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Samedi 30 novembre 2024, SMART INDUSTRIES reçoit Marie Desjeux (Chargée d'étude,, La Fabrique de l'industrie) , Laurent Sellier (Directeur de la propulsion nucléaire à la direction des applications militaires, CEA) et Axel Nicolas (Codirecteur de l'observatoire de la défense, Fondation Jean Jaurès)

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00:00Bonjour à toutes et à tous, je suis ravie de vous retrouver pour un nouveau numéro de Smart Industries.
00:13Nous sommes ici à Paris pour cet événement organisé par BeSmart for Change.
00:17Aujourd'hui, nous mettons le projecteur sur le secteur stratégique de l'industrie de la défense française
00:24qui figure parmi les leaders sur la scène internationale.
00:27Pourtant, maintenir cette position d'excellence n'est pas une évidence.
00:31Le secteur fait face à des défis majeurs en interne.
00:34La transmission des compétences, l'accélération de la recherche et l'innovation.
00:38Sur la scène internationale, une concurrence toujours plus intense dans un contexte bouleversé par la guerre en Ukraine.
00:45Nous avons 30 minutes pour décrypter les atouts de ce secteur et les clés pour préserver son leadership.
00:51Smart Industries, c'est parti !
00:53Pour cela, j'ai le plaisir d'être accompagnée de trois invités.
01:00Marie Desjeux, chargée d'études à la Fabrique de l'Industrie, merci beaucoup d'être présente.
01:04Bonjour.
01:05Laurence Elier, qui est directeur de la propulsion nucléaire à la direction des applications militaires au CEA.
01:11Et Axel Nicolas, vous êtes co-directeur de l'Observatoire de la Défense à la Fondation Jean Jaurès.
01:17Vous avez travaillé depuis de nombreuses années dans le secteur et vous êtes désormais chez un motoriste.
01:21Merci beaucoup à tous les trois d'être présents pour cette émission sur l'industrie de la défense française.
01:26Marie Desjeux, je me tourne vers vous en premier.
01:28Est-ce que, tout d'abord, vous pouvez nous donner les chiffres clés de l'industrie ?
01:33Quels sont, par rapport au secteur en France, mais aussi à l'international ?
01:39Merci.
01:40L'industrie de défense française, qu'on peut aussi nommer base industrielle et technologique de défense,
01:45c'est un ensemble d'entreprises composées de neuf grandes entreprises, dont Dassault, Thalès, Naval Group,
01:51mais également de 26 000 PME et ETI.
01:54Et cet ensemble-là contribue au dynamisme de l'économie française.
01:58Tout d'abord parce qu'elle permet de générer des emplois, 200 000 environ,
02:03mais aussi parce qu'elle contribue à l'excédent commercial, alors que la balance commerciale française reste déficitaire.
02:10C'est-à-dire que la BITD, ça représente 10% des biens manufacturés, que ce soit d'usage civil ou militaire.
02:17Donc on voit qu'il y a une importance des exportations de défense française au niveau mondial.
02:24Et cela se traduit par une deuxième position de la France au niveau du marché mondial dans les exportations,
02:29en prenant la moyenne entre 2019 et 2023.
02:32Et cela est en partie dû au retrait des exportations russes, donc le contexte géopolitique,
02:38mais aussi par le succès du matériel de défense française, comme le Rafale ou les sous-marins.
02:43On voit les récents contrats qui ont été signés entre la Serbie et la France pour 12 Rafales,
02:49ou encore des contrats en fin septembre entre les Pays-Bas et la France pour 4 sous-marins nucléaires d'attaque.
02:55Alors comment est-ce que, vous avez donné quelques éléments de réponse,
02:58mais comment est-ce que vous expliquez cette position de leader à l'international de la France ?
03:04On explique ces résultats en deux principaux actes.
03:10Ce sont des actes que j'ai déterminés au fur et à mesure des analyses.
03:13Le premier, c'est que c'est une industrie qui se positionne sur du haut de gamme et qui est innovante.
03:18Et cela est le résultat d'une volonté politique d'être une armée de premier rang.
