Avec Jean-François Colosimo, Directeur général des éditions du Cerf / Jeannette Bougrab, Ancienne secrétaire d'État chargée de la Jeunesse / Jean-Christophe Rufin, Médecin, écrivain et ancien diplomate
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NewsTranscription
00:00En toute vérité, chaque dimanche, nous débattons sans tabou des grands enjeux pour la France d'aujourd'hui et de demain.
00:10Immigration, sécurité, laïcité et aujourd'hui, liberté d'expression.
00:16Accrès du cœur, libérez Boilem Sansalle. Libérez Boilem Sansalle.
00:21Le grand romancier franco-algérien a été arrêté à l'aéroport d'Alger samedi dernier.
00:27Il a été déféré aujourd'hui devant un procureur. On ignore encore le chef d'accusation.
00:34Qu'est-ce qui sera retenu contre lui ? Mais on peut craindre le pire quand on connaît ses positions.
00:42Ses positions sur l'islamisme, sur le régime algérien, mais aussi sur les frontières entre l'Algérie et le Maroc.
00:50On rappelle que Boilem Sansalle, que nous connaissons bien, que nous recevons souvent ici, est un homme de 75 ans.
00:58On ignore dans quel état de santé il est. On n'a pas de nouvelles et on ne peut qu'être inquiet.
01:05Jean-François Colosimo, vous êtes son éditeur. Est-ce que vous avez, vous, des nouvelles de Boilem Sansalle ?
01:11— Alors d'abord, pour rendre justice aux faits, l'éditeur principal de Boilem Sansalle, c'est Gallimard, c'est Antoine Gallimard.
01:20— Et vous avez publié son dernier livre, on le rappelle. — Et nous, nous avons eu l'honneur de publier son dernier essai.
01:26— Le Français, parlons-en. — Ah, le Français, parlons-en, où il est gratine d'ailleurs, Boilem, tout à fait,
01:33notre abandon de la langue, puisqu'il pense qu'un peuple qui renonce à sa langue n'a pas beaucoup d'avenir.
01:40Et nous sommes d'accord avec lui. Il est rentré en Algérie samedi. Nous n'avons plus de nouvelles.
01:47Nous avons été très inquiets. A raison, le président de la République, lui-même, a cessé son inquiétude
01:53et a mobilisé tous les services de l'État, n'est-ce pas, pour en fait buter nous tous sur un mur, un mur de silence.
02:04Et petit à petit, sont apparus les faits. Oui, tragiquement, malheureusement, il a été bien arrêté
02:10dès son arrivée à l'aéroport d'Alger sur le tarmac par les services. Oui, selon toute vraisemblance,
02:15il est détenu dans une prison à 30 km d'Alger. Et oui, il est ou va être déféré devant un procureur,
02:24vraisemblablement, là aussi, sous probablement une flopée d'actes d'inculpation, de chefs d'inculpation,
02:32dont, vraisemblablement aussi, intelligence avec les nuits, atteinte à l'intégrité du territoire national, etc.
02:40Tout cela renvoyant au fait que, depuis un quart de siècle, à travers une oeuvre au retentissement planétaire,
02:47mais qui est inconnue en Algérie, puisqu'elle n'a pas le droit d'exister, cette oeuvre en Algérie,
02:52l'immense romancier qui est Boilem Sansal, je dirais, a affronté tous les tabous du régime algérien,
03:00que ce soit l'histoire réelle de la révolution, du FLN, les dessous, en fait, de la guerre civile,
03:09il s'est opposé aux islamistes, et je dirais que, véritablement, levant tous les interdits de parole,
03:18il est allé jusqu'à, tout juste avant son départ pour l'Algérie, son récent départ pour l'Algérie,
03:25à mettre en cause aussi, n'est-ce pas, la constitution du territoire algérien, évidemment, face à la fameuse question du Sahara.
03:34Vous savez, ce fameux Sahara disputé par le Maroc et l'Algérie, mais dont la France, par la voix d'Emmanuel Macron,
03:41a reconnu qu'il appartenait au Maroc. Crise diplomatique totale entre la France et l'Algérie.
03:48Le prix Goncourt, Kamel Daoud, également franco-algérien, également grand écrivain, a également, d'un coup,
03:59attaqué par la justice de manière tout à fait surréaliste, un Algérie, n'est-ce pas, Boalem Sansal arrêté.
04:08Il est évident que, là, nos grands écrivains d'expression française, avec leur sensibilité aussi, n'est-ce pas, algérienne,
04:18eh bien, ces grands écrivains sont les otages d'un enjeu politique énorme qui est le fait que l'Algérie veut démontrer à Paris le régime algérien.
04:29Il veut démontrer à Paris qu'il fait ce qu'il veut, quand il veut, comme il veut, au mépris, finalement, je dirais, des réalités les plus simples.
04:39— Nous parlerons justement du régime algérien, des enjeux politiques et géopolitiques derrière cette arrestation.
04:46Toute l'émission est une émission spéciale consacrée à Boalem Sansal. Nous recevons également Jeannette Bougrave,
04:53ancienne ministre essayiste également et qui connaît bien le régime algérien, et Jean-Christophe Ruffin, académicien, écrivain.
05:02Et avant, justement, de rentrer dans le décryptage politique et géopolitique autour de cette arrestation, peut-être votre point de vue d'écrivain,
05:13Jean-Christophe Ruffin ? Parce que Boalem Sansal, on le rappelle, est d'abord un grand écrivain.
05:19Vous souhaitez qu'il devienne très vite académicien ? Ça pourrait être une manière de le protéger, Jean-Christophe Ruffin ?
05:31— Oui, bonjour. Moi, j'ai proposé ça sans beaucoup d'illusions, parce que les institutions ont leur vie.
05:39Je ne suis pas sûr que mes collègues, même si beaucoup ont témoigné leur soutien, me suivent. Mais l'idée est la suivante.
05:46Je pense, comme l'a dit Jean-François Colosimo, que Boalem est victime d'une sorte de situation très particulière sur le plan politique
05:58et qu'il paye donc des choses qui, en fait, ne sont pas de l'ordre ni des intellectuels, ni de la création, ni rien, mais il paye une situation.
06:10Il paye la position française. Il paye peut-être aussi des déclarations qu'il a faites sur un plan politique.
06:16Mais donc tout ça devrait nous inciter à nous éloigner de la politique pour la défendre. C'est-à-dire que ce que je veux dire,
06:22c'est que quand les partis politiques en France, par exemple, prennent position pour lui, contre lui ou s'abstiennent, disons,
06:30ça ne fait qu'aggraver les choses, parce que les Algériens disent « Voyez, il est soutenu par la droite, il est soutenu par l'extrême droite », etc.
