"On ne change pas une recette qui marche... vraiment ?" La question philo de Charles Pépin

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Aujourd'hui, Charles a choisi celle de Mickaël : « On ne change pas une recette qui marche ! - qu’en pensez-vous ?"

La question philo par Charles Pépin dans le 6/9 de France Inter (21 Septembre 2024)
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Transcript
00:00La question philo, Charles Pépin, le samedi vous répondez aux questions des auditeurs
00:03philosophes d'Inter, de la même manière qu'on dit qu'on ne change pas une équipe
00:08qui gagne, il y a Michael qui dit qu'on ne change pas une recette qui marche.
00:12Qu'en pensez-vous ?
00:13Eh bien écoutez, j'en pense, cher Michael, que la vraie vie, c'est le changement, la
00:17nouveauté.
00:18Bergson l'a défini même comme une création continue d'imprévisibles nouveautés.
00:22Et d'ailleurs, si vous commencez votre week-end avec cette phrase de Bergson, j'estime que
00:26je ne suis pas venu ici pour rien.
00:28La vie, c'est de s'adapter à ce changement continu.
00:31Alors si j'étais vous, Michael, je me méfierais comme de la peste de cette pseudo-sagesse
00:36qui me paraît à la fois fausse et dangereuse.
00:38On ne change pas une recette qui marche, vous y allez quand même fort, parce qu'un grand
00:42champion par exemple peut répéter une stratégie gagnante et continuer à gagner, non ?
00:46Eh bien, puisque vous me parlez de sport, je vais vous parler de la sagesse de Claude
00:49Onesta, l'entraîneur des handballeurs français.
00:51Souvenez-vous, à un moment, ils ont tout gagné pendant longtemps.
00:54Eh bien, souvenez-vous, à chaque nouvelle victoire de son équipe, le visage de Claude
00:58Onesta s'assombrit.
00:59Les joueurs célèbrent leurs nouveaux titres en exultant, lui, il angoisse déjà.
01:03Et vous savez pourquoi ? Parce que leur tactique gagnante a été démasquée.
01:07Ils ont gagné, mais tout le monde a vu comment.
01:09Alors, s'ils veulent durer, s'ils veulent gagner encore, ils vont devoir gagner autrement.
01:14Bref, ne surtout pas répéter la recette qui gagne, mais en inventer une autre, se renouveler,
01:19se remettre en jeu, en question, en danger, en sel, même si ce n'est pas facile.
01:23Et il est là, le secret de leur longévité.
01:26Au fond, après un succès, il faut se réinventer comme si cela avait été un échec.
01:32Après un succès, il faut se réinventer comme si on avait échoué.
01:35Qu'est-ce que ça veut dire ?
01:36Eh bien, être pleinement vivant, c'est vivre l'échec autant que le succès, comme
01:40occasion de se réinventer, de chercher encore, de chercher autrement, même si parfois on
01:45a une légère impression de chaos.
01:46Ils ont raison, souvenez-vous, ces profs qui disent « ne vous endormez pas sur vos lauriers
01:51».
01:53Mais ils ont raison, philosophiquement, c'est vrai, s'endormir sur ses lauriers, c'est
01:58croire qu'il suffit de répéter ce qui a marché pour que ça marche encore.
02:01Mais regardez Bowie, regardez Madonna, leur longévité, elle est due à quoi ? Ils se
02:06sont renouvelés sans cesse, ils ne se sont jamais contentés de répéter.
02:11Cela ne signifie pas que le passé n'est pas riche d'enseignements, mais que la créativité
02:16relève toujours au moins d'un réagencement du connu, au mieux d'une rencontre de l'inconnu.
02:22Regardez par exemple le cinéaste dont on a appris cette semaine qu'il allait représenter
02:26la France aux Oscars avec Emilia Pérez, donc Jacques Audiard, vous avez vu, un prophète,
02:31« De battre mon cœur s'est arrêté sur mes lèvres ». Alors, Jacques Audiard, il
02:35répète la recette qui gagne ? Pas du tout, il change de genre à chaque fois.
02:39Mais je vous connais tous ici, et vous, auditeurs, auditrices, j'entends votre objection, mais
02:44moi, je ne suis pas champion du monde de hand, mais moi, je ne suis pas Madonna, je ne suis
02:48pas David Bowie, je ne suis pas Jacques Audiard, moi, je suis un être moyen, je fais partie
02:53de ces êtres moins exceptionnels, moins créatifs, bien contents de répéter une recette qui
02:58marche le jour où ils ont la chance d'en avoir trouvé une.
03:01Ah bon ? Vous n'êtes pas champion du monde de hand ? Vous n'êtes pas Madonna ? Mais
03:05peut-être avez-vous des enfants ? Peut-être avez-vous déjà été amoureux ? Et bien
03:09en éducation aussi, on ne change pas une recette qui marche, me semble une aberration.
03:14Dire à un enfant de deux ans « c'est comme ça, fais ce que je te dis », ça risque
03:18de marcher, mais la même méthode ne marchera pas dix ans plus tard, et même elle ne marchera
03:22pas avec l'enfant d'après qui a une autre place dans la fratrie.
03:26Et bien, nous tardons trop souvent à comprendre que ce qui marchait hier n'a aucune raison
03:32de marcher aujourd'hui.
03:33Et qu'est-ce qu'un joli moment entre deux amoureux ? Suffit-il de répéter la recette
03:38qui une fois a marché ? Ou plutôt de s'adapter à un moment de vie particulier, à l'état
03:43de l'autre, à son attente, à sa fragilité nouvelle, à son regain de forme ? Vous m'avez
03:48compris, je crois, Ali, on ne change pas une recette qui marche.
03:51Il y a dans cette phrase paresseuse, pire que de la paresse, probablement ce que Nietzsche
03:57aurait appelé une « haine de la vie ». Bien sûr, la vie nous enseigne des choses, bien
04:01sûr, on peut garder des choses, la générosité dans l'éducation, l'écoute dans l'amour,
04:07mais il s'agit moins de recettes que d'une sagesse qui toujours s'adapte, hésite, tâtonne,
04:12se renouvelle, épouse le réel, toujours mouvant, de nos existences.

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