03:23Donc cette volonté politique se traduit par une excellence technique
03:27qui permet à l'armée française d'être en capacité, quand elle a une cible ou un navire à défendre,
03:34de pouvoir atteindre cet objectif de manière précise et efficace.
03:40Et le deuxième point de succès, c'est qu'il y a un ensemble d'acteurs, un système d'acteurs qui est moteur pour cette industrie.
03:47Et en particulier le rôle de la DGA, donc la Direction Générale de l'Armement,
03:51qui a un rôle pivot, qui structure et oriente l'offre industrielle en fonction des besoins réels de l'armée.
03:57Et il fait le pont entre l'offre et la demande et permet ainsi une maîtrise industrielle de l'ensemble des chaînes de valeur,
04:03mais également de préserver les savoir-faire.
04:06Et donc ça, c'est un ensemble qui permet à une industrie d'être performante.
04:10Par ailleurs, comme vous l'avez dit, il y a le contexte géopolitique qui compte énormément dans cette industrie
04:15et qui influence aussi les résultats de l'industrie de défense française, mais internationale,
04:21soit par une augmentation de la commande publique, soit par des contrats pour des relations diplomatiques.
04:28Puisque c'est la commande publique faite par l'État qui résout de la fabrication de matériel de défense.
04:35Enfin, le succès est à relativiser par rapport à l'hégémonie américaine qui reste prégnante.
04:41Quand on voit que l'Amérique est le premier exportateur au monde, c'est 38% des exportations mondiales en 2023.
04:49Et par ailleurs, il y a une intensification de la concurrence mondiale avec l'apparition de la Corée du Sud,
04:55mais aussi de la Turquie comme nouveau concurrent.
04:58Et enfin, une accélération des innovations technologiques qui est toujours plus rapide.
05:06Le renseigner Marie Dégé a parlé justement de cette excellence technique.
05:10Est-ce que vous pouvez nous dire, vous, comment vous travaillez au sein de vos programmes
05:14pour être toujours en adéquation avec la demande qui est voulue beaucoup ?
05:19Oui, les programmes dont j'ai la charge sont les programmes de réacteurs nucléaires
05:23qui équipent la marine nationale, les réacteurs nucléaires de propulsion navale.
05:28Donc ils équipent les sous-marins, le porte-avions.
05:31Et ce sont ces réacteurs qui apportent au SNLE leur invulnérabilité,
05:35en leur permettant de ne faire surface que lorsqu'ils rentrent au port pour changer d'équipage
05:40une fois la patrouille de plusieurs mois terminée.
05:42Donc l'industrie, pour être en adéquation avec cette demande,
05:46est contrainte de savoir en permanence toujours développer et produire ces réacteurs et les coeurs dont on a besoin,
05:54sans dépendre de qui que ce soit, et dans un calendrier précis des cycles opérationnels.
06:01On est dans le domaine de la dissuasion, donc aucun retard, aucune hésitation, aucun aléas n'est toléré.
06:08Pour ce faire, on est obligé d'avoir une industrie souveraine qui sait tout faire par elle-même
06:14et qui ne dépend pas d'un fournisseur extérieur, d'un approvisionnement à l'étranger,
06:20qui ne dépend pas finalement d'un pays étranger.
06:23Donc les résultats sont là, et pourraient faire pâlir d'envie le monde du nucléaire civil,
06:29puisque ces cinq dernières années, nous avons livré quatre nouveaux réacteurs,
06:33et nous les avons mis en service.
06:35Un à Kadarach pour le réacteur d'essai, et trois pour les premiers sous-marins nucléaires d'attaque du programme Barracuda.
06:42Quand il faut garantir des livraisons suivant un calendrier primordial, c'est ce que je disais,
06:47donc il n'y a pas le choix, il faut tout faire soi-même, il faut savoir tout faire soi-même.
06:51Et je pense que c'est ce qui rend cette souplesse à l'industrie française de défense,
06:58c'est qu'elle sait tout faire en propre.
07:00Même si quand on sort du domaine de la dissuasion, on s'autorise à faire des programmes en coopération,
07:06ou acquérir un certain nombre de matériels par des importations.
07:11Mais on sait tout faire en propre.
07:14D'ailleurs, l'un des avantages de l'industrie de défense, c'est qu'elle travaille avec une certaine visibilité.
