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La "Question Philo" de Charles Pépin, c'est tous les samedis. Il répond aux auditeurs de France Inter. Et aujourd'hui, Charles, a choisi la question d’Alma : "Je ne suis pas sensible à la beauté des tableaux, comment faire ? "

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Transcription
00:00Il est 8h52 sur Inter, la question Philo et Charles ce matin, vous avez choisi de répondre à Alma.
00:06Bonjour, c'est une question pour Charles Pépin de la part d'Alma.
00:09J'ai un problème avec les tableaux et avec la peinture.
00:12Je ne suis pas sensible à cette beauté alors que j'adore la musique et les paysages.
00:15Est-ce que vous auriez une méthode pour m'apprendre à m'ouvrir à cette beauté-là ?
00:19Belle question !
00:20Très jolie. Je crois, cher Alma, que si vous posez la question, c'est que d'une certaine manière, c'est déjà gagné.
00:25Ah oui ? Pourquoi ?
00:26Oui, parce que ressentir le manque de quelque chose, c'est déjà le désirer.
00:29C'est un beau paradoxe.
00:30Quand Socrates nous invite à partir du fait que nous ne savons pas, vous vous souvenez,
00:33je ne sais qu'une chose, c'est que je ne sais rien, c'est pour que nous sentions en nous le désir de savoir.
00:38De la même manière, s'étonner de n'être pas sensible à la beauté des tableaux, c'est déjà en manifester le désir.
00:43Le désir de beauté.
00:45Voilà, rien que ça, c'est beau.
00:46Dans la vie, il n'y a pas que le désir de pouvoir ou de maîtrise, il y a aussi le désir de beauté.
00:50Mais venons-en à la méthode.
00:52Et partons des beautés auxquelles vous êtes sensible, vous Alma, qui semblez un peu jeune.
00:57Et tant mieux, c'est très intéressant.
00:59Ça vous simplifie la tâche.
01:00Eh bien, parlons de la beauté d'un paysage, la beauté d'une chanson, que Alma évoque.
01:04Quand on est sensible à la beauté d'un paysage, c'est qu'on est devant ou dedans.
01:08Quand une musique nous touche, on se laisse traverser par elle.
01:11Eh bien, pour les tableaux, c'est pareil.
01:12C'est une question de présence avant d'être une question de connaissance.
01:17Donc, choisissez un tableau et allez vous planter devant.
01:20Attendez dix minutes, faites l'expérience.
01:23Vous pouvez, si vous le voulez, le prendre en photo avec votre téléphone
01:25et vous amusez à lui donner le cadre que vous voulez pour en faire votre œuvre à vous.
01:29Se le réapproprier d'une certaine manière.
01:32Mais vous n'êtes pas donc exaspéré par la manie qu'on légende d'aller au musée
01:36et de prendre en photo absolument tous les tableaux qui croisent ?
01:39Pas du tout. Simplement, on pourrait en prendre un seul et s'arrêter devant.
01:41C'est un très bon début.
01:43Se planter devant un tableau et voir s'il nous fait quelque chose.
01:47Attendre de voir si on est traversé par ce que le tableau nous fait.
01:50Allons au Louvre, plantons-nous dix minutes devant l'autoportrait au chevalet de Rembrandt.
01:55Allons au musée d'Orsay, plantons-nous dix minutes devant la montagne Sainte-Victoire de Cézanne.
01:59Allons au musée Pierre-Fabre à Montpellier, plantons-nous dix minutes devant un outre-noir de Soulages.
02:04L'émotion esthétique, c'est quand la présence du tableau
02:07nous rend soudainement plus présents à nous-mêmes, aux autres ou au monde.
02:11Mais quand vous dites « on se plante devant un tableau pendant dix minutes »,
02:13ça veut dire qu'on ne fait rien ? On n'attend rien ?
02:16On n'attend rien. On prend le temps de ralentir et d'attendre de voir
02:20ce que la beauté nous fait, encore une fois, comment elle nous traverse.
02:23Il faut donner la chance à la rencontre, accepter qu'elle puisse ne pas marcher.
02:27Et c'est comme toutes les rencontres, on ne peut pas être sûr que ça va être la bonne,
02:30mais c'est ça qui est beau, justement.
02:31Ok, pour la première partie de la méthode, on se plante devant le tableau et on attend.
02:36Deuxième partie, vous avez raison d'enchaîner. Pensez à la mort.
02:39Je m'explique. Pensez que ce peintre, mort le plus souvent,
02:42continue à être vivant devant nous au travers du tableau.
02:46Que quelque chose de sa vie continue à battre dans le tableau.
02:49Pensez ensuite à toutes celles et ceux avant vous, dont les yeux se sont posés sur ce même tableau
02:55de Rembrandt ou de Cézanne. La plupart sont morts, mais leurs yeux se sont posés sur le même tableau que nous.
03:02C'est bizarre, non ? C'est très bizarre, oui.
03:03Dites-nous qu'à travers un tableau, les morts nous regardent.
03:06Ça va peut-être commencer à vous faire quelque chose.
03:08Et puis, troisième étape, demandez-vous ce que ce tableau pourrait nous enseigner.
03:12Quelle sagesse de vie il pourrait nous enseigner ?
03:15C'est ce que propose Thomas Schlesser dans son livre génial « Les yeux de Mona ».
03:19Excellent cadeau de Noël, soit dit en passant.
03:21Et par exemple, il dit que pour l'autoportrait de Rembrandt, la sagesse de vie qu'on peut y voir, c'est « connais-toi toi-même ».
03:27Ou alors, pour la montagne Sainte-Victoire de Cézanne, c'est « viens, bats-toi, signe et persiste ».
03:32Le philosophe Fransz Gann.
03:34Exactement. Et donc, l'art, cher Alma, fait partie de la vie.
03:38Et être sensible à la beauté, c'est se demander ce qu'il nous dit de cette vie.
03:41Donc, une méthode en trois temps, pour être simple.
03:43Un, se planter devant le tableau et attendre dix minutes.
03:46Deux, le regarder en pensant que les morts nous regardent.
03:48Trois, se demander ce qu'il nous dit ou nous enseigne de la vie.
03:53Autant de manières de se laisser, ou pas, traverser par la beauté.
03:57Merci Charles Pépin.
03:58Et on recommande également ce cadeau de Noël, « Les yeux de Mona » de Thomas Schlesser,
04:03que nous avions reçu sur Inter.
04:05C'est un livre absolument formidable, avec des reproductions des tableaux justement dont il parle.
04:09Et puis, votre livre aussi pourrait faire un cadeau de Noël.
04:13Pourquoi pas ? « Vivre avec son passé, une philosophie pour aller de l'avant ».
04:16C'est publié chez Alari édition.

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