06:37Bon, c'est compliqué. Quand le gouvernement français, et en particulier le président de la République, qui a fait sur l'Algérie quand même
06:43des volte-faces considérables, puisqu'il passait de la repentance à, au contraire, une politique très ouverte vers le Maroc,
06:52si c'est le président de la République qu'il défend, vous voyez bien, il est entre les mains de la France.
07:00Donc je pense que c'est aux intellectuels de le défendre. C'est le meilleur moyen. D'ailleurs, je me suis réjoui hier de voir que nos prix Nobel,
07:08par exemple, ont pris position, parce que, comme vous le rappelez, c'est un écrivain. C'est d'abord ça. C'est d'abord ça qu'il faut préserver.
07:17C'est un écrivain francophone. Et à ce titre, je pense que l'Académie française, qui l'a récompensé déjà deux fois, une fois avec le grand prix de la francophonie,
07:26une fois avec le grand prix du roman, connaît bien, connaît très bien. C'est un ami. En plus, j'ai été publié pendant des années chez Gallimard avec lui.
07:34Je le connais vraiment très bien. C'est nous. C'est vraiment nous. Et c'est au niveau international, parce que, comme vous l'avez dit,
07:41c'est un écrivain d'audience mondiale. C'est nous qui devons prendre, j'allais dire, la direction en fait, en tout cas, les plus visibles,
07:51parce que c'est notre appui. C'est celui qui peut le moins lui nuire. Et c'est celui qui peut donner à sa figure, à ce qu'il est, sa véritable valeur,
08:03c'est-à-dire la valeur d'un intellectuel et non pas d'un homme politique.
08:07Jean-Christophe Cuffin, c'est aussi le rôle de la France, pays de littérature, pays de la liberté, de défendre ses écrivains tout particulièrement ?
08:18Oui, évidemment. En plus, Boalem Sansalle, c'est un écrivain non seulement francophone, mais c'est un écrivain qui a écrit notamment son dernier livre
08:29publié par Jean-François Colosimo aux éditions du Cerf, qui a écrit sur cette question de la langue.
08:35C'est-à-dire qu'il a un rapport très particulier avec la langue française. Il la considère comme une sorte de trésor sans renier ses racines,
08:44parce que c'est un homme qui a toujours continué de vivre en Algérie. C'est bien ce qui lui vaut ses malheurs.
08:50Il a voulu rester chez lui, à Boumerdès, près d'Alger, dans son pays. Et en même temps, il a cette espèce d'attachement, on pourrait dire presque…
09:02Enfin, chez lui, c'est une véritable passion pour la langue, pour la culture française. Et ses livres sont pleins, si vous voulez, de ses références culturelles.
09:12Ses livres sont très différents. On pourra peut-être en parler tout à l'heure. C'est dans leur structure. Il a utilisé plein de genres différents, etc.
09:19Il maîtrise les codes aussi bien du polar que du livre d'anticipation, etc., parce qu'il a une familiarité évidemment très étroite avec la langue française.
09:29Donc, si vous voulez, au-delà du principe général, s'il y a quelqu'un qu'on doit défendre, qu'on aime, qu'on connaît, à qui on doit beaucoup d'une certaine façon
09:39dans son soutien, dans son regard sur la France, c'est bien lui.
09:43— Jeannette Bougrave, bonjour. — Bonjour.
09:46— Vous connaissiez personnellement Boilem Sansal également. Vous connaissez Boilem Sansal.
09:50— Oui, parce qu'il a eu la très grande gentillesse en 2013 de me remettre le prix de la laïcité. Donc c'était à la mairie de Paris, en présence de la maire de Paris,
10:02de Manuel Valls. Et c'était très émouvant, parce que c'était l'année où il est sorti gouverner au nom d'Allah, où justement il dénonçait comment, en réalité,
10:12l'Algérie a été aveugle à voir l'installation, en fait, de l'islamisme, et comment c'était la décennie noire, et comment ils ont vu de manière un peu folklorique,
10:21au début, quand ils voyaient arriver les femmes qui étaient drapées, cachées, et comment, en réalité, les prières de rue...
10:30Donc ce livre était arrivé à un moment très particulier, en fait. Et donc c'était très émouvant, parce que, vous le savez, je suis fille de Harki,
10:41et lui, il était jeune militant du FLN, en fait. Donc il a été pour l'indépendance de l'Algérie, et moi, j'étais la fille de Harki, dont le grand-père a été assassiné par le FLN.
10:52Donc c'était, quelque part, une très belle image d'une forme de montrer, en réalité, aux autres qu'il y avait un dialogue, une sorte de réconciliation des mémoires,
11:04ou que ce n'était pas ce que l'on disait, voilà. Et ensuite, on s'est retrouvés dans des conférences en Italie, et je l'ai revu à chaque fois, et surtout, les gens ne le savent pas.
11:15Après 2015, enfin, j'avais été poursuivie pour islamophobie, parce que dans mes faits d'armes, il y a toujours des choses un peu particuliers.
11:21Et il avait fait une lettre, en fait, pour le triper. Il ne pouvait pas aller à l'audience, moi-même qui n'étais pas allée, pour tout dire.
11:28Et il a fait partie de ceux qui ont apporté un soutien, puisqu'on a été poursuivis avec Pascal Brutner, après les attentats de Charlie Hebdo.
11:34Donc pour vous dire l'homme courageux qu'il est...
11:36C'est vraiment ce qui le caractérise, le courage, et avec une forme quasiment, moi c'est ce qui m'a toujours frappé, j'allais dire, d'insouciance apparente.
11:44Alors je pense qu'il n'était pas, mais une forme de bonhomie face à la menace.
11:50D'ailleurs, est-ce qu'il avait intégré le fait que ça pouvait lui arriver d'être arrêté ? Est-ce qu'il avait surmonté la peur avant son arrestation ?
12:00Oui, en fait, on en parlait parfois, parce que, moi je ne l'ai pas revu récemment, mais déjà à l'époque, parce qu'il était en Algérie pendant la décennie noire,
12:08c'est-à-dire qu'il y a eu 200 000 morts pendant la décennie noire.
12:12Et en plus, il faisait partie des... En Algérie, vous ne faites pas le ramadan, c'est du pénal, c'est de la prison, en fait.
12:17Et donc en Kabylie, il y a toujours eu ces mouvements, en réalité, pour dénoncer cette espèce d'oppression, de contrôle.
12:26Lui, je lui disais, mais ça ne va pas... Il a dit non, tout va bien, en fait.