07:24Il existe une loi de programmation militaire qui permet finalement d'avoir dans la durée,
07:28on sait où on va, on sait quelles vont être les commandes demain,
07:31on sait qu'il y a un plan de charge qui est prévu sur cinq à six ans.
07:35Et dans le domaine de la dissuasion du nucléaire, cette période est encore allongée.
07:38Donc c'est ça qui fait la force de notre industrie de défense,
07:41c'est qu'elle est capable de s'engager dans la durée, elle sait où elle va.
07:44– Axel, Nicolas, vous qui avez une vision multisecteur,
07:47qu'est-ce qui permet justement cette agilité,
07:50ce sont ces éléments-là qui se retrouvent dans tous les secteurs ?
07:54– Déjà, qu'est-ce qu'on entend par agilité ?
07:56Je pense qu'on peut définir l'agilité comme, j'ai regardé tout à l'heure la définition,
08:00mais comme la souplesse, moi je pense que c'est l'efficacité
08:02à pouvoir répondre aux besoins des forces armées françaises.
08:06Pour moi, cette agilité qui est cette efficacité,
08:09ça vient du fait qu'il y a une compréhension entre les besoins des forces armées
08:14et ce que peuvent faire les industriels.
08:16Tout à l'heure, Marie a parlé d'un pont, de la DGA comme un pont,
08:20en réalité, au sein du ministère des Armées, il y a une sorte d'un triangle,
08:24d'un côté la DGA qui traduit les besoins qu'émettent les forces armées,
08:29cette traduction va vers les industriels pour qu'ils produisent des équipements
08:33qui répondent donc aux besoins des forces.
08:36Et cette compréhension, cette agilité, cette efficacité,
08:40ça vient des interactions qui sont permanentes, qui sont formelles,
08:43ça vient aussi du fait que parfois les ingénieurs à la DGA
08:47et dans les industries viennent des mêmes écoles,
08:49je pense notamment aux ingénieurs de l'armement,
08:51donc il y a un même moule qui permet de bien identifier les besoins.
08:55Et je prends deux exemples, parfois les industriels sont proactifs
09:00pour répondre aux besoins des forces, d'autant plus depuis l'économie de guerre
09:05proposé par Emmanuel Macron en juin 2022, par exemple une PME,
09:08Thurgis et Gaillard, a proposé sans demande un drone aux forces armées
09:13et il s'avère que les forces armées ont émis un intérêt et vont étudier la chose,
09:16ce drone c'est le drone AROC et l'entreprise c'est Thurgis et Gaillard.
09:19Et puis surtout, désormais le ministère des Armées va plus vite
09:22dans l'émission de ses besoins et là aussi les industriels s'adaptent,
09:26je pense à deux exemples, un exemple lié à l'entreprise Safran
09:30qui en quelques semaines a été en capacité de mettre sur des frégates
09:34des systèmes d'identification optronique à la suite d'une menace identifiée en mer rouge.
09:38En quelques semaines c'est très court dans le temps de l'industrie.
09:41Et un deuxième exemple c'est le besoin de répondre sur le sujet des munitions téléopérées
09:45qui sont en fait des drones avec des munitions et on le voit beaucoup en Ukraine
09:48où là aussi en moins d'un an l'industrie a été en capacité de proposer une réponse
09:52et c'est un temps très court, moins d'un an dans le domaine industriel.
09:55Et Marie Desjeux parlait de la commande publique justement,
09:58est-ce que ça c'est une force qui permet cette agilité
10:00et qui peut peut-être aussi avoir son revers dans le secteur ?
10:03Effectivement Marie parlait de la commande publique et tout à l'heure Laurent parlait lui de la LPM.
10:08Je veux juste rappeler qu'un moment important pour l'industrie de défense française
10:12c'est les années 60 au moment où le président de Gaulle a décidé
10:16que la France devait avoir la dissuasion nucléaire
10:19et donc le modèle industriel français s'est beaucoup construit autour de la dissuasion nucléaire
10:23et de la capacité à avoir l'arme nucléaire de façon souveraine.
