C’est une « experte en gribouillis pour parler de choses sérieuses » comme elle le dit elle-même : la dessinatrice Bahareh Akrami, alias Baboo, rescapée du attentats du 13 novembre, est l'invitée de Mathilde Serrel.
Retrouvez Nouvelles têtes présenté par Mathilde Serrell sur https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/nouvelles-tetes
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00:00 place aux nouvelles têtes avec vous, Mathilde Serrel, une dessinatrice, ce matin, doublement
00:06 rescapée, Barare Akrami, alias Babou, dans notre studio Portrait Sonore.
00:11 « Hispane, la moitié du monde, disent les Iraniens.
00:15 Grâce à ces yeux de couleur et de soleil, on ne quittera pas l'ancienne capitale de
00:19 la Perse sans cueillir une rose au jardin d'Hispane. »
00:22 Elle est née à Hispane, en Iran, à un moment beaucoup moins carte postale, quand la Nouvelle
00:27 République Islamique exécute des milliers d'opposants.
00:30 Ses parents, ne pouvant pas risquer de fuir avec un bébé de un an, la confient à sa
00:33 grand-mère.
00:34 Deux ans plus tard, la famille est réunie.
00:37 * Extrait de « La vie de la princesse » de Chastaner *
00:54 A la cité-jardin de Chastaner-Malavry, dans les Hauts-de-Seine, elle grandit avec la
00:58 télé des années 80, celle des dessins animés japonais et de l'incontournable Petite Maison
01:03 dans la Prairie. Pour ne pas ajouter de galère aux galères dans une famille de réfugiés
01:07 politiques, elle opte pour des études de commerce, la voie royale des gens sans vocation,
01:12 dit-elle.
01:13 Elle est enceinte de 7 mois, le jour où.
01:15 * Extrait de « La vie de la princesse » de Chastaner *
01:33 Réunie cette fois sous une table du carillon, elle survit au 13 novembre 2015, son compagnon
01:38 et ses amis aussi.
01:39 Puis ses attentats sont rangés dans une boîte mentale, bien scotchée.
01:43 Qu'elle rouvre 5 ans plus tard, elle se constitue partie civile au procès.
01:47 Le devoir de témoigner, les questionnements de survivantes se doublent du besoin de dire
01:54 ce qui se vit pendant les audiences.
01:56 Sous le pseudo de Babou, elle devient la dessinatrice officielle du procès et publie aujourd'hui
02:00 l'intégralité de ses plans chez Steinkeis.
02:03 Barare Akrami, bonjour !
02:04 - Bonjour !
02:05 - Depuis le procès et les attentats du 13 novembre, vous ne pouvez plus vous passer
02:08 de vos « gribouillis » ?
02:09 - Non, tout à fait !
02:10 - Comme vous les appelez.
02:11 C'est vital ?
02:12 - Oui, c'est devenu un deuxième travail et puis vraiment une passion même.
02:18 - Une vraie vocation du coup ?
02:19 - Oui, on peut dire ça.
02:20 - Par rapport aux études de commerce et votre autre travail quand même.
02:23 Vous êtes experte en gribouillis pour des choses sérieuses, c'est comme ça que vous
02:25 vous définissez ?
02:27 - Oui, parce qu'en fait, au début, c'était des petits dessins dans des coins.
02:31 Je ne voulais pas trop me prendre au sérieux, donc c'est pour ça que je l'ai appelé comme ça.
02:35 - Mais plus ça va, plus vous vous assumez.
02:37 Vous croquez maintenant d'autres procès.
02:39 Vous suivez la révolution iranienne dans un blog sur le site de Mediapart.
02:43 - Qu'est-il arrivé à Armita Garavan, 16 ans, grièvement blessée après une altercation
02:49 dans le métro de Teheran ?
02:50 - Agressée par la police des mœurs.
02:52 La mort ce matin de l'adolescente Armina Giravand.
02:56 Selon les autorités, elle se serait évanouie avant d'être conduite à l'hôpital où
03:00 elle était dans le coma.
03:02 - Armita Garavand, 16 ans, en état de mort cérébrale depuis 10 jours après son arrestation
03:07 par la police des mœurs.
03:08 Elle refusait de porter le voile.
03:10 Elle est décédée ce samedi.
03:12 On rejoue ce qui s'est passé il y a un an avec Masahamini ?
03:16 - Tout à fait.
03:17 En fait, Armita était une jeune femme aussi d'origine kurde, comme Masahamini.
03:22 Elle a été agressée il y a un mois à peu près dans le métro de Teheran parce qu'elle
03:29 ne portait pas son voile.
03:30 Donc elle a été poussée et sa tête a cogné une porte.
03:35 Une barre de métro et elle est tombée dans le coma gravement.
03:38 Et juste ce que je voulais dire sur Armita, c'est qu'elle aurait dit, selon les témoins,
03:44 qu'à cette personne de la police des mœurs, elle lui aurait dit "est-ce que je te demande
03:47 d'enlever ton foulard ? Pourquoi toi tu me demandes d'en porter un ?"
03:50 Et ça, c'était ses derniers mots.
03:52 - Vous avez aussi relevé le fait que l'avocate qui s'appelle Nasrin Soutoudé a été arrêtée
03:59 au funérail.
04:00 - Oui, hier en fait, Nasrin Soutoudé qui est une grande avocate et une militante des droits
04:05 humains qui a défendu notamment une des premières femmes qui a enlevé son voile.
04:10 Elle a été violemment battue et arrêtée hier lors de cet enterrement.