12:30Il avait cette espèce d'insouciance et il refusait de céder, en fait, à l'éventualité d'être pouvoir victime ou agressée.
12:42Mais au préalable, je voulais juste rajouter quelque chose, en fait.
12:46J'avais un instant juste hésité à venir, parce que justement, je suis fideur.
12:50Et que tous mes propos pour défendre Boilem Sansal seront transformés, déformés, en disant...
12:56Vous voyez, et c'est là où je rejoins M. Ruffin, c'est-à-dire qu'effectivement, on va dire que c'est la fille de traite qui parle,
13:02vous voyez bien qu'il est au point. Donc là-dessus, il a raison. C'est-à-dire que les intellectuels ont un rôle déterminant à cela.
13:08Mais ce que je critique, pardonnez-moi de la part de certains intellectuels, ce sont les mêmes qui, en fait, ne refusent de critiquer l'État algérien,
13:17de critiquer que depuis le début du mouvement de contestation l'Irak, vous savez, il y avait notamment un des correspondants de TV5 et de...
13:25Pardonnez-moi, je suis trop longue.
13:27Depuis des années, la liberté de la presse est touchée. La France ne dit rien, en réalité.
13:34Les intellectuels français n'ont rien dit, alors que des journalistes ont été emprisonnés, que des journaux ont disparu, alors que...
13:40Et ça, ça date pas de... C'est tout récent.
13:43Et donc du coup, effectivement, ils vont instrumentaliser. Tout ce que l'on peut dire sera instrumentalisé, déformé.
13:49Et je peux vous assurer que pour faire céder l'Algérie, il faudra plus qu'une pétition. Voilà.
13:53– Merci, Jeannette Bougra, merci Jean-Christophe Ruffin et merci à Jean-François Colosimo.
13:58Après une courte pause, on continue cette émission dédiée à Boilem Sansalle.
14:03On espère qu'il reviendra vite parmi nous. À tout de suite sur Sud Radio, En Toute Vérité.
14:09En Toute Vérité, 11h30 sur Sud Radio, Alexandre Devecchio.
14:13– Libérez Boilem Sansalle, c'est le cri du cœur de cette émission spéciale dédiée aux grands romanciers franco-algériens.
14:24Avec nous ce dimanche, Jeannette Bougra, Jean-Christophe Ruffin et Jean-François Colosimo.
14:31Jean-François Colosimo, vous êtes écrivain, éditeur.
14:35Et vous avez justement édité le dernier livre de Boilem Sansalle, « Le français, parlons-en ».
14:42J'aimerais que vous me parliez justement de l'écrivain qu'il était, de sa défense qu'il l'est toujours.
14:49Mais il a une longue œuvre, ne parlons pas de lui au passé, surtout pas.
14:56Mais voilà, de son dernier livre qui est sorti en France il y a quelques mois,
15:03et où il défendait justement la langue française.
15:05– Oui, alors je pense que Jean-Christophe Ruffin a parlé avec la sagesse qu'on lui connaît.
15:12Il ne s'agit pas effectivement de tomber dans le piège algérien et de faire de Boilem Sansalle,
15:17je dirais, une question de pur politique.
15:21Parce que si le régime le craint, c'est que Boilem Sansalle considère justement
15:25que la littérature a des pouvoirs peut-être que le politique n'a pas.
15:28Qu'il y a une sorte de puissance créatrice du verbe, à même d'établir la vérité.
15:34C'est un homme qui est une sorte d'homme d'acier, trempé dès qu'il s'agit de la vérité.
15:44C'est un homme remarquablement fort, aiguisé intellectuellement, spirituellement, littérairement, artistiquement.
15:54N'est-ce pas ? Ça c'est clair.
15:55Et de ce point de vue-là, en fait, je veux dire, la mobilisation en sa faveur,
15:59elle devrait plus ressembler à la mobilisation qui a existé, naguère,
16:05en faveur des écrivains soviétiques qui se retrouvaient aussi pris dans les raies
16:12d'une justice qui n'en est pas une, d'une justice illégitime,
16:17et qui prétendait les faire taire, n'est-ce pas ?
16:19Donc on est plutôt là-dessus.
16:20Et d'ailleurs, il y a un peu une dimension slave, si je puis me permettre, dans la littérature de Beauvalais.
16:26Parce que c'est vraiment cette espèce de grande vague, n'est-ce pas, de l'imaginaire.
16:33C'est fort en personnages, en rebondissements,
16:39et puis ça appelle une espèce de compréhension quasiment mystico-cosmique de la nature et de l'histoire.
16:46C'est ça, c'est-à-dire il est un fabuleux conteur, n'est-ce pas ?
16:49Alors cet homme-là, qu'est-ce qu'il disait avant d'être arrêté ?
16:54Et quand on lui disait, il ne faut pas rentrer en Algérie,
16:56mais l'Algérie c'est son pays, il aime son pays, c'est lui qui aime son pays,
16:59c'est lui le patriote, c'est lui, je veux dire.
17:02On lui disait, oui mais enfin à un moment ça peut peut-être aller mal,
17:06mais il disait, ce n'est pas à moi de partir, c'est à eux de partir, n'est-ce pas ?
17:11Ceux d'en face qui étranglent ce pays, qui étranglent sa jeunesse, qui étranglent ses espoirs.
17:18Donc c'est ça qu'il faut bien comprendre, et là-dessus j'adhère complètement à ce qu'a dit Jean-Réseau-Fruffin.
17:23Évidemment, l'académie est une institution qui a sa propre chronologie,
17:29mais déjà l'engagement des académiciens, en premier lieu Jean-Réseau-Fruffin,
17:35l'engagement des prix Nobel de littérature, l'engagement d'autres écrivains,
17:41aujourd'hui, surtout demain, parce que l'affaire va durer malheureusement,
17:45malheureusement de manière prévisible l'affaire va durer,
17:47cet engagement en fait international de la littérature pour un homme de littérature,
17:54c'est ça, je crois, voilà, Jean-Christophe a raison, c'est ça le vrai combat.
17:59– Jean-Christophe Ruffin, vous êtes un académicien,
18:02on rappelle que vous réclamez que Boalem-Sansalle entre à l'académie,
18:07est-ce que vous croyez à ce consensus du monde littéraire et intellectuel
18:12autour de la figure de Boalem-Sansalle ?
18:14Je me souviens d'une époque, d'ailleurs c'est toujours notre époque,
18:18où Salman Rushdie, par exemple, ne fait pas consensus
18:21dans le monde intellectuel, littéraire, et n'est pas défendu par tout le monde,
18:25est-ce que vous croyez que cette fois-ci Boalem-Sansalle sera défendu par tous ses pairs ?
