François Busnet, Oliver Gallmeister, Lauren Groff, Raoul Peck et Jim Jarmusch sont les invités de ce 9h20 spécial, présenté par Léa Salamé et Nicolas Demorand. Plus d'info : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-interview-de-9h20/l-itw-de-9h20-du-mercredi-06-novembre-2024-8593502
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00:00France Inter, le 7-10, édition spéciale élections américaines.
00:06Et on retrouve à Washington Sébastien Pahour.
00:09Sébastien, à l'heure où l'on parle, et en dépit de son long discours,
00:14Donald Trump n'est pas officiellement élu, le compte n'y est pas encore.
00:18Non, les 270 grands électeurs ne sont pas encore atteints, il lui en manque 4 actuellement.
00:25Il faut que l'un des 4 derniers états-clés qui ne sont pas encore tombés,
00:29l'un d'eux bascule en sa faveur, ce sera le cas probablement dans les prochaines heures.
00:35Et à ce moment-là, il sera officiellement le président élu, le 47ème président élu.
00:39Mais le Michigan, le Wisconsin, et puis l'Ouest, l'Arizona et le Nevada
00:43n'ont pas encore été complètement dépouillés et donc n'ont pas livré leurs grands électeurs.
00:49Bon, Sébastien, vous savez où nous trouver, si le compte se modifie.
00:54En tout cas, le 7-10 en édition spéciale se poursuit.
00:59Si les politologues, les sociologues, les historiens peuvent parler de l'Amérique,
01:03le regard des artistes, des écrivains, des cinéastes,
01:06dit aussi énormément de ce pays et de ses fractures.
01:10On va en parler maintenant avec vous, François Bunel. Bonjour.
01:13Bonjour Nicolas, bonjour Léa, bonjour à tous.
01:15Journaliste, réalisateur, vous aviez fondé la revue « America » à l'époque de l'arrivée de Trump au pouvoir.
01:24Lorraine, premier mandat donc.
01:26Lorraine Groff, romancière, libraire, vous êtes avec nous en direct de Floride.
01:32Je suis très heureux de vous accueillir au micro d'Inter et je vous salue.
01:35Oliver Gallmeister, éditeur, fondateur des éditions qui portent votre nom,
01:43les formidables éditions Gallmeister.
01:45Bonjour, bienvenue dans ce studio.
01:47Bonjour, merci de votre invitation.
01:48Raoul Peck sera également dans quelques instants au micro.
01:52Réalisateur, producteur, Raoul Peck, vous aviez réalisé en 2016 « I'm not your negro » sur James Baldwin.
02:00Et votre livre consacré aux photographes sud-africains « Ernest Cole » vient de paraître aux éditions de Noël.
02:07Et enfin, Léa, un invité très important.
02:10Un invité de marque.
02:11Jim Jarmusch est en ligne avec nous.
02:13Bonjour à vous, vous êtes cinéaste, icône du cinéma américain indépendant,
02:16réalisateur entre autres de « Dead Man » ou « Broken Flowers ».
02:19Vous venez d'arriver à Paris où vous êtes l'invité d'honneur du festival Paris Photos.
02:24Question simple, votre réaction à ce retour au pouvoir de Donald Trump ?
02:29Je ne suis pas surpris.
02:34Mais oui, je suis déçu.
02:39Comment vous l'expliquez ? Comment vous expliquez cette victoire massive, nette, pas serrée du tout au fond ?
02:46Je ne sais pas.
02:48Je regardais les États-Unis qui passaient à droite quand j'étais en Europe.
02:56Et comme en Europe d'ailleurs.
02:59L'autoritarisme en jouant sur la peur, la division.
03:05Je l'ai vu au travail.
03:07Et donc oui, c'est très décevant.
03:11Il y a le personnage de Donald Trump qui a fasciné beaucoup d'Américains.
03:15Ça a marché ?
03:18Je ne sais pas.
03:21Vraiment, c'est un criminel, c'est quelqu'un de haïssable.
03:25C'est probablement dû au contrôle industriel de l'Amérique, le contrôle des médias aussi.
03:33Et Donald Trump a reçu tout le temps d'antenne nécessaire.
