030 pour changer le reformatage
12:49en matériel et aussi en
12:51planification. Si vous vouliez faire
12:53carrière dans l'armée française, il fallait
12:55être là où il y a des opérations. Ce n'est pas
12:57en restant en caserne que vous alliez avoir des
12:59promotions. Donc, tout le monde,
13:01les troupes de marines, ce qui est finalement
13:03la coloniale, les troupes de marines, c'est
13:0515% de l'armée de terre. Mais
13:07sur les neuf chefs d'état-major de
13:09l'armée de terre depuis 2010,
13:11sept étaient issus des troupes de
13:13marines. Donc, vous voyez ces prééminences
13:15dans la planification, dans l'équipement,
13:17dans la stratégie, et l'armée
13:19française aujourd'hui est mal préparée
13:21à un affrontement en Ukraine ou
13:23en Europe. Donc, vous voyez, le passé
13:25est aussi l'avenir proche.
13:27Mais ça, j'ai envie de vous dire, c'était avant Stéphane Smith
13:29parce qu'on a vu successivement la
13:31France se faire chasser
13:33de Centrafrique, du Mali,
13:35du...
13:37Pardonnez-moi les mots...
13:39Oh, j'ai oublié la liste.
13:41Le Mali pour qu'il n'y en fasse pas au Niger.
13:43Merci, merci à vous.
13:45Est-ce que c'est irréversible,
13:47vous pensez, ce moment d'élection de la France d'Afrique ?
13:49Oui, je pense que cette époque
13:51est vraiment terminée, que c'est vraiment une césure
13:53historique, mais je ne partage pas votre
13:55optimisme. Regardez, là, il y a un reformatage.
13:57Jean-Marie Bockel, ancien ministre
13:59de la Coopération, est chargé de reformater
14:01la présence militaire de la France.
14:03Qu'est-ce qu'il propose ? Il va le rendre
14:05au public dans quelques jours. Il propose
14:07là où la France a été déjà mise à la
14:09porte, qu'on s'adapte aux
14:11circonstances adverses. En même temps,
14:13il veut rester avec 1000 hommes en Jaména.
14:15Donc, c'est une adaptation
14:17au Tchad. Donc,
14:19à l'arrivée, il n'y a toujours pas de politique.
14:21Il y a une façon de s'adapter
14:23à une situation qui devient hostile,
14:25mais il n'y a pas de projection
14:27ou une vue d'ensemble. Et donc, on va rester
14:29dans un pays qui est une dictature,
14:31avec une forte présence militaire, parce que
14:33la France est encore tolérée. Jusqu'au
14:35lendemain, quand elle ne sera plus,
14:37on va adapter à nouveau. Donc, on dit
14:39à tout bout de champ que c'est la fin
14:41de la France d'Afrique, c'est la fin,
14:43comme va faire une autre politique, mais c'est le verbe.
14:45L'acte ne suit pas. Est-ce que vous
14:47diriez qu'aujourd'hui, Stephen Smith, la France
14:49regarde sa période coloniale, parce que
14:51là, vous nous dites que l'armée symbolise
14:53cela, quelque part. Est-ce que la France regarde
14:55sa période coloniale en Afrique sans
14:57œillère ? Ou bien, au contraire,
14:59il y a toujours un regard biaisé, notamment par le
15:01sentiment de culpabilité ?
15:03Oui, je pense qu'elle ne regarde pas,
15:05la France ne regarde pas la période
15:07coloniale dans son ensemble. Elle s'est
15:09concentrée depuis 25 ans sur ce qu'elle appelle
15:11la France-Afrique. Je trouve d'ailleurs
15:13une mauvaise expression.
15:15Pourquoi ce mot-là ne vous plaît pas ?
15:17Parce que je crois qu'il ne
15:19tient pas compte du fait que,
15:21même si les Africains, les leaders africains
15:23n'étaient pas en position de force,
15:25bien entendu, ils avaient des idées.
15:27Un Ruffo-et-Boigny, un Cédar-Sangor,
15:29ce n'est pas des satrapes ou des marionnettes
15:31de la France, c'est des gens qui ont un projet
15:33politique. Si leur projet politique était
15:35l'association avec la France, il vaut
15:37mieux appeler ça l'État franco-africain,
15:39comme l'anthropologue Jean-Pierre
15:41Dauzon le propose.
15:43Aujourd'hui, la France est obnubulée
15:45par cette France-Afrique qui, finalement,
15:47n'est qu'une parenthèse, 35 ans
15:49après les indépendances, et
15:51elle ne voit pas l'Afrique présente
15:53parce qu'elle voit tout
15:55à travers le filtre de cette France-Afrique
15:57qui est finalement un terme très polémique.
15:59Alors la France-Afrique n'existe plus,
16:01ou en tout cas elle est mourante,
16:03à l'agonie. Elle est morte.