10:26Et donc l'arme nucléaire c'est pas seulement un missile,
10:29c'est aussi des sous-marins qui peuvent tirer ce missile,
10:32c'est des avions qui peuvent porter ce missile,
10:34c'est des avions qui savent ravitailler les avions qui portent le missile.
10:37Donc c'est tout un écosystème qui a été développé
10:40et donc clairement l'État est présent un peu partout dans l'industrie de défense.
10:45D'une part parce qu'il est parfois actionnaire des entreprises,
10:48il est actionnaire de Naval Group, de KNDS France, de Safran, il est donc actionnaire.
10:53Il finance en partie parfois la recherche et le développement,
10:56il émet la demande et donc les entreprises répondent à la demande.
10:59Et puis c'est aussi l'État qui contrôle les exportations,
11:01il n'est pas possible pour un industriel français d'exporter sans une autorisation de l'État.
11:05Donc l'État est partout et pour répondre à votre question,
11:08est-ce que c'est une force ou une faiblesse ?
11:10Disons que je pense que c'est une force d'avoir une visibilité
11:13et un soutien aussi de l'État parfois sur les sujets exports
11:16parce qu'on l'a dit tout à l'heure, l'industrie de défense est une industrie politique
11:20et que quand un État veut acheter quelque chose,
11:23il a besoin aussi de la garantie de l'État à qui il achète que ça marche,
11:28qu'il y aura un soutien sur le long terme.
11:30Donc clairement l'État est là, l'État est présent
11:32et l'État c'est une force dans le domaine de l'industrie de défense.
11:35Et faiblesse ?
11:37C'est une faiblesse, ça peut être une faiblesse dans le sens où parfois
11:41ça peut être une limite pour répondre rapidement par exemple,
11:45ça peut offrir moins d'agilité puisque l'État a un temps plus court pour répondre.
11:49Mais on voit quand même que c'est un modèle vers lequel vont
11:51et je pense que c'est vraiment une force en ce moment dans un temps incertain.
11:55Typiquement, l'Allemagne en ce moment a décidé lui aussi d'investir dans son industrie.
11:59Laurent Seigneur, vous avez parlé justement tout à l'heure de souveraineté,
12:02c'est quand même un sujet extrêmement important pour ce secteur.
12:05Quels sont vous vos leviers pour garantir l'autonomie autour de vos programmes ?
12:12Dans le domaine des réacteurs de propulsion navale,
12:17l'autonomie a été construite dans les années 60 avec la mise en service
12:22des premiers sous-marins nucléaires lanceurs d'engin et leurs réacteurs nucléaires.
12:25Cette autonomie, depuis, on l'a maintenue.
12:29Vous allez me dire que c'est peut-être plus facile de maintenir une autonomie que de l'acquérir.
12:33Oui, mais c'est un travail de tous les jours pour la préserver.
12:37C'est vraiment un travail de tous les instants parce que certes,
12:43nous nous appuyons sur deux industriels majeurs français
12:47qui sont Technicatome et Naval Group,
12:50qui eux-mêmes s'appuient sur des sous-traitants directs tous français.
12:55Mais il faut aller veiller sur l'ensemble de la chaîne de sous-traitance
12:58pour vérifier qu'il n'y a pas quelque part un trou dans la raquette
13:01et qu'au fin fond de la cascade de sous-traitance,
13:03il n'y a pas un fournisseur étranger dont nous serions dangereusement dépendants.
13:07Cette autonomie industrielle passe également par le maintien des compétences,
13:14comme je le disais tout à l'heure, mais également la mise à niveau de ces compétences
13:17parce qu'il faut la mettre au niveau de la sécurité informatique,
13:21au niveau de la sûreté nucléaire et puis au niveau de l'avancée technologique.
13:27Il faut que l'industrie soit en permanence capable de traiter tout type d'obsolescence.
13:32Mais cet approvisionnement national, c'est un défi croissant, un travail de tous les jours ?
13:38Croissant, je ne sais pas.
13:41Est-ce que c'est de plus en plus difficile de maintenir cet approvisionnement national ?
13:44C'est quand même un défi de tous les jours.