03:40Donc c'est comme un clown qui est disponible pour les médias mainstream.
03:47Et donc c'est ça qui a décidé de la chose.
03:50C'est ça qui décide de la politique aux États-Unis et probablement à travers l'Europe aussi.
03:55Donc c'est un contrôle qui est assez transparent.
03:58Et comment vous voyez les quatre prochaines années ?
04:03Je ne sais pas.
04:06Je suis un peu inquiet.
04:11J'espère que Trump a dit beaucoup de choses qu'il ne mettra pas en marche.
04:18J'espère.
04:20Je suis un peu inquiet parce que si quelqu'un qui écoute, un de vos auditeurs peut m'aider, je prends.
04:28Paris a toujours été le lieu le plus important de ma vie après New York.
04:34Et oui, j'aimerais bien un passeport français maintenant.
04:38Soyez le bienvenu dans la belle ville de Paris.
04:43Les urnes ont parlé, quasiment parlé, Sébastien Paour le disait.
04:48Quelle première analyse faites-vous, François Bunel, du retour de Trump à la Maison-Blanche ?
04:57Lui qu'on pensait définitivement disqualifié par les procès dont parlait Jim Jarmusch à l'instant.
05:06Et le revoilà au sommet d'une vague républicaine en plus.
05:10C'est vrai. Et en même temps, comme Jim Jarmusch, je pense que ce n'est pas une surprise.
05:15C'est-à-dire que quand on se rend aux États-Unis, quand on entend les Américains parler,
05:19on s'aperçoit que le trumpisme pendant quatre ans et puis les quatre ans de Biden n'ont pas suffi.
05:25Le trumpisme pendant quatre ans a profondément changé l'Amérique.
05:29Regardez, prenons un exemple, un exemple extrêmement simple.
05:31Une chose est arrivée en 2017.
05:33C'est que Donald Trump a fait comprendre à des très jeunes qui ne votaient pas encore,
05:38mais qui viennent de voter, qu'il n'y avait pas qu'une seule vérité.
05:42Il n'y avait pas la vérité des intellectuels.
05:43Il n'y a pas la vérité des historiens.
05:44Il n'y a pas la vérité du droit.
05:45Il y a des vérités alternatives.
05:47A partir du moment où cette idée a été répandue dans la population,
05:51où l'idée que la vérité des réseaux sociaux est plus importante que la vérité,
05:57et bien à ce moment-là, tout est remis en cause.
05:59C'est-à-dire que culturellement, tout change.
06:02Or ces gens, ces jeunes notamment, on le voit, ont fait basculer l'élection.
06:06Thomas Négaroff, tout à l'heure, parlait du vote des jeunes latinos.
06:09Il serait intéressant de regarder et de comparer le vote des jeunes latinos et des jeunes noirs,
06:13qui est un vote dont on s'aperçoit que dans certains États, il est trumpiste.
06:17Il est un vote d'enracinement, d'assimilation, à celui protestataire ou alors totalement...
06:24Enfin, qui n'existe pas, des jeunes nantis blancs.
06:27J'entendais une romancière qui rentre de Floride et qui dit que malheureusement,
06:32les jeunes blancs nantis décident de ne pas aller voter.
06:36Qu'est-ce que ça veut dire ?
06:38Je crois qu'en réalité, il y a une trace culturelle du trumpisme entre 2017 et 2022
06:43et que ça, il faut qu'on en prenne conscience.
06:46Donc oui, non, il n'y a pas vraiment de surprise, hélas !
06:48Une trace culturelle du trumpisme.
06:50Oliver Gellmeister, quel est votre regard, vous, sur cet homme, ce phénix, disait tout à l'heure Thomas Négaroff ?
06:56C'est vrai, il y a eu les procès en cascade,
06:58il y a eu le parti républicain qui a voulu en finir avec Trump il y a trois ans.
07:04Et il l'a mis au pas, il l'a repris.
07:06La tentative d'assassinat.
07:07Il y a eu la tentative d'assassinat il y a encore quelques semaines.
07:10Et malgré tout ça, il gagne et il gagne large.
07:14Écoutez, je...