18:31– Alors, certainement pas, parce que malheureusement,
18:36mais peut-être d'ailleurs que c'est une chance,
18:38le monde littéraire est divisé, il y a toutes les sensibilités dedans,
18:41on a bien senti que sur le plan politique, alors pas chez les intellectuels,
18:47mais enfin ça peut se rejoindre, il y avait une certaine réticence
18:50d'une partie de l'extrême gauche à vouloir prendre position,
18:55donc tout ça peut évidemment avoir des conséquences,
18:58mais ce que je pense, c'est qu'il faut trouver des terrains,
19:01qu'ils soient des terrains, j'allais dire neutres,
19:04rien n'est neutre dans ces affaires-là, mais enfin qu'ils ne soient pas des terrains politisés.
19:09Je suis tout à fait d'accord avec Jean-François
19:13quand il parle des dissidents soviétiques ou des dissidents à l'époque de l'URSS,
19:21ça a été un long combat dans lequel les intellectuels ont mené vraiment…
19:27j'ai été en première ligne, j'étais un peu le fer de lance d'une forme de…
19:32– Ça dépend desquels, parce que l'auteur de l'archipel du goulag,
19:38je ne vais pas souvenir que Jean-Paul Sartre ou Simone de Beauvoir
19:41le soutenaient véritablement, donc…
19:43– Évidemment, mais c'est difficile, moi je sais que par exemple
19:48la proposition que j'ai faite de faire une élection d'urgence,
19:52ce qui est dans nos statuts possible,
19:54et ce qui je crois correspondrait à une certaine tradition,
19:57je pense que si Maurice Druon était là aujourd'hui par exemple,
20:00il serait sur tous les plateaux et il aurait pris des dispositions de ce genre
20:05pour ouvrir effectivement un lieu, j'allais dire, comme le nôtre,
20:10c'est-à-dire qui apporte quand même une certaine forme de reconnaissance,
20:14de prestige, et n'oublions pas que l'Académie française est protégée,
20:18entre guillemets, depuis sa fondation par le chef de l'État,
20:21donc ça officialiserait, disons, sa reconnaissance par la France.
20:26J'espère que quelque chose se passera, mais je n'ai pas beaucoup d'illusions,
20:31je sais que les intellectuels aussi seront divisés, bien sûr,
20:34Janet Bougrave avait bien raison de rappeler ce qui s'est passé,
20:38mais enfin quand même, pour Solzhenitsyn et pour les dissidents,
20:42quand même à cette époque-là, bien sûr qu'il y avait un certain nombre de gens
20:47qui étaient réticents, mais je pense que la prise de conscience
20:54de ce qu'était l'URSS est quand même passée assez largement
20:58par ces mobilisations d'intellectuels et par la diffusion des œuvres de ces dissidents.
21:03Là c'est pareil, je pense que le régime algérien, bien sûr qu'il est très dur,
21:06bien sûr qu'il ne va pas céder comme ça, ils ne vont pas demain matin dire
21:09« mon Dieu, mon Dieu, au secours, on le libère », etc.
21:13Mais ils font des calculs très précis de coûts-avantages.
21:18Là ils ont fait un coût symbolique contre la France pour répondre à la situation actuelle,
21:27l'affaire de la reconnaissance du Sahara espagnol et du Sahara occidental par le Maroc, etc.
21:33Mais s'ils voient que, justement, ça entraîne une prise de conscience,
21:40et là aussi, comme Jean-Édouard le disait, il n'y a pas eu tellement de critiques
21:44sur la répression de la liberté d'expression, sur la fermeture des journaux, etc.
21:52Peut-être que là, justement, à cause de cette affaire, on va se mettre à parler de ça.
21:55Et le projecteur va se braquer sur l'Algérie alors que jusqu'à présent,
21:59bon, ils pouvaient faire leur répression sans trop faire de bruit.
22:02Peut-être que ça, ça ne va pas forcément faire leurs affaires.
22:06Donc une pression de ce type, de toute façon, n'est pas sans effet, mais à terme, évidemment.
22:12– On espère, effectivement, qu'on pourra le libérer le plus vite possible.
22:18Jeannette Bougrave, je ne vous ai pas donné encore la parole dans cette partie de l'émission,
22:21mais on reprend tout de suite après une courte pause avec vous.
22:25Vous nous direz si vous croyez ou pas que cette affaire peut sonner comme une prise de conscience
22:30pour un certain nombre d'écrivains, mais aussi d'intellectuels et surtout de responsables politiques.
22:36Tout de suite, en toute vérité, consacrée à Aboalem Sansalle.
22:40Libérez Aboalem Sansalle, c'est le cri du cœur de cette émission.
22:43A tout de suite sur Sud Radio.
22:44– En toute vérité, 11h30 sur Sud Radio, Alexandre Devecchio.
22:48– Nous sommes de retour sur Sud Radio, en toute vérité,
22:52pour une émission consacrée à Aboalem Sansalle dont on espère la libération.
22:57Aboalem Sansalle qui est un grand écrivain franco-algérien,
23:01qui est un ami qu'on a souvent reçu sur ce plateau.
23:05Avant la pause, Jean-Christophe Ruffin expliquait le rôle que devaient avoir les intellectuels.
23:11Il le regrettait qu'ils soient en partie divisés,
23:13mais il espérait qu'il y ait une forme de consensus qui se dessine pour Aboalem Sansalle.
23:17Vous, Jeannette Bougrave, j'avais promis de vous laisser la parole, donc on commence…
23:22– Non, non, mais c'était passionnant d'écouter Jean-François Colletier.
23:24– On commence avec vous, mais effectivement,
23:27vous êtes une intellectuelle franco-algérienne,
23:32et vous avez dénoncé depuis longtemps la dictature, l'islamisme, un certain nombre de sujets.
23:39Est-ce que c'est particulièrement difficile ?
23:41Est-ce que, comme Aboalem Sansalle, on sait que c'est tel cas et que c'est le cas,
23:45est-ce qu'il vous arrive d'être traité, de traître en réalité ?
23:49– Non, mais moi c'est de manière permanente.
23:51Non, je ne plaisante pas en réalité, c'est vraiment la…
23:54Et il m'est arrivé d'être placé sous protection policière.
23:57Et pour tout dire, c'est que quand j'avais sorti mon premier livre,
24:02un grand public, qui n'était pas une thèse de droit ou un livre de droit,
24:06c'était « Ma République se meurt ».