13:47Parce qu'il faut veiller que les compétences de l'industrie nationale,
13:51comme je le disais tout à l'heure, même si notre industrie est restée compétente,
13:58il faut veiller à ce qu'elle ne soit pas rachetée, par exemple, par des investisseurs étrangers.
14:02C'est un défi économique aussi ?
14:03Oui, c'est important.
14:05On y veille avec la Direction Générale de l'Armement,
14:08parce que régulièrement, nous sommes alertés,
14:11parce qu'une industrie dont nous avons peut-être besoin risque d'être rachetée par un actionnaire étranger.
14:18Alors nous menons une enquête.
14:21Nous regardons si elle travaille pour la propulsion nucléaire, par exemple.
14:26Et le cas échéant, nous examinons s'il n'existe pas un autre industriel,
14:30quelque part en France, qui est capable de le remplacer.
14:33Et puis nous portons cet avis vers les autorités compétentes, à Bercy pour ne pas les citer,
14:37et qui alors donne finalement leur accord pour leur achat, ou éventuellement s'y oppose.
14:43Et pareil pour les compétences.
14:45Comment est-ce que vous arrivez à les maintenir ?
14:48C'est quand même un sujet qui est très important dans tout secteur industriel.
14:52Comment vous faites pour que vraiment ces compétences ne se perdent pas, se conservent ?
14:57Le matériel et les compétences, c'est vraiment le sujet crucial.
15:00C'est vraiment vital, et donc c'est notre priorité absolue.
15:04Il n'est pas possible que notre industrie demain ne puisse pas être capable de réaliser des réacteurs pour la dissuasion nucléaire.
15:16Ce n'est pas possible.
15:18Pour qu'elle reste compétente, nous travaillons sur trois problématiques.
15:23Tout d'abord, il y a la transmission de compétences d'une génération à l'autre.
15:28C'est-à-dire que les concepteurs qui ont conçu les systèmes précédents vont partir en retraite.
15:33Pour partir en retraite, il faut qu'ils soient remplacés.
15:35Il faut que leurs successeurs soient également compétents.
15:38Pour ce faire, il faut un programme majeur.
15:42Un gros programme, à un moment donné, régulièrement espacé, qui rassemble les deux générations.
15:47Les programmes sont pensés avec ce facteur-là ?
15:51Exactement. Il faut qu'il y ait une passation de témoins sur un gros programme
15:54dans lequel on peut faire travailler l'ancienne génération de manière concomitante avec la nouvelle génération.
16:00Ce qui a été fait dans les années 90 avec le porte-avions Charles de Gaulle,
16:03c'est ce qui est en train d'être fait aujourd'hui avec le porte-avions de nouvelle génération.
16:07C'est le premier point.
16:09Deuxième point, il faut une certaine continuité dans les programmes de propulsion nucléaire,
16:15puisque c'est le secteur qui m'intéresse.
16:18Cette continuité, ça veut dire qu'il y a des programmes régulièrement espacés
16:22pour que les gros chantiers d'intégration, qui sont à Nantes, Indret, chez Naval Group,
16:25ou à Cherbourg pour l'intégration des navires, voient leur activité continue
16:31et que les gens ne quittent pas les chantiers pour aller faire autre chose entre-temps.
16:36Et puis le troisième point, ça concerne non pas les gros ensembliers,
16:39mais les petits sous-traitants qui, eux, n'ont pas forcément de nous pour vivre.
16:43Donc si on arrête de leur donner une activité pendant quelques temps,
16:46ils vont passer à autre chose et ils vont perdre les compétences
16:50qu'ils avaient développées pour répondre à nos besoins.
16:54Donc ça, il faut veiller.
16:58Donc ce qu'on a chez les grands ensembliers, c'est une continuité de programmes.
17:02Chez eux, il faut une continuité d'activités qui sont des développements,
17:06des productions de série, puis après des productions pour les produits de rechange.
17:11Et c'est d'autant plus facile si on arrive à faire ça,
17:15qu'ils sont intéressés de travailler pour nous,
17:18puisque nous les tirons vers le haut avec nos exigences de performance et de qualité.
17:23Marie Desjeunes, alors Mario Draghi a publié son rapport
17:26sur le futur de la compétitivité européenne en septembre dernier,
17:30avec quelques éléments justement sur le secteur de la défense européenne.