16:05En revanche, la jeune Afrique,
16:07celle d'aujourd'hui, si jeune,
16:09cette Afrique, qu'elle en perd la mémoire
16:11des anciens, peut-être aussi un peu de ses racines,
16:13vous racontiez ça aussi également dans votre
16:15précédent livre, La rue vers l'Europe,
16:17c'est cette Afrique-là qui prend la route
16:19de l'Europe. J'ai été frappé
16:21lors du déplacement d'Emmanuel Macron
16:23au Maroc, de voir combien
16:25ce sujet de l'immigration
16:27pesait lourd dans les conversations que
16:29le chef de l'État pouvait avoir avec le roi du Maroc
16:31Mohamed VI.
16:32Oui, quand vous pensez que le Maroc
16:34est déjà plus avancé dans la transition
16:36démographique, mais en Afrique
16:38dans son ensemble, 40% de la population
16:40a moins de 15 ans.
16:42Vous essayez de vous imaginer ça,
16:44face à un continent comme
16:46l'Europe qui vieillit. Donc, cette
16:48complémentarité polarisation
16:50démographique, elle est
16:52notre avenir. Et donc, s'en occuper,
16:54j'ai l'impression qu'on s'en occupe assez mal
16:56parce que c'est toujours à vue de la prochaine
16:58élection, on est dans le discours.
17:00Tenez compte, tu fais que sur
17:02l'immigration en France, 10%
17:04sont des immigrés illégaux. C'est-à-dire
17:06sur 90% de l'immigration,
17:08nous sommes tous d'accord, parce qu'on voudra
17:10avoir l'assistante sociale qui
17:12vienne de quelque part, des personnes
17:14qui s'occupent de nos vieillards. Tout le monde
17:16l'accepte et on fait des polémiques autour
17:18de 10% sans discuter
17:20de l'essentiel qui sont les 9-10ème.
17:2210% ça n'est pas rien tout de même, c'est presque
17:24un million de personnes.
17:25D'ailleurs, aux États-Unis, c'est le double.
17:27C'est important, mais il faudra se poser
17:29la question, quelle société veut-on ?
17:31Est-ce qu'on veut une société où on peut gagner
17:33sa vie sans que cet
17:35emploi soit menacé par un
17:37camping social, par quelqu'un qui vient
17:39de l'extérieur et qui se laisse exploiter ?
17:41À ce moment-là, il faut tirer les conséquences.
17:43On ne peut pas socialiser
17:45les effets de la migration et
17:47privatiser les profits.
17:49Intéressant, on voit que c'est les mêmes questions
17:51de part et d'autre de l'Atlantique.
17:53On terminera sur cette question, Stephen Smith,
17:55qui est un peu la toile de fond de tous vos livres
17:57depuis maintenant plus de 20 ans,
17:59la valeur géopolitique de l'Afrique.
18:01On en parle si peu finalement dans le débat français,
18:03sauf quand la France se fait virer militairement.
18:07L'Afrique n'en avait pas tellement
18:09de valeur géopolitique pour les Français
18:11ces dernières années. Est-ce que
18:13vous considérez qu'aujourd'hui c'est en train de changer ?
18:15On retrouve un intérêt pour l'Afrique
18:17maintenant qu'on s'en est fait sortir ?
18:19C'est vraiment mon espoir
18:21et je mise aussi sur la jeune France
18:23et les jeunes Européens parce que je crois
18:25qu'il faut redécouvrir
18:27la valeur intrinsèque en termes
18:29d'information, en termes d'existence
18:31dans la géopolitique de l'Afrique
18:33et il faut le faire sans tenir compte
18:35des barrières linguistiques. L'Afrique anglophone
18:37ou lusophone est tout aussi intéressante
18:39que francophone. J'ai l'impression
18:41que c'est vers là qu'on va
18:43et que ça va permettre de prendre en considération
18:45ce que d'ailleurs des générations
18:47avant nous ont fait pour la partie francophone.
18:49Je relis parfois des ouvrages
18:51sur le Maroc ou sur l'Afrique subsaharienne
18:53d'il y a une génération. Il y avait
18:55une connaissance, un grain
18:57du détail qui s'est perdu
18:59mais je pense qu'on peut le regagner. Mais il faudrait
19:01pas regarder l'autre toujours
19:03devant la glace pour regarder les pirouettes
19:05qu'on fait soi-même. Il faut se mettre
19:07à la place de l'autre pour comprendre
19:09les conditions sous lesquelles il vit
19:11et pour rendre cohérente
19:13ce qui s'y passe et le raconter
19:15aussi à un public sans chaque
19:17fois chercher une accroche qui rattache
19:19aux Etats-Unis ou à la France. Mais je suis
19:21optimiste. Voilà, je vous vois
19:23deux ouvrages, donc ce Requiem pour la
19:25coloniale Afrique, conquête et retraite
19:27de l'armée française qui paraît chez Grasset, que vous avez donc
19:29co-écrit avec Jean Delaguerrivière
19:31et puis le précédent livre, La rue vers l'Europe, dans lequel
19:33vous projetez mentalement dans la tête
19:35d'un migrant africain la rencontre
19:37migratoire n'a pas encore eu lieu.
19:39C'était le message essentiel de ce précédent ouvrage.
19:41Merci Stéphane Smith d'être venu au micro d'Europe.
19:43Bonne journée.

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