07:16Jim Jarmusch parle de clown, je ne pense pas que ce soit vraiment un clown,
07:19mais je pense que Trump, c'est le symptôme d'une Amérique qui est profondément divisée,
07:22comme disait François quand on y va.
07:24Nous, on connaît l'Amérique d'Apple, de New York, de Los Angeles,
07:28mais il suffit d'aller dans le Montana, dans les Appalaches,
07:30dans n'importe quel État républicain, en fait, pour voir que l'Amérique, c'est un pays pauvre.
07:35C'est un pays où le niveau éducatif et culturel est vraiment en pleine faillite.
07:44Les écrivains sont inaudibles.
07:47La culture est inaudible ailleurs que dans l'Amérique que nous, on aime.
07:51Et donc, Trump, en fait, Trump ne représente rien.
07:55C'est juste le symptôme d'une Amérique qui se déteste.
07:58Moi, je vois des écrivains qui ne parlent plus à leurs frères, à leurs parents, à leurs enfants,
08:02qui ne serrent plus la main entre voisins pour des histoires politiques.
08:07Moi, j'ai grandi avec l'Amérique du melting pot.
08:09On m'apprenait ça au lycée.
08:10Le pays des multi-identitaires, des communautés qui se côtoient, qui s'assimilent,
08:17qui était le pays du consensus.
08:19Je n'ai pas voté pour ce président, mais c'est néanmoins mon président.
08:22Et ça, ça n'existe plus.
08:23C'est la fracture.
08:25C'est la fracture.
08:26Ça, c'est nouveau, effectivement.
08:27C'est nouveau.
08:28Le relativisme aussi l'emporte.
08:30Et puis ça, ce que dit Oliver est tout à fait juste.
08:32Il faut peut-être rajouter une chose, c'est que Trump a réussi un coup majeur.
08:36C'est qu'il a engagé peut-être le seul intellectuel de droite.
08:40C'est son vice-président.
08:42J.D. Vance.
08:43C'est considéré comme un intellectuel aux Etats-Unis, il faut le dire.
08:46Absolument, Léa.
08:47On appuie là sur un point dont on n'a pas beaucoup parlé, mais qui est très important.
08:50J.D. Vance a écrit un livre, un seul livre qui s'appelle « Igbelly Elegy »,
08:55traduit en français, qui a été un immense succès de librairie
08:58et dans lequel il raconte, à la Trump, à peu près tout et n'importe quoi.
09:01Sauf que, qu'est-ce qu'il dit ?
09:03Il dit « si ma mère, un jour, est confrontée au directeur de l'école, c'est ma mère qui va gagner ».
09:08Eh bien ça, ça suffit à définir un état d'esprit qui est l'état d'esprit trumpiste.
09:12À savoir que l'école, la direction conservatrice habituelle est moins importante que ma famille, ma patrie.
09:20Ça rappelle des choses.
09:21Enfin, c'est très exactement le nerf de la guerre.
09:23Sauf que cette fois-ci, Donald Trump s'est dit « mais j'ai besoin de ce type ».
09:27Et J.D. Vance, lui, voit tout à fait, effectivement, quelle position il peut tenir.
09:32C'est-à-dire être peut-être le seul écrivain des Etats-Unis ouvertement trumpiste.
09:37Thomas Négaroff.
09:38Il y a un livre que j'aime beaucoup, et je crois que c'est François d'ailleurs qui en avait parlé une fois,
09:41c'était « T.C. Boyle, América » qui est pour moi le grand roman américain du XXIe siècle.
09:48C'est un roman de 1999 et qui raconte tout, des peurs américaines,
09:52des Américains même progressistes qui se referment chez eux dans une zone pavillonnaire
09:55parce qu'il y a des coyotes qui entrent et puis des migrants.
09:58Et progressivement, on voit des gens très progressistes au départ,
10:00qui par la peur vont se couper des autres.
10:03Et je pense que cette campagne électorale, elle a été marquée par la peur.
10:06Et si, là, il y a des gens qui ont fait des livres, qui ont parlé des livres, qui ont aimé les livres,
10:13quel dommage que Philippe Roth ne soit plus là pour raconter l'Amérique d'aujourd'hui.