17:35Il laque son constat sur le manque de R&D, de développement en R&D.
17:40Est-ce que c'est quelque chose qui pourrait mettre en péril
17:43la compétitivité de cette industrie en France ?
17:47Alors oui, Mario Draghi a fait un portrait plutôt alarmant
17:50sur la compétitivité industrielle européenne,
17:53et il a fait tout un axe sur l'industrie de défense européenne,
17:58en mettant en avant des écarts d'investissement pour la défense européenne,
18:04mais aussi pour la R&D en matière de défense.
18:07Et dans cet écart d'investissement, on constate que les Etats-Unis
18:12dépensent trois fois plus que la France.
18:15C'est-à-dire que les investissements en matière de défense étatsunienne,
18:19c'est environ 3% du PIB, alors que pour l'Union européenne,
18:23c'est à peine 1,5% du PIB.
18:26Mais ce n'est pas le seul facteur qui pourrait pénaliser ou fragiliser
18:30une industrie de défense européenne.
18:33Il y a d'autres facteurs, comme le morcellement de l'industrie,
18:37une absence de standardisation, mais aussi une absence de préférence européenne.
18:42Quand je parle de morcellement de l'industrie de défense européenne,
18:46c'est quand on regarde les nombres de types de systèmes différents.
18:51Par exemple, pour les chars de combat d'attaque,
18:54il y a environ 14 à 17 chars de combat différents,
18:58alors qu'il y en a seulement un seul pour les Etats-Unis.
19:01Et en parlant de préférence européenne, c'est quand on regarde les investissements
19:06faits par des pays européens à destination.
19:10Ils ont bénéficié à 80% à des fournisseurs non européens.
19:15Et ça pose quand même question sur l'organisation industrielle européenne
19:20en matière de défense.
19:22Est-ce qu'il y a des recommandations qui ont été faites pour répondre à ces faiblesses ?
19:26Oui, il y a des recommandations qui ont été faites.
19:29Ils plaident pour davantage d'efforts collectifs en termes d'investissement,
19:35pour reprendre des investissements R&D,
19:37mais aussi d'achats conjoints, de plus de coopération,
19:41pour stimuler la capacité industrielle.
19:44Parce que bien qu'Axel nous ait dit qu'on était capable de répondre dans des temps records,
19:48quand on constate qu'il y a des contrats entre la Corée du Sud et la Pologne
19:52qui ont été signés pour l'armement polonais,
19:56c'est en partie le résultat des problèmes d'approvisionnement
19:59et de flexibilité de l'industrie européenne de défense.
20:02Et donc, il faut pouvoir avoir une capacité industrielle plus efficace,
20:06plus agile et plus rapide.
20:09Il a aussi plaidé pour la mise en place d'un commissaire européen de défense
20:13et ça a été entendu par la présidente Ursula von der Leyen
20:17puisqu'elle a nommé un commissaire européen de défense le 17 septembre 2024.
20:21Donc il reste encore à voir comment ces recommandations vont être entendues
20:27et comment la mise en place d'un commissaire peut favoriser l'émergence
20:33ou en tout cas insister sur les efforts conjoints au niveau des pays européens.
20:38Laurent Sellier, justement au sein de vos programmes,
20:40comment est-ce que vous faites pour être toujours à la pointe de la R&D, de l'innovation ?
20:46Alors nous avons la chance avec le CEA d'avoir un maître d'ouvrage
20:50qui naturellement est très porté sur la R&D
20:54puisque le CEA, le commissariat de l'énergie atomique, fait de la R&D en propre
20:58et puis il en fait faire une industrie.
21:01Le CEA est un établissement public de recherche.
21:03Donc dans mon domaine, le CEA développe des moyens expérimentaux en propre.
21:12Tout à l'heure je citais le réacteur d'essai à Cadarache
21:15qui est fait pour faire avancer le domaine de la propulsion nucléaire.
21:18Il y a également des boucles thermohydrauliques qui sont construites à Saclay, à Cadarache
21:22et puis le CEA développe des codes de simulation
21:27pour optimiser la conception, le développement des chaufferies et des cœurs nucléaires.