24:07Et j'avais critiqué, en fait, dans ce livre,
24:10le fait qu'on ait reçu Abdellatif Bouteflika à l'Assemblée nationale,
24:15qu'on lui avait donné la parole, et j'avais dit « c'est scandaleux »,
24:17d'autant qu'après, le soir même, à la télévision française,
24:21il insultait les harkis en disant « c'est des traîtres,
24:27ils ne rentreront jamais en Algérie, etc. »
24:31Et donc, moi j'avais dit, je vois ce que j'avais écrit après,
24:34et du coup après, on avait fait passer des messages,
24:38alors je n'étais plus du tout secrétaire d'État,
24:39que je devais présenter mes excuses.
24:41J'avais écrit en franc, à l'occurrence j'étais sortie de la fonction publique,
24:45donc je pouvais dire ce que je voulais,
24:47en réalité j'avais le droit de dire qu'on n'a pas à recevoir
24:50et voilà, c'est tout.
24:52On exigeait de moi, alors que je suis française en fait,
24:56je ne suis pas binationale,
24:57et donc, pour rendre compte à quel point
25:01cette espèce de contrôle, en réalité, de votre parole,
25:04dès que vous avez un lien avec l'Algérie,
25:07est quand même très particulier.
25:09Et on le voit bien, vous avez rappelé au début Kamel Daoud,
25:11c'est-à-dire que la question de...
25:14Et je remercie Jean-Christophe Ruffin de dire que peut-être
25:17on allait enfin parler des journalistes qui sont détenus
25:20en Algérie parce qu'ils parlent de la remise en cause des pouvoirs algériens,
25:26c'est que vous n'avez pas le droit de critiquer ou de remettre en cause
25:29l'espèce de mythe en fait de l'Algérie indépendante.
25:34Vous devez dire que tout est parfait, que tout est magnifique,
25:37que la France c'est les salauds, etc.
25:40Mais en même temps, on participe à cela.
25:42On participe à cela, à cette espèce de sans arrêt,
25:46d'espèce de...
25:47Alors après, effectivement, comme l'a rappelé Jean-Christophe Ruffin,
25:50c'est-à-dire qu'effectivement il y a les volte-faces de l'Elysée
25:52dont on ne comprend pas toujours très bien où on en est,
25:55mais on a contribué à donner ce pouvoir à l'Algérie.
25:58Et c'est ça que moi je critique en fait.
26:00On ne peut pas s'indigner, il faut s'indigner maintenant,
26:03mais ça ne peut pas être un géométrie variable, voilà.
26:05– Bolem Sansalle a énormément critiqué ce régime,
26:09il montre bien que c'est un régime en pleine dérive totalitaire
26:12qui en fait est pris entre deux feux,
26:15la corruption et l'autoritarisme d'un côté,
26:17et de l'autre, l'islamisme, il l'a bien montré.
26:20Finalement, est-ce que son arrestation ne lui donne pas parfaitement raison
26:25et qu'est-ce que ça dit justement de ce régime aujourd'hui ?
26:27– C'est un régime qui est terrorisé, c'est un régime qui a peur,
26:30qui sait que la fin est proche, forcément c'est ça.
26:32Quand on arrive à arrêter un écrivain de 75 ans
26:36et qu'on va le mettre dans une jaule
26:38et dont on sait très bien les conditions dans lesquelles il est,
26:42on se dit qu'ils sont prêts à assassiner un écrivain
26:46pour sauver la parade ou se maintenir au pouvoir,
26:49c'est monstrueux, c'est monstrueux.
26:52Et ce côté slave, en fait, c'était très intéressant, Jean-François,
26:55parce qu'il savait qu'il pouvait lui arriver quelque chose,
26:58même s'il disait que non, parce que voilà, c'est un peu comme Navalny,
27:02Navalny retourne en Russie, il a été empoisonné,
27:05il sait très bien que s'il retourne on va l'envoyer au goulag,
27:08mais il y retourne quand même,
27:10parce que, quelque part, il y a l'idée que si on n'y va pas,
27:14on donne raison au tyran, et quelque part c'est ça aussi.
27:17Et je ne veux pas que Boalem Sansal termine comme Navalny,
27:22c'est-à-dire mort dans une jaule seule.
27:25– On espère évidemment que non, vous avez rappelé son âge, 75 ans.
27:31Je dis ça aussi sciemment pour ceux qui nous écoutent,
27:35on sait que certains franco-algériens sont parfois en empathie avec le régime,
27:40on sait que dans la culture maghrébine,
27:42on accorde beaucoup d'importance aux personnes âgées,
27:45pour que ce régime en arrive à enfermer un Chibani,
27:51est-ce que ce n'est pas une honte,
27:53même pour ceux qui pourraient ne pas aimer ce que dit Boalem Sansal,
27:58ou avoir de la sympathie pour ce régime ?
27:59– Ce que je répète depuis le début, c'est que depuis plusieurs années,
28:05on met en détention des journalistes, des intellectuels,
28:10les terroristes ont assassiné des journalistes, des instituteurs,
28:15et donc là, ce que fait le gouvernement,
28:19parce qu'on a été aveugles à ce qui se passe en Algérie
28:23depuis le soulèvement contre le régime de Bouteflika
28:28qui devait se représenter pour le énième mandat, etc.
28:31Mais j'espère en tout cas que la France va voir dans une réalité,
28:37sans se mentir, sans traverser ce qu'est le régime algérien.
28:41Je ne dis pas du tout qu'il faut remplir les relations internationales avec l'Algérie,
28:45je dis juste qu'il faut voir ce qu'est l'Algérie dans sa réalité,
28:48ou en tout cas le gouvernement algérien,
28:50je ne mets pas sur le même plan,
28:55mais on ne peut pas traiter avec un gouvernement
28:57qui met des journalistes dans des geôles,
29:00qui arrête des vieux écrivains,
29:02c'est impossible, ce n'est pas acceptable.
29:05– On connaît le régime depuis longtemps, Jean-François Colosimo,
29:08mais on peut être presque surpris par cette arrestation,
29:11dans le sens où Boalem Sansal vivait là-bas depuis des années,
29:16même s'il avait pris récemment sa nationalité française,
29:18il avait un front parlé extraordinaire,
29:21et on peut se dire pourquoi maintenant ?
29:24Est-ce qu'il y a un durcissement du régime ?
29:26Est-ce que c'est lié aux positions de la France qui ont changé ?
29:29– Oui, c'est lié à la visite du président de la République au Maroc,
29:36à ses déclarations sur le Sahara,
29:38c'est lié au prix Goncourt de Kamel Daoud,
29:42c'est lié aux prises de position de Boalem Sansal,
29:45enfin c'est tout, tout ça.