10:16Parce que je ne sais pas quel est le grand romancier aujourd'hui qui pourrait nous raconter l'Amérique d'aujourd'hui.
10:20Mais cette Amérique qui dérive, cette Amérique qui s'éloigne du champ de la raison.
10:25Et moi, je pense toujours, quand je vois Donald Trump et Guy Debord dans la société du spectacle,
10:29parce qu'il y a les deux dimensions de la société du spectacle,
10:31celles que tu évoquais, François, à l'instant sur le vrai et le faux.
10:34Le vrai devient un moment du faux et tout devient marchandise.
10:38Tout devient marchandise chez Donald Trump.
10:39Il vend sa Bible signée, sa montre, ses chaussures, même sa chasuble des boueurs.
10:45Tout est à vendre.
10:46Donc cette dimension capitalistique, je pense qu'il faut aussi l'avoir en tête quand on pense à Trump.
10:49– Puisqu'on parle des livres, on va parler avec une romancière et avec une libraire.
10:54Lorraine Groff, bonjour à vous, vous êtes en direct avec nous de Floride.
10:57Lorraine Groff, je rappelle qu'à l'époque, Barack Obama vous avait écrit pour vous dire
11:02que vous étiez son écrivaine préférée.
11:05Comment vous réagissez, ce matin, à cette élection, à ce retour au pouvoir,
11:10à ce grand retour spectaculaire de Donald Trump ?
11:14– Oui, à vrai dire, il est 3h30 du matin et j'ai le cœur très brisé, ça me fait très très mal.
11:24Je n'arrive même pas à parler anglais, alors français, c'est difficile.
11:29Parce que la souffrance qui va venir après cette décision,
11:34la souffrance pour les vulnérables, pour les personnes qui ne peuvent pas voter,
11:40la souffrance pour l'Europe, pour le reste du monde, ça va être très grand.
11:47Et je ne sais pas quoi dire parce que j'ai eu de la confiance dans mes compatriotes
11:55et je n'ai plus de confiance là.
12:01Je suis si triste, je ne peux pas arriver à imaginer pourquoi on est ici.
12:08– Mais pourquoi Kamala Harris a raté aussi ?
12:12Qu'est-ce qui se passe dans le camp démocrate, à vos yeux ?
12:15Qu'est-ce qui n'a pas marché dans le camp démocrate ?
12:18– Je crois que les personnes ici, aux États-Unis, sont très très misogynes et racistes.
12:25Et alors Kamala Harris, elle est une femme de couleur, c'est juste ça, je crois que c'est vraiment ça.
12:35– Mais c'est juste ça ?
12:37Est-ce que ce n'est pas, pardon de vous poser la question, on entend votre émotion,
12:41mais est-ce que ce n'est pas un peu court de dire que c'est juste parce que c'est une femme et une femme noire ?
12:45Est-ce qu'elle a fait, à votre sens, une bonne campagne ?
12:47Est-ce que les idées qu'elle défendait étaient bonnes ? Est-ce que le programme était bon ?
12:51– Oui, je crois que c'était presque parfait, sauf que les progressistes aux États-Unis
12:59ont dit plusieurs fois, beaucoup beaucoup, de parler de Gaza.
13:05Elle n'a pas parlé de Gaza, de Palestine, et pour ça ils ont refusé de l'accepter.
13:15Mais je crois que sa campagne a été presque parfaite, autrement.
13:23– Vous partagez cet avis d'une campagne presque parfaite, non, Thomas Négaroff ?
13:28– Tout est dans le presque, mais elle a fait la campagne qu'elle pouvait faire en 100 jours.
13:34C'est unique dans l'histoire américaine, ça.
13:37Après, je pense quand même que les démocrates…
13:41Moi, au départ, honnêtement, pour être très sincère avec vous, quand je l'ai vu arriver,
13:45je me suis dit que c'est la pire des candidates pour Donald Trump, parce qu'il ne saura pas la prendre,
13:48parce qu'il voulait taper un vieux monsieur sénile,
13:51et là il se retrouvait avec une femme plus jeune que lui.