21:34Et ça c'est partagé avec l'industrie.
21:36Donc en plus d'aider l'industrie en lui faisant faire des développements exploratoires,
21:40en lui finançant des développements exploratoires,
21:43nous leur confions les résultats de nos essais,
21:45nous leur confions les codes pour que l'industrie puisse avancer.
21:51Donc l'ARD, oui, c'est un enjeu fondamental pour nous, pour notre industrie.
21:58Et puis j'aurais tendance à dire avec le CEA, un de ses anciens slogans,
22:02c'était de la recherche à l'industrie.
22:04Tout est dit en quelques mots.
22:06L'accès de Nicolas, la guerre en Ukraine a bien sûr bouleversé ce secteur.
22:11Est-ce que la France est un acteur de premier plan concernant l'approvisionnement du pays ?
22:16Oui.
22:18Peut-être première chose, c'est qu'il faut distinguer le quantitatif du qualitatif
22:22en termes des équipements qui sont donnés.
22:24Pour ce qui est du quantitatif, que ce soit en valeur des équipements donnés
22:28ou en nombre d'équipements donnés,
22:30la France arrive largement derrière les Etats-Unis,
22:33qui sont de loin le premier acteur en termes de dons,
22:36mais aussi par exemple derrière l'Allemagne.
22:38Mais en termes de qualité des matériels qui sont donnés,
22:41la France est un acteur majeur,
22:44dans le sens où aujourd'hui on donne des équipements
22:47qui permettent aux Ukrainiens de faire la différence sur le front.
22:51Quelques exemples, le missile Scalp,
22:54qui est fourni par l'entreprise MBDA,
22:57produit par MBDA que la France fournit à l'Ukraine.
23:00Il y a aussi une bombe A2SM qui est donnée par la France à l'Ukraine.
23:06Et bientôt, on va aussi voir arriver en Ukraine, les Mirage 2000.
23:10La France donne des équipements français que d'autres pays ne produisent pas
23:14et qui permettent vraiment aux Ukrainiens de faire la différence
23:17et de soutenir les choses sur le long terme.
23:20Néanmoins, il y a quelque chose qui a changé,
23:23qui est qu'on est passé d'une logique de dons,
23:26dans le sens où la guerre ayant été déclenchée en 2022,
23:29l'invasion russe ayant été déclenchée en 2022,
23:31la France a au début donné ce qu'elle avait,
23:34donc des dons qui proviennent des forces.
23:36Aujourd'hui, de plus en plus, on se tourne de cette logique de dons
23:39vers la logique de production.
23:41Et donc, on demande à l'industrie de défense française et européenne
23:44de se mettre en capacité, d'une part, d'aller plus vite sur le territoire national
23:48pour donner aux Ukrainiens, mais aussi avec une logique de partenariat
23:51qui est faite entre les entreprises françaises et européennes
23:54et les entreprises ukrainiennes pour produire en Ukraine au plus près du front.
23:58Donc, la France est un acteur de premier plan
24:01par la qualité de son soutien, par son savoir-faire.
24:04Et aujourd'hui, les Ukrainiens sont clairement reconnaissants
24:06du soutien qui est donné par la France.
24:08C'est-à-dire qu'au moment géopolitique, ils dynamisent le secteur
24:11et ça se ressent sur le territoire national.
24:14Oui, dans le sens... Alors, je fais attention,
24:17vraiment, au mot dynamique, au sens propre du terme,
24:20dans le sens où personne dans l'industrie de défense française aujourd'hui
24:23ne se réjouit de ce qui se passe et de devoir soutenir un conflit
24:26sur le territoire européen.
24:28Mais oui, clairement, il y a une dynamique économique
24:31pour l'industrie de défense en France qui se ressent sur les territoires
24:34parce que, tout à l'heure, Marie l'a dit,
24:36effectivement, l'industrie de défense française,
24:38c'est 200 000 emplois dans beaucoup de régions françaises
24:41avec des bassins d'emplois très identifiés.
24:43Je pense à Brest ou Cherbourg ou Toulon
24:46pour ce qui est de l'aspect naval.
24:48Rouen ou Bourges pour l'industrie de défense terrestre.