29:47Ce qu'on peut espérer évidemment,
29:51même si ça semble guère probable,
29:53c'est que le pouvoir algérien se ressaisisse,
29:56et le remettre dans un avion,
29:59après l'avoir par exemple déchu de sa nationalité,
30:02ou des choses comme ça, c'est peu probable.
30:04Malheureusement, je pense qu'on va aller à,
30:08et j'espère que non,
30:10l'autre hypothèse c'est évidemment passer au tribunal,
30:13et évidemment être condamné,
30:14parce que c'est le genre effectivement de justice,
30:18je veux dire, qui est là pour exécuter des ordres.
30:23Alors on l'a dit, Boalem est un homme de 75 ans,
30:26c'est pas que ça, encore une fois,
30:29c'est une lame d'acier,
30:31d'un point de vue de ses convictions, de son écriture,
30:35mais c'est un homme un peu fatigué physiquement,
30:39et puis surtout, sa dimension poétique
30:41fait qu'il vit vraiment un peu à l'intérieur de lui-même,
30:44qu'il est distrait, on pourrait dire ça,
30:46qu'il a même un côté, on dirait, très contemplatif,
30:51et que, bon, malheureusement, les prisons algériennes
30:57sont d'évidence d'une dureté invraisemblable.
31:03Alors il est vrai que ce non-respect, en quelque sorte,
31:07de l'écrivain, de l'homme,
31:09de l'homme arrivé à un âge mûr, avancé,
31:16tout cela peut surprendre.
31:17Est-ce que ça surprend véritablement
31:20quand on se souvient, je veux dire,
31:23de la guerre civile ?
31:27De l'impossibilité qu'il y avait dans la guerre civile
31:30de savoir qui faisait quoi exactement ?
31:31– Il y a des centaines de milliers de morts.
31:33– Voilà, est-ce que c'est vraiment si surprenant ?
31:36Voyez, vous orientalisez un tout petit peu,
31:39si vous me permettez, sur la société.
31:41– Non, non, mais je me suis permis de le faire.
31:44Effectivement, société extrêmement violente,
31:47mais culturellement qui aussi accorde de l'importance
31:51aux plus anciens.
31:55Et je dis ça aussi effectivement pour ceux
31:57qui ont justement une vision idéalisée de ce régime
32:01et qui pourraient accorder de l'importance aux plus anciens.
32:04C'est un grand-père qu'on est en train de mettre en prison.
32:07– Oui, mais moi je retire aussi une autre image
32:11à celle qu'évoquait Jeannette,
32:15de ce prix remis par un monsieur qui a été un jour
32:20un adolescent indépendantiste, à une fille de Harki,
32:26qui est écrivaine, qui écrit, qui se bat aussi intellectuellement.
32:32Et je pense que, vous voyez, tout ce désastre auquel nous assistons,
32:38évidemment il faut lutter contre, mais n'oublions pas non plus aussi
32:41qu'il y a aussi cette relation à, je dirais,
32:48certains Algériens ou héritiers de cette histoire
32:53qui enrichissent aussi définitivement la France.
32:57Jeannette, Boalem, Kamel, pensons aussi à des disparus,
33:05Rachid Mimouni, pensons à d'autres encore,
33:11Kadra, enfin, etc.
33:13Et ça, ça se joue autour de la langue,
33:17comme médium d'universalité, n'est-ce pas ?
33:20Et donc moi, de ce point de vue-là,
33:23je dirais que, d'abord, c'est vrai,
33:27à l'instar de Navalny, Saint-Saël nous donne une leçon quand même
33:30de démocratie à nos démocrates qui n'iraient peut-être pas
33:34se jeter dans la gueule du loup pour défendre leurs idéaux, n'est-ce pas ?
33:38Deuxièmement, il nous donne aussi cette leçon de courage,
33:43mais il nous donne aussi une leçon d'espérance,
33:46parce qu'au fond, il se fait une plus haute idée de nous
33:53que peut-être nous nous faisons de nous-mêmes aujourd'hui,
33:55et c'est une aspiration au sens où on est vraiment aspiré,
33:59peut-être, à finalement correspondre à ce que attendent de nous
34:03pas mal de gens dans le monde qui choisissent le français
34:06comme langue de littérature, n'est-ce pas ?
34:09Voilà, et je dis tout ça parce que je pense que c'est ça aussi,
34:13il faut priser cela, il faut chérir cela, il faut dire merci pour ça.
34:18– On posera justement la question à Jean-Christophe Ruffin
34:21pour la dernière partie de cette émission,
34:23est-ce que cette affaire va pousser la France à être à la hauteur de son histoire,
34:28de ce qu'elle représente aussi dans le monde pour beaucoup de pays ?
34:34On en parle après une courte pause, en toute vérité,
34:36toujours avec Jeannet Bougrave, avec Jean-François Colosimo
34:39et avec Jean-Christophe Ruffin, à tout de suite.
34:41– En toute vérité, 11h30 sur Sud Radio, Alexandre Devecchio.
34:46– Nous sommes de retour sur Sud Radio, en toute vérité,
34:51pour une émission consacrée à Boislem-Sensal
34:54dont on espère la libération le plus rapidement possible,
34:57Jean-Christophe Ruffin, vous êtes académicien,
35:01vous demandez à ce que Boislem-Sensal soit élu en urgence à l'académie,
35:06Jean-François Colosimo, avant la pause, expliquait que finalement,
35:12ces écrivains d'origine algérienne notamment,
35:17représentaient aussi ce que la France représente dans le monde,
35:23une idée de liberté, une idée de défense de la littérature,
35:28est-ce que cette affaire peut nous pousser finalement
35:31à être à la hauteur de notre histoire et de notre réputation dans le monde,
35:36qu'on a parfois tendance à oublier,
35:38mais qui compte justement pour bien d'autres pays ?
35:43– J'espère, en tout cas, ça va forcer à clarifier un certain nombre de positions,
35:48je le vois simplement par rapport à la proposition que j'ai faite,
35:53je vois bien les réactions, alors il y a les courageux,
35:56il y a les prudents, il y a ceux qui préfèrent attendre,
36:00il y a ceux qui ne sont, je dirais pas complices,
36:03mais en tout cas, voilà, qui ne souhaitent pas s'engager,
36:07bon, ça va clarifier les positions,
36:09ça va clarifier aussi la situation peut-être de l'Algérie
36:14dans la diplomatie française, j'espère,
36:16parce qu'on a vécu toute une période
36:21où on enchaînait des actes de repentance comme ça, sans…
36:25– On rappelle que vous êtes diplomate également, Jean-Christophe,
36:28ou que vous avez été diplomate, Jean-Christophe Ruffin.