04:15 - Vous avez collaboré à l'ouvrage collectif "Femmes, vie de liberté" sous la direction
04:19 de Marjane Satrapi.
04:20 "Babou, le mur de la peur est tombé" dit Marjane Satrapi.
04:24 - Oui tout à fait.
04:25 En fait, le truc c'est que souvent d'ailleurs on me demande si moi j'ai peur.
04:28 Mais c'est pas à nous d'avoir peur, maintenant c'est à eux d'avoir peur.
04:31 La peur elle a changé de camp vraiment.
04:33 - Le vrai point de bascule pour vous vers les "gribouillis" comme vous les appelez, c'est
04:38 l'argument avancé par Salah Abdeslam lors du procès des attentats du 13 novembre qui
04:41 demande justice pour les victimes en Syrie et en Irak.
04:44 Et ce sera un électrochoc pour vous ?
04:46 - Oui parce que moi quand j'arrive à ce procès, en fait, je me sens pas vraiment victime.
04:50 - Vous avez survécu.
04:53 - Voilà j'ai survécu, j'ai mis ça dans une note.
04:55 - Que vous dessinez d'ailleurs.
04:57 Dans la VD on la voit, elle est énorme.
04:59 "Attentat bien rangé".
05:00 - Voilà, je vais plutôt bien et je me demande qu'est-ce que je vais rapporter à ce procès
05:03 moi ? Et en fait quand il dit ça, il parle à la place des victimes du projet du Moyen-Orient
05:08 et en fait là l'enfant que j'étais se réveille et je me dis "bah oui je vais lui répondre".
05:13 Et comme je peux pas lui répondre en vrai, je commence à écrire et à dessiner.
05:18 - Dans ce recueil de planches, vous revenez pour la première fois en fait, on dessine
05:22 sur ce soir du 13 novembre et qui précède le moment où vous avez commencé à raconter
05:27 le procès.
05:28 L'image qui vous vient du 13 novembre c'est Jurassic Park.
05:30 - J'avoue c'est un peu bizarre mais en fait il faut se... voilà au moment où on pense
05:36 que les terroristes vont peut-être rentrer dans ce bar, c'est vrai qu'il y a l'image
05:41 mentale en fait de ce truc-là quand les deux enfants sont dans la cuisine et que le raptor
05:49 va peut-être venir.
05:50 Ouais c'est bizarre je sais mais bon.
05:53 - Alors c'est aussi étrange et bizarre que ça puisse paraître, c'est un livre qui est
05:56 extrêmement drôle en fait.
05:57 Parce que vous vous moquez de tout, comme le McDo que l'accusé Abdel Sam mangeait juste
06:01 après avoir renoncé à déclencher sa ceinture explosive, les textos envoyés par l'accusé
06:05 abrignait son ex-petite amie.
06:07 Dans l'effroi des actes et des horreurs commises, ce qui manquait c'était le récit de la bêtise
06:12 et de la banalité selon vous Mabou ?
06:14 - Tout à fait en fait.
06:15 Ce que je ne retrouvais pas peut-être dans les comptes rendus d'audience c'était vraiment
06:21 la bêtise de ces jeunes hommes.
06:24 Et moi j'avais envie de le dire et j'avais envie de le dire avec mes mots.
06:27 J'avais envie de dire "ouais il est con", j'avais envie de parler de cette histoire
06:30 de McDo et c'est vrai que par exemple cette histoire de McDo c'est vraiment la banalité
06:36 la plus pure.
06:37 Et j'avais envie de la raconter avec des mots, je vais dire jeunes mais je ne suis
06:42 plus si jeune en fait.
06:43 - En tout cas qui donnait aussi un autre aperçu de cette audience.
06:49 D'ailleurs ce sera énormément apprécié par les partis civils et puis par le juge,
06:53 le président de la cour d'assises Jean-Louis Périas, vous appelez "Loulou".
06:58 Le titre "On aurait bien aimé savoir" c'est une phrase de Loulou qui revient beaucoup
07:03 dans le procès.
07:04 - Oui tout à fait.
07:05 D'ailleurs il nous écoute actuellement.
07:06 - C'est lui Loulou ?
07:07 - Oui parce qu'en fait souvent cette phrase est revenue dans sa bouche et surtout par
07:12 rapport aux accusés qui sont maintenant coupables, qui gardaient le silence.
07:17 Donc c'est un droit mais effectivement il répétait souvent "On aurait aimé savoir".
07:22 - Les seuls passages où vous ne faites pas d'humour ce sont les quelques pages de Verbatim
07:26 des rescapés du Bataclan, vous rapportez les citations telles quelles et puis la reproduction
07:30 de votre témoignage à la barre.
07:31 C'est au procès que vous comprenez que vous êtes une double rescapée ?
07:34 - Oui, rescapée une fois à cause du fondamentalisme religieux en Iran et puis une deuxième fois
07:43 une trentaine d'années plus tard sur cette terrasse.
07:45 Donc j'ai eu deux fois de la chance.
07:48 - Il y a un autre personnage à suivre et très drôle que je vous recommande, c'est
07:51 le canard.
07:52 - C'est la conscience dans cet ouvrage.
07:53 On aurait aimé savoir.
07:55 Chronique du procès des attentats du 13 novembre c'est chez Steinke.
07:57 Merci beaucoup Barare Akrami, ça sort ce jeudi.
08:00 - Et vous vous appelez Babou aussi.
08:03 - Et Babou et Barare Akrami, les deux.