13:53Et en fait, je pense qu'il a très bien su la prendre, parce qu'il l'a…
13:57Souvenez-vous quand même de ce qu'il a dit d'elle, qu'elle était bête, qu'elle était…
14:00– Stupide.
14:00– Stupide, il a dit un jour quand même, il a dit « Joe Biden est devenu débile, elle, elle est née débile ».
14:07On en est là, donc j'entends quand même les accusations en misogynie,
14:11et on peut les entendre aussi parce qu'il y a aussi un préjugé racial dans la bêtise des Noirs,
14:15dans le manque d'humilité des Noirs, ça a été aussi dit pendant la campagne.
14:18Non, il y a eu plein, ce que les américains appellent de « dog whistle »,
14:21de choses dites pour que seulement certaines parties de la population entendent.
14:25Je ne dis pas que ça explique tout, mais c'est, selon moi, une partie de l'explication.
14:29– François Bunel.
14:30– Alors, rien n'explique tout, de toute façon, vous avez raison, les États-Unis restent un mystère,
14:33c'est ça qui est fascinant, c'est peut-être aussi pour ça qu'on est tant attirés, tous, à tout niveau,
14:36politiques, culturels, historiques, par ce pays, c'est un mystère.
14:40Mais il y a quand même une chose sur laquelle Laurent Grof vient de pointer le doigt,
14:44et qu'on a énormément de mal à accepter en Occident, et particulièrement en France,
14:49on appelle ça « gender gap », parce qu'on n'ose pas dire qu'en réalité,
14:53il y a une misogynie absolument terrifiante aux États-Unis,
14:57et que l'Amérique n'est pas prête à élire une femme.
14:59On avait eu cet exemple en 2016, Léa, avec Hillary Clinton,
15:04il forçait de constater qu'aujourd'hui, avec une candidate qui a mené,
15:07Laurent Grof le dit, une bonne campagne, en trois mois seulement, en 100 jours seulement,
15:10mais la campagne n'est pas mauvaise.
15:12Kamala Harris, bien sûr, a eu le soutien de Barack Obama,
15:15qui parlait à sa place, dit-on, oui, mais pas seulement, elle existe.
15:19– Il s'est démultiplié, Obama, ça a été vraiment…
15:23Il a mouillé sa chemise.
15:24– Malgré tout, Léa, c'est difficile à entendre,
15:27il faut peut-être aussi accepter de regarder en face,
15:30on est beaucoup dans le déni, nous, là-dessus,
15:32parce que ça ne correspond pas à nos valeurs, bien évidemment,
15:34mais il y a aujourd'hui une incapacité des Américains
15:37à élire une femme première présidente.
15:41Ça, ça raconte énormément de choses aussi.
15:43– On est en ligne également avec Raoul Peck, réalisateur, producteur,
15:48comment recevez-vous les propos que vous venez d'entendre
15:53sur la question du racisme,
15:57qui a été une question très clairement perceptible
16:01dans cette campagne électorale ?
16:05– Bon, d'abord, pour être franc avec vous,
16:07j'ai plutôt envie de me taire sur autre chose aujourd'hui.
16:11– De vous taire ?
16:13– Absolument, je pense que rentrer dans cette après-élection,
16:19comme si nous avions affaire à un débat de match Marseille-PSG,
16:24je pense qu'on sous-estime l'impact que cette élection
16:29va avoir sur le reste du monde, y compris l'Europe, y compris en France.
16:36Nous sortons d'une période où un type a refusé même d'accepter
16:42les règles de la démocratie lors des dernières élections,
16:46il a quitté le pouvoir en paria, y compris dans son propre parti.
16:51Et petit à petit, nous avons vu comment il a grignoté à nouveau,
16:55étape par étape, à revenir sur le devant de la scène.
17:00On peut dire qu'après cette élection, l'outrant a payé,
17:04les insultes ont payé, l'ignorance a payé.
17:07Et dans un monde où la science n'a plus rien à dire,
17:13les politiques sont discréditées, le mot même « démocratie » n'a plus de sens.
17:19Puisque, bon, ça me peine de le rappeler dans cette ronde,
17:24« démocratie », ça veut dire que les citoyens éduqués
17:30prennent part dans la vie de leur cité.
17:34Et on oublie « éduquer » et « informer ».