36:30– J'ai eu des fonctions diplomatiques, je sais que c'est très difficile,
36:34mais la diplomatie, elle se fait au niveau du politique,
36:39et en particulier sur des sujets comme ça, elle se fait à l'Élysée,
36:44et il faut bien quand même reconnaître que cet événement questionne
36:50toute la politique récente à l'égard de l'Algérie,
36:53qui avait quand même été d'abord extrêmement complaisante,
36:58puis au contraire, sans doute sans préparation,
37:01avec un changement de pied très très brutal,
37:05tout ça c'est assez inconscient, inconséquent, si vous voulez,
37:09quand on sait le poids à travers la diaspora algérienne ici,
37:13les liens qui existent entre les deux pays,
37:15c'est un maniement de la relation que je trouve vraiment dangereux,
37:20et je pense que ce n'est pas la seule conséquence
37:22qu'il y aura de ces maladresses, je dirais.
37:27– Je vous écoute, j'allais rappeler le communiqué
37:33de l'agence de presse algérienne, communiqué officiel
37:37d'une virulence incroyable à l'égard de la France,
37:40qui parle de régime macronito-sioniste,
37:44on voit au passage l'antisémitisme de ce régime,
37:48est-ce qu'Emmanuel Macron, disons-le, n'a pas fait preuve de faiblesse
37:51face à un régime qui ne comprend que le langage de rapport de force ?
37:55– Quand on voit ce genre de texte, si vous voulez,
37:59on se rend compte de notre naïveté, toutes ces dernières années,
38:05au contraire, à nous excuser de tout,
38:09la France était vraiment dans une position en permanence de repentance,
38:15de demande, au fond, d'indulgence,
38:19à venir se prosterner devant le régime algérien tout le temps,
38:22avec des visites officielles, etc.
38:25Alors tout ça, c'est le registre politique.
38:27Sur le registre culturel, je voudrais souligner une chose,
38:29c'est que c'est un peu, encore une fois, comme à l'époque de l'Union soviétique,
38:35la difficulté, c'est de manifester notre soutien,
38:40par exemple là, dans l'affaire Abou El Sassal,
38:43mais sans non plus rompre les liens culturels qui existent
38:47avec toute une communauté francophone en Algérie qui est très demandeuse de ça.
38:50Vous savez qu'il y a par exemple un salon du livre,
38:52moi j'ai été invité, je crois que c'est cette année ou l'année dernière,
38:54je ne sais plus, je ne suis pas allé, mais j'étais allé dans une précédente édition,
38:59un salon du livre à Alger, c'est très touchant,
39:03parce que vous voyez des tas de gens, de jeunes qui viennent, etc.,
39:06qui sont avides de pouvoir rencontrer des écrivains français,
39:09donc maintenir ce lien, c'est important,
39:13reconnaître que les écrivains algériens d'expression française
39:18sont partie intégrante de la littérature française,
39:21d'où la reconnaissance comme l'institution à laquelle j'appartiens pour raisonner,
39:25voilà, c'est ces choses-là qu'il faut faire,
39:27c'est-à-dire essayer de mettre la pression,
39:29mais sans couper le cordon,
39:31parce qu'il est très important pour tous ceux qui en Algérie
39:35se sentent un peu abandonnés d'une certaine façon par la France.
39:39– Jeannine Bougrave, on parlait de ce régime qui déteste la France,
39:44avec qui le président de la République a semblé parfois un peu faible,
39:48il a accrédité la thèse du crime contre l'humanité pendant la guerre d'Algérie,
39:52mais il a aussi parlé de rente mémoriale,
39:56est-ce que c'est aussi un régime qui vit justement,
39:59et qui soude sa population sur la haine de la France,
40:04sur le souvenir de la colonisation,
40:06est-ce que finalement, c'est aussi à cela que sert l'arrestation de Bolem Sansalle ?
40:12– Ça c'est une évidence,
40:16il y a une espèce d'idéalisation du combat en fait,
40:19qui a été mené par le FLN contre la France,
40:21mais où la France participe également,
40:23c'est-à-dire moi je suis assez surprise du nombre de commissions,
40:26ou sur cette idéalisation de ce qu'a été le FLN,
40:33et de passer sous silence les crimes et les attentats
40:37qui ont été effectués par le FLN,
40:40en ne donnant qu'une version non équilibrée de ce qu'a été cette guerre,
40:44cette guerre atroce en réalité,
40:47et c'est au nom d'un post-colonialisme,
40:50et c'est la raison pour laquelle d'ailleurs,
40:52vous ne voyez, je ne l'ai pas vu,
40:54je me trompe peut-être,
40:55mais de personnalités politiques de gauche demandaient la libération,
40:59alors peut-être à l'exception de Bolem Sansalle,
41:02peut-être à l'exception de Manuel Valls,
41:04ou peut-être de Bernard Cazeneuve,
41:05mais parce qu'en réalité, il y a quand même l'idée quelque part,
41:08que cette dimension post-coloniale,
41:11de systématiquement tout plaquer entre dominants, dominés,
41:15colons, colonisés,
41:16fait que de toute façon on refuse de voir l'Algérie telle qu'elle est,
41:19enfin le gouvernement algérien,
41:21mais sur la question de la France et de l'Algérie,
41:23je tiens juste à rappeler qu'ils ont supprimé les filières françaises,
41:26notamment dans toutes les écoles,
41:27c'est-à-dire qu'il faut se rendre compte
41:29à quel point cette espèce de haine de la France,
41:33mais qui est très schizophrène,
41:35parce qu'en même temps les gens continuent de venir en France,
41:37quand il y a des visites officielles c'est la question des visas,
41:40donc il y a quand même toute une schizophrénie qui rend perplexe,
41:46mais ce qui est délicat dans la question de Bolem Sansalle,
41:49c'est que personne n'accepterait effectivement
41:51que quand on est un état souverain,
41:54quand on a dans une juridiction,
41:55que des états ou d'autres personnes viennent dire
41:57comment on doit rendre la justice.
41:59Et toute la difficulté et ce que je crains...
42:01– Mais c'est un ressentissant français ce sujet-là.