24:51Ou encore le Grand Sud-Ouest avec Toulouse et Bordeaux
24:53pour l'industrie aéronautique.
24:55Donc, cette hausse de la demande, effectivement,
24:57se traduit dans les territoires, dans les industries dans les territoires.
25:00Et donc, c'est ce bouleversement économique,
25:03effectivement, dynamise le secteur.
25:06– Est-ce qu'on pourra pérenniser cet élan
25:10et donc penser sans forcément être toujours en réaction
25:15avec un bouleversement géopolitique ?
25:17– Dans le sens, l'une des forces de la France,
25:20dans les années 90, à la suite de la fin de la guerre froide,
25:23il y a eu une chute des budgets de défense nationaux
25:25parce qu'il y a eu ce qu'on appelle les dividendes de la paix.
25:28Donc, beaucoup de pays ont baissé leurs dépenses de défense.
25:31Un élément à noter, c'est que la France a moins baissé que d'autres
25:34et a toujours maintenu un niveau de dépense dans la défense
25:37beaucoup plus important que d'autres,
25:39ce qui fait que l'industrie de défense a toujours été là.
25:41Donc, déjà, l'industrie de défense en France,
25:43elle a été là depuis les années 60,
25:44et même après la fin de la guerre froide, elle a été là.
25:46Donc, c'est une industrie pérenne.
25:47Et donc, aujourd'hui, effectivement, le sujet,
25:49c'est comment pérenniser cette dynamique et cette hausse.
25:52Tout à l'heure, on a évoqué la loi de programmation militaire.
25:55Pour rappel, en France, on a donc une visibilité
25:57dans l'industrie de défense, dans la dépense de défense,
26:00sur 6 ans, sur 7 ans, même, pardon, entre 2024 et 2030.
26:04Et on sait qu'entre 2024 et 2030,
26:06la France va dépenser 413 milliards d'euros dans la défense.
26:10Ça offre donc une visibilité.
26:12On voit aussi que l'ensemble des États européens
26:14haussent leurs dépenses.
26:15On a passé cette année les 300 milliards d'euros
26:18de budget de défense pour les 27 pays européens.
26:21C'est une première.
26:22Donc, c'est une hausse importante.
26:24Et dernier élément, on voit que la Commission européenne,
26:27aujourd'hui, développe des programmes de soutien
26:30à l'industrie de défense européenne.
26:32Il y a tout un tas de sigles entre EDIREPA, ASAP,
26:36le FED pour Fonds européen de défense.
26:38Mais là, désormais, il y a un gros programme
26:40qui s'appelle EDIPE pour un programme de soutien
26:43à la production de l'industrie de défense européenne
26:45qui vise à pérenniser aussi au niveau européen
26:49les hausses et le soutien à l'industrie de défense.
26:52Donc, une défense européenne consolidée,
26:55ça a un impact très positif
26:57sur notre défense nationale française, notre industrie.
27:00Oui, bien sûr.
27:01Dans le sens où, étant donné qu'on a une industrie
27:04qui est en capacité de répondre à des besoins,
27:06ça se répercute aussi.
27:07La demande européenne se répercute
27:09sur la production française.
27:11Un exemple, par exemple, MBDA
27:13est en capacité de fournir de la défense solaire.
27:16MBDA qui est basée notamment en partie à Bourges.
27:19Et donc, MBDA fournit des moyens de défense solaire
27:21à l'Ukraine d'ailleurs,
27:22mais aussi à tout un tas de pays européens
27:24pour lui permettre de se défendre
27:26face aux attaques venues de l'air.
27:28Eh bien, merci beaucoup à tous les trois
27:31d'avoir pensé tous ensemble
27:33autour de ce secteur de l'industrie de la défense française.
27:37Je rappelle Marie Desjeux
27:38que vous êtes chargée d'études à la fabrique de l'industrie.
27:41Laurent Célier, directeur de la propulsion nucléaire
27:43à la direction des applications militaires au CEA.
27:46Et Axel Nicolas, co-directeur
27:47à l'Observatoire de la défense de la Fondation Jean Jaurès.
27:51Merci à vous toutes et tous de nous avoir suivis.
27:53C'était Smart Industries.