17:37Ce sont deux mots importants dans l'équation.
17:42Donc, oui, je suis très triste et je pense qu'il faut maintenant
17:47prendre un peu de hauteur, de voir quelle forme peut prendre une…
17:53comment dire, refigurer le champ de bataille.
17:56Prendre un peu de hauteur, parce qu'on ne peut pas expliquer
17:59ce qui vient de se passer simplement par le racisme, la misogynie, etc.
18:04Ce n'est pas un match de football, c'est un changement profond
18:09qui se passe à l'échelle du monde.
18:12La venue d'États autoritaires, y compris en Europe,
18:17devrait poser des questions à tout le monde.
18:20Les défis démocratiques aujourd'hui dans le monde occidental sont immenses.
18:26On assiste à des classes dominantes qui regardent en chantant leur propre perte.
18:33Je suis désolé d'être aussi sombre ce matin, mais je le suis vraiment.
18:38Et la presse a un rôle à jouer, l'éducation a un rôle à jouer,
18:45les écoles ont un rôle à jouer.
18:47Malheureusement, nous avons une presse majoritairement
18:50qui se place en arbitre, comme si vous, les journalistes,
18:54vous n'êtes plus citoyen, vous n'avez pas d'opinion personnelle,
18:58vous acceptez les diktats de la machine.
19:01Et ça, ça m'inquiète beaucoup.
19:03Je me rappelle une époque dans la France où on ne tolérait même pas
19:09qu'il y ait des débats sur certaines idées parce que tout le monde était d'accord,
19:12en tant que démocrate, que ça n'avait pas sa place dans la presse normale.
19:21Voilà, je suis désolé.
19:25Merci, en tout cas.
19:26Merci pour ces mots forts et cette réaction forte à ce qui s'est passé cette nuit
19:31et plus largement à ce qui menace effectivement dans le monde.
19:35Une réaction aux mots de Raoul Peck, Thomas Négaroff.
19:39En 2016, les comtés où Trump a été le plus haut
19:44sont les comtés où la presse locale avait disparu.
19:48Ça répond en partie à ce que vient de dire Raoul Peck
19:51sur la population éduquée et informée surtout.
19:55Il y a une chose que l'on peut peut-être espérer, je mets un grand peut-être,
19:58c'est que les Etats-Unis ont une capacité de...
20:01J'entendais le mot « résilience » prononcé tout à l'heure dans la matinale.
20:03Les Etats-Unis est un pays qui a une capacité de résilience incroyable.
20:06Regardez ce qui s'est passé après le 11 septembre 2001,
20:09c'est-à-dire la plus grande catastrophe sur le sol américain
20:12où tout le monde s'est dit « ça y est, c'est fini, terminé ».
20:14Eh bien, c'est le moment entre 2001 et 2020
20:17où la littérature et le cinéma américain, les arts américains,
20:21tout à coup, tout à coup, ça a mis du temps bien évidemment,
20:24se sont revitalisés.
20:26Donc, on peut peut-être penser que maintenant qu'on a atteint,
20:29et Raoul Peck le disait, le point le plus sombre,
20:32peut-être qu'au fond de la piscine, un bon coup donné sur le fond
20:36nous permettra de remonter via la culture et les arts.
20:38Moi, je pense que c'est possible.
20:39Vous le voyez ça dans les livres, Oliver Gallmeister ?
20:44Oui, tout à fait. Je pense qu'aujourd'hui,
20:46ce n'est pas seulement les démocrates qui ont perdu.
20:48Toute l'Amérique a perdu, toutes les familles,
20:51tous les écrivains, effectivement.
20:55Moi, je sais que mes amis auteurs sont abattus.
20:58Là, je reçois déjà des messages,
21:00mais ils vont écrire là-dessus, c'est sûr, parce que c'est ce qu'ils font.
21:05On entend ce sourire.
21:06Merci à vous, Oliver Gallmeister, Raoul Peck,
21:09Jim Jarmusch, Lorraine Groff, François Bunel, Thomas Negaroff.
21:15Merci d'avoir été dans ce studio pour la spéciale élection américaine
21:22que France Inter vous propose ce matin.