42:03– Oui, mais il est binational en réalité,
42:05quand vous êtes binational, il est considéré comme algérien en Algérie,
42:09et français en France,
42:11et donc je ne sais pas comment ça va se passer
42:13cet après-midi devant le tribunal,
42:16et j'ai peur pour Bolem, en réalité c'est ça en fait,
42:19tout ce qu'on dit en ce moment,
42:21je me dis que ça peut être utilisé ou retourné contre Bolem Sansalle,
42:24et c'est la raison pour laquelle tout ce que l'on peut dire,
42:28tout ce que j'ai envie d'écrire ou de dire,
42:32je ne sais pas si j'ai raison de le faire,
42:33parce que j'ai peur que ce soit utilisé contre lui.
42:35– Vous avez raison, moi-même en faisant cette émission,
42:39c'est une question que je me suis posée,
42:40c'est une question que différents invités
42:42à qui j'avais proposé de venir se sont posés,
42:46mais je me demande aussi si justement,
42:48on parlait de la faiblesse à l'égard de l'Algérie,
42:52Jean-François Colosimo, il y a une de vos auteurs
42:54qui signe aux éditions du CERF, qui s'appelle Fatiragad Boudjelat,
42:59et qui dit que c'est peut-être le temps de dire,
43:02qui est d'origine algérienne également,
43:04de dire ses quatre vérités à l'Algérie aussi,
43:08est-ce que vraiment on n'a pas de moyens de pression sur l'Algérie,
43:12on a un certain nombre de dignitaires
43:14qui viennent se faire soigner en France,
43:16qui ont leurs enfants dans les écoles françaises,
43:19est-ce que le gouvernement français...
43:21Je peux juste répéter, pourquoi on a besoin,
43:23moi je comprends, on n'est pas obligé
43:27d'avoir d'excellentes relations avec l'Algérie,
43:29je pense que peut-être que la diplomatie en allant au Maroc
43:33s'est rendue compte que peut-être il y a d'autres pays
43:35et s'ils tentent de tourner la page,
43:37et qu'on n'a pas l'obligation sans arrêt de faire plaisir,
43:42qu'on s'occupe de la restitution des biens culturels,
43:44qu'on se dit si, qu'on honore des gens
43:47qui ont participé à des attentats pendant la guerre d'Algérie,
43:49que tout ça est assez insupportable, voilà.
43:51Et donc après, moi là-dessus,
43:53je trouve qu'on doit tourner la page,
43:55et qu'il est temps de mettre un point final,
43:58un chapitre et de commencer autre chose.
44:00– Jean-François Colliot-Lussimau,
44:01c'est presque la fin de cette émission,
44:02est-ce qu'il faut justement en finir,
44:04une bonne fois pour toutes, avec la repentance,
44:06et peut-être, voilà, c'est face à un régime
44:09qui comprend les rapports de force,
44:11en passé par un certain nombre de rapports de force.
44:14– De manière générale, je pense qu'aujourd'hui,
44:16à travers le monde, tous ceux qui sont en lutte
44:18pour des idéaux universels de liberté et autres,
44:22attendent de la France autre chose que,
44:24simplement, des mots de repentance
44:26pour un passé qui est même largement révolu.
44:29Ah, et sur le cas, d'ailleurs, tout un travail a été fait hier.
44:33– Il ne s'agit pas de dire qu'effectivement,
44:35il n'y a jamais eu de crime commis,
44:36mais tout le monde le reconnaît depuis longtemps.
44:38– Je reprendrai l'expression de Jeanette Bougrave,
44:40tourner la page.
44:41Et pour tourner la page,
44:42il faudrait qu'il n'y ait pas une forme d'amnésie.
44:46– Alors, il y a une espèce d'hyper-amnésie fabriquée,
44:51totalement fabriquée de l'autre côté de la Méditerranée.
44:54Mais nous, je trouve que nous ne sommes pas,
44:56véritablement, au point, si vous voulez,
44:59sur notre mémoire active d'une guerre
45:01où se sont passées tellement d'appelés.
45:03L'Algérie, en plus, on le sait,
45:04ce n'était pas une colonie, c'était la France.
45:07Il y a la fameuse question,
45:09qui est une question extrêmement douloureuse,
45:11elle devrait l'être, pour notre conscience nationale, morale,
45:15des harkis, etc.
45:16Voyez, regardez la production cinématographique des Etats-Unis
45:19sur la guerre du Vietnam,
45:21qui était, au fond, une guerre très lointaine pour les Etats-Unis,
45:24et n'avait pas du tout cette dimension.
45:26Et regardez la France, n'est-ce pas ?
45:29Alors, heureusement, il y a des boualèmes sans salles
45:32pour écrire là-dessus.
45:34Et finalement, je dirais,
45:36stimuler notre mémoire défaillante ou notre mémoire paresseuse,
45:40parce que pour construire une nouvelle relation,
45:42encore faut-il, je veux dire,
45:44bien connaître le passé, vous voyez ?
45:48Et c'est là où la littérature,
45:51encore une fois, notre cinéma a très peu traité cette question proportionnellement,
45:56c'est là où la littérature,
45:58et cette littérature d'expression française,
46:01mais qui est aussi écrite,
46:02comme dans le cas de boualèmes,
46:04par des gens qui sont de la terre,
46:07n'est-ce pas, qui a été cette terre ensanglantée à plusieurs reprises,
46:12alors ça, c'est important pour nous,
46:14c'est pas important que pour les Algériens,
46:17qui, encore une fois, sont privés de son oeuvre,
46:19aujourd'hui, et peut-être pourront le lire enfin demain.
46:21Mais c'est important pour nous,
46:23parce que c'est une part aussi de notre histoire,
46:26et cette histoire, il faudrait qu'on la connaisse infiniment mieux,
46:30et pas simplement, effectivement,
46:33sous la forme, je dirais, de messages diplomatiques
46:38envoyés aujourd'hui au sujet d'hier,
46:41lesquels, en fait, visent des intérêts d'après-demain.
46:45Donc, voilà, je crois que c'est ça.
46:48Donc, voilà, oui, vous disiez,
46:50il faut qu'il soit libéré le plus vite possible,
46:53moi, je dirais, tout de suite.
46:55– Eh bien, libérer Boualèmes Sans Salle tout de suite,
46:58c'est le clé du cœur de cette émission,
46:59j'espère qu'on sera entendus,
47:02en tout cas, on espère revoir très vite Boualèmes Sans Salle en France,
47:06sa gentillesse, sa simplicité,
47:08son courage, surtout, dont nous avons bien besoin,
47:10parce qu'il y a aussi un certain nombre de choses
47:13qui dénoncent sur le territoire français,
47:16notamment la montée de l'islamisme.
47:18Je vous laisse avec les informations,
47:21et on se retrouve la semaine prochaine
47:22pour un nouveau numéro, dans Toute Vérité.